Le 15 août 1942 : la fête pétainiste de l'Union de la patrie à Kerdévot

Comme tous les ans, en cette année 1942, une fête religieuse importante a lieu à Kerdévot le 15 août en l’honneur de l’Assomption de la Vierge. C’est un samedi, mais c’est bien plus qu’un dimanche ordinaire. Le matin, à 11 heures, à la chapelle, grand’messe chantée par l’Abbé Guillou, aumônier à Odet. Au prône, le recteur Gustave Guéguen a annoncé pour l’après-midi : «Vêpres à 16 heures. Procession. Cérémonie de la terre sacrée emblème de l’union de la patrie… ».
Dans son journal, le recteur raconte ce 15 août : « A l’heure des Vêpres, grande foule, hommes nombreux. A la procession, 13 bannières…  A la fin du parcours habituel autour du placître, M. le Recteur fait ranger les porteuses d'enseignes le long du mur de clôture sud, les porteurs le long du mur sud de la chapelle. Puis se plaçant devant la façade du calvaire, il adresse à la foule attentive un mot d'explication en langue bretonne et française sur le sens de la cérémonie qui va suivre.
Celui-ci achevé, M. Pierre Tanguy de Kérellou, maire, son frère Louis Tanguy ancien conseiller général, de Quihuic, et M. le Recteur prennent une pincée de terre au pied du calvaire et la mettent dans un sachet de papier que le Recteur posera sur l'autel pendant le chant du Salve.
Ce sachet sera porté le 30 août par le Maréchal Pétain à Gergovie comme symbole de l'unité nationale. A la sacristie les trois délégués ont inscrit sur l'enveloppe contenant le sachet le lieu et la date de la cérémonie.
La foule s'est retirée profondément impressionnée par cette innovation que d'aucuns jugent d'inspiration païenne, mais que l'on peut interpréter dans un sens bien plus élevé comme cela a été fait à Kerdévot, endroit choisi d'un commun accord comme le plus saint et le plus sacré de la commune ». (Extrait du Registre-journal du recteur Gustave Guéguen).

Qu’est-ce que cette cérémonie particulière qui s’ajoute en cette année 1942 au déroulement habituel du 15 août à Kerdévot ?

Au début du mois d’août, le Préfet Maurice George avait écrit à tous les maires du Finistère pour leur demander d’organiser une « cérémonie symbolique » affirmant le « maintien de l’unité française » mise à mal par la ligne de démarcation et par la dissidence d’un général félon réfugié à Londres : « l’unanimité du sentiment national s’exprimera, cette année, le 30 août. Ainsi en a décidé le Maréchal, Chef de l’Etat, qui a voulu que ce jour-là soient apportés en un lieu historique, des sachets contenant la terre prélevée dans chacune de nos villes et chacun de nos villages ».
Ce lieu historique c’est « Gergovie où, pour la première fois, se manifesta, par le sacrifice d’un Celte illustre, l’Unité de la Patrie ».
Suivent les recommandations du Préfet aux maires « la terre doit être prélevée, dans chaque commune, le 15 août, à la sortie de la procession par exemple, en tous cas dans les cimetières - là où se mêlent le plus intimement la terre de France et les cendres de nos ancêtres – au pied de la Croix, à moins qu’un autre lieu consacré par le souvenir d’un acte mémorable, évocateur d’un grand homme, d’un grand saint ou d’une grande vertu ne paraisse devoir être préféré » (ADF 200W89).

Analysons cette mise en scène nationale.

Fac-similé : Une touchante manifestation d'unité natioanle se déroulera dimanche dans tous les villages de FranceAu premier plan, la figure de Vercingétorix, le chef gaulois qui mit en échec Jules César devant Gergovie en l’an 52 avant J.C..
Il avait réussi à faire l’unité des tribus gauloises.
Mais peu après il dut capituler après deux mois de siège à Alesia. Il vint déposer les armes aux pieds de César, fut emmené à Rome pour paraître au triomphe de son vainqueur et mourir étranglé dans sa prison. « Enchaîné, supplicié, il nous enseigne ce qu’un chef peut obtenir après la défaite… » commentera Budes de Guébriant.
Ainsi, derrière Vercingétorix, supposé fondateur de l’Unité de la France, se profile l’image du Chef vaincu et humilié de la France pétainiste, le Maréchal qui s’est, lui aussi « remis à la discrétion du vainqueur » pour protéger la Patrie de sa personne et être le garant de l’unité d’un pays coupé en une zone libre  et une zone occupée.

