Directeurs et hommes influents des papeteries Bolloré

Si le fondateur des papeteries, Nicolas Le Marié, et les Bolloré, qui se sont succédé à la tête de l’usine depuis sa mort, ont le rôle principal dans l’orientation et le fonctionnement de l’entreprise, d’autres personnes ont influencé la vie de l’usine à différents moments de son histoire.

 

De 1822 à 1935

Ce sont les directeurs qui assurent l’organisation du travail et veillent à ce que chaque ouvrier ou employé réalise les tâches prévues. Leur responsabilité est importante. Nous savons par les témoignages qu’ils réunissaient chaque matin les chefs de service et les informaient. Ces derniers, à leur tour, rassemblent les chefs d’équipe, à qui il revient de faire respecter les ordres. Aussi René Bolloré I (1881-1905) recevait-il tous les jours un rapport sur la marche de l’usine rédigé par le directeur.

 

À partir de 1935

Après le décès de René Bolloré II, le pouvoir des directeurs semble s’accroître. Il faut dire que le groupe s’est déjà étendu, les frères Bolloré gèrent d’autres activités et ne peuvent suivre la papeterie d’aussi près que leurs prédécesseurs. Lorsque la responsabilité des usines Bolloré échoit à Gaston Thubé, les directeurs sont donc appelés à jouer un plus grand rôle et à prendre davantage d’autonomie. Il en est ainsi de la direction de Louis Garin père, directeur de 1935 à 1940, de Frédéric Ferronière (de 1945 à la fin des années 1960), de M. Callec, de Louis Garin fils et Henri Bernet. Ce dernier cèdera le contrôle de la SAFIDIEP à Shell en 1979. Ils dirigeront les usines d’Odet et de Casacadec, logeront dans une belle demeure gabéricoise, entourée d’un parc, à l’entrée de Stang-Ven, à l’écart de l’usine, mais aussi de la propriété familiale des Bolloré. Notons qu’en 1970, Louis Garin fils jouera un rôle déterminant dans l’histoire de l’entreprise, en choisissant le site d’implantation de l’usine de films propylènes à Ty Coat. Cette usine devient la SAFIDIEP, puis le siège social du groupe Bolloré.

 

Les dirigeants des papeteries Bolloré Revue Réalités sept 1959

Photographie des dirigeants des papeteries Bolloré dans la revue Réalités, parue en septembre 1959. 
Les personnes sont identifiées en légende, à l'intérieur de l'image. 

 

Quelques figures notables

D’autres hommes ont eu une place particulière dans la vie et le fonctionnement de la papeterie. Elle fut même parfois prépondérante. À l’exemple de :
- Jean-Marie Le Pontois, frère de Marie Le Pontois, épouse de Nicolas Le Marié. Il fait partie de la direction. Recensé en 1836 à Odet, aux côtés des Le Marié, il est surnommé « Jean du Moulin ».
- Léon Bolloré, le frère de René I. Il a joué un rôle essentiel dans la production d’un papier mince tout particulier, celui à cigarette, qui participera à la renommée de l’entreprise. Ce nouveau produit fut si difficile à mettre au point que l’usine ne fabriqua pas de papiers minces pendant deux ans.
- Jean-Pierre Rolland (1855-1914), « vieux loup de papeterie », contremaître qui mit en route l’usine de Cascadec après avoir été surveillant de fabrication à Odet. René Bolloré II lui rendra hommage lors du centenaire des papeteries (1922).
- Jean-René Rannou, né en 1866 à Keranguéo, en Ergué-Gabéric. Il faut contremaître de fabrication à Odet.
- Yves Charuel du Guérand, ingénieur des Arts et manufactures, marié à la sœur de René Bolloré II, Marie Madeleine Léonie, née en 1878. Il travaille comme ingénnieur à la papeterie d’Odet et sera conseiller municipal d’Ergué-Gabéric de 1906 à 1925. De son mariage est issue France du Guérand, qui a écrit un livre de souvenirs intitulé Il était une fois, édité en 1980 (en consultation au local d’Arkae).

 

Directeurs papeterie 1911

Hommes et femme influents des papeteries en 1911. Photo prise lors du mariage de René Bolloré II.
Tout à fait à droite, debout : Mme Liliac, secrétaire. Au premier rang, de gauche à droite : René Rannou, contremaître de fabrication à Cascadec, Yves Charuel du Guérand, chef de laboratoire, René Émile Bolloré, Jean-Pierre Rolland, contremaître de fabrication à Odet, Louis Garin, directeur à Odet, Yves Le Galles, chef de la chiffonnerie. Au second rang, de gauche à droite : Laurent Le Gall, comptable, Abel Briand, chef électricien, Hervé Quitin, directeur à Cascadec, Yves Provost, comptable.

 

Enfin, Gaston Thubé lui-même : voir sa biographie ici.


