Marianne Saliou parle des papeteries d'Odet

Au début de l'année 1979, la Commission extra-municipale de recherches historiques d'Ergué-Gabéric a aussi recueilli le témoignage de Marianne Saliou sur magnétophone et retranscrit ce récit dans le bulletin municipal de janvier 1981. Née à Stang Venn en 1899, Marianne Niger est entrée adolescente à l'usine Bolloré, en 1915. Ses grands-parents eux-mêmes avaient travaillé à la papeterie du temps de Nicolas Le Marié, c'est-à-dire avant 1860. Ce témoignage, très complet, est donc particulièrement précieux. C'est pourquoi nous le reproduisons en intégralité.

 

Marianne Niger-Saliou, ouvrière de la papeterie d'OdetJe suis née à Ti Ru en 1899. J'avais 5 frères et sœur. Ma sœur Josèphe est née dans la petite maison du bois, là où habitait Lann Niger. La maison était occupée par les familles Rannou, c'est-à-dire ma mère et sa mère qui était veuve.
Mes grands-parents ont travaillé à l'usine Bolloré. Ils n'ont pas fait la fondation, mais presque. C'était du temps de Le Marié. J'ai toujours leurs médaillons de travail et ceux de mes parents.
Mon grand-père est mort à son travail. Il était charretier et envoyait le papier de l'usine à Quimper jusqu'au train. Le charbon et les chiffons venaient de la même façon, dans des petites charrettes. Un jour, sur le chemin du retour, il était fatigué et monta sur la charrette, au lieu de marcher. Il s'est sans doute endormi. Toujours est-il qu'il est passé sous les roues de la charrette et qu'il a été tué. Plus tard, c'est Tanguy qui est venu faire le charroi avec une plus grande charrette.
Du temps de ma mère, les femmes amenaient leurs enfants travailler à l'usine. À la chiffonnerie, ils pouvaient ramasser les chiffons. On gagnait plus ainsi, parce qu'on était payé à la tâche. C'était dur de ce temps-là. À la chiffonnerie, les femmes coupaient la corde avec des hachettes.
À la machine à papier, il n'y avait pas de rouleau sécheur de ce temps-là. Les femmes faisaient sécher le papier qui était épais sur la lande et les branches des arbres. Il fallait le surveiller. Quand il pleuvait, on le ramassait.
Grègor, mon père, était coiffeur-barbier à Ti Ru. Une des filles de M. Bolloré, Mme Belbeoc'h, l'a soigné lorsqu'il a cassé son bras. Cette femme avait un fils qui a été recteur de Sainte-Thérèse. Quand leur père, René Bolloré [René Bolloré I], est mort, elle et sa sœur se sont retirées de la succession de l'usine pour laisser leur demi-frère, René Bolloré [René Bolloré II] aussi, prendre en main l'usine. Elles ne sont jamais revenues à Odet. Seule, une fille de Mme Belbeoc'h est venue me voir un jour pour me parler de mon père.
Quand on était gosses, on allait jouer à la grotte des nains (Loc'h ar c'horiked). Il paraît qu'il y avait des nains et qu'il fallait leur faire à manger au moulin du Moguéric. Tous les jours, on leur faisait une soupe. Mais un jour, on a oublié et les nains sont partis.
Chez nous, on tuait un cochon tous les ans. Le dimanche, on cuisait la soupe, un morceau de lard et un morceau de bœuf qui venait de chez Bernard, avenue de la gare à Quimper. On allait chercher la viande à Ti Ru, où quelqu'un nous l'envoyait. Les autres jours, c'était la bouillie d'avoine et des galettes le vendredi. De temps en temps, Josèphe venait à pied de Tréboul et amenait du poisson dans une petite charrette à bras. Un merluchon assez grand coûtait 22 sous. On en achetait un entre deux familles. Le ragoût, des fois, était bijorig. Il n'y avait pas de viande du tout avec, seulement des patates trempées dans la sauce. Le pain, c'était du pain noir qu'on laissait sur la table, enveloppé dans une nappe. On ne buvait pas de cidre, ou rarement, mais on faisait de la piquette.
À Lestonan, il y avait une boulangerie qui appartenait à un Le Naour du bourg. Celui qui s'occupait du dépôt de Lestonan s'est marié à une fille de Laz. La maison a brûlé. Ensuite, en 1912, est venu Germain Guéguen qui apportait du pain à Ti Ru avec une charrette à bras. Avant, c'était Le Naour qui venait du bourg avec une charrette vers la fin de la semaine.
Chez Marguerite, il y avait un four où on faisait cuire le pain noir. C'est un Hémon de Langolen qui s'occupait du four. Il a été tué à la guerre. Après, ce sont des Rannou qui sont venus. Et ensuite, Per Rospape.
À Ti Ru, il y a eu trois commerçants qui se sont succédés. Au début, une famille avait acheté la boutique qu'ils avaient transformée en mercerie-épicerie. Ils n'ont pas pu tenir. Après, le père d'Armand Gourmelen, Youenn, est venu. La femme de Youenn était très commerçante. Mais ils ont dû partir à cause d'une histoire à l'usine. Les ouvriers avaient demandé de l'augmentation et fait une pétition. Comme peu savaient écrire, ça n'avait pas été difficile de découvrir les noms de ceux qui avaient fait la liste. Et ceux-là ont été punis. Les Gourmelen ont été renvoyés de Ti Ru. Après eux, ce sont des Rannou qui sont venus.
La première maison à être construite à Lestonan, c'est celle de Marianne Huitric, où habitaient des Bertholom ; dans cette maison, il y avait un petit commerce. Chez Joncour, j'ai vu faire la maison ; elle a été construite par un Guéguen. À Kerhuel Vian, où habitaient les Douguet, c'était une petite ferme. À Ti Koat, il y avait aussi un petit commerce où on envoyait à cuire son pain noir toutes les semaines. À l'usine, il y avait la maison de Lann Niger et les vieilles maisons à l'emplacement des garages actuels ; huit ménages habitaient dans deux maisons, chaque famille ayant une seule pièce.
De ce temps-là, c'était la misère. On ne touchait rien de nulle part. Grand-père disait d'envoyer les enfants à l'école, surtout les garçons. Mon frère Pierre, l’aîné, apprenait bien. Il a eu son certificat à Ergué ; après, il a été au Likès, à Quimper. Moi, j'ai été quelque temps à l'école à Lestonan. Ensuite, j'ai été en pension chez les sœurs au bourg.
Avant la guerre, on avait des amusements sains. Nous autres, on était une grande bande. Souvent, on allait faire un tour jusqu'à la route de Coray et quelquefois, en revenant, on s'arrêtait chez Chann Deo, où il y avait un piano mécanique. On dansait. À la fin du compte, on partait souvent pour Briec chez la tante Malouche, où il y avait un autre piano. On faisait la route à pied, bras dessus bras dessous, en chantant.
