La papeterie d'Odet et la religion

Dans son étude/inventaire sur la papeterie d'odet (classeur à consulter à Arkae), Pierre Faucher a retracé la vie de la papeterie sous l'angle de la religion, de 1822 à 1968. Précisons que nous disposons sur ce sujet de sources très subjectives, dont la fiabilité reste à établir.

 

Nicolas Le Marié

Le portrait brossé par l'abbé Fouët, dans son [discours du centenaire], est dithyrambique. Citons-le, néanmoins : "[Nicolas Le Marié est un] chrétien austère vis-à-vis de lui-même [...] le jeûne entier du carême, dit-il, au repas unique comme on l'entendait alors, était un jeu pour cette nature robuste. Il recueillait sous son toit les déshérités de la famille et était bon pour les pauvres, c'était la providence d'Ergué-Gabéric et de la région de Quimper". Notons cependant que Marie-Eugénie, la fille de Nicolas Le Marié, seule survivante de la famille, se fera religieuse. Elle donnera également 800 F à la paroisse de Pleuven en 1868, à charge de faire dire à perpétuité une messe basse par mois pour sa famille.

 

Jean-René Bolloré

Après avoir soigné les pauvres de Kerfeuntun en tant que médecin, il entamme une carrière de directeur à la papeterie d'Odet. Son épouse, Eliza, qui gèrera le service administratif de la papeterie après le décès de son mari, aura aussi une correspondance régulière avec l'évêque de Quimper pendant une dizaine d'années. Un exemplaire de ses lettres a été conservé.

 

René Bolloré II

Image pieuse mort Bolloré fils 1949Dans la période d'opulence que connaît la papeterie, il intervient fortement dans tout ce qui touche au domaine religieux. Il achète le Likès, le lycée de Quimper, tenu par les frères des Écoles chrétiennes en 1907, et loue à l'évêché pour l'installation du petit séminaire. Il construit des écoles "libres" chrétiennes à Lestonan en 1928 et 1929. Nous renvoyons ici au cahier d'Arkae sur les [écoles Bolloré].
L'engagement de René II dans l'enseignement catholique est conséquent dans cette période qui fait suite à la séparation de l'Église et de l'État (1905). Plus tard, avec la construction de la chapelle Saint-René à Odet en 1922 (et la construction de celle de Cascadec en 1925), des messes sont dites régulièrement "pour la prospérité de l'usine et le bien des ouvriers". Un prêtre résidera à Odet dans "la maison du curé" de 1929 à 1968, au bord de la route de Briec.
Quatre prêtres ont été nommés par l'évêque "vicaires à Odet" de 1929 à 1968 : Auguste Hanras (1929-1931), Yves Le Goff (1931-1939), Jean Corre (1955-1960) et Jean-Marie Breton (1960-1968). L'abbé Louis Le Gall, vicaire de 1913 à 1927, qui résidait au presbytère du bourg d'Ergué-Gabéric, jette les bases des Paotred Dispount et des activités autour du patronage et du terrain de sport de Keranna.
Cette période du XXe siècle à la papeterie est marquée par un catholicisme social. La volonté d'assurer au mieux la vie sociale des ouvriers est contrebalancée par un certain autoritarisme dans le cadre du travail en usine. Par ailleurs, la politique salariale de Bolloré elle-même est placée sous le signe des garanties sociales (caisse de retraite, égalité salariale hommes-femmes...).
Cependant, même si aucun document ne l'atteste, mais on peut imaginer que ce cadre moral ait pesé sur les employés et ouvriers, notamment en ce qui concerne la pratique religieuse et le placement des enfants dans les écoles. On pourra évoquer une polémique entre les ouvriers et la famille Bolloré, dont on perçoit les échos dans la revue ArMen en 1990 (Michel Bolloré défendant son père sur le sujet de la liberté religieuse).
En janvier 1935, l'inhumation de René Bolloré a lieu à Ergué-Gabéric, en présence de nombreux évêques et prêtres (selon "Une histoire de famille" de Jean Bothorel). Les usines seraient restées fermées du jour de sa mort jusqu'à son enterrement auquel assiste une grande foule, composée des employés.

 

Gaston Thubé

Après le décès de René II et avec l'avènement du Front populaire, le prêche de l'évêque de Quimper (qui se dit basé sur "la justice, la solidarité et la collaboration des classes") ne peut être que favorablement entendu par Gaston Thubé et son adjoint, René III. Mais pour eux, comme pour l'évêque, les notions de "lutte des classes", d'"expropriation capitaliste", de "grêve générale", d'"action directe" sont en opposition avec la morale chrétienne, et même la morale tout court. Selon Jean Bothorel, la Confédération française des travailleurs chrétiens fait recette aux usines d'Odet et de Cascadec.

 

Les années 1960

Cette décennie voit aboutir la dissociation travail/religion à Odet. Une page importante est tournée : la population ouvrière demande que la pratique religieuse soit dissociée du lieu de travail et réalisée en dehors du périmètre de la papeterie. C'est ainsi qu'est construite la chapelle de Keranna, sur un terrain donné par la famille Bolloré à la paroisse d'Ergué-Gabéric. La chapelle ouvre en 1968. Contrairement à la chapelle Saint-René, elle se situe en dehors de l'enceinte de l'usine et jouxte le terrain de sport des Paotred et la cité ouvrière. Les frères Lamenais et les filles du Saint-Esprit, installées à l'origine par René Bolloré pour diriger ses écoles, animent le culte à Keranna.