L'abbé Gustave Guéguen, recteur d'Ergué-Gabéric
Année 1941

Arkae > Trésors d'archives > Personnages > Gustave Gueguen > PortraitNous reproduisons dans cet article des extraits du « Registre-Journal » tenu par l’Abbé Gustave Guéguen pendant la première année de son ministère à Ergué-Gabéric, il y a 70 ans.
C’est en principeau début du XXe siècle que remontent les Registres-journaux dans le diocèse de Quimper. Les Statuts Synodaux publiés en 1928 par Mgr Duparc demandaient aux curés et recteurs de tenir un tel journal : « Le curé tiendra au courant le Journal Historique de la paroisse, dans lequel sont enregistrés les faits d’une certaine importance pour l’histoire locale » (article 69). Ce récit avait en particulier pour but de renseigner les recteurs à venir sur les divers antécédents qui avaient pu marquer la paroisse, d’expliquer des habitudes, des comportements, de justifier des choix. Un tel document est donc intéressant par ce qu’il nous apprend de l’époque, des personnalités, des positionnements des uns et des autres, même s’il demande une lecture critique.

L’Abbé Guéguen, fréquemment désigné à Ergué sous son prénom « Gustave », était un personnage hors du commun. Il peut apparaître comme ayant  une haute estime de lui-même, autoritaire, intéressé par l’argent des quêtes, par l’éclat à donner aux chapelles, à l’église paroissiale, aux cérémonies. C’est qu’il se prenait avant tout pour le représentant de Dieu sur le territoire de sa paroisse, et pensait que l’hommage rendu à Dieu ne pouvait que rejaillir sur sa propre personne et justifier une soumission respectueuse de tous. C’est ce qui le conduit par exemple à parler de lui-même à la troisième personne, ou à ne pas supporter de devoir faire une entrée discrète à Ergué à vélo…

François Ac'h




« Prise de possession » et « installation » en bicyclette.

Le mercredi 29 janvier, par une radieuse journée, arrivaient péniblement au bourg d'Ergué-Gabéric en bicyclette deux abbés Guéguen : l'un doyen du Chapitre, l'autre nouveau recteur de la paroisse, transféré de Clohars-Fouesnant et succédant à Monsieur Neildé mort accidentellement le 11 janvier1.

L'abbé Gustave Guéguen avait vainement cherché à Quimper chez les différents loueurs de taxi une voiture : le manque d'essence fit qu'aucun véhicule ne pouvait sortir et qu'en conséquence les deux cousins germains, en plein XXe siècle, durent venir de Quimper en si piteux équipage. En cours de route les deux cyclistes communiquaient leurs impressions sur la dureté des temps.
Le conseil paroissial se trouvait réuni au complet : Jean-Marie Nédélec de Saint-Joachim, René Riou de Tréodet, Pierre Tanguy de Kérellou (maire), Jérôme Quelven de Garsalec, Pierre Le Bihan d'Odet, Alain Le Roux de Mélennec, Pierre Le Roux de Kerfort.
Dans la salle à manger du presbytère, on procéda à la prise de possession telle qu'elle figure au registre des délibérations. On décida que le nouveau Recteur ferait son entrée le jeudi suivant 6 février à 15 heures, mais sans aucune solennité à cause des évènements.

6 février 1941. Au jour indiqué, le Recteur arriva à l'heure fixée, par le même moyen de locomotion, mais seul cette fois, ayant tout le loisir voulu en cours de route d'agiter dans son esprit des idées plutôt moroses. Fort peu de monde au bourg : l'arrivant trouva près de l'église quelques figures amies connues dans des postes précédents.

9 février 1941. L'installation officielle eut lieu le 9 février, présidée par M. le chanoine Pichon, curé de Saint-Corentin (…).
Temps assez sombre mais pas trop froid.

Inconcevable, cette quête !

Le dimanche 16 février : 5 F. comme offrande à toutes les messes !!! Inconcevable.

Le dimanche 23 février, annonce que désormais 3 plats circuleront dans l'assistance à toutes les messes (…). Il n'y eut pas de protestation, mais force d'inertie qui oblige à fermer les yeux pour les basses messes et à ne se contenter que de deux plats2 !

Et ils s’amusent…

Dimanche 2 mars, pardon de Saint-Guénolé. Innovation : Vêpres à 16 h. Mauvais temps. M. Eon chante la messe. M. Guillou prêche. J'arrive pendant le sermon. Malgré le temps, nombreuse assistance aux Vêpres. Il est toutefois regrettable que certains jeunes gens et jeunes filles, au lieu d'assister aux offices, aient senti le besoin de se réunir trop nombreux dans les granges du voisinage pour des amusements qui ne sont vraiment pas de saison quand il y a tant de souffrances dans le monde.

