Le Stangala inattendu d'André Guilcher

 

Stangala Guilcher recto 1Qualifié par Louis Le Guennec de « plus extraordinaire paysage terrien de Cornouaille », le Stangala n’a été étudié par les géographes que relativement récemment. André Guilcher (1913-1993) y a consacré quelques pages dans sa thèse sur Le Relief de la Bretagne méridionale de la baie de Douarnenez à la Vilaine (1948). Ce Sénan, agrégé de géographie, a été professeur au lycée de Brest avant la guerre. Mobilisé, blessé au front près de Sarreguemines en février 1940, il reçoit la Croix de guerre pour son courage. Revenu en Bretagne, il est nommé au lycée de Nantes où il prépare sa thèse de doctorat. C’est ce qui l’amène à visiter notre Stangala, pendant l’été 1941. Passionné par la Bretagne, il écrit son périple en breton dans le journal Arvor. Il publiera en breton un ouvrage de géographie sur les vallées marines et les gouffres de l’océan (Kaniennoù ha traoniennoù mor, 1943). C’est cet écrit rare sur le Stangala que les Brezhonegerien Leston ont traduit ici. Rappelons enfin qu'André Guilcher est l'un des grands spécialistes mondiaux de la morphologie littorale. Outre les écoles citées, il a enseigné dans les universités de Nancy, de la Sorbonne et de Brest.

Ar Stangala d'André Guilcher
Traduction Brezhonegerien Leston, atelier Kontakaoz, janvier 2014.
 
Les balades agréables ne manquent pas aux alentours de Quimper. Nulle part en Bretagne, peut-être, on ne trouve des paysages aussi verdoyants et doux qu’en Cornouaille. L’Odet jusqu’à Combrit, le Steir, le Stangala, constituent autant de vallées boisées où il fait bon se promener les jours d’été. Le trajet de Quimper à Bénodet est renommé à juste titre ; le Stangala est moins connu car moins accessible. Aucune route ne le traverse : il est vrai qu’il est plus silencieux et comme le dirait M. Le Guennec – paix à son âme – grand connaisseur et fan de la Cornouaille, les automobiles ne peuvent y accéder et empester l’air de leurs gaz d’échappement. Pour aller au Stangala, partons ensemble de Quimper de bon matin. Au lieu d’aller directement par Cuzon ou par le terrain de foot de Keruhel, il vaut mieux prendre la route de Landudal. Une balade d’environ 35 km, c’est ce qu’il y a de mieux pour s’aérer les poumons. Passée la voie de chemin de fer de Rosporden, nous montons petit à petit vers Lestonan en traversant des champs fertiles. Les tours de la cathédrale et les hauteurs du Frugy s’estompent dans les brumes matinales, déjà à moitié dispersées dans les vallées du Jet et de l’Odet. On arrive rapidement sur un plateau à environ 115 m d’altitude, qui s’élève doucement vers Coray et Briec.Nous ne sommes plus très loin de la vallée du Stangala, pourtant nous ne l’apercevons pas encore. Voilà une descente : là se trouve la vallée de l’Odet et nous y accédons par un vieux pont couvert de verdure. Terminé pour nous le chemin facile : nous allons retourner sur Quimper à travers prairies et champs. Ici la vallée de l’Odet est attachante et paisible. Sur le côté gauche de la butte il y a un « tertre », sorte de pente escarpée et boisée. Sur le côté droit, nous distinguons petit à petit des collines en direction du Nord. Un peu après nous sommes sous la voûte sombre d’un bois de sapins. Sous les arbres une charmante petite route longe le canal qui conduit l’eau de l’Odet à la grande papeterie Bolloré, où l’on fabrique le papier à cigarette bien connu de tous. L’usine est nichée au fin fond de la vallée, entourée de verdure ; et jamais la nature n’a été aussi peu polluée par le travail de l’homme. La rive gauche devient de plus en plus escarpée à Griffonès. L’Odet, qui coulait jusqu’ici vers l’ouest, se dirige brusquement vers le sud. Des hauteurs, à 80 m au-dessus de l’eau, c’est un spectacle sans égal de voir la rivière faire un méandre et sauter par-dessus les rochers. À Griffonès, nous atteignons le grand Stangala. Désormais, les deux rives ont la même hauteur. Jusqu’au moulin de Penn-C’hoad, la rivière chute de l’altitude de 41 m à pas plus de 10 m sur une distance d’environ 3 km (¾ de lieue). Cela fait quelques années, les ingénieurs avaient pensé faire un grand barrage à côté du moulin de Penn-C'hoad. Il y aurait eu un lac là où se situe aujourd’hui le Stangala, comme celui qui est à Guerlédan sur le Blavet. On aurait eu de l'électricité en abondance pour Quimper et la totalité de la Basse-Cornouaille. Pourtant cette idée-là n’a pas été menée à son terme, je ne sais pour quelle raison. Le Stangala est toujours le Stangala, une rivière rapide et bouillonnante. Tout d’abord, le Grand Stangala, plus majestueux et plus sauvage ; ensuite le Petit Stangala avec ses petits bois et ses petits sentiers, où les Quimpérois vont marcher et entendre, durant l’été, les rires des enfants jouant à cache-cache : les deux Stangala étant remplis de truites et fréquentés par les pêcheurs spécialistes du « lancer léger ». Entre les hauteurs de Beg-ar-Menez et la chapelle Saint-Guenolé, en vérité, le Stangala est un paradis inattendu. Notre randonnée se termine au moulin de Penn-C’hoad. Du côté de Quimper, la vallée est bien plus large. Sans tarder nous sommes dans la plaine de Kerhuel. Ici se trouve le confluent de l’Odet et du Jet. En fait, la plaine de Kerhuel n’est que la continuité de la vallée du Jet, si droite depuis Saint-Yvi. 
 
