Le 7-8 mai 1945 L'armistice fété à Kerdévot

 

Nous sommes en 1945, au mois de mai. C'est la semaine de l’Ascension. Depuis le Ve siècle, l’Eglise a établi une procession solennelle de pénitence, les Rogations, pendant les trois jours qui précèdent cette fête.
En réalité, à cette époque de l’année, c’était l’occasion de prier pour l’abondance des récoltes.
Dans les jours qui ont suivi,  Gustave Guéguen, recteur de la paroisse a noté dans son Journal :
 
« 7 mai 1945 : Rogations. Le lundi à Saint-Guénolé. Foule nombreuse grossissant au fur et à mesure que l’on approchait de la chapelle : une bonne douzaine d’hommes.
 
8 mai 1945 à Kerdévot. Fort peu de monde : une demi-douzaine d’hommes, une trentaine de femmes dont trois ont suivi la procession depuis le Bourg. M. le Recteur s’est plaint des déprédations organisées à la chapelle. On enlève cierges, clochettes, chandeliers détériorés, etc.  A l’issue de la messe on a appris que le battant d’une des cloches a été enlevé par la sonnerie brutale de la veille au soir, fausse alerte d’armistice.
 
8 mai 1945 à 15h (au Bourg) l’on a sonné le carillon de la victoire pendant 1 heure. Chanté le "Te Deum" devant les enfants des écoles et une assistance d’adultes restreinte.
Quelques protestations quand on a fait cesser les sonneries. Des enfants se sont amusés durant toute la soirée à tinter les cloches en montant à leur risque et péril sur la tour. Nuit très calme contrairement aux pronostics. »

Voici le calendrier de la semaine qui allait suivre, tel qu’annoncé par les prêtres de la paroisse d’Ergué-Gabéric aux messes du dimanche 6 mai 1945 :
  • Demain lundi 7 mai, Rogations : départ de la procession du Bourg pour Saint-Guénolé à 7h1/2.
  • Mardi 8 mai, départ de la procession pour Kerdévot à la même heure.
  • Mercredi 9 mai, procession autour du Bourg à 7h1/2.
  • Jeudi 10 mai, Jeudi de l’Ascension…

Raymond Lozach se souvient.

Il allait avoir 12 ans en Juin. Ses parents habitaient à cette époque, à Ménez-Kerdévot, au bord de la route, une jolie maison basse en pierres. Quelques mètres plus loin, vivait la famille du bedeau de Kerdévot, Yann Le Moigne .

Hervé Lozach et Marianne, sa femme, travaillaient courageusement leurs trois hectares de terre, élevant deux ou trois vaches et quelques cochons, cultivant des petits pois et des haricots verts dont la famille assurait la cueillette. Ils faisaient des « journées » pour les travaux difficiles, dans les fermes alentour.

La ferme de Mézanlès était exploitée par Joseph Le Roux et Marie, sa femme. Il était le frère de Louis Le Roux, de Lézouanac’h (Chroniques de Guerre 1914-1918). Il était lui aussi très bon cavalier. Il lui est arrivé de faire franchir une barrière à son étalon, oubliant la herse à laquelle celui-ci était attelé !!! Joseph était très bricoleur et très astucieux. Il faisait son électricité à partir du ruisseau dans la prairie. En plus d’avoir de la lumière, cela lui permettait d’avoir un poste de radio, la T.S.F. comme on disait, et d’écouter Radio-Londres : « Radio-Paris ment. Radio-Paris est Allemand »…

  • C’est le 7 mai 1945, à 2h.40 du matin, qu’a été signé à Reims, au Q.G. d’Eisenhower, l’acte de la reddition sans conditions de l’Armée Allemande : la fin des hostilités était fixée au 8 mai, à 23h.01.
  • Staline considérant que la signature du 7 mai ne valait que pour la zone occupée par les anglo-allemands, fit signer à Berlin, le 9 mai, à 0h28, une autre capitulation valant pour la zone soviétique.
  • Mais c’est le 8 mai, à 15 heures, que le Général De Gaulle avait fait à la radio l’annonce de la fin des combats.

