Les femmes en politique à Ergué-Gabéric
Bernez Rouz
Femmes en politique, une affaire bien bretonne
Il est bon de rappeler que le Duché de Bretagne a été gouverné plusieurs fois par des femmes qui, contrairement à ce qui avait lieu dans le Royaume de France, pouvaient accéder au trône. Parmi elles, on peut citer Berthe de Cornouaille (1148-1156), Alix (1203-1221), Anne de Bretagne (1488-1514) et Claude de France (1514-1524). L’histoire de Bretagne a connu également trois duchesses qui ont secondé ou remplacé leurs maris avec brio : Ermengarde d’Anjou, Jeanne de Flandres et Jeanne de Penthièvre. L’exemple venait du haut et il n’est pas étonnant que dans la gestion des paroisses on trouve aussi des femmes. Ainsi à Erquy, en 1516 — on est au temps de la Bretagne indépendante — l’administration est tenue par un "général des parouessiens et des parouessiennes, tant nobles que non nobles…" Pour Ergué, les seuls compte-rendus du "corps politique" que nous possédons datent de la fin du XVIIIe siècle. Aucun nom de femme n'y apparaît. En revanche, les femmes étaient présentes dans les affaires paroissiales, puisqu’elles ont fermement manifesté en 1741-42 contre l’application d’un arrêt du parlement de Bretagne interdisant l’inhumation dans les églises.
La Révolution, une occasion manquée
La France se targue souvent d’être la patrie des droits de l’homme et du citoyen. Mais en ce qui concerne les droits de la femme, le compte n’y est pas. La Révolution a exclu que les femmes puissent avoir le droit de vote le 22 décembre 1789. Pourtant, une fervente révolutionnaire, Olympe de Gouges, publia en 1791 une "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne". Cet appel fut ignoré et son auteure guillotinée sous la Terreur !
Sous la Troisième République, les mouvements féministes réclamèrent en vain le suffrage pour tous. Plusieurs projets de loi furent votés par l’Assemblée et rejetés par le Sénat qui, majoritairement radical-socialiste, craignait que les femmes soient sous l’inflence de l’Eglise. Le Front populaire nomma trois femmes secrétaires d’Etat, mais les parlementaires refusèrent le droit de vote aux femmes. On le sait peu, mais c’est le gouvernement de Vichy qui nomma les premières femmes conseillères municipales. Les conseillers et le maire étaient nommés par le préfet, dans toutes les villes de plus de 2 000 habitants. La loi prévoyait que siège obligatoirement "une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres privées d’assistance et de bienfaisance". Le maire Pierre Tanguy, renouvelé dans ses fonctions, proposa le nom d’Anne Ferronière, femme du directeur de l’usine d’Odet, qui s’occupait alors des œuvres sociales de la papeterie. Elle siégea quatre ans, du 9 avril 1941 au 13 mai 1945. La loi prévoyait aussi que des femmes âgées d’au moins 25 ans puissent être nommées conseillères municipales. Ce ne fut pas le cas à Ergué. Il fallut attendre la Libération pour voir le droit de vote accordé aux Françaises par le Comité français de libération nationale. La décision fut confirmée le 5 octobre 1944 et la mise en pratique commença le 29 avril 1945, pour les premières élections municipales après la guerre.
1945-1971 : aucune femme n’est élue
En 1945, une seule femme se présente au suffrage des électeurs. Il s’agit de Mme Blanchard, sage-femme à Odet, sur la liste de Pierre Tanguy, le maire sortant de droite. Il affrontait une liste radicale, menée par Jean Le Menn, et une liste communiste (républicaine antifasciste). Au deuxième tour, les deux listes de gauche fusionnèrent et remportèrent les élections. Mme Blanchard, avec 523 voix, faisait le dixième score sur sa liste. Il n’y a donc eu ni ostracisme ni empathie particulière pour une femme qui, par sa profession, agissait dans le domaine social.
En 1947, trois listes étaient encore en présence. Deux femmes figuraient sur la liste communiste : Corentine Espern, papetière de Stang Venn, et Jeanne Lazou, institutrice à Lestonan. Elles ne furent pas élues.
En 1953, trois listes étaient en présence. Le parti communiste présentait deux femmes : Marie-Jeanne Poupon, ménagère au bourg, et Henriette Herry, ménagère à Stang-Venn. Elles ne furent pas élues.
En 1959 et en 1965, aucune femme ne se présenta aux suffrages des électeurs gabéricois.
