Ergué sur la carte de Cassini

 
Sur la carte de Cassini, de la fin du XVIIIe siècle, apparaît le nom « Ergué-Guberie ou le Grand Terrier ».
Que peut signifier ce grand terrier ?
 
Le sens le plus probable doit se rapprocher de celui du livre terrier.
Sous l’Ancien Régime un livre terrier ou un livre rentier est un peu l’ancêtre de notre cadastre, il décrit l’ensemble des biens d’une seigneurie. Pour qu’une paroisse vienne à être nommée le grand terrier, cela laisse supposer qu’il y ait eu une seigneurie avec un nombre conséquent de biens. À Ergué-Gabéric, à cette époque, les principaux seigneurs propriétaires sont le roi, l’évêque de Cornouailles et de nombreux nobles, les premiers étant les De La Marche.
 
Les terres du domaine royal sont cependant moins nombreuses à Ergué-Gabéric qu’à Elliant. L’évêque de Cornouaille pour sa part est propriétaire de la quasi-totalité des paroisses de Kerfeunteun – et Cuzon – et Lanniron, ainsi que de Coray. Les biens de ces deux seigneuries ne se distinguaient donc pas par leur importance sur la paroisse d’Ergué-Gabéric.

Les autres terres étaient partagées entre une dizaine de manoirs et seuls se détachaient les biens des De La Marche, seigneurs de Lezergué, Kerfors et autres lieux. Cependant leurs biens restaient malgré tout dans la moyenne pour une famille noble de cette envergure.
 
Et les moines rouges? Certaines interprétations qui nous sont parvenues rapportent que ce nom de grand terrier conserverait la trace de biens des moines rouges, c’est-à-dire des Templiers. Malheureusement il n’y a jamais eux d’établissement templier à Ergué-Gabéric. Tout au plus peut-on mentionner leur établissement à Notre-Dame du Guélen en Ergué-Armel.
Mais dans ce cas c’est Ergué-Armel qui aurait dû recevoir le nom de Grand Terrier. En outre l’ordre du Temple disparut en 1314, et le terme Grand Terrier n’apparaît jamais dans les actes officiels avant Cassini. Il serait surprenant que après plus de 450 ans de silence l’idée d’un établissement templier aie pu refaire surface. Le seul établissement monacal propriétaire dans la paroisse est l’abbaye de Landévennec, au Guélennec, cependant ses biens gabéricois relevaient de la seigneurie de Guelevain et des Salles en Landrévarzec. Et le Guélennec à lui seul ne permet pas de qualifier la paroisse de Grand Terrier.

L’explication la plus plausible de ce nom reste une erreur de transcription.
La carte de Cassini, il faudrait dire les cartes, fut réalisée sur plusieurs années et CASSINI ne travailla pas seul mais dirigea une équipe (arpenteurs, enquêteurs, graveurs, etc.). La graphie du nom même d’Ergué-Gabéric, orthographié Ergué-Guberie nous incite à être prudent.
Autres erreurs plus significatives : Logueltas et Kerveil y sont appelés respectivement Loqueste et Le Mooul (!).
On y trouve aussi deux lieux-dit appelés Tréolan, preuve que cette carte a été réalisée en plusieurs étapes – dans d’autres communes cela se voit souvent par des corrections dans le tracé des chemins.
 
Depuis le XVIe siècle les documents réalisés couvrant un vaste territoire n’ont cessé de comporter des erreurs.
En 1553, Charles Estienne, imprimeur lyonnais, publie La Guide des Chemins de France, et sauf erreur il n’est jamais venu en Bretagne car entre Vannes et Quimper il place : Ancray (comprendre Auray, erreur de lecture ?), Hennebont, Pontſecort (Pontscorf), Quimpelay (coquille) et Rosseperdan (transcription phonétique ?).
Dans les années 1950, l’administration française fait réaliser par l’INSEE un index des noms des lieux, hameaux et écarts afin d’avoir une écriture normalisée de ces différents noms. Gongallic y est devenu Congalic, Le Cluyou, Cluyon, Mesanles, Mez-en-Lez et une erreur d’écriture de Parc Loch Guen donne Pallach-Guen en plus de Parc-Lochguen plus correctement orthographié.
 
Pour en revenir au Grand Terrier, il y a plusieurs hypothèses possibles : phonétique la prononciation de Grand Ergué est proche de celle de Grand Terrier, la liaison entre le d final et le E initial se prononçant comme un t [granterge]– Gran Tergué. La graphie étant « corrigée » a posteriori pour le d de Grand.
La transformation de son [g] – gu – en son [i] peut tenir à plusieurs hypothèses. La première pourrait être que l’une des personnes travaillant sur la carte aie mal compris le nom – prononcé trop vite, mal articulé, etc. Une autre hypothèse est plutôt graphique, le g d’Ergué peut ressembler, écrit manuellement à un y, donc Ergué – en breton Erge – devenu Eryué ou Eryie – si la modification du t à déjà eu lieu : Teryué ou Teryié. Et cette dernière forme teryé a pu être « corrigée » en terrier lors d’une relecture.
 
Vous avez dit Cassini ?
C'est à l'initiative de Louis XV, impressionné par le travail cartographique réalisé en Flandre, qu'est levée la première carte géométrique du Royaume de France.
César François Cassini de Thury (1714-1784) dit Cassini III, fils de Jacques, est chargé de réaliser ce travail à l'échelle "d'une ligne pour cent toises", soit 1/86400e.
La carte s'appuie sur le réseau géodésique que viennent d'établir (de 1683 à 1744) Jean-Dominique Cassini et son fils Jacques (père de Cassini De Thury).

Les levées commenceront en 1760 avec César François Cassini De Thury et se termineront en 1789 avec son fils, Jacques Dominique Cassini. La publication sera retardée par les événements de la Révolution pour n'être achevée qu'en 1815.
La carte de Cassini servira de référence aux cartographies des principales nations européennes pendant la première moitié du XIXe siècle.