La chapelle Saint-René à Odet

Dédiée à Notre-Dame d’Odet, mais souvent appelée « Saint-René », la chapelle se situe dans l’enceinte des papeteries d’Odet, à Ergué-Gabéric. Propriété privée de la famille Bolloré, la chapelle Saint-René est invisible depuis la route qui va de Lestonan à Briec. Ouvriers, employés et cadres de l’usine ont assisté à des cérémonies religieuses dans ce bâtiment, d’une date incertaine au xixe siècle jusqu’aux années 1960, lorsque sera élevée la chapelle de Keranna.

 

Chapelle Saint Rene Odet par Louis Le GuennecOrigine

L’édifice actuel, refait en 1921-1922, est l’œuvre de l’architecte René Ménard. Il a remplacé une chapelle plus étroite, probablement construite au xixe siècle, tandis que l’activité des usines se développait. Ce premier bâtiment est mentionné par le livre d’or des papeteries en 1930[1] et par des témoignages. Ci contre : la chapelle Saint-René dessinée par Louis Le Guennec.

 

Constructeurs

Si les travaux d’agrandissement ont été ordonnés et financés par René Bolloré II (1885-1935), ils ont été conduits sur les plans de René Ménard (Nantes, 1876 - Nantes, 1958) et sans doute été exécutés par l’entreprise Thomas. Précédemment, René Bolloré avait confié à l’architecte nantais les travaux d'extension de son manoir d'Odet (1911) et la construction de la cité ouvrière de Keranna (1919). Les plans de la chapelle, conservés aux Archives départementales de Loire-Atlantique, ont été publiés par le site Grand Terrier[2]. Ils montrent notamment qu’en 1921, Ménard avait proposé plusieurs options au maître d’œuvre.

 

Situation

80 ans Mme Bolloré 9

La chapelle est, dès l’origine, mitoyenne d’un magasin, à l’est. L’ensemble a été élevé à flanc de colline, sur un dénivelé mesurant, au plus haut, c’est-à-dire au niveau du magasin, 1,20 mètre. Ce dénivelé est particulièrement visible sur une photo de 1927, à l’occasion des 80 ans de Léonie Bolloré (voir ci-contre). La chapelle d’origine, plus modeste, n'était pas orientée à l’est ; la chapelle agrandie ne le sera pas non plus. Or, dans la plupart des églises chrétiennes, depuis le xve siècle, le chœur se trouve à l’orient, tourné vers la Ville Sainte. À Saint-René, le chœur est situé à l’ouest et donne au nord-ouest sur la résidence Bolloré. L’entrée des fidèles se fait par le nord : avant l’office, les hommes s’engagent dans l’édifice « par une élégante porte sculptée[3] », tandis que les femmes pénètrent par une porte secondaire, à gauche. Gwenn-Aël Bolloré indique l’existence de deux autres portes donnant sur le parc du manoir (les deux premières donnant dans l’enceinte de l’usine)[4].

 

Extérieur

Chapelle Saint René chevet à pignonsLouis Le Guennec est le premier à donner de la chapelle Saint-René une description relativement fournie, puisqu’elle court sur deux pages. Ce texte figure dans un ouvrage posthume : Le Finistère monumental, tome III, p. 506-507, publié en 1984. Un dessin complète cette description.  Sur l’aspect général, Le Guennec note le « style gothique[5] » de la chapelle. Dans toutes ses constructions pour René Bolloré, René Ménard puisera en effet dans les traditions régionales, c’est-à-dire le gothique breton des xve et xvie siècles. La chapelle se distingue par son « clocheton plat qui découpe parmi les branches d’arbres son pignon à dentelures et ses trois chambres de cloches […] Sur la toiture chevauche un campanile-horloge revêtu d'épaisses ardoises imbriquées en écailles de poisson. » En outre, « un chevet à trois pans, percés de fenêtres flamboyantes, décore le grand pignon auquel s'appuie la sacristie ». Ce chevet à plusieurs pignons est inspiré, d’après Philippe Bonnet[6], des réalisations de l’atelier morlaisien des Beaumanoir (xve siècle). Cette abside à noues multiples est en effet l’une des caractéristiques du « style Beaumanoir ». René Ménard a pu se souvenir, par exemple, du chevet de l’église Saint-Gildas à Carnoët, construite par Philippe de Beaumanoir vers 1500. Grâce à ses trois faces, le chœur de Saint-René est éclairé de manière optimale, ce qui compense les dimensions modestes du bâtiment. Ci-contre : la chapelle d'Odet et son chevet. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

               