Le dimanche matin, on allait à la messe à l'usine. La chapelle était plus petite que maintenant. Il fallait être de l'usine pour y aller. Seuls les fermiers qui donnaient leurs terres pour chasser avaient aussi le droit d'y entrer.
J'avais 15 ans, en juin 1915, quand je suis rentrée à l'usine. Lorans (Laurent) Ar Gall m'avait demandé d'aller travailler. Mon père ou ma mère avait dû lui dire que j'aurais été contente d'aller à l'usine. De ce temps-là, c'était facile de rentrer. On avait toujours besoin du monde. Le premier jour, je devais commencer mon travail à minuit et finir à midi. On travaillait 12 heures par jour pendant la guerre. À l'usine, il n'y avait que des femmes, des vieux et des jeunes.
Le premier mois que j'ai touché, ça faisait 75 francs. Ma mère m'avait dit que, pour la première fois, je pouvais garder mes sous. J'ai donc été à Quimper, où j'ai acheté une montre et une chaîne en argent chez Seznec, une paire de souliers, une blouse. J'avais mis presque tous mes 75 francs dans ces achats. J'ai toujours la chaîne et la montre. Douze heures à travailler, c'était long. À la fin, on ne pouvait plus manger. Le sommeil nous prenait. On avait le droit au café. On le buvait dans le pot à café, qu'on chauffait en bain-marie dans un seau d'eau chaude.
Quand je suis entrée à l'usine, on faisait la petite bobine de 1200 mètres. Il fallait transporter les rouleaux pour traverser la cour et monter un escalier en pierre. Les hommes qui travaillaient avec nous essayaient de nous faire travailler plus. Ils avaient deux sous en supplément pour chaque rouleau. Lorans ar Gall, qui n'était pas parti à la guerre, passait chaque matin pour voir si ça allait.
Il n'y avait qu'une seule machine au début, mais la deuxième est venue avant la guerre. Elle a dû tourner en 1912. M. Rolland avait été voir cette machine en Allemagne. Elle a été mise devant le château. La première était plus petite, elle était où est la huit maintenant.
On déposait avec des charrettes les chiffons là où est l'église maintenant. Les bonnes femmes de la chiffonnerie venaient les chercher. Elles les mettaient sur leur dos dans de grandes serpillères. On ne voyait que leurs jambes qui marchaient, tout le reste était caché par les serpillères.
Après la guerre, les hommes sont revenus petit à petit. On ne savait plus où mettre à travailler les bonnes femmes. On nous a envoyées à décharger les chiffons et à faire toutes les corvées, les nettoyages dans l'usine, les carreaux, le ramassage des feuilles mortes, les jardins de Mme Bolloré.
En 1922, on a retravaillé aux bobines parce que le travail des hommes n'était pas aussi soigné. Tin ar Pap était chef chez nous. Pour alors, on ne faisait plus que 8 heures dans la journée. On travaillait de 5 à 15 heures ou de 1 à 9 heures.
J'ai été aussi marquée les caisses de Cascadec qui venaient à la gare de Quimper. On allait là-bas à pied. On mettait les caisses de Cascadec avec celles d'ici pour faire une expédition. C'était du temps où le papier à cigarettes allait en Amérique. Les deux usines travaillaient ensemble pour aller plus vite. Quelquefois, on mettait 40 caisses de Cascadec avec 60 d'Odet pour faire 100.
En 1922, c'était aussi le centenaire. Il y a eu des choses. Ça marchait bien à l'usine. Pendant la guerre, ils avaient trouvé les Américains et ça avait démarré. Ce n'était plus l'usine de l'ancien temps.
Moi, j'étais de noce. On avait envoyé Le Botrel qui avait composé une chanson sur le centenaire. Tout le monde avait mis son plus beau habit. Mail (Marie) Kergoat et Catherine Saliou avaient mis des habits très vieux. Mail Kergoat avait été chercher le sien à Briec. Elle était bien.
C'était quelqu'un de Nantes qui organisait la fête. Il y eu beaucoup de bonshommes saouls. Pendant longtemps après, on a trouvé dans le bois de l'usine des bouteilles vides.
M. Bolloré était assez donnant. Il avait tellement de choses. Après le centenaire, on a fait, tous les ouvriers de l'usine, la descente de l'Odet. On a mangé à Bénodet dans un hôtel. Chaque année, le premier de l'an, on allait souhaiter la bonne année aux Bolloré. On avait droit à une piécette ou le coup de rhum pour les hommes. Une fois, on nous fait voir le petit René-Guillaume Bolloré [René III]. On lui disait "pouffig" parce qu'il était gros comme tout.
Au début de son mariage, René Bolloré est allé habiter où était le concierge et Pierre Eouzan. Le premier fils, René-Guillaume, est né dans cette maison.
M. Bolloré s'est marié en 1911. Il y avait de la neige pour la fête, qui était organisée par les Quelven. Il s'était marié deux ou trois mois avant avec une demoiselle Thubé, de Nantes.
Tout le monde, même ceux de Cascadec, avait pris son char-à-bancs jusqu'à la Croix-Rouge. Ils [les mariés] sont arrivés en voiture découverte. Elle avait un grand chapeau, Mme Bolloré. On les a suivis jusqu'à l'usine. Avant qu'on ait fini le repas, M. Bolloré était porté en triomphe sur les épaules de Lorans ar Gall et de Ren Rannou.
Mr. Bolloré avait dit que ceux qui avaient travaillé cinq ans à l'usine avaient droit au mois double. Certains, les plus anciens, ont eu même trois mois.
Pour le travail, M. Bolloré était dur. Il dormait mal et je me rappelle l'avoir vu à l'usine pendant la nuit secouer les gens et leur dire "toi, tu dormais". Il ne fallait pas répondre. Il aurait dit des sottises, mais il ne restait pas fâché.
M. Bolloré aimait aussi faire des tours. Il allait pêcher Ia nuit avec des lampes et des filets en compagnie du garde, qui faisait tout ce qu'on lui disait de faire. M. Bolloré l'appelait « Kergoat ». Il lui disait des fois de traverser la rivière tout habillé et lui donnait une récompense après.
Quand M. Bolloré était petit, il jouait toujours avec les enfants des ouvriers et des paysans du coin. Un jour, il est venu chez nous, alors qu'on faisait la bouillie d'avoine. Il avait demandé à manger avec les autres ; on ne savait pas quoi lui dire, mais il s'est quand même installé à table.


