Historique de la papeterie d'Odet, par Caroline Leroy-Déniel

En 2015, dans le cadre d'un inventaire du patrimoine papetier en Bretagne, Caroline Leroy-Déniel, alors directrice de l'association Au fil du Quéffleuth et de la Penzé, a établi un descriptif du patrimoine de la papeterie d'Odet, ainsi qu'un historique, que nous reproduisons ici. Ce rapport est disponible sur le site de Bretania.

 

Le site actuel

Le site historique de la papeterie d'Odet est composé de bâtiments dont certains avaient une fonction industrielle et d'autres une fonction d'habitation : un manoir construit en 1912, ses jardins et dépendances, un calvaire reconstitué au milieu des années 1920 à partir d'une ruine de Scrignac, une chapelle réédifiée par René Ménard en 1921-1922. Une grande partie des bâtiments de l'usine ont été détruits en 1987, suite à la fermeture de l'usine. Certains bâtiments sont datés (1936). L'ancien canal qui desservait la papeterie est toujours visible, mais il est asséché. Le moulin à papier d'Odet est bâti en 1822, sur l'Odet, à la sortie de Lestonan, en amont de la ville d'Ergué-Gabéric.

 

Papeterie dOdet usine actuelle

L'usine d'Odet vers 2015. Photo : Caroline Leroy-Déniel.

 

L'histoire de la papeterie

Nicolas Le Marié, fils d’un manufacturier des tabacs à La Ferté-Macé puis à Morlaix, décide de miser sur la « houille blanche » comme énergie industrielle pour fabriquer du papier. Il choisit un vallon isolé au bord de l’Odet, site sauvage, sans végétation ni habitation, à environ 9 km de Quimper. A l’inauguration de cette « manufacture de papier-cylindre », le 18 février 1822, son beau-frère, Jean Guillaume Bolloré, l’accompagne. Celui-ci est directeur d’une fabrique de chapeaux, à Locmaria. C’est son petit-fils, René Guillaume, qui sera, quelques décennies plus tard, le développeur de l’entreprise entre 1881 et 1904.

C’est la troisième usine de ce type établie en Bretagne. Un bief de 1600 mètres détourne l’Odet permettant de créer une chute d’eau suffisante pour produire la force motrice nécessaire pour actionner les machines. A cette époque, 7 200 rames y sont fabriquées par 31 ouvriers. En 1828, l'usine est équipée de deux cuves à papier blanc et d’une cuve à papier gris. En 1834, Nicolas Le Marié remplace le travail aux cuves et le séchage aux perches par les premières machines. Celui-ci devient également maire d'Ergué-Gabéric de février à octobre 1832. Armand du Châtellier dit, dans ses Recherches statistiques sur le Finistère, qu’en 1837, "toutes les papeteries végétent, sauf Odet, Quimperlé et Glaslan". En 1838, ce sont 25 tonnes de papier de bureau et d’impression, 50 tonnes de papier à la jacquard et 55 tonnes de papier de tenture qui y sont fabriquées. Cette production est expédiée dans les différentes villes de Bretagne, à Paris et aux États-Unis. Puis viennent les difficultés pour se procurer le chiffon à bon marché, le papier subit des hausses de prix. Malgré tout, la demande reste importante, et l'activité prospère. En 1849, 35 hommes et 37 femmes y travaillent.

En 1850, avec 21 hommes et 35 femmes, le préfet écrit au ministre de l'Agriculture et du Commerce (lettres n°11.226 et 12.283) que "cette papeterie ne s'est jamais trouvée dans une situation aussi florissante". En 1856, Justin Laboureau est le contremaître, 85 à 95 ouvriers y sont employés, en 1857, ils sont 105. Nicolas Le Marié, après 40 ans de labeur, est victime d'une chute, sa santé décline, et il décède en 1870.

Son neveu, Jean-René Bolloré, né en 1818, à Douarnenez, ancien médecin et chirurgien-major dela Marine nationale, prend en 1861 la direction de l’usine. Le nom de Bolloré est ainsi lié à l'entreprise. Celle-ci emploie en 1873 50 hommes, 54 femmes et 3 enfants ; en 1884, 37 hommes, 48 femmes et 10 enfants ; en 1885, 35 hommes, 33 femmes et 29 enfants qui produisent 480 tonnes de papier par an. Jean-René Bolloré est considéré comme le second fondateur d’Odet. C’est lui qui débute la fabrication du papier fin. Dès 1861, il est secondé par Jean-Marie Le Lous, natif de Garlan, qui débute en qualité de commis, puis devient teneur de livres, puis comptable. Jean-Pierre Rolland et Jean-Marie Le Bras, anciens cultivateurs, entrent comme journaliers papetiers à Odet. Jean-Pierre Rolland et Marie-Anne Peton, leurs enfants, auront ensuite une place importante dans la vie de la société. Jean-René Bolloré devient également conseiller général du Finistère de 1871 à 1877.