Intérieur

Chapelle Odet Saint René2Grâce à ce chœur éclairé de vitraux, l’intérieur se révèle, selon Louis Le Guennec, « large, clair, admirablement entretenu ». La nef « s'égaie de la lumière colorée et chatoyante des beaux vitraux placés dans les fenêtres du chœur ». En termes de capacité d’accueil, on peut déduire d’après les plans de René Ménard et les photographies du centenaire de 1922 que la chapelle, rectangle d’environ 10 mètres sur 17, ne recevait pas tous les ouvriers d’Odet lors d’un même office. En 1912, le recteur Lein soulignait déjà l’étroitesse de la chapelle, comme nous l’expliquons ci-après. Gwenn-Aël Bolloré donne quelques indications sur la répartition des places à l’intérieur de la chapelle. On y retrouve la hiérarchie de la papeterie, des âges, des sexes et de la géographie : « Nous voici tous à nos places. Au premier rang, à droite du chœur, chacun de nos prénoms est inscrit sur les prie-Dieu. Le protocole est rigoureusement respecté. De gauche à droite, mon père, ma mère et nous les enfants, par rang d’âge. Derrière, le personnel de maison. Au troisième rang, les employés et ouvriers de l’usine, par rang d’importance, et ensuite les enfants des écoles des Frères, puis la foule des hommes d’Ergué-Gabéric. Côté gauche, ma grand-mère a droit à un prie-Dieu capitonné. Elle a déjà près de soixante-dix ans [vers 1916]. Ses filles et leurs enfants derrière, les filles des écoles des Sœurs, puis la foule des femmes d’Ergué-Gabéric. […] Le prêtre officiant est un chapelain, […] payé et logé par mon père. […] Sept ou huit choristes, vêtus de soutanes rouges, l’assistent[7]. » Gwenn-Aël précise encore que, comme dans d’autres églises, les messes se disent en latin, tandis que les chants et le prêche sont en breton. L’enfant, élevé en pays gallo, ne comprend pas le breton ; et l’on ne sait pas dans quelle mesure son père entendait le breton et s’il comprenait le prêche du prêtre. Ci-contre : la chapelle de Keranna, du côté des entrées. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

 

Vitraux

Les vitraux présents dans le chœur représentent les saints René (Renatus), Michel (Michael), Guinal, Jacques (Jacobus), Madeleine, Jehanne d'Arc. Ce sont ces verrières que Louis Le Guennec a vues et décrites dès les années 1920 : « Ces vitraux, timbrés aux hermines de Bretagne et aux armoiries des principales villes de notre province, témoignent du patriotisme breton et de l'esprit de foi des fondateurs de la chapelle, qui y ont fait peindre les images de leurs saints patrons et protecteurs[8]. » Des blasons portés par des anges renvoient en effet aux lieux chers à la famille Bolloré (Quimper, Nantes, Saint-Malo sont reconnaissables). À l’image des seigneurs commanditaires des églises médiévales, les Bolloré sont aussi présents, sous la forme de leurs saints patrons, dans les vitraux de leur chapelle :
Renatus correspond à : Jean-René, l’arrière-grand-père né 1818 ; René I, le grand-père né en 1847, René II, le père né en 1885, et René-Guillaume III, l’aîné des enfants né en 1912 ;
Notre-Dame : Marie Thubé, épouse de René Bolloré, née en 1889 ;
Jacobus à Jacqueline, la cadette née en 1914 ;
Michael à Michel, le cadet né en 1922 ;
Guinal à Gwenaël, le benjamin né en 1925, trois ans après la construction de la chapelle. Saint Guinal est aussi le patron de l’église d’Ergué-Gabéric. 
On peine, en revanche, à déceler la signature du maître verrier dans ces six vitraux.

L’entrée de la chapelle est encadrée par deux verrières de facture moins classique. Ces vitraux de saint Léon/saint Gwenolé et saint Corantin/saint Yves portent la signature d’Yves Dehais, maître verrier né en 1924, deux ans après la construction de la chapelle Saint-René. Les deux verrières en question seraient donc plus tardives que l’édifice. Formé aux Beaux-Arts de Nantes, Yves Dehais a complété sa formation au vitrail à Quimper, au sein de l’atelier Le Bihan-Saluden[9], dans les années 1940. Sur le vitrail « Saint-Corantin », on distingue un cartouche figurant un poisson, un « B » et un « S ». On peut attribuer ce « logo » à l’atelier quimpérois Le Bihan-Saluden, le B désignant Bihan et le S Saluden[10]. Un vitrail de l’église de La Lorette à Plogonnec porte le même cachet, la mention de « Quimper 1946 », ainsi que les noms d’Yves Dehais et Pierre Toulhoat, qui y ont travaillé. On reconnaît par ailleurs dans ces quatre verrières colorées l’expressivité des artistes, comme Yves Dehais, qui ont fait la grande période Keraluc à Locmaria. Ci-dessous, en haut : les verrières décrites par Louis Le Guennec ; en bas : les vitraux côté entrée. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