Marie-Véronique Blanchard, sage-femme des papeteries d'Odet

Marie-Annick Lemoine a recueilli dans Mémoires de Lestonan les témoignages d’habitants qui ont côtoyé, de près ou de loin, la sage-femme des papeteries. À partir de ces informations, elle a pu recomposer la vie et le parcours de Marie-Véronique Blanchard.

 

« Marie-Véronique Blanchard » : dites ce nom aux Gabéricois de souche, nés dans un créneau allant de 1905 à 1955 environ, et vous entendrez fuser ce genre de phrases spontanées : Elle me rappelle les visites médicales, avec ses « cuti » ; Elle m’a assistée, chez moi, pour la naissance de mes enfants ; Je suis un « bébé Blanchard » ; (et peut-être) Ce n’est pas un très bon souvenir pour moi.

 

Généalogie

Qui était donc Madame Blanchard ? Elle est née Marie-Véronique Berthomé, le 6 février 1896, à Anlier, en Belgique, fille de Jean-Jules Berthomé et de Marie-Célestine Guillaume. Ses parents s’étaient mariés à Anlier également, le 5 juillet 1893. Elle avait un frère, Eugène, né en 1894, et deux sœurs, Marie-Lucie et Jeanne-Hélène, nées respectivement en 1899 et 1901. Son père était originaire de Vers, dans les Deux-Sèvres (79). Yves-Marie Blanchard, son mari, est né à Quimper, rue Saint-Mathieu, le 7 août 1894 ; il était le fils de Jean-Marie Blanchard, né à Quimper, cocher, et de Marie-Louise Péron, née à Langolen, ménagère.

