Récit de résistance au bourg

 
Bernard Le Bihan est né à Lorient d’une mère du Cap et d’un père gabéricois. En 1944, la famille quitte son domicile quimpérois et vient se réfugier au bourg d’Ergué. Le jeune Bernard Le Bihan a donc été amené à vivre à Ergué-Gabéric cette période où la Résistance à l’occupant s’organisait. Il a connu ces jeunes gens qui formaient le « groupe de Résistance du bourg » et il nous expose ici le témoignage d’une journée où il se vit confier un mystérieux colis dans le bourg en état d’alerte...
 

La boîte en fer blanc

« Août 1944… Dans le bourg d’Ergué-Gabéric, un groupe de maquisards bavarde devant l’école des filles. Admiratifs et curieux quelques gamins les observent… Soudain, venant de la rue du presbytère, semblant apeuré et essoufflé, un gamin plus grand que les autres crie : « les boches, les boches… ils arrivent !!! » et il indique la direction du cimetière…
 
François Balès, pas du tout impressionné déclare : « Je rentre de patrouille de nuit et je vais me coucher, s’il y a du grabuge, venez me chercher !!! ».Un responsable donne des ordres et tout le monde s’éparpille dans toutes les directions…Un petit garçon blond se dirige vers la maison qu’il occupe avec ses parents, en face de la « ferme des F… », à l’angle de la rue qui mène à l’école des sœurs. Il croise en chemin un couple qu’il connaît comme étant des réfugiés de Brest, et dont l’homme doit exercer la profession de dentiste ou de prothésiste dentaire. La femme lui confie alors une grande boîte en fer blanc, une de ces boîtes qui a contenu à l’origine des gâteaux, en lui recommandant d’y faire très attention, de bien la cacher, et de la lui rapporter quand les allemands seront partis…Un car manœuvre sur la route de Kerdévot. Sur le toit un résistant est armé d’un fusil mitrailleur…Quelques secondes plus tard, la boîte en fer blanc sous le bras, il pénètre dans le jardin qui embaume la pèche mûre. Il appelle l’autre locataire, Marie-Louise C. mais elle n’est pas là. La maison est donc vide car ses parents sont également absents. Une idée bien précise en tête il traverse rapidement la parcelle de choux à vaches qui s’étend devant la maison et accède au fond du jardin. Celui-ci surplombe d’environ 2 m la fin d’une ruelle qui débouche sur le chemin qui, passant derrière le presbytère rejoint la route d’Elliant. Entre le fond du jardin et la ruelle, il y a une échelle de meunier et c’est sur cette échelle qu’il a décidé de se cacher. 
La boîte en fer blanc sur le sol, le nez dans l’herbe et au travers des choux, il peut ainsi, pratiquement invisible de la maison, observer et à la moindre alerte s’enfuir par la ruelle. La boîte en fer blanc l’intrigue : que peut-elle contenir ? Le couvercle en est maintenu par une ficelle nouée à l’aide d’une « cosette ».
 
Brutalement trois rafales d’arme automatique déchirent le silence, elles proviennent de l’endroit où le car s’est placé pour prendre la rue en enfilade. Un silence s’installe comme si le bourg retenait sa respiration…
 
L’enfant a peur, très peur et des sanglots silencieux secouent ses épaules, il connaît la brutalité et la sauvagerie des occupants…
Un bourdon vaque à ses occupations…
 
Plus aucun bruit ne venant rompre le silence, se sentant abandonné de tous et après un temps qui lui paraît long, il se décide avec mille précautions à rejoindre la maison. Celle-ci est toujours vide de ses occupants… Dans la demi-pénombre de la salle principales, il pose la boîte en fer blanc sur la table. Il fait glisser la ficelle sur la boîte de manière à pouvoir enlever le couvercle sans défaire le nœud. Un peu honteux de succomber à la curiosité, qui comme chacun le sait est un vilain défaut, il ôte le couvercle et la boîte en fer blanc dévoile son secret : elle est pleine à ras bord de billets de banque !!!
 
Le coeur gonflé d’orgueil de se sentir responsable d’un tel « trésor », le petit garçon s’empresse de remettre tout en ordre.
 
Un moment plus tard après avoir remis aux propriétaires légitimes la boîte en fer blanc et son précieux contenu, il est à nouveau parmi les maquisards. Ceux-ci commentent l’événement : « Heureusement que ce n’était qu’une fausse alerte, dit l’un d’entre eux. Qu’est-ce que j’aurais fait avec ça ? ». Et il exhibe un poignard de scout. Un autre dit : « Et moi avec ça ? », en montrant un pistolet de petit calibre, tout juste bon  à effrayer les chiens.
 
Une patrouille qui cherchait le contact avec les Allemands revient en poussant devant eux l’auteur de la fausse alerte. Immédiatement conduit devant le chef, celui-ci lui assène une gifle formidable et lui dit : « Si tu avais été un homme nous t’aurions fusillé… ». Cette histoire est authentique.
Cinquante six ans plus tard, si je n’ai toujours pas compris comment des adultes ont pu confier à un enfant de huit ans leur bien le plus précieux, je revendique l’honneur d’avoir été ce jour-là, le plus jeune convoyeur de fonds de France !!! »
 
Bernard Le Bihan.

Keleier Arkae n° 6 - Octobre 2000