Dans les années 1960-1970, des hommes influents comme Jean Espern, homme de confiance des directeurs, et Jean Lassal, directeur de la Safidiep et « homme des films polypropylènes », auront aussi une place déterminante.

 

Synthèse effectuée par Pierre Faucher.


Les calvaires de René Bolloré

Nous n’avons pas de trace de patrimoine religieux dans le village d'Odet avant le XXe siècle. Les deux calvaires que l'on y trouve actuellement ont été importés sur les lieux. Celui du manoir d'Odet provient, suite à un achat de René Bolloré, de la commune de Scrignac. Pour celui de l'écluse, l'origine est plus incertaine. Les deux ont été reconstruits par des employés de la papeterie d'Odet, sous la direction de René Bolloré II.

 

Activisme religieux de René Bolloré

De 1905 à 1935, René Bolloré II (1885-1935) intervient fortement dans le domaine religieux :

  • En 1907, il finance le Likès.
  • En 1922, à Odet, il fait construire par l’architecte René Ménard une chapelle qu’il dédie à saint René. Il y fait dire des messes quotidiennes et récupère des œuvres d’art religieuses pour l’intérieur, dont une pieta.
  • En 1926, il fait reconstruire à Cascadec, en Scaër, une chapelle qu’il dédie à sainte Thérèse-de-l’Enfant-Jésus.
  • Il fait construire deux écoles chrétiennes à Lestonan en 1928 et 1929.
  • De 1927 à 1929, il envoie en plusieurs fois un don de 7 millions de francs à la sœur Yvonne-Aimée de Malestroit pour la construction d’une clinique attachée au monastère de Malestroit.
  • Lors de sa direction, il célèbre annuellement au manoir certaines fêtes du calendrier chrétien, dont la Fête-Dieu.

L’ensemble du bâti religieux lié aux papeteries Bolloré a donc fait l’objet d’une réappropriation personnelle.

 

Réaction au déplacement des pierres

Calvaire dOdet par Louis le Guennec Finistère Monumental IIILe calvaire d’Odet provient, avec certitude, de l’acquisition d’une ruine à Scrignac, « de ces contrées de la montagne où l’on pouvait, sans vergogne, se servir[1] » ; quant au calvaire de l’écluse, on suppose qu’il est originaire de la même commune. La vente de ces ruines aurait fait l’objet, selon Louis Le Guennec, de « commentaires émus[2] » dans la presse de 1925. On retrouvera ces articles de l’Ouest-Éclair et de l’Illustration sur le site Grand Terrier.

Quelques temps après l'achat et le déplacement, René Bolloré invite Louis Le Guennec, archiviste de la bibliothèque de Quimper, et Henri Waquet, conservateur du Musée des Beaux-Arts, à visiter les monuments restaurés. Louis Le Guennec relate cette visite dans son journal. Le keleier n°99 (décembre 2017) en contient des extraits : « Le matin, M. Bolloré nous invitait tous deux à aller voir la chapelle de Coat-Quéau qu’il fait rebâtir à Cascadec en Scaër […] Le soir, il a renouvelé son invitation, mais à M. Waquet seulement. Serais-je assez sot pour m’en dépiter ? ». Rappelant les articles de presse précédents, Jean-François Douguet décrypte la situation en note : « L’invitation de René Bolloré […] n’était sans doute pas désintéressée car le rachat de la chapelle et du calvaire de Coat-Quéau, en Scrignac, par René Bolloré fit quelques vagues dans les milieux culturels de l’époque et Henri Waquet n’y était pas étranger. En effet, c’est probablement lui qui est à l’origine de la parution d’un article paru dans le célèbre journal L’Illustration du 9 mai 1925 […] Par cette visite, René Bolloré voulait sans doute convaincre le rigoureux archiviste, amoureux des vieilles pierres, en lui montrant la qualité du déménagement et de la restauration des vieux monuments. Ce que, sans doute, Louis Le Guennec ignorait. »

Quoi qu’il en soit, comme le relève Jean Cognard, des articles ultérieurs seront plus en faveur de l’action de René Bolloré : Le Courrier du Finistère, en 1927, et L’Illustration, en 1928[3]. En 1929, René Bolloré a expliqué à Louis Le Guennec les motifs qui l’ont poussé à acquérir ce patrimoine. L’archiviste-historien rapporte ainsi les propos de l’industriel gabéricois dans son Finistère monumental (tome III) : « Tout cela était condamné à bref délai… je ferai le nécessaire pour que l’église subsiste encore à l’état de ruine pittoresque […] J’ai obtenu les autorisations requises du côté de l’évêché[4]. »

 

Le calvaire d’Odet/Coat-Quéau

Calvaire Coatquéau Odet Haut v2Il se trouve dans le parc du manoir Bolloré depuis 1925. Comme on l’a dit, il provient d’une ancienne église devenue chapelle, celle de Notre Dame de Coat-Quéau en Scrignac, qui date du XVIe siècle[5]. René Bolloré a acquis le calvaire et la chapelle en 1925 : la commune de Scrignac avait mis en vente publique leurs ruines pour 10 200 francs. Le tout était, semble-t-il, effondré depuis 20 ans. Après déplacement et reconstruction, la chapelle renaît près de l’usine de Cascadec à Scaër, à 40 km de son lieu d’origine, en 1926.

