Le seigneur de Pennarun

 

Quand on vient de Quimper au Bourg d’Ergué-Gabéric par la vallée du Jet, la masse imposante du manoir de Pennarun s’élève à droite de la route, pratiquement au sommet de la côte, un peu avant le cimetière. Deux entrées, l’une à l’Ouest, l’autre à l’Est, permettent d’accéder à la cour.
Les premiers relevés cadastraux qui datent de la moitié du XIXe siècle, mentionnent 3 parcelles ouvertes : à l’Ouest, la parcelle 333, appelée « ale ar Veil » et classée « avenue » ; à l’Est , la parcelle 335, appelée « ale Pennarun » et classée « futaie »;  et, au Nord, la parcelle 339, « ale ar Voc’h », classée également « futaie ».
Plus tard, à la construction de la route de Pont-Névez (ou côte de Pennarun), l’«ale ar Veil» s’est changée en « Park an ale goz ». Au début du XXe siècle, l’« ale ar Voc’h », route communale du Bourg, bordée de châtaigniers, méritait toujours le nom d’« avenue ».

Le manoir de PennarunJusque dans les années 1950-1960, tous les gens du Bourg se connaissaient (c’était pratiquement vrai, aussi, pour tous les habitants de la commune.) Au Bourg donc, on parlait encore du seigneur de Pennarun, lequel avait mauvaise réputation. Le seigneur ? Quel seigneur ? Son nom s’était perdu dans la nuit des temps si son souvenir était resté vivace. S’agissait-il d’un seigneur en particulier, d’une lignée de seigneurs ? On ne le savait plus. C’était « le » Seigneur de Pennarun ! On disait qu’il était méchant, qu’il avait opprimé les paysans, qu’il pendait à Lenhesq ceux qui ne lui plaisaient pas. Il était si mauvais que la Justice Divine se devait de lui réserver un châtiment exemplaire !
Et c’est ainsi que l’on racontait toujours, vers 1950, que le Seigneur de Pennarun était condamné à réapparaître tous les ans, sous un chêne de l’« ale Goz » où il remuait éternellement l’or de son trésor enfoui. Cela, le dimanche des Rameaux, pendant la lecture particulièrement longue de l’Évangile de la Passion du Christ selon saint Matthieu. La personne qui le trouverait et accepterait son or, le délivrerait de sa malédiction…mais perdrait ipso facto son âme ! En ce temps-là, manquer la messe du dimanche était un péché mortel !

Encore aujourd’hui, personne n’a trouvé le trésor du seigneur de Pennarun. Pourtant le nombre de fidèles à l’église le dimanche matin a fondu comme neige au soleil. Mais qui sait encore à quel moment de l’année est placé le dimanche des Rameaux ? Probablement, en plus, le chêne du seigneur a été abattu pour faire du feu ! Alors, tant pis…le mystère demeure !

Où la légende et l’Histoire se rejoignent : le recensement de 1790 mentionne à Pennarun Mme Veuve Gélin, 48 ans, et ses enfants dont son fils, Marie-Hyacinthe, alors âgé de 19 ans. Ce jeune homme rejoindra la Chouannerie où il retrouvera, entre autres, ses cousins, les Geslin de Bourgogne, de Lantic dans les Côtes-d’Armor. Ses actions dans la région cornouaillaise lui vaudront d’être appelé « le cruel Geslin » (cf. les conférences de S. Duigou). Ne serait-ce pas lui le seigneur de la légende, le seigneur du trésor de « l’Ale Goz » de Pennarun ? Quand on sait que « Pen chou(a)n » était toujours une insulte 200 ans après la Révolution Française, on peut comprendre que Messire Marie-Hyacinthe De Geslin, Seigneur de Pennanrun et autres lieux,  n’était pas en odeur de sainteté au Bourg d’Ergué-Gabéric.

Suzanne COÏC-LOZAC’H

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