 

Mariage, enfants et installation à Ergué-Gabéric

Famille de Marie-Véronique Blanchard_Fonds MA LemoineYves-Marie Blanchard et Marie-Véronique Berthomé se marient à Namur en Belgique, le 28 août 1920 ; ils se sont connus pendant la guerre 1914-1918 : lui, a été blessé et soigné à Charleroi, où elle était infirmière, semble-t-il. De leur union naîtront à Ergué-Gabéric : Yvette en 1921, Denise en 1924, et Albert en 1929. Yvette est décédée jeune (à 16 ans) à Ergué-Gabéric, en mars 1937. Denise vivait à Saint-Brieuc et est décédée en mars 2006. Albert vit à Quimper et fréquente toujours Ergué-Gabéric, où on peut le voir régulièrement soutenir les « Paotred Dispount ». Personne ne nous a indiqué le moment exact de son installation : sans doute assez vite après son mariage, puisque les trois enfants sont nés à Ergué-gabéric. Monsieur et Madame Blanchard ont habité dans une maison de la cité de Keranna, autour du puits. [Ci contre : Marie-Véronique Blanchard en famille, 1re à gauche, assise]

 

Embauche à la papeterie d’Odet

MV Blanchard cadrage Fonds MA Lemoine2Yves-Marie Blanchard travaillait à l’usine Bolloré à Odet. C’est René Bolloré qui demanda à Madame Blanchard de s’installer à Ergué-Gabéric comme sage-femme et « conseillère » en prévention infantile : René Bolloré avait constaté que des ouvrières ou des femmes d’ouvriers de l’usine mouraient jeunes et en couches. Madame Blanchard était salariée de la papeterie et donc payée par l’usine. Madame Blanchard pratiquait des accouchements pour les femmes travaillant à l’usine et les épouses des ouvriers. Elle assurait aussi le suivi après l’accouchement. [Ci-contre : Marie-Véronique Blanchard]

 

Avant l’accouchement

Les soins avant accouchement ne se pratiquaient pas encore. Les examens prénataux actuels n’existaient pas, et il y avait parfois des surprises, par exemple des jumeaux absolument pas attendus. Ainsi ces jumeaux, garçon et fille, pour lesquels on n’avait pas pensé aux prénoms : ils ont eu les prénoms des deux enfants de la sage-femme.

 

 

Pendant l’accouchement

Pendant quelque temps, Mme Blanchard se rendait chez les patientes à pied ou en char à bancs. Quand la voiture automobile apparaît, elle est la première femme d’Ergué-Gabéric à détenir un permis de conduire, et sa première voiture sera une « Rosengard », bien connue de tout le monde : tous s’empressaient de dégager la route dès qu’elle se pointait à l’horizon. Car c’était toujours urgent quand elle arrivait ! Son secteur était assez étendu : Ergué-Gabéric bien sûr, mais aussi Elliant, Briec, Coray… Outre les femmes de l’usine, Madame Blanchard a en effet accouché et soigné des femmes de la campagne, sur Ergué-Gabéric et Briec, et dans les communes avoisinantes. Elle était souvent payée dans ce cas en nature : en pommes de terre ou autres produits agricoles. Nous n’avons pas eu beaucoup de renseignements à ce sujet.
L’accouchement ne se passait pas toujours bien ; il pouvait y avoir du retard pour venir sur les lieux, ou pour prendre les bonnes décisions, ou encore des gestes malencontreux ; la responsabilité de la sage-femme était grande, et quand ça se présentait mal, on demandait au médecin de venir à la rescousse. Ainsi les docteurs Cottin, Maloisel (célèbre pour sa pipe et son abaisse-langue), Bourlès, Cornic, Renaut, Guivarch, et Piriou de Quimper, les docteurs Favennec et Kergoat de Briec…
Les bébés qui ont été mis au monde par Madame Blanchard sont, paraît-t-il, facilement reconnaissables, car elle leur faisait un joli « skloum », et ils ont de jolis nombrils !!!

 

Après l’accouchement

Nous avons interrogé des femmes qu’elle a accouchées et avons ainsi appris que : d’une part il n’y avait pas beaucoup de soins avant l’accouchement, et d’autre part, quand l’enfant était né, les mères devaient rester couchées pendant huit jours : elles étaient « coucounées » pendant ce temps-là. Madame Blanchard prenait soin du bébé, tandis que d’autres femmes venaient aider les mamans qui venaient d’accoucher. Les femmes qui travaillaient à l’usine récupéraient un grand morceau de tissu de feutre, très doux et résistant, dans lequel elles découpaient des langes pour les bébés.
Quand les mamans reprenaient le travail après l’arrêt nécessaire, les bébés étaient envoyés à l’usine, à heures régulières. De ce point de vue, « Briec était arriéré par rapport à Ergué-Gabéric », nous dit une de ces mamans.

 

Candidature aux élections de 1945

Madame Blanchard assurait un important rôle social, par les soins qu’elle donnait. Elle s’est aussi présentée aux suffrages des électeurs le 13 mai 1945. C’était l’élection du premier conseil municipal au suffrage universel, puisque c’était la première fois que les femmes votaient. La liste sur laquelle elle était inscrite n’a pas eu grand succès, et elle n’a pas été élue. Elle habitait Tréodet à ce moment-là.

 

Retraite

Elle a exercé son métier de sage-femme pendant près de 50 ans. Son dernier accouchement aurait eu lieu vers 1956. Elle s’est retirée à Saint-Brieuc, près de sa fille, et c’est là qu’elle est décédée, vers l’âge de 80 ans.

