Quand le vieux cantique de Kerdévot servait à la propagande royaliste ! 

 

 

 

 

On ne connaissait le vieux cantique de Kerdévot que par la version éditée par l’abbé Favé dans le Bulletin de la Société archéologique de 1891. Il était déjà cité dans la Bibliographie des traditions et de la littérature populaire de Gaidoz et Sébillot en 1881. Depuis le 5e centenaire de la chapelle de Kerdévot, nous cherchions l’original de ce précieux document. C’est fait ! Grâce à son réseau de relations et d’amitié avec les chercheurs bretons, Arkae a réussi à retrouver l’original du vieux cantique. 

 

 
Mieux : nous avons fait d’une pierre deux coups, puisque nous avons trouvé une version du XIXe siècle du même cantique, rajeuni dans son orthographe et son lexique. L’ancien cantique de 1712 était truffé de mots français, car il était bien vu, à cette époque, de montrer son érudition. Celui du XIXe est plus conforme à la langue classique.
 
Le cantique est suivi d’une exhortation peu banale : l’auteur anonyme développe un vibrant plaidoyer royaliste : « Dre ar werz-mañ e welomp, e oa karet ar Roue gant hon tud kozh hag a bedent evitañ pa oa trubuilhet. Ni Bretoned, o bugale vihan a dlefe ivez karet Henri V ha pediñ ma teuy a-berzh Doue, da zegas d’hor bro, ar Frans, ar peoc’h hag an urzh vat, e-lec’h an dizurzhioù-mañ hon deus da c’houzañv a-berzh ar Republik fallakr. » 
Traduisez : « Par cette complainte, on voit que nos ancêtres aimaient le Roi et le priaient quand il était en mauvaise situation. Nous, Bretons, leurs petits enfants, nous devrions aussi aimer Henri V et prier qu’il vienne au nom de Dieu apporter à notre pays, la France, la paix et l’ordre au lieu des désordres actuels qu’on doit supporter de la part de la République scélérate. »
 
L’auteur fait allusion à la deuxième strophe du vieux cantique de 1712 :
« Biscoas, Christenien, sioas ! n’hor boa brassoc’h ezom
Da supplia hor Salver hac ar Verc’hes e Vam,
Da rei ar c’hraç d’hon Roue da veza victorius
Var e oll ennemiet, adversouryen Jesus. »
On traduira ainsi : 
« Jamais, chrétiens, hélas, nous n’avions eu besoin
De supplier notre Sauveur et la Vierge, sa mère,
De donner la grâce à notre Roi d’être victorieux,
Sur tous ses ennemis, adversaires de Jésus. »
Il s’agit ici de Louis XIV en lutte contre les Pays-Bas protestants.
 
En 1871, le contexte est tout autre. La défaite de Sedan en 1870 marque la fin du Second Empire. Les élections du 28 janvier 1871 donnent une chambre aux deux tiers monarchistes. Mais ceux-ci ne font pas immédiatement appel au Comte de Chambord pour éviter de lui faire endosser la défaite, car les Allemands occupent toujours une partie de la France. Le 8 juin 1871, le prince est autorisé à rentrer en France. Les monarchistes sont divisés en deux camps : les Orléanistes et les Légitimistes. Le Comte de Chambord accepte la fusion des deux camps. Le futur Henri V impose cependant une condition : le retour du drapeau blanc. La négociation n’aboutit pas, le Comte de Chambord renonce au trône et repart en exil.
 
A l’automne 1873, il revient à Versailles, conforté par une commission parlementaire chargée de restaurer la monarchie. Mais Mac-Mahon, chef de l’Etat, refuse toute entrevue et fait voter le septennat. La République s’installe en France.
Le Comte de Chambord meurt en exil en 1883.
 
On peut donc dater la réédition du Kantik Kozh Kerzevot aux années 1871-1873. L’éditeur, le propagandiste Arsène de Kerangal, utilise clairement le cantique comme propagande pour le prétendant au trône. 
 

 

Dossier (textes et photos) réalisé par Bernez Rouz - Keleier 84 - octobre 2014

 

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