Stangala Guilcher verso
Si vous êtes un peu curieux, vous demanderez après cette randonnée : pourquoi cette vallée de l’Odet n’a-t-elle pas toujours la même allure de Landudal à Quimper ? Pourquoi y-a-t’il au début une différence de hauteur entre les deux rives ? Pourquoi ensuite la rivière court-elle dans le passage étroit des hautes collines du Stangala ? Pourquoi aussi l’eau va-t-elle si vite entre les rochers du Stangala ? Enfin pourquoi la vallée est-elle si large et la rivière si calme après le moulin de Penn-C’hoad ? Il y a de bonnes raisons à cela. À l’origine, l’Odet coulait sur les plateaux de Beg-ar-Menez, Saint-Guénolé, Lestonan, bien plus haut que maintenant ; peu à peu, à force de grignotage, l’érosion leur a fait perdre de l’altitude. La roche, bien sûr, n’était pas aussi dure partout. Avant Griffonès, on trouve du granit sur le côté gauche, c’est une roche dure et résistante. Sur la droite, au contraire, on trouve surtout du schiste, beaucoup plus tendre. Pour cette raison, la rive droite a été érodée plus vite que la gauche. Entre Grifonnès et le moulin de Penn-C’hoad, on trouve du granit des deux côtés, ce n’est pas étonnant de voir des reliefs élevés des deux côtés et tant de rochers qui barrent le courant. Près de Quimper, enfin, nous retrouvons l’Odet dans le schiste, comme le Jet depuis Saint-Yvi ; de la roche tendre à nouveau et à nouveau une large vallée. 
 
Les balades seraient beaucoup plus agréables si on pouvait toujours savoir pourquoi les choses sont comme elles sont. Voir de beaux paysages, c’est bien. Les comprendre c’est mieux. Si vous êtes de Quimper, allez donc jusqu’au Stangala. Regardez autour de vous et cherchez à comprendre. Vous n’aurez pas perdu votre temps.
 
Lan Devenneg (André Guilcher) 
 
 
Notes
- « StankAla » ou actuellement Stangala : non loin de l’usine Bolloré se trouve une fontaine dédiée à Saint Ala ou Alar. En fait, elle se situe un tout petit peu plus vers l’est. « Stank » ou « stankenn » est utilisé dans le sens de vallée profonde en Cornouaille.
- D’après ce que dit un conte fantastique, un griffon y vivait autrefois, une espèce d’énorme dragon terrifiant qui avalait les jeunes filles.
 
 
articlestangalavu
 
Le Stangala, un accident intéressant
Bernez Rouz
Si l'on jette un oeil attentif aux cours d’eaux gabéricois, on s’aperçoit qu’ils sont tous orientés Est-Ouest vers le creux de Quimper. C’est le cas du Jet, de son affluent le ruisseau de Keringard et de l’Odet sur la partie nord de la commune. Pourquoi donc l’Odet pique-t-il brusquement vers le sud à Beg ar Menez ? Dans sa thèse Le relief de la Bretagne méridionale de la Baie de Douarnenez à la Vilaine, André Guilcher explique ce phénomène par une rupture de pente tecnico-structurale. Ergué-Gabéric se trouve en effet dans une zone de failles importantes, dans laquelle se sont produits des soulèvement de plaques géologiques. C'est pourquoi les rivières coulant sur des parties de plateaux surélevées ont dû se frayer des chemins dans des roches dures pour rejoindre le creux de Quimper, zone de confluences des cours d’eau de la région. On voit ainsi l’Odet, comme le Jet à Elliant, mais aussi d’autres petits ruisseaux, basculer vers le sud. Jean François Douguet a repris l’essentiel des explications d’André Guilcher dans son livre Le Stangala (Cahier n°1 d'Arkae), pages 55-59.