 

Marie-Annick Lemoine


Les fêtes et loisirs, par Pierre Faucher

Au début du XXe siècle naît en Europe une société de loisir. À l'instar de leurs contemporains, les Bolloré organisent des évènements festifs et favorisent les sports dans leur communauté. Dans son étude de la papeterie d'Odet, Pierre Faucher a réalisé une synthèse sur cet aspect de la vie des papetiers.

Vincent Bolloré dit volontiers que son grand-père, René II, aimait que l'on organise des fêtes, des loisirs, des manifestations religieuses... Lui-même souhaite que l'on saisisse les occasions qui se présentent pour se retrouver dans un environnement différent des préoccupations habituelles de l'entreprise.

Depuis le décès de Gwenn-Aël Bolloré, en 2011, la société Bolloré a rénové le manoir et son cadre agreste : il y a là, en effet, un parc et quelques éléments notables, dont un séquoïa californien (hypérion cornouaillais planté au début du XXe siècle et classé par Mikaël Jézégou parmi les Arbres remarquables du Finistère). La famille y accueille non seulement ceux qui particpent aux activités Bolloré, mais aussi des personnalités politiques. Ce fut le cas en 2014 avec la venue de François Hollande, président de la République, et en 2016, avec celle de Manuel Valls, premier ministre.

Lorsqu'il dirigeait les papeteries (1905-1935), René Bolloré II organisait de grandes rencontres, "team buildings" avant l'heure, pour induire de la cohésion dans l'entreprise. Plusieurs d'elles sont restées dans la mémoire collective : le mariage de René Bolloré et Marie Thubé en 1911, la fête du centenaire en 1922, les anniversaires et les multiples remises de médailles du travail... Très intuitif dans le domaine, René Bolloré II a pratiqué à fortes doses cette manière de management. Vincent Bolloré perpétue cette volonté de graver son passage dans la chronologie de la société Bolloré.

On peut classer en trois catégories les fêtes et loisirs à Odet :

 

Les fêtes religieuses

La religion tient une place conséquente dans la vie de la famille Bolloré. Dans l'entre-deux-guerres, une messe est donnée chaque jour à la chapelle Saint-René. À cette époque, certaines dates religieuses sont célébrées tous les ans à Odet, telle la Fête-Dieu, qui a lieu en mai-juin, le dimanche après la Pentecôte. À cette occasion, les fidèles défilent en des processions très fleuries dans le parc autour du manoir. La plus prestigieuse de ces célébrations fut celle de 1918 (voir ci-dessous).

La fête Dieu au manoir dOdet

 

Les fêtes d'entreprise

Ces évènements qui réunissent tout le personnel ont lieu à des moments importants de la vie des papeteries et de leurs responsables. La plus importante de ces manifestations fut la fête du centenaire, en juin 1922. Elle dura une semaine et les participants en gardèrent un vif souvenir. D'autres fêtes auront encore lieu. En 1927, le premier dimanche de mai, l'entreprise célèbre les 80 ans de madame Bolloré mère. Mille deux cents convives descendent l'Odet pour festoyer à Bénodet. En 1929, René Bolloré II fête ses 25 ans de patronat, un dimanche 15 septembre. Cette fois, 1400 personnes sont conviées à un banquet installé sous une vaste tente, à Keranna et dans la prairie de Meilh Mogueric. Là aussi, les invités descendent à Bénodet et aux Glénan.

 

1929 25 ans de patronat de René Bolloré

Banquet aux 25 ans de patronat de René Bolloré, 1929. © Étienne Le Grand.

 

80 ans de Mme Bolloré remise de médailles

Remise de médailles du travail aux 80 ans de Mme Bolloré, 1927. René Bolloré II se trouve au premier plan. On aperçoit le photographe (studios Le Grand) et la chapelle Saint-René à l'arrière-plan. © Étienne Le Grand.

 

Les évènements sportifs et le patronage d'Odet

Dès 1928, René Bolloré met à la disposition des Paotred Dispount, l'équipe de football gabéricoise, des terrains à Keranna, en face de la cité ouvrière et en contrebas des jardins ouvriers. Un terrain de sport en bonne et due forme est aménagé, favorisant les activités de la société de gymnastique, puis celles du club de football. Vers 1930, le patronage d'Odet est construit sous la forme d'une salle multi-fonctions. Il sera inauguré le 6 septembre 1931, comme le relate Jean Guéguen dans son histoire du patronage d'Odet. Les Paotred Dispount célèbrent en 2013 leurs cent ans d'existence. A cette occcasion, ils éditent un DVD, ainsi qu'un livre-souvenir richement illustré : Les cent ans des Paotred Dispount (1913-2013). Ces deux documents sont consultables chez Arkae. Pour plus d'informations, on pourra aussi visiter le site des Paotred, où figure une chronologie détaillée.

 Les Paotred Dispount posent devant le patronage

Les Paotred Dispount posent devant le patronage.

 

Pierre Faucher


Marjan Mao, délisseuse à la papeterie d'Odet

Dans Moulins à papier de Bretagne, édité par Skol Vreizh en 1989, Marjan Mao a laissé un témoignage précieux sur le travail des femmes à la papeterie Bolloré. Elle retrace non seulement les étapes de la transformation du chiffon en papier au début du XXe siècle, mais aussi les conditions de sa vie d'ouvrière. Le témoignage avait été recueilli en breton et traduit partiellement en français. Bernez Rouz l'a retraduit ici dans son intégralité.

