Terre d'argile et de potiers

De l'argile aux potiers à Ergué-Gabéric

Il y aurait eu des potiers à Ergué-Gabéric. Où ? Quand ?
D’où provenait l’argile qu’ils utilisaient ? Qu’est-ce que nous en savons ?
 

Des terres louées pour en extraire de l’argile à potier

Un article signé Daniel Bernard, paru en 1923 dans le Bulletin de la Société Archéolo­gique du Finistère nous fait connaître trois documents qui évoquent des terres louées pour en extraire de l’argile à poterie :

Il y a d’abord cet aveu (ac­cord) établi en 1493 par Isa­belle de Lesmaès, veuve de Canévet de Kerfors, au béné­fice de Charles de Kerfors, son fils aîné, par lequel celui-ci re­çoit entre autres donations :
« item une migne (mine) de terre de laquelle on fait des potz, affermée anciennement aux po­tiers qui la tiennent, sçavoir Je­ han Le Dourgar, Jehan Guézennec, Geoffroy Poupon et Guion Le Baelegou, la somme de 10 livres monnoie pour chacun an, a estre poyez aud terme de la Sainct Michel ». On sait que Geoffroy Le Pou­pon habitait à Parc-al-land en 1498. Il n’est pas dit où se trouvent précisément ces terres louées à des potiers pour en extraire de l’argile. Elles re­lèvent du Manoir de Kerfort.
 
Un autre aveu, daté de 1634, évoque une autre transaction :
« la poterie dudict Ergué affer­mée à Vincent Legall et Yvon Le Galland, pour payer par an quarante huit livres tournois (monnaie frappée à Tours, et par la suite monnaie royale) et une charge de potz ».
 
Puis, en 1652, dans un aveu fourni par Guy Autret, Sieur de Missirien, pour Lezergué, il est question de « deux parées de terres froides ou grandes ga­rennes dans lesquelles on tire de l’ardille (argile) à faire des potz, affermées à plusieurs parti­culiers et pouvant valoir com­munes années cent livres et six charges de potz ».
 
Première conclusion que nous pouvons tirer de ces docu­ments : du XVe au XVIIe siècles, les nobles de Kerfort louent à des potiers des terres dont ceux-ci extraient de l’ar­gile pour leurs fabrications.
 
 

Des potiers recensés le long de la route Quimper­ Coray

En septembre 1794, Jacques Cambry, un lorientais deve­nu Commissaire des Sciences et des Arts, est chargé d’une mission dans le Finistère : il doit établir un rapport, qui se­ra publié en 1799 sous le titre Voyage dans le Finistère ou Etat de ce département en 1794-1795, sur les biens nationaux, les activités économiques, les coutumes... du département.
 
A Quimper, il s’attarde sur les faïenceries de Locmaria, et si­gnale entre autre chose : « J’ai parlé de la faïence de Locmaria ; il existe d’autres pe­tites manufactures de grosse po­terie et de vases de grès dans le même lieu, à Gabéric, à Ergué ».
 
