Bolloré (René) (II) 1885-1935

 

Liens familiaux

René II naît à Odet le 28 janvier 1885. Son nom complet est : René Joseph Marie Émile Robert. Il épouse en 1911 Marie Thubé, fille d'un armateur nantais. Ce mariage lui ouvre les portes de négociants anglo-saxons. Avec Marie Thubé, il aura quatre enfants : René, né en 1912, Jacqueline, née en 1914, Michel, né en 1922, et Gwenn-Aël, né en 1925.

 

Débuts

Il fait ses études au collège Saint-François-Xavier de Vannes. À 19 ans, il hérite de la papeterie d'Odet, entreprise alors en excellente santé, qui emploie une centaine de personnes bien formées et dispose d'un matériel moderne. René s'appuiera sur son beau-frère, Yves Charruel du Guerrand, pour s'initier au métier.

 

Apports industriels

Avec l'aide d'Yves Charruel, il va construire des bureaux à Odet, aménager un laboratoire, perfectionner le défilage et le raffinage de la pâte à papier. À la veille de la Grande Guerre, ses papeteries, réparties sur les deux sites d'Odet et Cascadec, comptent 200 employés. Son mariage avec la fille d'un important industriel nantais lui permet de tisser des relations avec des négociants anglais et américains. Grâce au réseau de son beau-père, il peut établir une croissance fondée sur l'exportation et créer des relations privilégiées avec des partenaires étrangers.

 

Développement pendant la Grande Guerre

Après avoir effectué son service militaire en 1907-1908, au 65e RI de Nantes, puis au 118e RI de Quimper, à l'issue duquel il est promu caporal, René II est mobilisé dès le 4 août 1914 au 11e escadron du train des équipages à Nantes. Le 14 septembre, il passe au 9e escadron, à Châteauroux ; puis souffrant d'une gastrite chronique, il est affecté au service auxiliaire le 14 août 1915. Le 2 novembre 1916, il est définitivement réformé suite à un ulcère à l'estomac. [Source : Jean-François Douguet, Ergué-Gabéric dans la Grande Guerre, Éditions Arkae, cahier n°18, 2014]. Pendant la guerre 14-18, l'usine d'Odet va continuer à se développer : une deuxième machine à papier y est installée, le matériel est presque totalement renouvelé, les vieux bâtiments sont rasés et remplacés par des constructions fonctionnelles. Enfin, une centrale électrique marchant au charbon est inaugurée. Éloignée du front, Odet n'est pas perturbée dans son fonctionnement. En 1917, l'usine de Casacadec, en location depuis 1893, est achetée. Deux machines à papier y sont installées et un canal de 500 mètres pour amener l'eau aux turbines d'une centrale hydro-électrique est creusé.

 

Prospérité dans l'entre-deux-guerres

Vers 1920, près de 700 ouvriers et ouvrières travaillent aux usines d'Odet et de Cascadec ; ils seront plus de 1000 en 1930-31 (cf. Livre d'or des papeteries). Des bureaux sont ouverts à Paris et des contacts internationaux sont négociés. L'entreprise fait affaire avec l'Europe, la Russie, la Chine et les États-Unis. Une participation dans les papeteries de Troyes, très modernisées, est prise dès 1920.
C'est une période de prospérité pour Odet. L'entreprise accompagne de nombreuses réalisations :
- la cité ouvrière de Keranna est construite en 1917-1919. Plus tard, les maisons des "Champs" seront bâties sur un terrain acheté par René II vers 1923-25.
- les écoles privées de garçons et de filles seront inaugurées en 1928-29.
- les activités sportives et les loisirs sont encouragés, avec la création de l'équipe de football des Paotred Dispount. Un terrain de sport et une salle de patronage s'ouvrent en 1930 et 1931.
- le centenaire de la papeterie est célébré avec faste en 1922 et de nombreuses fêtes se déroulent pour les anniversaires (25 ans d'entreprise de René Bolloré, Nouvel An, Fête-Dieu...).