Quant au déplacement du calvaire, il aurait nécessité, selon Louis Le Guennec, l’intervention d’une équipe de vingt hommes munis de palans différentiels. Il fut ensuite restauré avec l’aide du chanoine Abgrall. Le Guennec décrit l’état des statues avant la restauration : « Le Christ et les deux larrons sont tombés, jetés bas par la tempête ou le vandalisme. M. Bolloré m’en montra les débris, parmi lesquels le torse du Bon Larron, fixé à sa croix par de solides cordes. »

Dans un travail universitaire effectué en 1993, Joëlle Le Saux décrit ainsi le calvaire : « De style Renaissance, ce calvaire élancé du XVIe siècle est composé d'un emmarchement circulaire de cinq degrés, le socle également circulaire supporte le fût bosselé. [...] Sur le socle, on peut voir deux personnages en kersanton, un Ecce Homo et sainte Madeleine agenouillée. Celle-ci, la tête rejetée en arrière, contemple le Christ. Le croisillon portant les trois croix supporte dix personnages en kersanton. Le chapiteau est décoré d'une frise d'oves et porte une inscription MG LE SAUX LORS G. Cette inscription, complétée par la date 1560, se lit Maître Guillaume Le Saux alors gouverneur. Le terme gouverneur peut avoir deux significations : soit il équivaut aux termes fabrique ou fabricien, soit il désigne une chapelle sans fondateur, entretenue par les fidèles. De chaque côté, deux bustes soutiennent la console formée par le croisillon, ces cariatides sculptées stylistiquement sont également en kersanton. Parmi les dix personnages présents, on trouve entre autres les deux larrons sur leurs gibets en forme de T. Les larrons sont attachés par des cordes, selon la règle établie. Le mauvais larron détourne les yeux du Christ, tandis que le bon larron lève le visage vers lui. En signe de pardon, le Christ penche la tête vers le bon larron. Celui-ci a les jambes ramenées et attachées de l'autre côté de la croix, d'une façon particulière. Deux scènes sont représentées sur la console : [d’un côté] une déposition de croix et de l'autre côté trois personnages. La déposition de croix est constituée d'une piéta. La Vierge portant le Christ dans ses bras est ici représentée en Vierge de douleur, des larmes coulent sur son visage grave. La Vierge est accompagnée de saint Jean, selon la tradition, et d'une sainte femme en voile qui se trouve à sa droite. Devant, sous la crucifixion, on peut voir trois personnages. Au centre un moine lisant un livre ; saint Quéau ou Kew, qui est le patron primitif de Coat-Quéau. Une sainte priant, revêtue d'une tunique et d'un voile, et enfin un chevalier, genoux à terre, levant ses yeux vers le Christ et portant sa main droite au cœur. […] Au revers une Vierge Mère à l'enfant repose sur un socle, juste au-dessus de la piéta, il s'agit de Notre Dame de Coat-Quéau. Deux anges ailés recueillent le sang du Christ, ceux-ci ont été sculptés lors de la restauration, ils reposent sur deux socles, visibles à droite et à gauche de la croix du Christ. Le socle de Notre Dame de Coat-Quéau et ceux des anges marquent une séparation, amplifiée par un chapiteau situé au milieu de la croix du Christ. Un écusson sur le chapiteau rappelle l'origine de ce calvaire, on peut voir quatre blasons d'armes seigneuriales, parmi lesquelles on trouve les trois pommes de pin de la famille de Tresiguidy, qui possédait autrefois le manoir de Coat-Quéau. Cette famille a sans doute commandité ou participé au financement du calvaire[6]. »

 

Le calvaire de l’écluse

Calvaire de lécluse entier zoomCe second calvaire, « calvaire de l’écluse » ou « calvaire de Stang Luzigou », se trouve au bord du chemin qui longe le canal menant à l’ancienne écluse. Ce canal avait été construit pour les papeteries et les alimentait. Le lieu en lui-même, Stang Luzigou (28 ha), appartenait à la famille Bolloré, avant de devenir propriété du conseil général et "bois départemental" en 1983. Le village a été habité par des ouvriers de la papeterie.

