Ar Groaz Verr

En remontant la rue de Kerdevot, collée à une des maisons qui entre dans le périmètre de la rénovation du bourg, une petite croix discrète, haute de 1,13 m mérite toute notre attention. Ar groaz verr (La croix courte) est sans doute le plus ancien témoin visible de l’implantation du culte chrétien dans la paroisse d’Ergué.
 
 
Les chrétiens ont choisi la croix comme symbole dès le IVe siècle. Simple ornement, elle était utilisée pour marquer la direction de l’orient, c’est-à-dire Jérusalem. Ce sont les moines irlandais qui ont construit les premières croix monumentales à partir du VIIe siècle. Mais il faut attendre le XIIe siècle pour que le Christ soit représenté en croix.
 
Ar Groaz verr peut donc être datée du haut moyen-âge ; mais se trouve-t-elle à son emplacement primitif ? Cette croix se trouve actuellement rue de Kerdevot. En 1834 le cadastre nous indique effectivement une parcelle appelée Liorz ar groaz (le courtil de la Croix) qui jouxte une maison appartenant à Alain Kernevez. Une autre parcelle (N°296), environ 200 mètres plus haut dans la direction de Kerdevot, porte le nom Parc ar groas ver ; celle-ci donnait sur l’ancien chemin appelé Karront ar Groaz verr. L’emplacement de la croix n’est pas indiqué sur le cadastre, alors que la croix de Kergaradec est bien inscrite sur le plan.
 

Déplacement de la croix ?

On peut donc considérer que l’emplacement est ancien. Mais lors de la construction des maisons actuelles le long de la rue de Kerdevot, ne l’a-t-on pas déplacée pour faciliter le chantier ?
Une tradition orale relate qu’une institutrice de l’école publique située en face de la Croix aurait voulu la rendre plus discrète en la déplaçant de la façade au pignon de la maison, près de l’ancien puits.  Mais dès lors, « la croix ne remplit plus sa mission de protection envers la maison. C'est ainsi que des revenants venaient troubler la quiétude des habitants de la maison : la croix fut donc rapidement remise à sa place devant l'entrée de la maison.»1
Les croix servent souvent à indiquer les croisements de chemins, ou encore les limites de propriétés. Selon Joëlle Le Saux2, la croix pourrait être associée à un oratoire beaucoup plus ancien que l’église actuelle du XVIe siècle. 
Ergué n’est pas la seule commune à posséder une kroaz verr : Châteauneuf-du-Faou, Ploumiliau, Plufur et Ploubezre en possèdent une, tout comme Briec. Celle-ci possède une particularité : elle a été appelée Croix-verte parce que vert en Breton se dit Gwer et donc Croix Verte s’écrirait Kroaz wer, prononcé Kroaz Ver localement. Kroaz verr est traduit par Croix Courte dans plusieurs noms de lieux du Morbihan (Brec’h, Pluvigner) et à Bannalec. On trouve à Meniac-sous-Bécherel, dans l’ancien évêché de Saint-Malo, dans un secteur anciennement bretonnisé, un « manoir de la Croix Courte ».
 
A noter que dans le domaine des anciennes Flandres, on rencontre par deux fois des noms de lieux Courte croix, qui correspond au flamand kort kruisje et à l’anglais short cross.
Kroaz Verr s’oppose en toponymie à Kroaz Hir (croix longue) qu’on trouve à Saint-Thois, Plougar, Plouguin ou encore Plouguerneau. En numismatique du moyen âge, où la croix était souvent représentée sur les pièces de monnaie, on oppose également les monnaies à croix courte et les monnaies à croix longue.
 
Bernez Rouz
 
1 Jean Cognard et Jean Gueguen, Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric n°8, p.12, sept. 1981
2 Joëlle Le Saux : "Rapport sur les croix et calvaires à Ergué-Gabéric", p.15, Archives Arkae, 3e trimestre 1993.
 

Keleier 104 - Avril 2019

 

 

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