Effectivement, le recense­ment de la population effectué en 1791, signalait quatre po­tiers sur la commune d’Ergué­Gabéric : à Bec-ar-Menez, à Kervinic, à Kervéguen et à Mes­naonic.
  • A Bec­ ar­ Menez c’est Yves Coatmen (42 ans) qui est installé comme potier avec sa famille. Mais les registres d’Etat-civil ne signalent aucun potier qui lui ait succédé, pas même parmi ses cinq fils.
  • A Kervinic, Louis Istin est présenté à la fois comme potier et cultivateur en 1790. Voilà quelqu’un qui est né à Elliant en 1749, a habité suc­cessivement Parc al land, puis Guilly-huec, et qui est donc en 1790 à Kervinic avec son fils âgé de 22 ans. Un autre fils, Louis, sera signalé comme « potier-cultivateur » en 1798 à Guilly-vian, puis, en 1842, à Kervernic. Mais aucun des deux fils de ce dernier n’est mentionné comme potier.
  • A Kervéguen, Alain Huitric, 37 ans, exerce comme potier avec sa femme, son fils et sa fille.
  • A Mesnaonic, on trouve Ma­thias Gourmelen (51 ans), sa femme et trois domestiques.
  • On ne trouve pas de potiers ni dans la descendance d’Alain Huitric (Kervéguen), ni dans celle de Mathias Gourmelen (Mesnaonic).
  • Par ailleurs, les registres d’Etat-­civil des années sui­vantes devraient, à travers les informations qu’ils nous donnent, nous permettre de sa­voir l’importance de la profes­sion, la localisation des potiers éventuellement la permanence de certaines familles de potiers. Ainsi, nous repérons :
  • Joseph Quiniou potier à Kervoréden, en 1808.
  • René Jean Lozach, cultiva­teur et potier à Kerouzoul en 1817.
  • Louis René Gourmelin, né en 1814 à Kerfeunteun, est potier à Garsalec en 1850 et en 1852.
  • François Laurent, né à Pluguffan, est indiqué potier à Kervernic en 1854, puis cultiva­teur en 1856 et 1857, au même endroit.
  • Jean Laurent Toussaint Caugant est « potier » à Garsa­lec, en 1864-1866, et sa femme également est dite « po­tière et ménagère ». Mais en 1868 et 1878, ils sont à Len­hesq.
Pour aucun d’entre eux, il n’est signalé que leur descen­dance ait poursuivi dans le même métier et, à fortiori, dans le même lieu.
Quelles hypothèses pouvons- nous dégager des observations ainsi faites après la Révolution ?
  • On peut être potier et cultiva­teur à la fois. Mais le plus sou­vent, c’est uniquement l’activité de potier qui est mentionnée, ce qui ne veut pas dire que celle-ci excluait un travail an­nexe de culture et d’élevage.
  • Seul sur quatre, le potier de Bec-ar-Menez est qualifié d’ « actif » en 1790, c’est-à­dire ayant des revenus suffi­sants pour le rendre imposable.
  • Le métier (perçu comme acti­vité principale) ne semble pas se transmettre souvent de père à fils. Par ailleurs les potiers et leur descendance ne semblent pas avoir été établis durable­ment dans le même village. Il s’agirait donc d’un artisanat aléatoire.
  • Cependant, les potiers sont habituellement installés dans les mêmes villages, situés de part et d’autre de l’axe routier Quimper-Coray, qui traverse la commune d’ouest en est en em­pruntant une ligne de crête.Cette zone d’implantation au­rait un lien direct avec la pré­sence d’argile dans ces lieux.


Localisation des dépôts d’argile à Ergué-­Gabéric

En effet, l’essentiel de ce sec­teur est constitué de granites et granodiorites d’âge hercynien (250 à 400 millions d’années) et de micaschistes briovériens (600-650 millions d’années) dans lesquels sont situés les ni­veaux argileux en alternance avec des niveaux de grès. La présence d’argile au lieu­dit « Garront Leston » au sud de Leston Vihan est signalée dans le compte-rendu du conseil municipal du 9 août 1840, relatif au projet de dépla­cement du Bourg vers Lesto­nan.
A ce compte-rendu sont jointes les observations de per­sonnes opposées au déplace­ment, qui décrivent cette garenne de Lestonan dans les termes suivants : « Le terrain sur lequel il est question de transporter le bourg est en entier composé d’une épaisse couche d’argile si compacte qu’il sert à la fabri­cation de la poterie... que le terrain étant assie sur argile à potrie et n’absorbant pas les eaux de pluie, est inon­dés tous les hyvers et présente pendant plusieurs mois de l’an­née l’aspect d’un véritable ma­rais ».
Aujourd’hui des traces de l’ex­ploitation d’argile peuvent être observées à Ty Poisson où, au milieu des bois, des trous de quelques mètres d’extension et d’un mètre de profondeur au maximum, remplis d’eau en hi­ver, attestent de ces anciens tra­vaux.
 