Réalisé au XIXe siècle, le calvaire provient peut-être de la commune de Scrignac, comme la chapelle de Cascadec en Scaër et le calvaire d'Odet. Ses pierres auraient été déplacées et restaurées par René Bolloré II. Gaëlle Martin note, dans une visite guidée du calvaire, que René Bolloré, grand amateur de patrimoine, était coutumier de ces déplacements. Son fils, Gwenn-Aël, relate dans ses mémoires une anecdote à La Trinité-Surzur : en y passant, René Bolloré aurait voulu acheter la fontaine du village.

Dans un article consacré au calvaire, Jean Cognard, se basant sur l’inscription du fût, émet une autre hypothèse sur l’origine du calvaire : « Le calvaire a été dédié en 1815 à un couple Le Core-Le Guillou de Penhahars, lieu-dit attesté de la commune de Leuhan, et sans doute a été leur propriété. […] Des recherches généalogiques ont permis de retrouver les traces des deux personnes citées qui en l'occurrence étaient mari et femme. Les relevés du Centre genéalogique du Finistère font état des baptêmes et du mariage d'Yves Le Core et de Marie-Isabelle Le Guillou à Leuhan : […] 10/01/1802 (20/Nivo/An10), Leuhan (Pays : Châteauneuf), mariage de LE CORE Yves, fils de Germain Louis et de KERVRAN Marie, et de LE GUILLOU Marie Izabelle, fille de Jean et de LAZ Marguerite. Yves Le Core avait donc 34 ans en 1815, il est bien né à Penhars ou Penhahars, lieu-dit attesté de la commune de Leuhan. Il était probablement tailleur de pierres et aurait dédié cette pierre à son épouse Marie Isabelle Le Guillou[7]. » 

Le fût mesurant environ 1 mètre supporte un groupe de statues compact. Au centre, se détache une croix brisée portant un Christ dont il ne reste plus que le bassin et les jambes. Au revers, trois personnages forment une déposition de croix, on y retrouve toujours une piéta.

La restauration fut réalisée par Jean-Marie Quéré et Jean-Louis Favennec, maçons et salariés de la papeterie. Le haut de la croix garde d’ailleurs les marques d’une restauration : le groupe de statues qui le constitue est aujourd'hui cimenté au fût, sans chapiteau. Joëlle Le Saux, voyant que l’ensemble manquait d’harmonie, pense que les statues de la Vierge et de Saint-Jean avaient dû reposer sur des socles à l’origine. Selon elle, le calvaire aurait aussi perdu un croisillon dans le déplacement. Jean Cognard ajoute que « la texture des pierres de la partie basse du socle semble plus ancienne, ce qui laisse à supposer que le fût et cette partie haute a été adjoint plus tard. De même, la croix et les statues supérieures sont bien antérieures à la date de 1816 ». Composé d'un emmarchement et d'un socle carré, l’assise mesure presque 2 mètres. Elle comporte un banc et un chanfrein. Sur les quatre faces de l’emmarchement, une inscription est gravée en relief : FAIT P/ YVES LE -> CORE DE PENAHARS -> 1816 LE GUIL -> MARIE IZABELLE / LOU 

 

Synthèse réalisée par Marilyne Cotten

 

Notes

[1] Yves-Pierre Castel, « Le comité d’histoire d’Ergué-Gabéric à la recherche des croix et calvaires », Le Progrès de Cornouaille, 6 septembre 1986.

[2] Louis Le Guennec, Le Finistère monumental, tome III, Quimper, Les Amis de Louis Le Guennec, 1984, p. 508.

[3] Jean Cognard, Historial du Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_vente_de_la_chapelle_et_du_calvaire_de_Coat-Qu%C3%A9au%2C_Ouest-Eclair_Illustration_1925 et http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_chapelle_de_Coat-Qu%C3%A9au_transport%C3%A9e_%C3%A0_Cascadec%2C_Courrier_Illustration_1927-28

Extrait de l’article de l’Illustration du 9 mai 1925, intitulé « Un calvaire à l’encan » : « Commencées à la sortie de la messe, au matin, les enchères étaient terminées à dix heures et, pour la somme de 10.200 fr., le calvaire, la chapelle en ruines, le terrain et un second calvaire de moindre valeur était adjugés à un industriel de Quimper. L’acquéreur aurait, croit-on, l’intention de construire une chapelle nouvelle. L’ancienne chapelle possède cependant des vestiges intéressants, notamment des fenêtres ogivales du dix-septième siècle, finement ciselées et intactes. La vente est-elle définitive ? Aujourd’hui, l’administration des Beaux-Arts s’émeut, et, en ce moment M. Waquet, archiviste départemental, poursuit une enquête aux fins de faire classer le calvaire comme monument historique : l’antique lieu de pèlerinage conserverait ainsi ses pieux monuments consacrés par les plus chères traditions. »

[4] Louis Le Guennec, op. cit., p. 508.