Vitraux ND dOdet Saint René

 

Statuaire

Lors de sa visite, Louis Le Guennec a aussi décrit les statues visibles dans la chapelle. Il les date du xvie siècle. « Au bas de la nef, il y a trois statues curieuses du xvie siècle dont chacune porte sur son socle le nom de son donateur. Les deux premières devaient faire partie d'une série de douze apôtres comme il en existe au porche de nombreuses églises.
1. Saint Pierre, sans tiare ni autre coiffure, barbe et cheveux longs, robe à collet, manteau, banderole qui devait porter, inscrit en couleur un verset du Credo, tenant clef et livre fermé. Sur le socle : P. Guiriec.
2. Saint Jean, tête nue, cheveux bouclés, robe à collet rabattu, tenant une coupe de laquelle sort un crapaud, banderole pour verset du Credo, nom : Y. Musellec.
3. Saint Guillaume, en Kersanton, coiffé d'une mître et couvert d'une armure complète soigneusement exécutée, manteau sur les épaules bénissant de la main droite. L'inscription est en caractères gothiques, sauf la date. Nom : G. Saulx, Not(aire), l'an 1557.
Au dehors près d'un escalier, il y a un autre saint de pierre, moins bien conservé, portant livre et bâton[11]. »
Le Guennec ne donne pas l’origine des statues. Nous savons néanmoins, d’après la biographie de Gwenn-Aël Bolloré, que René Bolloré récupérait, au détour de visites, de voyages ou d’enchères, des objets de patrimoine breton, parfois à l’abandon, pour les introduire à Odet[12]. Ces quatre statues en font vraisemblablement partie. Ci-dessous, de gauche à droite : statues de saint Pierre et de saint Guillaume. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

Statue saint Pierre Notre Dame dOdet photo Gaëlle Martin 2000

Saint Guillaume Notre Dame dOdet G. Martin 2000

 


L’administration de la chapelle dans les années 1910 et 1920

Mgr Duparc Villard 1900 recadréSur son site Grand Terrier, Jean Cognard présente quatre lettres du recteur d’Ergué-Gabéric, le père Louis Lein, à Monseigneur Duparc (ci-contre : portrait par Joseph Villard), l’évêque de Quimper et Léon[13]. Le recteur y évoque les problèmes liés à la chapelle Saint-René. Jusqu’en 1912, une messe est donnée tous les dimanches et jours de fête par un vicaire. Or le patron des papeteries souhaite développer l’activité religieuse de la chapelle, en demandant une messe supplémentaire, tous les premiers vendredis du mois, et des confessions, tous les samedis ou tous les quinze jours. C’est alors que le recteur expose les problèmes créés par cette chapelle privée au sein de sa paroisse. Il signale notamment à son supérieur : 1. La difficulté de mener à bien des offices et des confessions à Odet, en même temps qu’à l’église saint-Guinal et dans deux autres chapelles.
2. La « fuite » de fidèles qui, ayant suivi la messe à Odet, risquent d’abandonner l’église paroissiale. À l’instar de la famille Bolloré, ils ne mettraient plus les pieds à Saint-Guinal.
3. La création, avec l’agrandissement futur de la chapelle, d’une paroisse officieuse dans la paroisse officielle d’Ergué.
4. La petite taille de la chapelle qui, en 1912, pose déjà problème. Et inversement, puisque même l’agrandissement serait un problème : « Cependant la chapelle est beaucoup trop petite. Et si elle était agrandie (ce qui va arriver dans quelques temps), les difficultés deviendraient encore plus fortes[14]»
5. Du fait de cette petite taille, la sélection/discrimination à opérer parmi les fidèles : qui est autorisé à assister à tel office, à se confesser à tel endroit ?
6. Sa position délicate d’intermédiaire entre l’industriel et les autorités religieuses.
Lorsque la direction des papeteries décidera d’instaurer les dimanches travaillés, les messes à Saint-René seront dites à deux heures différentes, à 8 h et 10 h, ou 8 h et 12 h, afin que les ouvriers de faction le dimanche puissent y assister.