Des arriérés !

(La visite de sa paroisse par le nouveau recteur s’est déroulée sur plusieurs semaines. Il est accompagné dans ce porte-à-porte soit par un vicaire, soit par un fabricien).
Impression générale très défavorable : distances effrayantes, chemins impraticables; côtes incessantes et dangereuses, habitations mal tenues. Je m'attendais à trouver le Porzay3.
Quelle déception ! Très arriérés au point de vue culture, manquant de savoir-vivre, ils sont bien moins sociables et bien moins hospitaliers qu'à Clohars4. Leur sauvagerie vient peut-être de leur timidité.

N.D. de Kerdevot à sa place, au-dessus de l’autel et du retable.

26 mars 1941. En l'absence de M. le Recteur, appelé d'urgence pour prêcher la retraite pascale des hommes au Passage-Lanriec, M. Eon vicaire a veillé sur le travail d'érection de la statue de Notre-Dame de Kerdévot au dessus du retable où elle se trouvait avant la réfection du grand vitrail par les Beaux-Arts. Ces Messieurs avaient placé le trône sur des tréteaux devant la balustrade du coté de l'épître. Le rétablissement du trône a été exécuté par des ouvriers d'Odet gracieusement prêtés par l'usine sous l'habile direction de M. Blanchard, contremaître. La population a été enchantée de voir la statue remise à son ancienne place5.

Réforme du prix des chaises.

30 mars 1941. Dimanche de la Passion. Annonce en chaire de l'augmentation du prix de location des chaises : 20 centimes au lieu de 10, pour le dimanche suivant. Cette réforme a été acceptée sans aucune protestation. Le Recteur a regretté de n'avoir pas porté la taxe à 25 centimes, mais on parlait de la démonétisation probable des pièces de 25, bruit démenti officiellement le jour même où rentrait en vigueur le nouveau règlement6.

Pardon « mud »

10 avril 1941. Jeudi Saint. A Kerdévot, à 18 heures, cérémonie pieuse et émouvante organisée par la JAC masculine et féminine d'Ergué. Départ du bourg vers  17 h. par petits groupes en silence. Les jeunes seuls ont récité alternativement les prières et les chants de l'Heure Sainte. Louis Lozachmeur de Kerous, employé de bureau à la préfecture pour les garçons, et Mlle Josèphe Cariou du bourg, élève de seconde du lycée de Quimper pour les filles. Chapelle pleine, attitude très pieuse. Peu d'hommes. Quelques jeunes gens arrivés en retard. Cette cérémonie devait avoir lieu la nuit, mais l'on a craint les représailles des "occupants" interdisant toute circulation à partir de 22 h. M. le Recteur, dans l'adieu final, a promis à Notre-Dame. que tous s'y retrouveraient si possible l'année suivante à pareil jour. (…)

Un pardon qui paie bien.

29 juin 1941. Pardon de Saint-Eloi - Saint-Jean à Kerdevot. On prétendait qu'il n'y avait qu'une douzaine de chevaux à peine. Or M. le Recteur en a compté 59 pendant qu'ils défilaient devant la chapelle après leur bénédiction avant la grand-messe. Résolution de donner à ce pardon plus d'extension si possible, car les offrandes sont intéressantes. Sans doute la réflexion semble cynique, mais c'est une question d'une importance singulière à l'époque que nous vivons.

Pompes funèbres.

Début juillet, achat de tentures funèbres chez M. Paul de Quimper pour rehausser l'éclat des funérailles dont le tarif a été augmenté. Ces tentures sont arrivées début de septembre et elles ont servi la première fois pour l'enterrement solennel de Jeanne Bacon, veuve Rannou, de Ty Ru (Odet) le mercredi 29 octobre et pour les fêtes de la Toussaint. La population a été très agréablement surprise de voir tous ces décors pour la fête des Trépassés.

Salle interdite.

13 juillet 1941. Séance récréative donnée par des acteurs en majeure partie jacistes dans la salle Balès en faveur des prisonniers de guerre. Cette salle, habituellement condamnée, a vu lever l'interdit par une grâce spéciale de Mgr Duparc uniquement pour ce motif et après intervention directe de M. le Recteur7. (…)

Du laisser-aller.