[5] La datation est donnée par l’inventaire du patrimoine culturel en Bretagne : http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/hameau-coat-queau-scrignac/38acf4e3-bc67-46d5-8184-2d3939924ab3 En 1937, une autre chapelle est construite à l’emplacement de l’ancienne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_de_Koat-Keo

[6] Joëlle Le Saux, Rapport sur les croix et calvaires à Ergué-Gabéric, 3e trimestre 1993.

[7] Jean Cognard, « Le calvaire de Stang Luzigou », janvier 2009, Historial du Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=Le_calvaire_de_Stang-Luzigou


Marianne Saliou parle des papeteries d'Odet

Au début de l'année 1979, la Commission extra-municipale de recherches historiques d'Ergué-Gabéric a aussi recueilli le témoignage de Marianne Saliou sur magnétophone et retranscrit ce récit dans le bulletin municipal de janvier 1981. Née à Stang Venn en 1899, Marianne Niger est entrée adolescente à l'usine Bolloré, en 1915. Ses grands-parents eux-mêmes avaient travaillé à la papeterie du temps de Nicolas Le Marié, c'est-à-dire avant 1860. Ce témoignage, très complet, est donc particulièrement précieux. C'est pourquoi nous le reproduisons en intégralité.

 

Marianne Niger-Saliou, ouvrière de la papeterie d'OdetJe suis née à Ti Ru en 1899. J'avais 5 frères et sœur. Ma sœur Josèphe est née dans la petite maison du bois, là où habitait Lann Niger. La maison était occupée par les familles Rannou, c'est-à-dire ma mère et sa mère qui était veuve.
Mes grands-parents ont travaillé à l'usine Bolloré. Ils n'ont pas fait la fondation, mais presque. C'était du temps de Le Marié. J'ai toujours leurs médaillons de travail et ceux de mes parents.
Mon grand-père est mort à son travail. Il était charretier et envoyait le papier de l'usine à Quimper jusqu'au train. Le charbon et les chiffons venaient de la même façon, dans des petites charrettes. Un jour, sur le chemin du retour, il était fatigué et monta sur la charrette, au lieu de marcher. Il s'est sans doute endormi. Toujours est-il qu'il est passé sous les roues de la charrette et qu'il a été tué. Plus tard, c'est Tanguy qui est venu faire le charroi avec une plus grande charrette.
Du temps de ma mère, les femmes amenaient leurs enfants travailler à l'usine. À la chiffonnerie, ils pouvaient ramasser les chiffons. On gagnait plus ainsi, parce qu'on était payé à la tâche. C'était dur de ce temps-là. À la chiffonnerie, les femmes coupaient la corde avec des hachettes.
À la machine à papier, il n'y avait pas de rouleau sécheur de ce temps-là. Les femmes faisaient sécher le papier qui était épais sur la lande et les branches des arbres. Il fallait le surveiller. Quand il pleuvait, on le ramassait.
Grègor, mon père, était coiffeur-barbier à Ti Ru. Une des filles de M. Bolloré, Mme Belbeoc'h, l'a soigné lorsqu'il a cassé son bras. Cette femme avait un fils qui a été recteur de Sainte-Thérèse. Quand leur père, René Bolloré [René Bolloré I], est mort, elle et sa sœur se sont retirées de la succession de l'usine pour laisser leur demi-frère, René Bolloré [René Bolloré II] aussi, prendre en main l'usine. Elles ne sont jamais revenues à Odet. Seule, une fille de Mme Belbeoc'h est venue me voir un jour pour me parler de mon père.
Quand on était gosses, on allait jouer à la grotte des nains (Loc'h ar c'horiked). Il paraît qu'il y avait des nains et qu'il fallait leur faire à manger au moulin du Moguéric. Tous les jours, on leur faisait une soupe. Mais un jour, on a oublié et les nains sont partis.
Chez nous, on tuait un cochon tous les ans. Le dimanche, on cuisait la soupe, un morceau de lard et un morceau de bœuf qui venait de chez Bernard, avenue de la gare à Quimper. On allait chercher la viande à Ti Ru, où quelqu'un nous l'envoyait. Les autres jours, c'était la bouillie d'avoine et des galettes le vendredi. De temps en temps, Josèphe venait à pied de Tréboul et amenait du poisson dans une petite charrette à bras. Un merluchon assez grand coûtait 22 sous. On en achetait un entre deux familles. Le ragoût, des fois, était bijorig. Il n'y avait pas de viande du tout avec, seulement des patates trempées dans la sauce. Le pain, c'était du pain noir qu'on laissait sur la table, enveloppé dans une nappe. On ne buvait pas de cidre, ou rarement, mais on faisait de la piquette.