Cette unité est signifiée dans la cérémonie de la Terre de France : pincées de terre recueillies dans chaque commune de France, mélange « du fertile humus de nos plaines, de la glaise de nos campagnes, du sable de nos rivages les plus lointains, du granit de nos montagnes » ; terres « de toutes provenances et de toutes les couleurs », ramassées près du bûcher de Jeanne d’Arc (Rouen), du tombeau du Père de Foucault (El Goléa), dans la « Tranchée des Baïonnettes » (Douaumont)…
L’organisation de cette manifestation est précisément confiée aux hommes de la terre, aux paysans. Car la Révolution Nationale de Pétain, tournant le dos à l’industrialisation (et au Front Populaire) s’appuie sur la paysannerie, prône le « Retour à la Terre » et aux vertus paysannes.

Elle a organisé les travailleurs de la Terre dans le cadre de la Corporation paysanne (fondée le 2 décembre 1940).
C’est l’ « Office Central de Lan-derneau » avec tout son encadrement (le Comte Hervé Budes de Guébriant, François-Marie Jacq…), qui sert de matrice pour l’organisation nouvelle dans le Finistère et les Côtes-du-Nord, et de modèle dans toute la France.

L’Office Central établit dans chaque commune un « syndicat corporatif ». Une première réunion « en vue de l’application de la loi sur le régime corporatif de l’agriculture » a eu lieu à Ergué-Gabéric le dimanche 25 mai 1941 (Journal L’Ouest-Eclair du 24 mai 1941).  A chaque échelon de la Corporation, les chefs sont désignés par le niveau supérieur et non pas élus par la base. Ainsi, Joseph Divanach (de Penhars), ancien leader des « Chemises Vertes », est désigné Chef du District de Quimper. Jean-Louis Tanguy, de Quilihuec, est fait « syndic » de la commune d’Ergué-Gabéric, entouré de plusieurs syndics-adjoints constitués en Chambre syndicale. C’est bien en tant que syndic que Jean-Louis Tanguy participe à la cérémonie de Kerdévot, et non pas tout à fait en qualité d’ancien conseiller général du Finistère, élu en 1937.

Dans cette manifestation, si le paysan (et la Corporation Paysanne) est à l’honneur, l’ancien combattant (et la Légion Française des Combattants, organisation unique autorisée des anciens combattants de 14-18) l’est tout autant. En effet, le final du 30 août au tertre de Gergovie correspondra avec un grand rassemblement de ces « volontaires de la Révolution Nationale », fidèles du Maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, qui fêtent le deuxième anniversaire de leur « Légion ».
Ces légionnaires doivent être les promoteurs du nouvel ordre moral. Ils mènent surtout des activités de propagande (comme la vente de portraits du Maréchal) mais pratiquent aussi, par mission, la délation. C’est ce qu’on a appelé « la Légion des mouchards ». Les plus activistes vont verser dans la Milice à sa création.

Et pour compléter le tableau, il faut mentionner le rôle tenu par l’Eglise au niveau national, mais aussi dans le département et dans la commune. Dans la « Semaine Religieuse de Quimper et de Léon » datée du 14 août 1942, Mgr Duparc appelle MM. Les Curés et Recteurs à « prêter leur concours à la réalisation » dans leurs paroisses de la manifestation d’ « union de toutes les communes de France au service de la Patrie ».
Lui-même présidera le 20 août avec le Préfet et avec le Vice-Président de la Corporation Nationale Paysanne, Budes de Guébriant, la cérémonie de rassemblement des pincées de terre du Finistère, qui aura lieu à la Préfecture.
Dans son discours, l’évêque déclarera : « c’est parce que nous aimons notre terre que nous allons en faire un mélange pour l’offrir au Chef de l’Etat comme le signe de cette unité française qui nous groupe tous autour du Maréchal » (ADF200W89).
Ainsi Kerdévot a été ce 15 août 1942 au diapason de ce qui s’est passé dans toutes les communes de France, le 20 août à la Préfecture du Finistère, le 29 août  à Vichy et le 30 août à Gergovie.
Cette obédience publique à Pétain manifestée après les Vêpres de Kerdévot a cependant quelque chose de contraint. Beaucoup y croient encore, sans doute, tant le poids des notables et des leaders d’opinion est lourd, tant la collusion des institutions « civiles, spirituelles et corporatives » est forte.
Mais le doute va gagner rapidement ces « fidèles » de l’Eglise et de l’Office Central. C’est l’époque où la pression des prélèvements agricoles s’accroît : la Corporation Paysanne glisse de plus en plus nettement dans le rôle d’auxiliaire de Vichy pour les livraisons agricoles à effectuer aux Allemands et aux citadins. Elle a de plus en plus recours à des sanctions, comme ce sera le cas à Ergué-Gabéric pour livraisons insuffisantes de beurre ; le monopole des « syndicats-boutiques » de la Corporation dans l’approvisionnement des agriculteurs, dans la répartition des engrais, de la ficelle-lieuse, ou de l’essence pour les battages poussera ces hommes de la terre vers  une hostilité croissante et à la recherche de voies parallèles dans le marché noir.
Le 15 août 1942, après Vêpres à Kerdévot, des idées contradictoires se bousculaient déjà sans doute dans l’assistance.
 
François Ac'h

 

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