 

Fièvre d'acquisitions immobilières et foncières

René II BolloréLa famille Bolloré vit à Nantes, à Odet et dans de nombreuses résidences secondaires, en particulier à Beg Meil, en Fouesnant, où elle dispose de trois villas. Elle peut également profiter d'un yacht de 32 mètres (le Dahut II). Dans Né gosse de riche, Gwenn-Aël Bolloré, fils de René II, énumère les différentes résidences de son père page 186 : "Comme certains collectionnaient les timbres, les étiquettes de boîte de camembert [ou de bouteille d'eau de table, comme Vincent], mon père collectionnait les résidences secondaires." René II acquiert par exemple le quart de l'île d'Houat (soit 60 hectares) "pour faire plaisir au recteur qui craignait l'installation d'un grand casino". À Merdrignac, en Brocéliande, il possède un terrain avec étang, où selon Gwenn-Aël, "pullulent les brochets, que mon père dispute à la marquise de Crussol". Vers 1910, il va créer un vaste parc à Odet, qui viendra en prolongement des bureaux de l'usine. Il y construira un élégant manoir, à la manière de Viollet-le-Duc, abrité de rideaux d'arbres et entouré de massifs de rhodendrons. Une chapelle (Saint-René !) y sera également bâtie, remplacée en 1922 par une construction gothique. Mais à une période où il achète de multiples propriétés autour de la papeterie d'Odet (Kerho, Quillihouarn...), René II rencontre des résistances. Ainsi, Louis Marie Barré, de Pen ar Garn, s'oppose à l'acquisition des terrains de Pen ar Garn, situés près de Keranna. De son côté, Jean-Louis Le Ster, du Cresquer, en Briec, s'oppose, malgré les indemnités qui lui sont accordées, au relèvement de sa prise d'eau qui provoque des inondations et submersions dans ses prairies. Une enquête publique a lieu en 1923 : très suivie, elle comporte 89 pièces administratives et aboutira à la construction de l'écluse d'Odet, qui a fonctionné jusqu'à la fermeture de l'usine en 1983. En 1929, c'est René Bolloré, cette fois, qui s'oppose à la construction d'un barrage dans le Stangala (dossier à consulter dans les archives d'Arkae) sur la rivière Odet pour la production d'électricité : "mes décantoirs et les terrains d'épandage seraient submergés d'un bout à l'autre de l'année".

 

Paternalisme teinté de religion

À l'instar des patrons du XIXe et du début du XXe siècle, René II Bolloré s'inscrit dans une tradition de paternalisme industriel, mélangé de religion. La volonté d'assurer au mieux la vie sociale des ouvriers est contrebalancée par un certain autoritarisme dans le cadre du travail en usine. La politique salariale de Bolloré elle-même est placée sous le signe du catholicisme social (caisse de retraite, égalité salariale hommes-femmes...). Par ailleurs, aucun document ne l'atteste, mais on peut imaginer que ce cadre moral ait pesé sur les employés et ouvriers, notamment en ce qui concerne la pratique religieuse et le placement des enfants dans les écoles.

 

Activisme religieux

Dans la période d'opulence que connaît la papeterie, René II interviendra fortement dans ce qui touche au domaine religieux. Son engagement pour l'enseignement catholique est conséquent après la séparation de l'Église et de l'État en 1905. En 1907, il achète le Likès (lycée de Quimper), tenu par les frères des Écoles chrétiennes, et loue à l'évêché pour l'installation du petit séminaire. Il construit des écoles chrétiennes à Lestonan en 1928-29. En 1922, il fait reconstruire la chapelle Saint-René à Odet ; en 1925, il fait construire celle de Cascadec, à Scaër. Des messes y sont dites régulièrement pour l'usine. Un prêtre résidera à Odet dans "la maison du curé" de 1929 à 1968. Quatre prêtres ont été nommés par l'évêque "vicaires à Odet" de 1929 à 1968 : Auguste Hanras, Yves Le Goff, Jean Corre et Jean-Marie Breton. L'abbé Louis Le Gall, vicaire de 1913 à 1927, qui résidait au presbytère du bourg d'Ergué-Gabéric, jette les bases des Paotred Dispount et des activités autour du patronage de Keranna. Dans les années 1960, sous une autre direction, une page importante sera tournée à Odet : la population ouvrière demandera que la pratique religieuse soit dissociée du lieu de travail et réalisée en dehors du périmètre de la papeterie. C'est ainsi que sera construite la chapelle de Keranna (Sainte-Anne), sur un terrain donné par la famille Bolloré à la paroisse d'Ergué-Gabéric. Elle ouvrira en 1968.

 

Décès et succession

René II décède le 16 janvier 1935 à 49 ans. Il fut convenu qu'aucun des fils Bolloré n'était en mesure d'assurer seul la direction des usines. René Bolloré, alors âgé de 24 ans, sera aux commandes, mais en second. C'est son oncle, Gaston Thubé, qui va vraiment tenir la barre.

 

Source : d'après Pierre Faucher, La papeterie d'Odet, 2018, classeur disponible au local de l'association Arkae.