Formation et composi­tion de l’argile

Les argiles ou roches argi­leuses sont composées d’élé­ments provenant de l’altération mécanique ou chimique de roches préexistantes, telles que les granites, les gneiss ou schistes. Elles sont observées en amas sur leur lieu de formation, ou peuvent être transpor­tées par le vent ou l’eau, puis se déposent en couches épaisses et continues dans les formations sédimentaires
 
  • La kaolinite, de couleur blan­châtre, utilisée en céramique et en particulier dans la fabrication de la porcelaine. En Bretagne le kaolin est encore exploité à Berrien (Finistère) et à Ploemeur (Morbihan).
  • La montmorillonite, connue sous l’appellation de terre de Som ­ mière, qui est utilisée comme dé­tachant, ou comme bentonite employée dans l’industrie pétro­lière.
 
Ces minéraux ne se ren­contrent pas isolément, mais dans des roches composées de minéraux typiques des argiles et d’autres minéraux tels que du quartz, des oxydes de fer, du calcaire, des débris végétaux.
 

Utilisation de l’argile

L’argile est un des plus an­ciens matériaux utilisés par l’homme. Mélangée avec de l’eau, elle donne une pâte qui peut être facilement moulée ou mise en forme. Après cuisson, elle donne un objet résistant et imperméable, tels que les céra­miques et les porcelaines, mais aussi tuiles et briques.
L’argile exploitée à Ergué Ga­béric, appelée glaise ou terre glaise, est de couleur grise, ver­dâtre ou brune, à cause de la pré­sence d’oxydes de fer et autres détritus mélangés aux minéraux argileux. On ne connaît pas sur la commune de dépôt de kaolin permettant la fabrication de por­celaine.
A Ergué-Gabéric l’argile de­vait vraisemblablement être utilisée pour la fabrication d’objets en terre cuite tels que vases, plats, briques et tuiles, et par les enfants pour la fabrication de billes.
On connaît une autre utilisa­tion de ressources minérales ex­ploitées à Ergué Gabéric. La faïencerie Keraluc de Quimper a utilisé des feldspaths (miné­raux essentiels de la plupart des roches magmatiques et de cer­taines roches métamorphiques ; les feldspaths par altération peuvent former de la kaolinite) provenant d’Ergué Gabéric pour la décoration de ses grès. Le manque d’homogénéité et le coût de préparation de ces maté­riaux bruts pénalisèrent leur uti­lisation, qui fut remplacée dans les années 1960 par l’émail de grès uni.
Jean-René Blaise - Keleier Arkae n° 52 août 2007

Souvenirs d'enfance (années 1940-1950) d'André Le Bihan (né à Kervoreden)
 
« Etant né et ayant passé ma jeunesse à Kervoréden en Ergué-Gabéric, j’ai quelques souvenirs liés à l’argile (« pri prat »). En effet dans la petite vallée allant de Saint André vers Guily Vras, Kerouzel, Mu­nugic, c’était des terres froides (« ar yeun »). Il y avait un trou à « Parc Pen all » d’où on extrayait l’argile servant à boucher les trous dans l’aire à battre (« ar leur ») et dans la cuisine dont le sol était de terre bat­tue. Les enfants, pour s’amuser, confectionnaient des objets divers en argile et les faisaient cuire dans l’âtre du foyer qui servait pour la préparation de la nourriture des cochons « Loch ar poël ».

 

L’oncle Lanic, qui était bouilleur de cru, distillait certaines fois, selon ses pérégri­nations (aujourd’hui on dirait planning), dans une espèce de clairière appelée « Ty Poézen ». Je pense que ce nom avait un rapport avec la poterie, « poez ». C’était à coté de Pen Carn Lestonan, vers Kerouzel et Garsalec. J’allais le voir à son travail. Voir distiller, c’était toujours magnifique... ».
Les minéraux les plus com­muns dans les argiles sont : l’illite, la forme la plus ré­pandue, qui est utilisée dans la fa­brication des objets en terre cuite, principal constituant des ar­giles trouvées à Ergué Gabéric. »