10 août 1941. Un abus tendit à s'introduire dans la paroisse au sujet des publications de bans. Les jeunes gens venaient seuls ; parfois même l'un d'entre eux seulement et en tenue négligée. L'on a averti que par respect pour le sacrement de mariage, on ne recevrait plus les candidats avec cette désinvolture et ce sans-gêne et qu'ils devraient désormais être toujours accompagnés de leurs parents ou du moins de l'un d'entre eux. La leçon a porté et les parents ont été fiers de voir qu'on leur redonnait la place qu'ils n'avaient su garder. (…)

Un pardon en temps de guerre.

14 septembre 1941. Pardon de Kerdévot. M. le Recteur a multiplié ses démarches à la Préfecture, à la Kommandantur, pour obtenir l'autorisation de circuler en auto le 14 septembre et prendre à Quimper ce jour là le doyen du chapitre, M. Guéguen et le curé-archiprêtre de St Corentin, M. Pichon. Il a conservé quelque espoir de réussite jusqu'au vendredi. Il a fallu alors se résigner à prendre ces hauts personnages en char à bancs !!!

Le pardon s'est ouvert comme d'habitude la veille au soir par le chant des Vêpres où il y avait fort peu de monde. Les confesseurs se sont trouvés réunis le samedi soir à la table de M. le Recteur : M. Kerbiriou, supérieur de l'école Saint-Charles à Kerfeunteun, M. Cauvel, professeur à Pont-Croix, M. Guilcher, vicaire à Elliant. Ces messieurs sont partis dès l'aurore pour les confessions qui ont été très nombreuses. Les « pardonneurs » sont arrivés fort peu de temps avant l'heure. Il y avait au chœur 15 soutanes. Célébrant : le doyen. Prédicateur : l'archiprêtre. Pardon très émouvant, très pieux. Les offrandes ont été très abondantes. Une seule ombre au tableau : les paroissiens ne suivent pas la procession, se contentant  de la regarder et ne se signant pas au passage de la croix, toutes remarques qui ont été faites par les prêtres étrangers.
M. le Recteur à son départ de la chapelle, le dimanche vers 18 heures, a été hué par une bande de buveurs qu'il a mis à la raison par un mot d'esprit.
Et ces messieurs d'Elliant, le même soir, en regagnant leurs pénates, ont été entrepris par une troupe de jeunes avinée chantant "l'Internationale" ; étant descendus de bicyclette, ils ont mis à la raison ces jeunes garnements, particulièrement l'abbé Marzin en exhibant ses titres de prisonnier de guerre libéré. (…).

Le lendemain, 15 septembre 1941. Le recteur et le vicaire sont allés à Kerdevot pour de nombreuses confessions paroissiales. M. le Recteur a donné un avertissement sévère à la tenancière de l'auberge qui désirait avoir "un casse-gueule" pour amuser la jeunesse et qui n'a eu qu'un innocent manège de chevaux de bois sans musique pour l'amusement des bébés. (…)

La J.A.C. reste autorisée.

26 octobre 1941. Fête de la jeunesse rurale à Kerdévot8. Toutes les paroisses environnantes ont été invitées : Ergué-Armel, Kerfeunteun, Saint-Yvi, Saint-Evarzec, Briec, Landudal, Elliant.  La grand-messe annoncée à 10 h 30 n'a commencé qu'à 11 heures, chantée par M. le Recteur. Sermon par M. le chanoine Favé, sous-directeur des Œuvres, d'assez méchante humeur parce qu’aucun jeune homme de la paroisse n'avait assisté à une réunion des jours précédents à Quimper. Dîner à la sacristie. Séance d'étude à 13 heures sur l'organisation des loisirs à la campagne le dimanche.

Rien de précis dans la discussion et rien de prévu pour donner au dimanche sa signification de jour saint, consacré au Seigneur. Guère de franchise de la part des jeunes gens à mon avis. Vêpres. Jeux divers. Mot d'adieux de M. le Recteur. (…)

Et encore…

Début Novembre. Rétablissement d'une messe régulière à Saint-Guénolé le 1er dimanche du mois à la grande joie de tout le quartier qui a témoigné sa reconnaissance par de généreuses offrandes.
Annonce que la messe du 1er vendredi du mois sera désormais célébrée pour les prisonniers et qu'on y ferait une quête pour l'honoraire de la messe, l'excédent devant servir à célébrer d'autres messes. Ce premier vendredi, il y a eu de nombreuses femmes de très loin et même quelques hommes.

