Souvenirs d'une écolière pensionnaire (1917-1921)

 
Ce témoignage  a été recueilli auprès de Marie Gourmelen (Marie Roumégou) par Gaëlle Martin et Jacqueline Le Bihan dans le cadre de l'exposition présentée par Arkaé en juin 2004 : " Ergué-Gabéric et ses écoles ".
L'école  primaire des filles " Notre-Dame de Kerdévot " a été ouverte au Bourg de 1898 à 1963. Elle a disposé d'un pensionnat. Elle était tenue par la Congrégation des Filles du Saint-Esprit. Ses locaux ont été, après la fermeture, occupés par le C.A.T. " Les Papillons Blancs ", puis ont été transformés en " Résidence Bude-Stratton ".
 

1917 : " à l'école on priait pour les morts".

« Je suis entrée à l'école à l'âge de 9 ans, en septembre 1917. A cette époque, les enfants n'étaient pas scolarisés dès l'âge de leurs 2 ans comme aujourd'hui, et de plus, j'étais l'aînée, donc utile à la maison.
J'habitais à Kervéguen, ce qui fait que je fus mise en pension à l'école des filles du bourg : l'école Notre-Dame de Kerdévot.
Je suis allée à l'école en char à bancs avec mes affaires de pensionnaire : literie, vêtements… Je me rappelle que je disposais de quatre blouses d'écolière et que je faisais trois jours avec une blouse. Mes autres habits étaient de simples habits paysans : la jupe, le gilet, le corsage et les sabots.
J'ai démarré l'école alors que la première guerre mondiale faisait rage. Je me souviens qu'il y avait un service mortuaire toutes les semaines, et qu'à l'école on priait pour les morts, et pour que le conflit s'arrête.
J'ai trouvé que les bâtiments de l'école étaient grands par rapport à ceux de la maison.
 

"Je ne parlais que le breton".

Bien sûr, je ne parlais que le breton en y arrivant. L'apprentissage du français s'est  fait petit à petit. Pour moi, je n'ai pas de souvenir d'interdiction, de lutte, de punition contre l'usage du breton. Cela venait doucement : par exemple l'instituteur traduisait la date en breton, le catéchisme se faisait en breton, parfois les prières (le "je vous salue Marie") et on lisait la "Vie des Saints" en breton.

Il y avait deux classes, avec chacune deux divisions. La petite classe était dirigée par Sœur Yvonne et il y avait une salle spéciale pour apprendre à lire. La seconde classe était dirigée par Sœur Euphrasie, puis par Mademoiselle Monique, qui jouait du piano. Le matériel d'écolier était fourni par l'école.
        

Une journée bien chargée

La journée des pensionnaires commençait toujours ainsi : Sœur Félicienne réveillait le pensionnat par une phrase en latin. Les grandes étaient obligées de se rendre à la messe, qui durait 30 minutes et c'est seulement ensuite qu'elles pouvaient déjeuner. Le petit déjeuner se composait de café et de soupe. Mais il y avait plusieurs menus en fonction de l'argent laissé par les parents. Puis les filles allaient faire leur toilette et leur lit.
La rentrée en classe avait lieu à 9 heures, bien en rangs. On restait debout devant sa place et on disait la prière. La classe commençait par la récitation des leçons : géographie, histoire, poésie. Puis on passait à l'arithmétique. Ce que je préférais, c'était la dictée.
A la récréation, les filles sautaient à la corde, jouaient à la marelle, à "mouchig dall" (colin-maillard). Elles chantaient : "Dansons la capucine…", "La Mère Michel", "Savez-vous planter des choux ?", "Compagnons de la marjolaine", "En passant par la Lorraine…".
Avec des noix ou des haricots, selon la saison, on jouait à "glouc" : dans un trou, on disposait quelques noix ou haricots et on gardait le reste pour les lancer chacune à son tour : celle dont le projectile atteignait le trou remportait tous les haricots ou toutes les noix.
 

Menus ouvriers et menus paysans

Après l'Angelus de midi, on sortait de classe et on se rendait au réfectoire. Les repas des enfants des ouvriers de la Papeterie étaient payés par Bolloré. On appelait cela "la grande pension", car c'était un repas amélioré.. Pour le reste des enfants (dont moi), les sœurs préparaient une soupe de légumes. Elles y ajoutaient les morceaux de lard que les parents des pensionnaires avaient laissé pour leurs enfants. La ration impartie à chacun était identifiée grâce à une tige de métal fichée dans chaque morceau de lard. Ainsi, chaque fille se voyait servir la quantité de viande laissée par les parents. Ceux-ci laissaient aussi du pain, et une ration de beurre.
Les demi-pensionnaires apportaient le nécessaire, pour avoir un peu plus que la soupe aux légumes.
Il n'y avait pas de dessert.
 Vers 1920-1921, tous les jeudis, Sœur Cécilien préparait un ragoût de pommes de terre. C'est elle aussi qui a changé le système des fiches de métal dans les morceaux de viande : elle les marquait d'incisions différentes les unes des autres.
Au printemps, je me rappelle que je pouvais acheter de la salade aux sœurs ; il y avait un grand potager, et aussi un verger à l'école. Pour l'assaisonnement, on achetait du sucre en poudre à la Boulangerie Balès, et on mangeait les feuilles de salade ainsi, avec un peu de sucre.
 

"Jamais je n'ai eu le cafard"

Après le repas du soir, l'hiver, on faisait le tour de la cour en courant et en chantant pour se réchauffer. L'été, on faisait des jeux. Le jeudi soir était dévolu aux travaux manuels. J'ai ainsi fait des coiffes pour ma mère. J'ai aussi brodé une nappe pour le pain noir, qui reste en haut de la table à la campagne. J'ai bien sûr fait du tricot.
On allait se coucher à 21 heures, été comme hiver. Il n'y avait pas de toilette avant d'aller se coucher. Le dortoir n'était pas chauffé. Chaque fille avait deux couvertures et un édredon. Il n'y avait pas le droit de parler. Personne ne pleurait. Jamais je n'ai eu "le cafard". Je me rappelle quand même d'une fille qui avait fugué. Les maîtresses l'ont vigoureusement battue à son retour.
Le jour de congé, à cette époque, était le jeudi. L'après-midi était l'occasion d'une grande sortie : promenade sur toutes le routes d'Ergué-Gabéric, tout en chantant ou en discutant les unes avec les autres.
Mes parents venaient me voir le dimanche. C'est alors que se faisait le transfert des vêtements propres et sales. Ils me donnaient quelques sous. Et ainsi, le jeudi, je pouvais m'acheter des bonbons.
 

"Ainsi furent mes courtes années d'école".

J'ai quitté l'école à 13 ans et demi. Mon père était tombé malade. J'étais l'aînée. Je devais revenir aider à la maison. Je n'ai donc pas été au certificat d'études et ai ressenti de la tristesse en voyant les autres filles de ma classe y aller.
Ainsi furent mes courtes années d'école.
Mon école était ainsi… quand j'étais petite fille. »

Témoignage recueilli par Gaëlle Martin - Keleier Arkae n° 37, janvier 2005