À Lestonan, il y avait une boulangerie qui appartenait à un Le Naour du bourg. Celui qui s'occupait du dépôt de Lestonan s'est marié à une fille de Laz. La maison a brûlé. Ensuite, en 1912, est venu Germain Guéguen qui apportait du pain à Ti Ru avec une charrette à bras. Avant, c'était Le Naour qui venait du bourg avec une charrette vers la fin de la semaine.
Chez Marguerite, il y avait un four où on faisait cuire le pain noir. C'est un Hémon de Langolen qui s'occupait du four. Il a été tué à la guerre. Après, ce sont des Rannou qui sont venus. Et ensuite, Per Rospape.
À Ti Ru, il y a eu trois commerçants qui se sont succédés. Au début, une famille avait acheté la boutique qu'ils avaient transformée en mercerie-épicerie. Ils n'ont pas pu tenir. Après, le père d'Armand Gourmelen, Youenn, est venu. La femme de Youenn était très commerçante. Mais ils ont dû partir à cause d'une histoire à l'usine. Les ouvriers avaient demandé de l'augmentation et fait une pétition. Comme peu savaient écrire, ça n'avait pas été difficile de découvrir les noms de ceux qui avaient fait la liste. Et ceux-là ont été punis. Les Gourmelen ont été renvoyés de Ti Ru. Après eux, ce sont des Rannou qui sont venus.
La première maison à être construite à Lestonan, c'est celle de Marianne Huitric, où habitaient des Bertholom ; dans cette maison, il y avait un petit commerce. Chez Joncour, j'ai vu faire la maison ; elle a été construite par un Guéguen. À Kerhuel Vian, où habitaient les Douguet, c'était une petite ferme. À Ti Koat, il y avait aussi un petit commerce où on envoyait à cuire son pain noir toutes les semaines. À l'usine, il y avait la maison de Lann Niger et les vieilles maisons à l'emplacement des garages actuels ; huit ménages habitaient dans deux maisons, chaque famille ayant une seule pièce.
De ce temps-là, c'était la misère. On ne touchait rien de nulle part. Grand-père disait d'envoyer les enfants à l'école, surtout les garçons. Mon frère Pierre, l’aîné, apprenait bien. Il a eu son certificat à Ergué ; après, il a été au Likès, à Quimper. Moi, j'ai été quelque temps à l'école à Lestonan. Ensuite, j'ai été en pension chez les sœurs au bourg.
Avant la guerre, on avait des amusements sains. Nous autres, on était une grande bande. Souvent, on allait faire un tour jusqu'à la route de Coray et quelquefois, en revenant, on s'arrêtait chez Chann Deo, où il y avait un piano mécanique. On dansait. À la fin du compte, on partait souvent pour Briec chez la tante Malouche, où il y avait un autre piano. On faisait la route à pied, bras dessus bras dessous, en chantant.
Le dimanche matin, on allait à la messe à l'usine. La chapelle était plus petite que maintenant. Il fallait être de l'usine pour y aller. Seuls les fermiers qui donnaient leurs terres pour chasser avaient aussi le droit d'y entrer.
J'avais 15 ans, en juin 1915, quand je suis rentrée à l'usine. Lorans (Laurent) Ar Gall m'avait demandé d'aller travailler. Mon père ou ma mère avait dû lui dire que j'aurais été contente d'aller à l'usine. De ce temps-là, c'était facile de rentrer. On avait toujours besoin du monde. Le premier jour, je devais commencer mon travail à minuit et finir à midi. On travaillait 12 heures par jour pendant la guerre. À l'usine, il n'y avait que des femmes, des vieux et des jeunes.
Le premier mois que j'ai touché, ça faisait 75 francs. Ma mère m'avait dit que, pour la première fois, je pouvais garder mes sous. J'ai donc été à Quimper, où j'ai acheté une montre et une chaîne en argent chez Seznec, une paire de souliers, une blouse. J'avais mis presque tous mes 75 francs dans ces achats. J'ai toujours la chaîne et la montre. Douze heures à travailler, c'était long. À la fin, on ne pouvait plus manger. Le sommeil nous prenait. On avait le droit au café. On le buvait dans le pot à café, qu'on chauffait en bain-marie dans un seau d'eau chaude.
Quand je suis entrée à l'usine, on faisait la petite bobine de 1200 mètres. Il fallait transporter les rouleaux pour traverser la cour et monter un escalier en pierre. Les hommes qui travaillaient avec nous essayaient de nous faire travailler plus. Ils avaient deux sous en supplément pour chaque rouleau. Lorans ar Gall, qui n'était pas parti à la guerre, passait chaque matin pour voir si ça allait.