Raymond raconte :

C’était le soir du 7 mai, après souper. Mon père suivait avec grand intérêt l’avance des Alliés, sur une carte d’Europe, fixée au mur de la cuisine. Jos ar Maner (Joseph Le Roux, du manoir de Mézanlès) venait régulièrement discuter de ce qu’il avait entendu à la radio et ainsi renseigner la carte.
Ce jour-là, tout excité, il nous a appris la nouvelle tant espérée, que l’Armistice était signé. Il n’était pas seul mais j’ai oublié qui l’accompagnait. Quelqu’un a lancé : « Et si on allait à Kerdévot ! » On était habillé « en tous les jours » (c’est-à-dire en tenue de travail). Ma mère a voulu se changer mais nous sommes partis sans l’attendre.

A Kerdévot, on a sonné les cloches. Du coup, les gens des environs sont arrivés. Ils se sont rassemblés pour consommer au bistrot de Mme Nédélec. Celle-ci a débouché le baril de Cap Corse qu’elle réservait pour la fin de la guerre et le retour de son mari, François, prisonnier des Allemands.

Moi, je faisais la navette entre la chapelle et le bistrot ! Je réclamais des sous à mon père pour acheter une bouteille de limonade. Il ne comprenait pas ce que je voulais, et me tendait son verre à chaque fois… plusieurs fois… J’ai fini par avoir ma limonade mais il était bien minuit !

Comme on n’avait pas de drapeau tricolore à brandir, on a pris dans la chapelle trois bannières (pas les grandes !) pour les accrocher au clocher, face à l’Ouest : deux au niveau de la balustrade et, la troisième, Pierrot Bohars (Pierrot Le Roux) l’a fixée sur la flèche, plus haut que les pinacles. Les cierges éclairaient les coins du balcon. On se relayait pour sonner les cloches, jusque tard dans la nuit, tant et si bien que la poutre qui soutenait la grosse cloche s’est déboîtée du mur. Il a donc fallu arrêter de carillonner !

Vers 1 h ou 2 h du matin, Mme Nédélec a commencé à regarder l’heure et à manifester l’intention de fermer. Chacun est reparti vers sa maison. Les bannières de la balustarde, les cierges et les chandeliers avaient été rentrés dans la chapelle mais pas remis à leur place. Je me rappelle avoir laissé ma bouteille de limonade dans un confessionnal !

Le mardi 8 mai, au matin, après l’office, Gustave, contrarié par le désordre mis dans la chapelle, a grondé Mme Nédélec. Elle n’aurait pas dû donner les clefs ! Il a exigé qu’elle décroche la bannière du clocher ! Elle est donc venue me voir, et moi, je suis allé chercher Pierrot. Il ne se sentait plus aussi à l’aise pour grimper si haut. Alors nous avons pris un café pour nous ravigoter !

Puis nous sommes montés jusqu’aux cloches. Pierrot a dû escalader la flèche et nous avons récupéré la dernière bannière.  

Si on reprend le journal du Recteur, il parle de « fausse alerte d’armistice ». Mais la capitulation de l’Armée Allemande avait été signée le 7 mai 1945 à 2 h 40 du matin à Reims. Les journalistes s’en étaient fait l’écho, propageant la nouvelle sur les ondes. C’est ainsi que l’Armistice de 1945 fut fêté bruyamment et joyeusement arrosé à Kerdévot, le lundi 7 mai 1945 ! A 15 h, le 8 mai 1945, le Général de Gaulle annonçait officiellement la fin des combats. Les cloches sonnaient à l’église du Bourg. Celles de Kerdévot avaient déjà fêté l’évènement et … n’en pouvaient plus !

Raymond et Suzanne Lozach

Epilogue

Il peut paraître quelque peu osé de mettre ainsi en parallèle deux évènements qui ont bien eu lieu à Kerdévot, à moins de trois ans près, mais suivant une signification différente.
Et pourtant, c’est ce même retournement de situation qui eut lieu dans toute la France. Le 26 avril 1944, Pétain était encore acclamé à Paris, où les bombardements alliés venaient de faire plus de 3000 victimes en 15 jours, et 4 mois après, le 26 août, c’est le Général De Gaulle qui y recevait le triomphe du libérateur. Pétain déclanchait encore la liesse de la foule à Lyon le 5 juin et à Saint-Etienne le 6 juin 1944. Ces deux villes fêteront sans retenue leur libération le 4 septembre et le 25 août suivants.
Versatilité des Français ? Non assurément. La population s’est trouvée livrée à des attitudes ambivalentes, enfermée dans l’attentisme, coincée entre la peur et l’espoir, d’où des comportements qui peuvent paraître contradictoires, y compris chez les mêmes individus. Il faut admettre la complexité des situations. Mais en même temps il faut reconnaître que certains Français ont été plus lucides, plus courageux que d’autres.

F.A.