Marie-Véronique Blanchard, sage-femme des papeteries d'Odet

Marie-Annick Lemoine a recueilli dans Mémoires de Lestonan les témoignages d’habitants qui ont côtoyé, de près ou de loin, la sage-femme des papeteries. À partir de ces informations, elle a pu recomposer la vie et le parcours de Marie-Véronique Blanchard.

 

« Marie-Véronique Blanchard » : dites ce nom aux Gabéricois de souche, nés dans un créneau allant de 1905 à 1955 environ, et vous entendrez fuser ce genre de phrases spontanées : Elle me rappelle les visites médicales, avec ses « cuti » ; Elle m’a assistée, chez moi, pour la naissance de mes enfants ; Je suis un « bébé Blanchard » ; (et peut-être) Ce n’est pas un très bon souvenir pour moi.

 

Généalogie

Qui était donc Madame Blanchard ? Elle est née Marie-Véronique Berthomé, le 6 février 1896, à Anlier, en Belgique, fille de Jean-Jules Berthomé et de Marie-Célestine Guillaume. Ses parents s’étaient mariés à Anlier également, le 5 juillet 1893. Elle avait un frère, Eugène, né en 1894, et deux sœurs, Marie-Lucie et Jeanne-Hélène, nées respectivement en 1899 et 1901. Son père était originaire de Vers, dans les Deux-Sèvres (79). Yves-Marie Blanchard, son mari, est né à Quimper, rue Saint-Mathieu, le 7 août 1894 ; il était le fils de Jean-Marie Blanchard, né à Quimper, cocher, et de Marie-Louise Péron, née à Langolen, ménagère.

 

Mariage, enfants et installation à Ergué-Gabéric

Famille de Marie-Véronique Blanchard_Fonds MA LemoineYves-Marie Blanchard et Marie-Véronique Berthomé se marient à Namur en Belgique, le 28 août 1920 ; ils se sont connus pendant la guerre 1914-1918 : lui, a été blessé et soigné à Charleroi, où elle était infirmière, semble-t-il. De leur union naîtront à Ergué-Gabéric : Yvette en 1921, Denise en 1924, et Albert en 1929. Yvette est décédée jeune (à 16 ans) à Ergué-Gabéric, en mars 1937. Denise vivait à Saint-Brieuc et est décédée en mars 2006. Albert vit à Quimper et fréquente toujours Ergué-Gabéric, où on peut le voir régulièrement soutenir les « Paotred Dispount ». Personne ne nous a indiqué le moment exact de son installation : sans doute assez vite après son mariage, puisque les trois enfants sont nés à Ergué-gabéric. Monsieur et Madame Blanchard ont habité dans une maison de la cité de Keranna, autour du puits. [Ci contre : Marie-Véronique Blanchard en famille, 1re à gauche, assise]

 

Embauche à la papeterie d’Odet

MV Blanchard cadrage Fonds MA Lemoine2Yves-Marie Blanchard travaillait à l’usine Bolloré à Odet. C’est René Bolloré qui demanda à Madame Blanchard de s’installer à Ergué-Gabéric comme sage-femme et « conseillère » en prévention infantile : René Bolloré avait constaté que des ouvrières ou des femmes d’ouvriers de l’usine mouraient jeunes et en couches. Madame Blanchard était salariée de la papeterie et donc payée par l’usine. Madame Blanchard pratiquait des accouchements pour les femmes travaillant à l’usine et les épouses des ouvriers. Elle assurait aussi le suivi après l’accouchement. [Ci-contre : Marie-Véronique Blanchard]

 

Avant l’accouchement

Les soins avant accouchement ne se pratiquaient pas encore. Les examens prénataux actuels n’existaient pas, et il y avait parfois des surprises, par exemple des jumeaux absolument pas attendus. Ainsi ces jumeaux, garçon et fille, pour lesquels on n’avait pas pensé aux prénoms : ils ont eu les prénoms des deux enfants de la sage-femme.

 

 

Pendant l’accouchement

Pendant quelque temps, Mme Blanchard se rendait chez les patientes à pied ou en char à bancs. Quand la voiture automobile apparaît, elle est la première femme d’Ergué-Gabéric à détenir un permis de conduire, et sa première voiture sera une « Rosengard », bien connue de tout le monde : tous s’empressaient de dégager la route dès qu’elle se pointait à l’horizon. Car c’était toujours urgent quand elle arrivait ! Son secteur était assez étendu : Ergué-Gabéric bien sûr, mais aussi Elliant, Briec, Coray… Outre les femmes de l’usine, Madame Blanchard a en effet accouché et soigné des femmes de la campagne, sur Ergué-Gabéric et Briec, et dans les communes avoisinantes. Elle était souvent payée dans ce cas en nature : en pommes de terre ou autres produits agricoles. Nous n’avons pas eu beaucoup de renseignements à ce sujet.
L’accouchement ne se passait pas toujours bien ; il pouvait y avoir du retard pour venir sur les lieux, ou pour prendre les bonnes décisions, ou encore des gestes malencontreux ; la responsabilité de la sage-femme était grande, et quand ça se présentait mal, on demandait au médecin de venir à la rescousse. Ainsi les docteurs Cottin, Maloisel (célèbre pour sa pipe et son abaisse-langue), Bourlès, Cornic, Renaut, Guivarch, et Piriou de Quimper, les docteurs Favennec et Kergoat de Briec…
Les bébés qui ont été mis au monde par Madame Blanchard sont, paraît-t-il, facilement reconnaissables, car elle leur faisait un joli « skloum », et ils ont de jolis nombrils !!!

 

Après l’accouchement

Nous avons interrogé des femmes qu’elle a accouchées et avons ainsi appris que : d’une part il n’y avait pas beaucoup de soins avant l’accouchement, et d’autre part, quand l’enfant était né, les mères devaient rester couchées pendant huit jours : elles étaient « coucounées » pendant ce temps-là. Madame Blanchard prenait soin du bébé, tandis que d’autres femmes venaient aider les mamans qui venaient d’accoucher. Les femmes qui travaillaient à l’usine récupéraient un grand morceau de tissu de feutre, très doux et résistant, dans lequel elles découpaient des langes pour les bébés.
Quand les mamans reprenaient le travail après l’arrêt nécessaire, les bébés étaient envoyés à l’usine, à heures régulières. De ce point de vue, « Briec était arriéré par rapport à Ergué-Gabéric », nous dit une de ces mamans.

 

Candidature aux élections de 1945

Madame Blanchard assurait un important rôle social, par les soins qu’elle donnait. Elle s’est aussi présentée aux suffrages des électeurs le 13 mai 1945. C’était l’élection du premier conseil municipal au suffrage universel, puisque c’était la première fois que les femmes votaient. La liste sur laquelle elle était inscrite n’a pas eu grand succès, et elle n’a pas été élue. Elle habitait Tréodet à ce moment-là.

 

Retraite

Elle a exercé son métier de sage-femme pendant près de 50 ans. Son dernier accouchement aurait eu lieu vers 1956. Elle s’est retirée à Saint-Brieuc, près de sa fille, et c’est là qu’elle est décédée, vers l’âge de 80 ans.

 

Marie-Annick Lemoine