Il n'y avait qu'une seule machine au début, mais la deuxième est venue avant la guerre. Elle a dû tourner en 1912. M. Rolland avait été voir cette machine en Allemagne. Elle a été mise devant le château. La première était plus petite, elle était où est la huit maintenant.
On déposait avec des charrettes les chiffons là où est l'église maintenant. Les bonnes femmes de la chiffonnerie venaient les chercher. Elles les mettaient sur leur dos dans de grandes serpillères. On ne voyait que leurs jambes qui marchaient, tout le reste était caché par les serpillères.
Après la guerre, les hommes sont revenus petit à petit. On ne savait plus où mettre à travailler les bonnes femmes. On nous a envoyées à décharger les chiffons et à faire toutes les corvées, les nettoyages dans l'usine, les carreaux, le ramassage des feuilles mortes, les jardins de Mme Bolloré.
En 1922, on a retravaillé aux bobines parce que le travail des hommes n'était pas aussi soigné. Tin ar Pap était chef chez nous. Pour alors, on ne faisait plus que 8 heures dans la journée. On travaillait de 5 à 15 heures ou de 1 à 9 heures.
J'ai été aussi marquée les caisses de Cascadec qui venaient à la gare de Quimper. On allait là-bas à pied. On mettait les caisses de Cascadec avec celles d'ici pour faire une expédition. C'était du temps où le papier à cigarettes allait en Amérique. Les deux usines travaillaient ensemble pour aller plus vite. Quelquefois, on mettait 40 caisses de Cascadec avec 60 d'Odet pour faire 100.
En 1922, c'était aussi le centenaire. Il y a eu des choses. Ça marchait bien à l'usine. Pendant la guerre, ils avaient trouvé les Américains et ça avait démarré. Ce n'était plus l'usine de l'ancien temps.
Moi, j'étais de noce. On avait envoyé Le Botrel qui avait composé une chanson sur le centenaire. Tout le monde avait mis son plus beau habit. Mail (Marie) Kergoat et Catherine Saliou avaient mis des habits très vieux. Mail Kergoat avait été chercher le sien à Briec. Elle était bien.
C'était quelqu'un de Nantes qui organisait la fête. Il y eu beaucoup de bonshommes saouls. Pendant longtemps après, on a trouvé dans le bois de l'usine des bouteilles vides.
M. Bolloré était assez donnant. Il avait tellement de choses. Après le centenaire, on a fait, tous les ouvriers de l'usine, la descente de l'Odet. On a mangé à Bénodet dans un hôtel. Chaque année, le premier de l'an, on allait souhaiter la bonne année aux Bolloré. On avait droit à une piécette ou le coup de rhum pour les hommes. Une fois, on nous fait voir le petit René-Guillaume Bolloré [René III]. On lui disait "pouffig" parce qu'il était gros comme tout.
Au début de son mariage, René Bolloré est allé habiter où était le concierge et Pierre Eouzan. Le premier fils, René-Guillaume, est né dans cette maison.
M. Bolloré s'est marié en 1911. Il y avait de la neige pour la fête, qui était organisée par les Quelven. Il s'était marié deux ou trois mois avant avec une demoiselle Thubé, de Nantes.
Tout le monde, même ceux de Cascadec, avait pris son char-à-bancs jusqu'à la Croix-Rouge. Ils [les mariés] sont arrivés en voiture découverte. Elle avait un grand chapeau, Mme Bolloré. On les a suivis jusqu'à l'usine. Avant qu'on ait fini le repas, M. Bolloré était porté en triomphe sur les épaules de Lorans ar Gall et de Ren Rannou.
Mr. Bolloré avait dit que ceux qui avaient travaillé cinq ans à l'usine avaient droit au mois double. Certains, les plus anciens, ont eu même trois mois.
Pour le travail, M. Bolloré était dur. Il dormait mal et je me rappelle l'avoir vu à l'usine pendant la nuit secouer les gens et leur dire "toi, tu dormais". Il ne fallait pas répondre. Il aurait dit des sottises, mais il ne restait pas fâché.
M. Bolloré aimait aussi faire des tours. Il allait pêcher Ia nuit avec des lampes et des filets en compagnie du garde, qui faisait tout ce qu'on lui disait de faire. M. Bolloré l'appelait « Kergoat ». Il lui disait des fois de traverser la rivière tout habillé et lui donnait une récompense après.
Quand M. Bolloré était petit, il jouait toujours avec les enfants des ouvriers et des paysans du coin. Un jour, il est venu chez nous, alors qu'on faisait la bouillie d'avoine. Il avait demandé à manger avec les autres ; on ne savait pas quoi lui dire, mais il s'est quand même installé à table.


