Frédéric Le Guyader 1847-1926

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Né à Brasparts en 1847, Frédéric Le Guyader a publié des pièces de théâtre et de la poésie.

Son ouvrage le plus célèbre est la Chanson du Cidre publié en 1901.

Conservateur de la bibliothèque municipale de Quimper, c’est probablement lui qui est décrit par Déguignet avec sa verve caustique habituelle comme : "un personnage  autocrate, qui trône comme un Dieu dans sa bibliothèque, ami et serviteur des charlatans et comédiens, soi-disant représentant du peuple etc".

Dans ce long poème consacré aux amours d’un paysan riche de Langolen et d’une pauvre fille, il situe l’action dans un cabaret à un quart de lieue de Quimper sur la route de Coray, c’est-à-dire à Ergué-Gabéric.    

 

Le taudis du père Tigréat

En somme, n’ayant eu que la peine de naître,
Je suis le paysan le plus riche peut être
Non seulement du beau pays de Langolen,
Mais de tout Quimperlé, Quimper et Châteaulin,
Qui sont tout simplement la Cornouaille entière.
Suzanne, grâce à Dieu, n’est pas une héritière !

Très franche, en quelques mots elle m’avait tout dit :
Fille unique, ses bons parents « tiennent débit »
Au hameau de Ty Glas, tout près dans la banlieue
De Quimper dont il est distant d’un quart de lieue.

La route de Coray nous y mena tout droit.
Trois chaumes, trois taudis, dont l’aspect donne froid,
Se suivaient, composant ce hameau de misère.
Que m’importait j’étais un amoureux sincère !

Et d’avance, elle était confuse de me voir
Pénétrer avec elle, en ce taudis tout noir,
Où végétait, dans la misère, sa famille.
Je rassurai d’un geste ami la pauvre fille,
Je lui pressai la main et j’entrai bravement.
Oui c’était triste et nu lamentablement.

D’un côté, le foyer, où près d’un chat farouche,
Une vieille faisant un soufflet de sa bouche,
S’efforçait d’animer le feu, dans l’âtre obscur.

 

De l’autre, quelques fûts rangés contre le mur,
Empestés d’eau de vie et de cidre exécrable,
Indiquait un débit tellement misérable,

Que je fus très surpris d’y voir quelques clients,
Trois ou quatre, peut-être, ivrognes très bruyants,
Fumant, buvant, bavant, servis par un bonhomme,
Dont je savais le nom, déjà, sans qu’on le nomme !
Le père Talgréat était à son comptoir.
Mais je le devinais plutôt, sans trop le voir.

La nuit tombait. Suzanne alluma la chandelle.
Comme je lui parlais en m’asseyant près d’elle
Je remarquai que le bonhomme avait les yeux
Epouvantablement cireux et chassieux.

De temps à autre avec une serviette immonde,
Qui servait à rincer les verres à la ronde
Il s’essuyait les yeux… je me sentis frémir ;
Car c’était sale, sale à vous faire vomir…
Ce spectacle Suzanne en avait l’habitude
Sans doute, et ne vit rien de mon inquiétude…

Mais pourquoi me troubler d’un si mince détail ?
Je ne voyais que son sourire aux dents d’émail,
Son front pur, ses yeux doux, si bien que la chaumière
Resplendissait de sa beauté, de sa lumière.


Frédéric Le Guyader
« Comment j’épousai Suzanne » pp. 17-18
Confession d’amour d’un jeune paysan de Langolen - Quimper 1916

 

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