 

Le catholicisme social de René Bolloré

Image pieuse René Bolloré II 1949 v3La construction de cette chapelle répond au catholicisme social de René Bolloré. Le directeur des usines d’Odet a sans doute été influencé par l’encyclique du pape Léon XIII (1891), comme le suppose le bulletin paroissial d’Ergué-Gabéric. Un article du Kannadig établit ce lien en 1928 : « Animé d’une foi vive et agissante, M. Bolloré s’occupe d’une façon toute particulière des intérêts religieux et moraux de ses ouvriers. Il a doté son usine d’Odet d’une belle chapelle, l’un des plus jolis édifices religieux du pays de QSuimper. On y dit la messe quatre fois par semaine, et toutes les ouvrières y assistent avec une grande dévotion. Le dimanche soir, une nombreuse assistance assiste à la bénédiction du Saint-Sacrement. […] le patron […] a dû méditer longuement l’Encyclique de Léon XIII sur la condition des ouvriers[15]. » Un rapport de la DRAC sur la vie dans les papeteries d’Odet rappelle aussi qu’ « à Annonay (dont l’usine s’appelle Vidalon), la grande fête annuelle était dédiée à Notre-Dame de Vidalon, mêlant dans une même envolée Dieu, les ouvriers papetiers et les patrons Montgolfier[16] ». Un fait que l’on peut mettre en parallèle avec une note du Kannadig d’Ergué-Gabéric précisant que l’on surnommait Mme Bolloré, la mère du directeur, « Notre-Dame d’Odet[17] ».

 

Synthèse effectuée par Marilyne Cotten

 

Notes

[1] Livre d’or des papeteries d’Odet, Paris, impr. Crété, 1930. Consultable au local d’Arkae.

[2] http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=1910-1928_-_Les_plans_gab%C3%A9ricois_de_l%27architecte_Ren%C3%A9_M%C3%A9nard_pour_l%27industriel_Ren%C3%A9_Bollor%C3%A9

[3] Louis Le Guennec, Le Finistère monumental, tome III : Quimper Corentin et son canton, Quimper, Les Amis de Louis Le Guennec, 1984, p. 506-507.

[4] Gwenn-Aël Bolloré, Né gosse de riche, Rennes, éd. Ouest-France, coll. Latitude ouest, p. 44.

[5] Louis Le Guennec, op. cit., p. 506.

[6] Philippe Bonnet, Églises du xxe siècle en Bretagne, de la loi de séparation à Vatican II, Paris, Bibliothèque de l’École des chartes, t. 163, 2005, p. 107.

[7] Voir Gwenn-Aël Bolloré, op. cit., p. 43

[8] Louis Le Guennec, op. cit., p. 507.

[9] Source : Jean-Yves Cordier sur http://tableauxdeyvesdehais.e-monsite.com/ et https://www.lavieb-aile.com/article-la-chapelle-de-la-lorette-a-plogonnec-109127377.html Yves Dehais est né en 1924 à Nantes et y est mort en 2013. En 1946, il ouvre son propre atelier à Nantes. Il collabore aux débuts de la manufacture de faïence Keraluc, de 1945 à 1948.

[10] En 1908, Auguste et Anna Saluden avaient un atelier à Brest. Après la Première Guerre mondiale et la destruction de la cité portuaire, ils s’installent à Quimper dans un atelier qui sera repris par le gendre d’Anna Saluden, Yves Le Bihan. Jusqu’en 1952, les ateliers signent donc leurs vitraux Le Bihan-Saluden.

[11] Louis Le Guennec, op. cit., p. 507.

[12] Voir Gwenn-Aël Bolloré, op. cit., p. 43 : « À La Trinité-Surzur, il y a une très belle fontaine en granit sculpté. Mon père, qui a la passion des monuments bretons, s’arrête un jour et demande à qui elle appartient. À la mairie, lui répond-on. [Le maire] commence par refuser de vendre sa fontaine, puis cède devant le montant du chèque. [Mais le curé intervient] : "Vous n’allez pas nous enlever la seule jolie chose qu’il nous reste !" [Mon] père, après avoir haussé les épaules, lui donne la fontaine et s’en va en bougonnant. »

[13] Archives diocésaines de Quimper, série P, paroisse d’Ergué-Gabéric, lettres du 22 août, du 1er octobre 1912 et du 29 janvier 1913 de L. M. Lein à Mgr A. Duparc. Reprises in extenso et analysées en contexte sur le site Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=1912-1913_-_La_question_de_la_r%C3%A9organisation_du_service_paroissial_%C3%A0_la_papeterie_d%27Odet

[14] Idem.

[15] Kannadig Ergué-Gabéric, « Œuvres sociales et morales », 1928. Archive Arkae.

[16] La vie dans les papeteries d’Odet au XIXe et XXe siècle, rapport de la DRAC, ca 2004. Archive Arkae.

[17] Kannadig Ergué-Gabéric, « Monsieur René Bolloré », 1933. Archive Arkae.