En 1971, deux candidates se présentent sur la liste de gauche : Paule Le Poupon, mère de famille au Rouillen, et Maryse Le Berre, institutrice à Lestonan. Aucune ne fut élue.
Le tournant de 1977
Le maire sortant, Jean-Marie Puech (centre-droit), ne présente aucune femme sur sa liste. En revanche, une liste dissidente, menée par deux adjoints, présente quatre candidates : Maryvonne Le Corre, cuisinière au bourg, Annie Flécher, employée de bureau vivant à la Croix-Rouge, Madeleine Lasseau, agricultrice à la Salleverte, Monique Pavec, mère de famille à Lezebel.
Sur la liste d’Union de la gauche, quatre femmes également sont présentes : Marie-Françoise Hémery, assistante sociale à Croas-ar-Gac, Annie Madec, mère de famille à la Croix-Rouge, Jacqueline Le Fur, mère de famille au Rouillen, Betty Rannou, mère de famille à Penn-ar-Garn. Au premier tour au scrutin nominal, seul Pierre Faucher, tête de liste de gauche, est élu. Au second tour, la liste de gauche est entièrement élue. Quatre femmes rentrent au Conseil municipal, et pour la première fois, l’une d’entre elles devient deuxième adjointe au maire. Il s'agit de Marie-Françoise Hémery. Il est intéressant de noter que les femmes présentes sur la liste font de beaux scores : deux d’entre elles se situent à la 4e et 5e place du scrutin.
1983 : les femmes entrent en force
En 1983, c’est une petite révolution lorsque Ergué-Gabéric, commune de plus de 3 500 habitants, inaugure le scrutin de liste qui remplace le scrutin nominal précédent. Les candidates sont nombreuses : la liste de gauche menée par le PS présente sept candidates, dont trois sortantes. L’autre liste de gauche, menée par le PCF, présente huit candidates. La liste de droite, sept candidates. Au second tour, les deux listes de gauche fusionnent, mais cette liste menée par Marcel Huitric est battue par la liste de Jean Le Reste. Sept femmes sont élues, cinq sur la liste de droite et deux sur la liste de gauche. Il s’agit de Christiane Le Guellec, Suzanne Lozac’h, Maryvonne Le Corre, Renée Ernoul, Yvette Gogail (photo ci-contre avec Jean-Hascoët), Jacqueline Le Fur et Marie-Françoise Hémery. En 1989, 17 candidates se présentent sur trois listes différentes. Six d’entre elles sont élues : Jacqueline Le Fur, Marie-Françoise Hémery, Antoinette Le Bihan, Annick Kervran, Maryvonne Blondin et Suzanne Lozac’h. En 1995, 18 candidates sont sur les rangs de deux listes concurrentes. Sept sont élues : Jacqueline Le Fur, Maryvonne Blondin, Annick Tamic, Christiane Jézéquel, Alice Le Bihan, Yvette Gogail et Bernadette Jehan.
2001 : la parité s’installe
Par une loi promulguée le 6 juin 2000, toutes les communes de plus de 3 500 habitants sont soumises au scrutin de liste paritaire. On trouve donc 14 candidates sur la liste de gauche menée par Jean-Pierre Huitric et 14 candidates sur la liste de droite menée par Jean René Le Nir. Quatorze femmes sont élues. En 2001, Maryvonne Blondin succède à Pierre Faucher au siège de Conseiller général du canton. Elle devient ainsi la première Gabéricoise conseillère générale du Finistère. Elle est réélue en 2007. En 2007, la parité s’affirme encore plus, puisque la loi du 31 janvier impose non seulement la parité au conseil municipal, mais aussi dans l’éxécutif, c’est-à-dire pour les adjoints au maire. De plus l’alternance homme-femme est de mise dans les listes. Trois listes se présentent, portant à 42 le nombre de femmes qui briguent un mandat de conseillère municipale.En 2008, Maryvonne Blondin est élue sénatrice. Elle devient ainsi la première parlementaire gabéricoise. En 2014, deux listes se présentent aux élections municipales, et pour la première fois, l’une d’entre elles, la liste de la gauche gabéricoise, est menée par une femme, Sylvaine Frenay. Le conseil municipal actuel comprend 14 femmes, dont quatre adjointes au maire. La parité est entrée dans les mœurs, mais il aura fallu du temps.
Jacqueline Le Fur et Maryvonne Blondin entourant Fañch Mao, doyen de la commune (1995).
Dossier réalisé par Bernez Rouz, Keleier 84, octobre 2014.
Pour aller plus loin : voir Anne Ferronière et Maryvonne Blondin.