Marjan Mao pel Lourdes 1928Labourat 'm eus e ti Bolloré abaoe 41 bloaz, etre 1920 ha 1961. Ganet on e 1902. Pa oan aet e 1920, e oamp 54 maoues er "chiffonnerie". Bez e oa bet daw lakaad niverennoù ewid liñserioù peb heni peogwir e oamp ken niverus! Eus ar Russi eoa al lien o tont : chaossoneier d'ar voussed, loereier... trist gweled aneho, traou lor! Ar pilhoù-se a veze memestra desinfektet en araog. Ewid troc'hañ ar pilhoù e tammoù bihan e oa un daolig goad vihan. C'hwi 'oa asezet er penn all o rampañ hag ur falz 'oa plantet gant an tu lemm en tu all. Goudese e oa ur gasset vihan ewid lakaad ar pezh 'poa gwraet. Ma oa traou lovr e oa ur "grille" e-kichen ewid tenn ar poucher kuit eos ousto. Peb sort traou a oa toud : stoup, fissel, kerden ha ne oant ket mad, ur bern traou lovr! Da gentañ e oa gwraet tammoù hir gant ae pilhoù paket en ho torn er mod-se, un tu en ho torn, an heni all o pegañ e-barzh an tamm pilhoù. Pa poa gwraet un dornad mad, c'hwi a bassee aneho e mod-se ewid ober tammoù bihan. Gwraet e oa tammoù e-gis palv ma dorn ase a oa mad. Med an tammoù-se ne oa ket toud heñvel neuse, lod aneho ne oant nemed tammoù lass. Da gentañ toud e veze labouret gant ar vouc'hal, ar falz... Ar vouc'hal-se a oa bihan, ur vouc'halig lemm a oa gant daou benn ewid troc'hañ kerden, fissel, rouedoù. Peb heni a oa red dehañ mont da ger'had ur pakad pilhoù 200 livr war e gein. Daw e oa bannañ kuit toud ar pezh na oa ket mad... Lakaet e oa toud ar boutonioù e-barzh ar "poucher". A re vad a oa daspugnet ha kasset d'ar gêr hag ar re all a oa lakaet e-touesk ar poucher dindan ar "grille". Ha goudese pa oa ur bern, e oamp o kass anehañ e-barzh ur sac'h war hor c'hein d'un tu bennag e-barzh ar c'hoad. An dra-se a rae deomp ur bourmenadenn - kuit da chom e-barzh an usin e-touesk ar poucher - war vord ar stêr pe e Keranna.

Eizh eurwezh bemdez e veze labouret e-barzh ar "chiffonerie" epad an deiz. Ha da greisteiz e oa red redeg ewid mont d'ar gêr d'ober merenn. Leun a boultr e oa toud ar pilhoù-se hag e oan o poussañ epad an nos. Daw e oa din asezañ e-barzh ma gwele kemendall a boucher a oa ganin... Hag hon dilhad deomp pegen lor e oant! Soñj 'm eus, forzh pelec'h ez aemp e oa c'hwes ar pilhoù ganeomp. Ar re-gozh ne faote ke deho e veze lakaet un "aspirateur" ewid tennañ ar poucher kuit. Bet'oa deuet ur mare hag a oa bet deuet ur sort "ventilateur". Hennezh a veze gwraet ar "moulut" anehañ. Hennezh a droe e mod-se hag ar poultr a yae er maes. Goudese e oa deuet ur mekanik da droc'hañ aneho ha ne oa d'ar mare-se nemed triañ aneho ha ne oa ket daw chom da droc'hañ aneho bihan er mod-se. Deuet e oa ar mekanik-se araog ar bresel, er bloawezh 1935-36.

Goudese e oa "la lessive" e-barzh ur pezh mell childourenn. Reoù hir a oa da gentañ pa oan aet ha goudese e oa gwraet daou newez, re ront ha bras. Bez e oa unan o vont e-barzh al "lessiveur" da flastrañ ar pilhoù memes ma n'en doa ket droed d'henn ober ewid fourañ ar pilhoù gant ur vazh koad. Dont a rae ar pilhoù gwalc'het eus ar chidourenn-se. Paet e oamp herwez ar bailhoù (lessiveurs) gwraet ganeomp. A-wechoù e oa daou d'ober, a-wechoù tri pe pewar. Start e oa al labour. Er bloawezh 1924, pa 'm boa dimezet, em boa gwraet 800 lur en ur mis hag am boa paeet toud ma frejoù dimeziñ ganto. Goudese e veze lakaet ar pilhoù e-barzh ar "piloù" ewid bezañ dineudet ha gwennet ha 'benn ar fin e oa toas kros. Tennet e oa an toas-se gant ur vac'h ha lakaet anehañ en ur "pil" all da dorriñ anehañ finnoc'h. Red e oa d'an toas bezañ fin tre ewid ober paper.