Dès 1872, il associe à la direction de son usine son fils aîné, René-Guillaume. De 1879 à 1886, Charles Pierre Bolloré, second fils de Jean-René, participe également à la direction. En 1881, Jean-René Bolloré disparaît après une longue maladie. Odet ne produit plus, à cette époque, que 336 tonnes de papier par an. René-Guillaume prend alors la direction de l’usine. Proche de ses collaborateurs, René-Guillaume remarque un ouvrier compétent et entreprenant, Jean-Pierre Rolland, entré jeune, à 17 ans, dans l’usine. Il en fait en 1890 son contremaître, surveillant de fabrication à Odet, puis lui confie la direction technique de Cascadec, à Scaër. Lorsqu'il loue cette ancienne papeterie en 1893, pour y fabriquer du papier à lettre, puis du papier à cigarettes, René-Guillaume confie à Yves Charuel du Guérand, ingénieur de Centrale, chimiste, la mise en route de la nouvelle usine. Celui-ci deviendra son gendre en 1896, épousant sa fille aînée issue de son second mariage, Magdeleine Léonie. La famille Rolland, le couple et ses huit filles, s’installe à Scaër dans une maison construite par les Bolloré. Jean-Pierre Rolland fait un incessant va-et-vient entre les deux usines dont il contrôle le fonctionnement. Il décède en 1914, victime de l’emballement du cheval qui conduit son char à bancs. A partir de 1881, René-Guillaume innove avec de nouvelles méthodes de collaboration. Il ajoute aussi la vapeur comme nouvelle énergie. René-Guillaume met au point un système de comptabilité performant et des comptables sont embauchés.

Au décès de René Guillaume en 1904, c’est son fils, René Joseph, qui n’a pas encore 19 ans, qui lui succède. Il se forme à tous les postes de travail et suscite l’admiration de tous ses ouvriers. Léopold Desmarest, ingénieur, intègre l'équipe de direction. René Joseph épouse, en 1911, Marie Amélie Thubé, fille d’un armateur nantais. Celui-ci a d’importantes relations qu’il met au service de l’entreprise, lui offrant des débouchés en Angleterre et en Amérique. Avant la Première Guerre mondiale, une nouvelle machine à papier est mise en activité. Le personnel passe de 200 ouvriers avant la guerre à 1 200 dans les années 1920, en comptant les papeteries de Troyes, dans lesquelles des parts ont peut-être été prises à cette époque. En 1917, le moulin à papier de Cascadec, à Scaër, qui est loué depuis 1893, est également acheté et une usine hydroélectrique y est construite. Le papier à cigarettes, qui y est alors fabriqué, est expédié aux États-Unis. La marque de papier à cigarettes OCB (Odet-Cascadec-Bolloré) est fondée en 1918. En 1917, René Joseph Bolloré décide de construire, à 800 mètres de la papeterie d'Odet, la cité ouvrière de Ker-Anna avec 19 logements. Il institue des caisses de retraite, des allocations pour les malades et met en place un club sportif avec terrain et vestiaires. De 1926 à 1930, il crée un patronage et ouvre une garderie et deux écoles libres, gratuites pour les enfants des ouvriers. Pendant la guerre, les femmes y travaillent douze heures par jour, l’horaire est revenu à huit heures en 1922. Vers 1920, 54 femmes travaillent à la chiffonnerie. Les chiffons viennent de l’étranger, de Russie par exemple, et sont encore découpés sur le banc traditionnel, à savoir une table munie d’une faux. Les filets de pêche, les ficelles et les cordes sont mises en pièces à la hache sur un billot de bois. René Joseph décède en 1935, à l'âge de 49 ans.

C’est Gaston Thubé, son beau-frère, qui assure la direction avec René Guillaume, fils aîné de René Joseph. Gaston garde la coresponsabilité de l'entreprise jusqu'en 1946. C’est en 1936 qu’est installée une machine à couper les chiffons. Ceux-ci sont nettoyés dans des lessiveuses à l’aide d’acide et de chaux. L'énergie nécessaire à l'usine est produite à partir du charbon gallois qu’un bateau, Le Domino, va chercher à Cardiff. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’usine s’arrête par manque de matières premières. René (1911-1999), fils de René Joseph et Marie Amélie Thubé, est le président directeur général de la papeterie de 1946 à 1974. La production reprend, en 1947, avec des chaudières à charbon, puis à fuel, produisant 1 800 tonnes de papier dès 1948. En 1950, Bolloré achète les Papeteries de Champagne à Troyes. Le chiffon est alors remplacé, à Odet, par de l’étoupe de lin et de chanvre, des linters de coton (duvet de fibres très courtes) et de la pâte de bois. En 1954, les papeteries Bolloré prennent des parts dans la papeterie Mauduit. En 1960-1962, il est produit du papier condensateur, qui sera vite remplacé par la technique nouvelle du film polypropylène : un nouveau bâtiment est construit pour accueillir la machine adéquate. En 1972, une nouvelle usine tournée vers la fabrication de film en polypropylène pour condensateurs est construite à 200 mètres de la papeterie. Trois machines continuent à produire du papier (papier carbone, sachets à thé, papier bible pour la collection de livres « La Pléiade »).

Michel, fils de René Joseph, devient président des papeteries en 1975. Il fait appel au groupe Edmond de Rothschild. Les maisons de Ker-Anna sont vendues, le patronage, le terrain de sport et les écoles sont cédées. Le groupe Kimberly Clark qui est entré dans le capital de l'entreprise, se retire. Michel et ses deux frères décident de quitter l'affaire en 1981. La papeterie d'Odet s'arrête définitivement, en juillet 1983, et est partiellement détruite, en 1987.