En hommage à Jean Le Corre

 

Jean Le Corre est né le 15 août 1920 à Ergué-Gabéric. Sa famille habite au Bourg, en face de ce qui est alors la mairie et l’École publique des filles (actuel Centre Déguignet) ; le père artisan-maçon et la mère dirigeant un atelier de confection d’habits bretons qui emploie plusieurs couturières. Il est l’aîné d’un frère, Pierre, et d’une sœur, Louise.
 
En 1932, il est élève boursier à l’École primaire supérieure de Concarneau. Jean se fait rapidement connaître sur les terrains de football ; c’est un attaquant particulièrement doué. En 1937, il signe pour la première fois aux « Paotred Dispount » : dans sa saison, il marque 69 buts… et il est happé par le Stade quimpérois ; il y atteindra le plus haut niveau amateur national de l’époque.
 
Il a terminé ses études en 1939 et vient d’avoir 19 ans quand il se fait embaucher, le 20 août 1939, à la Direction des services agricoles, rue de Douarnenez, à Quimper. Soit juste une dizaine de jours avant la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne.
 
Pendant l’Occupation, son administration s’est trouvée réorientée pour satisfaire au ravitaillement des troupes allemandes en organisant les réquisitions exigées. Mais Jean peut circuler dans le département. Sa position le met en état d’observer ce qui se passe.
 
Au Bourg d’Ergué, il retrouve le groupe de copains animé par Fañch Balès, son voisin immédiat, jeune boulanger, qui est en liaison avec la Résistance en la personne de Madame Le Bail, de Plozévet… Ce qui aboutit, le 14 janvier 1944, à la participation de quatre d’entre eux au « Coup du STO » avec une autre équipe de Quimpérois.
 
De là, la prison (quatre mois et demi  à Quimper, deux mois entre Rennes et Compiègne), puis le camp de Neuengamme et ses détachements en « kommandos », enfin celui de Buchenwald. Libération le 11 avril 1945 et arrivée en gare de Quimper le 12 mai suivant.
 
Pierre Tanguy, maire d’Ergué-Gabéric, recrute Jean Le Corre à compter du 1er juin 1945 pour seconder Louis Barré, qui se trouve seul au secrétariat de la mairie après la démission de François Lennon. Jean travaille selon un horaire aménagé ; il n’a que la route à traverser pour regagner son travail. Il y restera pendant quatre ans et demi, jusqu’au 28 février 1950.
 
Entre-temps, il a épousé Georgette le 12 février 1947 ; ils auront trois enfants et habiteront à Quimper. Jean travaille alors comme représentant de commerce pour le bâtiment et l’équipement automobile. Georgette et lui se retireront à Saint-Évarzec en 2012.
 
Jean Le Corre a vécu un retour difficile dans le monde ordinaire : unique déporté de la commune, désemparé parmi les anciens prisonniers de guerre, qui avaient tous de quoi raconter, mais ne comprenaient pas ce que lui leur disait ; soupçonné d’en rajouter par ceux qui s’étonnaient de sa réussite au Stade quimpérois, où il avait retrouvé toute sa place ; poursuivi par l’idée que le groupe avait été trahi, victime d’une dénonciation restée anonyme ; desservi par le fait d’avoir été le premier arrêté après le coup du STO, dès le 17 janvier 1944. 
 
Jean Le Corre apportait le trouble dans ce monde qui ne voulait que savourer une tranquillité retrouvée. C’est l’histoire de beaucoup de déportés qui ont pu rentrer chez eux… « Ce n’est pas vrai, ce que tu racontes ».
 
Jean Le Corre ne s’est jamais pris pour un héros. Selon lui, en 1944-45, les évènements s’enchaînaient. Il les a vécus jour par jour, heure par heure. Chaque jour, trouver de quoi manger, se ménager, durer. Il avait quelques atouts : avoir appris à manier la pelle et la pioche, sans se fatiguer inutilement, comme le lui avait montré son père avec qui il travaillait l’été sur les chantiers. Chaque jour oser, ruser : la vivacité et le sens de la feinte qu’il trouvait sur le terrain de foot, il lui fallait y recourir dans les situations inédites au camp ou en « kommando » ; il lui fallait faire appel à l’instinct de conservation, tel celui du gibier qu’il avait déjà observé à la chasse dans la campagne d’Ergué-Gabéric. D’après lui, c’était aussi simple que ça. Mais cela s’appelle la résistance. Ce fut la sienne de janvier 1944 à avril 1945.
Et il trouvait complètement dérisoire la course aux décorations de certains. Pas de drapeaux autour de son cercueil. Ni même sa Légion d’honneur.
 
 
François Ac'h
 
 
Keleier Arkae n°93 - Mai 2016