 

J’ai travaillé chez Bolloré pendant 41 ans, de 1920 à 1961. Je suis née en 1902. Quand j’ai commencé, en 1920, on était 54 femmes à la chiffonnerie. On devait mettre des numéros sur les draps qu'on remplissait de chiffons, car on était très nombreuses. Les chiffons venaient de Russie : c’étaient des chaussons d’enfant, des chaussettes... C’était triste de les voir, tellement ils étaient sales. Ces chiffons étaient quand même désinfectés avant le découpage. Pour les couper en petits morceaux, on avait une petite table. Vous étiez assis d’un côté, les jambes écartées ; et une faux aiguisée était plantée de l’autre côté. On avait une petite caisse pour mettre ce qu’on avait découpé. Si c’était trop sale, on se servait d’une grille pour enlever la poussière. On voyait de tout : de l’étoupe, de la ficelle, des cordes qui n’étaient pas bonnes, beaucoup de saletés. Dans un premier temps, on découpait des pièces en longueur, en tenant le chiffon d’un bout à l’autre. Quand vous aviez fait un beau tas, vous repassiez les chiffons sur la faux pour en faire de petits bouts de la taille d’une paume. Mais les morceaux n’étaient pas identiques, certains ressemblaient à des ficelles. Il fallait travailler avec la hache, une petite hache à deux tranchants, aiguisée pour les cordes, les filets et les ficelles. Chacune d’entre nous devait aller chercher son paquet de chiffons (100 kilos) et le porter sur le dos. Il fallait jeter tout ce qui n’était pas bon. Les boutons, on les jetait dans la poussière. On ramenait les bons à la maison, les autres étaient mis sous grille. Quand on avait formé un bon tas, on le mettait dans un sac, sur notre dos, et on l’amenait dans le bois. Ça nous faisait une promenade au bord de la rivière ou à Keranna, ça nous sortait de la poussière de l’usine.

On travaillait 8 heures par jour à la chiffonnerie. A midi, on courrait à la maison préparer le déjeuner. Tous ces chiffons étaient remplis de poussière et on toussait pendant la nuit. Il fallait que je dorme assise, tellement j'avalais de poussière. Et nos habits, qu’ils étaient sales ! Partout où on allait, on sentait la poussière. Les anciens ne voulaient pas qu’on prenne un aspirateur. Mais ensuite, on nous a mis un ventilateur. On l’appelait le « moulut ». Il tournait en permanence et propulsait la poussière dehors. Puis on nous a installé une machine à déchirer les chiffons. On n’avait plus qu’à les trier et les couper en petits morceaux. Cette machine est arrivée en 1935-36, avant la guerre.

Dans un second temps, on lessivait les chiffons dans une grande marmite. Au début, la marmite était de forme allongée, puis elle a été remplacée par deux lessiveuses, de forme ronde. L’une d’entre nous allait dans la marmite pour tasser les chiffons avec un morceau de bois, même si elle n’en avait pas le droit. On ressortait ensuite les chiffons des lessiveuses. On était payées au nombre de lessives par jour : parfois deux, jusqu’à quatre. Le travail était dur. Quand je me suis mariée, en 1924, j’avais gagné 800 francs dans le mois : avec ça, j’ai payé tous les frais de la noce. Enfin, les chiffons étaient mis dans une deuxième pile pour casser les fibres, les blanchir et en faire une pâte grossière. Après ça, on enlevait la pâte avec un croc et on la transvasait dans une autre pile, où la pâte était encore affinée. La pâte devait être très fine pour faire du papier.

Photographie : Marjan Mao lors d'un pélerinage à Lourdes en 1928.


La chapelle de Keranna, visite guidée

Chapelle de Keranna

Le texte qui suit présente la chapelle sous l'angle d'une visite.
Il a constitué un support pour des guides.

La chapelle des ouvriers

Bâtie sur d'anciens jardins ouvriers, jouxtant le terrain de sport des Paotred Dispount (équipe sportive d'Ergué-Gabéric, fondée vers 1920), ainsi que la salle des fêtes de Keranna - autrefois patronage de Keranna- et la cité ouvrière (de l'autre côté de la route, construite par Bolloré en 1918), la chapelle de Keranna est indissociable de l'univers des papeteries Bolloré, en même temps qu'elle marque un tournant dans leur histoire. Avant la construction de Keranna, le lieu de culte le plus proche était la chapelle privée de la famille Bolloré, Saint-René, située dans l'enceinte de l'usine. Keranna fut inaugurée en juillet 1968, et l'on planta les arbres qui composent aujourd'hui son écrin de verdure. Ci-dessous, chapelle de Keranna en juin 2002 photographiée par Gaëlle Martin.

Les religieux

L'édification de Keranna répondait, pour celui qui en fut l'instigateur, à savoir l'Abbé Jean-Marie Breton, dernier aumônier attaché à l'usine Bolloré, à la nécessité de donner aux habitants de ce quartier de Lestonan un lieu de culte indépendant de l'usine. Ceci lui valut de perdre le logement qu'il occupait en tant qu'aumônier, et selon la tradition chez Bolloré, à la papeterie... En 1967-1968, Ergué 67, nouveau bulletin paroissial, raconte dans ses deux premiers numéros la conception et construction de la chapelle (voir le numéro 2, illustré par le visuel ci-dessous). Les Frères de Lammenais et les Filles du Saint-Esprit en animaient le culte. René Bolloré II avait demandé l'installation de ces congrégations religieuses à Lestonan pour diriger les écoles privées qu'il y avait fait construire en 1927 et 28, pour les enfants de ses ouvriers. Les frères et sœurs attachés à Keranna célèbraient l'office du matin dans une petite chapelle au sous-sol (entrée par l'extérieur sur le côté). De nos jours, les offices ont lieu chaque samedi soir à 18h30 et pour une messe est donnée à Noël.