Le 2 novembre, M. le Recteur a reçu du Secours National9 la somme de 2000 Fr. pour la fondation d'une bibliothèque paroissiale : elle a commencé à prêter des livres d'abord aux jacistes le dimanche 16. Ont été nommées bibliothécaires : Melle Laurence Bihannic et Melle Louise Lennon du Bourg. Elles seront à la disposition des clientes le 1er dimanche du mois après les messes et le 3e dimanche après la réunion générale.
(…)

Arkae > TA > Personnages > Gustave Guéguen > phot du bourg

  1. L’Abbé Pierre Neildé, originaire du Juch, avait été nommé recteur d’Ergué-Gabéric en 1938. Il y est décédé le 7 janvier 1941, à l’âge de 57 ans, après deux ans et quelques mois de présence. « Toujours à son devoir, c’est en se pressant de rentrer d’une visite à son frère malade, pour faire son catéchisme, qu’il a été terrassé d’une hémorragie cérébrale, le lundi, vers midi. Malgré tous les soins, M. Neildé expirait le mardi matin, vers cinq heures » (Semaine Religieuse de Quimper et Léon, 31 janvier 1941).
  2. Ainsi, le recteur n’aurait pas réussi à se faire obéir, du moins pour les « basses messes ».
  3. L’Abbé Guéguen est originaire de Locronan, et le Porzay était considéré dans le clergé comme faisant partie, comme le Léon, des « gras pâturages » attribués en fin de carrière aux prêtres méritants.
  4. L’Abbé Guéguen était précédemment, depuis 1937, recteur de Clohars-Fouesnant.
  5. Telle était la configuration historique de l’ensemble autel-retable-trône de la Vierge. C’est en septembre-octobre 1944 que l’Abbé Guéguen, sous le contrôle de l’inspecteur départemental des Beaux-Arts, dispersera ces éléments, le retable étant transféré au fond de la chapelle, contre le mur Nord, et la statue de N.D. de Kerdevot sur son trône, en appui contre un pilier de la travée Nord, face à l’entrée Sud.
  6. Sous l’Occupation allemande, ces petites pièces de monnaie, qui contenaient des métaux stratégiques pour l’armement (nickel, cupronickel…) furent démonétisées en 1941 et 1942, c’est-à-dire mises hors circuit monétaire, pour être récupérées par les Allemands et servir dans leurs industries d’armement. Elles furent remplacées par des pièces en zinc. La démonétisation de la pièce de 25 centimes, d’abord annoncée pour le 1er avril 1941, n’a eu lieu que plus tard.
  7. Depuis une dizaine d’années (voir Semaine Religieuse du 18 mars 1932 : « Directives au sujet des danses »), Mgr Duparc avait engagé son clergé dans une campagne de proscription des salles de bal, « véritables écoles de corruption », de leurs tenanciers et de leurs enfants, « pécheurs publics et traités comme tels », c’est-à-dire privés des sacrements de l’Eglise, des danseurs et danseuses, des musiciens… Ainsi, plusieurs salles de danses se trouvaient « interdites » à Ergué-Gabéric, dont celle tenue par la famille Balès au Bourg.
  8. Le régime de Pétain voulait, en créant par la loi du 15 juillet 1940 un Secrétariat Général de la Jeunesse, « coordonner et contrôler l’action éducative des différents mouvements de jeunesse », avec comme objectif de couler les jeunes dans le moule de la Révolution Nationale. L’Eglise de France résista à une trop forte absorption de ses mouvements de jeunes par l’Etat. Ainsi, la J.A.C. et la J.A.C.F. purent poursuivre leurs activités ; l’encadrement assuré par les autorités religieuses garantissait que ces mouvements ne s'occuperaient pas de ce qui ne les regardait pas. C’est ainsi que la J.A.C. continua à prospérer pendant la guerre.
  9. La loi du 4 octobre 1940 attribuait au Secours National un rôle bien plus large que celui d’assistance aux soldats mobilisés (colis, courrier…) : Pétain en faisait un organisme d’Etat chargé d’habiliter, de coordonner et de contrôler toutes les œuvres privées, les initiatives d’assistance, que ce soit auprès des soldats prisonniers, de leurs familles, des réfugiés, des victimes des bombardements anglais, etc. « Le Secours National est seul qualifié pour formuler des appels publics à la générosité et recevoir des subventions de l’Etat ou des diverses collectivités publiques ». Les maires ne peuvent autoriser que les quêtes qui ont l’aval du Secours National, et il n’y a de subvention ou d’aide que par le canal du Secours National.

 

François Ac'h - Keleier 66 - janvier 2011

 

Retour