Croas Spern (Kroaz Spern)

René Huguen est né à Lestonan en 1920. Instituteur de profession, il fut en outre maire-adjoint à Saint-Brieuc, rédacteur en chef du quotidien national Ouest-Matin (Rennes) et directeur de Cabinet à la mairie du Havre.
Passionné d’histoire, il a notamment fait des recherches sur le travail du secrétaire d’Emile Zola, M. Glay-Bizouin, l’inventeur du timbre-poste. Il s’occupe aussi de la Maison Louis Guillou, à Saint-Brieuc et a notamment organisé l’exposition pour le centenaire de l’écrivain qu’il a personnellement connu.
 
Portant très loin le regard de ma mémoire, je me retrouve dans les années vingt et je revois ma grand-mère Le Meur, née Cuzon, chargée du grand seau bleu qu’elle vient de remplir à la fontaine de Gwarem goz, là où s’abreuvent les vaches de Quillihuec ; elle s’arrête devant le vieux calvaire de Croas Spern, pose le seau sur la route caillouteuse, essuie de la manche la goutte qui brille en permanence sous son nez et elle se signe en regardant la croix. Ce geste respectueux devenu instinctif, elle l’avait déjà fait à l’aller, sans s’arrêter. Le font ainsi les passants, qu’ils soient seuls ou en groupe. Un convoi funèbre s’avance en direction du bourg ; l’enfant de chœur secoue sa clochette, le cercueil, calé sur un char à bancs.
Le monument fait face au vieux chemin, ancienne voie romaine(1), encore creusé en contrebas et bordé de châtaigniers séculaires(2). La croix est dominée par un grand prunier dont la floraison au printemps lui donne un air de fête. Au bout d’un jardinet protégé de la route par une haie d’aubépine, se tient l’antique maison au toit fatigué. Le couple Le Meur habite là, moyennant quelques travaux périodiques demandés par les propriétaires de Saint-Joachim. Ah! comme je me sens bien en ces jeunes années, sur cette terre battue où courent souvent les poules, entre ces meubles rustiques dressés sur des cales inégales ; comme je me sens bien à cette grande table à l’intérieur de laquelle Grand-Mère range pain, farine et beurre ou dans l’âtre, chauffant mes petits pieds au-dessus des cendres chaudes ! Et lorsque Grand-Père rentre de sa dure journée de cantonnier et qu’il applique sa barbe piquante sur mon front en lançant fièrement: « Ar goas !»(3).
 
Aujourd’hui me voilà octogénaire; la vieille maison n’est plus depuis longtemps et le calvaire de Croas Spern a perdu sa croix d’origine, tombée et disparue(4) … Sur le socle du monument toujours gravée mais qui s’efface, une date ; on la devine : 1604.
René Huguen - Avril 2002 Keleier Arkae

 

1 - Le calvaire de Croas Spern se trouvait autrefois au carrefour de la route venant du bourg - Saint Joachim et d’une ancienne voie romaine rejoignant Lenhesq-Quimper, et Elliant dans l’autre sens. On pourrait en retrouver trace aujourd’hui en contrebas du centre socio-culturel. Le calvaire était associé à une fontaine.

2 - Une partie de ces châtaigniers fut abattue lors de la construction du premier « terrain scolaire d’éducation physique et sportive »d’Ergué-Gabéric en 1948. L’argent de la vente servit à construire les vestiaires. 

3 - Ar goas : homme, jeune homme. 

4 - La nouvelle croix du calvaire, restauré en 1992, est l’œuvre du sculpteur Tataruch. Elle comporte les statues géminées du Christ aux liens et du Christ crucifié. Ce denier regarde conventionnellement vers l’ouest, excepté dans le cas des calvaires de carrefour où il peut alors être simplement tourné vers la route. C’était le cas à Croas Spern autrefois comme l’indique M. Huguen. La restauration a tenu a respecter ce principe et le nouveau Christ regarde la nouvelle route !

 

Retour