 Chapelle à Keranna article Ergué 67 150 px

Les constructeurs

L'architecte Brunerie, de Quimperlé, en dressa les plans. Les habitants furent impliqués dans les travaux. Des ouvriers spécialisés de l'usine (de l'électricien au mécanicien, en passant par le maçon et le menuisier) venaient après leur journée de travail et se consacraient au chantier.

Un bel exemple d'architecture religieuse au XXe siècle

La visite de la chapelle de Keranna peut nous aider à comprendre comment l'architecture religieuse d'après guerre articule plans, formes et matériaux nouveaux pour une symbolique revivifiée. Les constructeurs n'ont pas retenu l'orientation traditionnelle. Le chœur se trouve au sud et le fond de la chapelle, c'est-à-dire l'entrée principale, est au nord. La façade triangulaire de l'édifice qui consiste en un volume pyramidal se veut un rappel de la Trinité. Elle est formée d'une immense baie favorisant l'entrée de la lumière dans la nef, comme autrefois les rosaces du gothique. La structure même de Keranna reprend des principes de construction archaïques : la hauteur sous la voûte va décroissant jusqu'au chevet, juqu'au crucifix. On progressait de cette façon vers la chambre du mort dans les premiers tombeaux de l'humanité. Le chœur de la chapelle, image du tombeau du Christ, fait face à la grande baie de l'entrée principale, par où le jour pénètre largement dans l'édifice, image de la lumière de la Résurrection. 

Un culte recentré sur les valeurs fondamentales

Cet effet architectural, ainsi que le strict dénuement à l'intérieur de la chapelle, conduisent tout naturellement le regard vers le chœur. La nouvelle doctrine de l'Église étant alors de recentrer le culte vers les valeurs clés du christianisme (sacrifice du Christ, rachat de l'humanité), le chœur se vide de tout image autre que celle de la crucifiction et du tabernacle.

 

Modernité, dépouillement et lumière

Chapelle de Keranna Intérieur Chœur

Le mur aveugle du chœur est le seul utilisant la pierre de taille (carrière de granit d'Edern). La croix de l'imposant crucifix, aux formes étirées, émaciées, a été réalisée par un Gabéricois, M. Nicot. Le tout surplombe le tabernacle, rendu incandescent par un éclairage intérieur. Un remarquable décor de fer forgé, au motif de flammes, sertit le tabernacle, symbole de la foi qui seule permet au chrétien de pénétrer le mystère de l'Eucharistie. Le ciment constitue la matière de l'autel. Les constructeurs ont ainsi voulu faire entrer ce matériau contemporain dans le registre des matériaux classiques d'une architecture religieuse en accord avec son temps. On retrouve encore dans les murs les jambes de force soutenant la voûte, la porte du tabernacle, comme substitut du plomb dans les vitraux.
Seules deux statues complètent l'ornement du chœur. Une statue ancienne en bois plychrome représente un saint non identifié. Il porte la tonsure monastique et un manteau long. Il provient sans doute d'une autre chapelle d'Ergué-Gabéric. À droite de l'autel, se tient un ex-voto en bois de la Vierge et Sainte-Anne. Pour les vitraux, simples baies rectangulaires, les maîtres-verriers ont eu recours à de volumineux cristaux colorés, de toutes formes, caractérisés par un léger relief par rapport au plan de la composition. On remarque qu'un choix de couleurs a été effectué : couleurs froides (dominantes vertes et bleues) à l'est, couleurs chaudes (jaune, orange et rouge) à l'ouest. Ces cristaux ne forment pas de motifs figuratifs : remarquons seulement une ébauche de la croix dans la grande baie et des petits crucifix rouges dans les baies du chœur à l'ouest. Les verrières ont été réalisées par l'atelier de Tristan Rulhmann, maître-verrier renommé, spécialiste des vitraux en dalle de verre, installé à Schweighouse (Bas-Rhin).
Le confessionnal se trouve engagé dans le mur, sous la tribune. La tribune constitue un autre élément d'architecture religieuse traditionnelle. À leur entrée dans le confessionnal, le fidèle et le prêtre font ainsi partie intégrante de l'édifice, c'est-à-dire, symboliquement, de l'Église. Keranna possède une sacristie résolument moderne et fonctionnelle avec un système de chauffage moderne, ce que la chapelle privée de Bolloré était seule à posséder jusque-là. Ci-contre, intérieur de la chapelle de Keranna photographiée par Gaëlle Martin en juin 2002.

 

Marilyne Cotten, d'après une synthèse de Gaëlle Martin

Pour aller plus loin : article sur les chapelles d'Ergué.