Marie-Véronique Blanchard, sage-femme des papeteries d'Odet

Marie-Annick Lemoine a recueilli dans Mémoires de Lestonan les témoignages d’habitants qui ont côtoyé, de près ou de loin, la sage-femme des papeteries. À partir de ces informations, elle a pu recomposer la vie et le parcours de Marie-Véronique Blanchard.

 

« Marie-Véronique Blanchard » : dites ce nom aux Gabéricois de souche, nés dans un créneau allant de 1905 à 1955 environ, et vous entendrez fuser ce genre de phrases spontanées : Elle me rappelle les visites médicales, avec ses « cuti » ; Elle m’a assistée, chez moi, pour la naissance de mes enfants ; Je suis un « bébé Blanchard » ; (et peut-être) Ce n’est pas un très bon souvenir pour moi.

 

Généalogie

Qui était donc Madame Blanchard ? Elle est née Marie-Véronique Berthomé, le 6 février 1896, à Anlier, en Belgique, fille de Jean-Jules Berthomé et de Marie-Célestine Guillaume. Ses parents s’étaient mariés à Anlier également, le 5 juillet 1893. Elle avait un frère, Eugène, né en 1894, et deux sœurs, Marie-Lucie et Jeanne-Hélène, nées respectivement en 1899 et 1901. Son père était originaire de Vers, dans les Deux-Sèvres (79). Yves-Marie Blanchard, son mari, est né à Quimper, rue Saint-Mathieu, le 7 août 1894 ; il était le fils de Jean-Marie Blanchard, né à Quimper, cocher, et de Marie-Louise Péron, née à Langolen, ménagère.

 

Mariage, enfants et installation à Ergué-Gabéric

Famille de Marie-Véronique Blanchard_Fonds MA LemoineYves-Marie Blanchard et Marie-Véronique Berthomé se marient à Namur en Belgique, le 28 août 1920 ; ils se sont connus pendant la guerre 1914-1918 : lui, a été blessé et soigné à Charleroi, où elle était infirmière, semble-t-il. De leur union naîtront à Ergué-Gabéric : Yvette en 1921, Denise en 1924, et Albert en 1929. Yvette est décédée jeune (à 16 ans) à Ergué-Gabéric, en mars 1937. Denise vivait à Saint-Brieuc et est décédée en mars 2006. Albert vit à Quimper et fréquente toujours Ergué-Gabéric, où on peut le voir régulièrement soutenir les « Paotred Dispount ». Personne ne nous a indiqué le moment exact de son installation : sans doute assez vite après son mariage, puisque les trois enfants sont nés à Ergué-gabéric. Monsieur et Madame Blanchard ont habité dans une maison de la cité de Keranna, autour du puits. [Ci contre : Marie-Véronique Blanchard en famille, 1re à gauche, assise]

 

Embauche à la papeterie d’Odet

MV Blanchard cadrage Fonds MA Lemoine2Yves-Marie Blanchard travaillait à l’usine Bolloré à Odet. C’est René Bolloré qui demanda à Madame Blanchard de s’installer à Ergué-Gabéric comme sage-femme et « conseillère » en prévention infantile : René Bolloré avait constaté que des ouvrières ou des femmes d’ouvriers de l’usine mouraient jeunes et en couches. Madame Blanchard était salariée de la papeterie et donc payée par l’usine. Madame Blanchard pratiquait des accouchements pour les femmes travaillant à l’usine et les épouses des ouvriers. Elle assurait aussi le suivi après l’accouchement. [Ci-contre : Marie-Véronique Blanchard]

 

Avant l’accouchement

Les soins avant accouchement ne se pratiquaient pas encore. Les examens prénataux actuels n’existaient pas, et il y avait parfois des surprises, par exemple des jumeaux absolument pas attendus. Ainsi ces jumeaux, garçon et fille, pour lesquels on n’avait pas pensé aux prénoms : ils ont eu les prénoms des deux enfants de la sage-femme.

 

 

Pendant l’accouchement

Pendant quelque temps, Mme Blanchard se rendait chez les patientes à pied ou en char à bancs. Quand la voiture automobile apparaît, elle est la première femme d’Ergué-Gabéric à détenir un permis de conduire, et sa première voiture sera une « Rosengard », bien connue de tout le monde : tous s’empressaient de dégager la route dès qu’elle se pointait à l’horizon. Car c’était toujours urgent quand elle arrivait ! Son secteur était assez étendu : Ergué-Gabéric bien sûr, mais aussi Elliant, Briec, Coray… Outre les femmes de l’usine, Madame Blanchard a en effet accouché et soigné des femmes de la campagne, sur Ergué-Gabéric et Briec, et dans les communes avoisinantes. Elle était souvent payée dans ce cas en nature : en pommes de terre ou autres produits agricoles. Nous n’avons pas eu beaucoup de renseignements à ce sujet.
L’accouchement ne se passait pas toujours bien ; il pouvait y avoir du retard pour venir sur les lieux, ou pour prendre les bonnes décisions, ou encore des gestes malencontreux ; la responsabilité de la sage-femme était grande, et quand ça se présentait mal, on demandait au médecin de venir à la rescousse. Ainsi les docteurs Cottin, Maloisel (célèbre pour sa pipe et son abaisse-langue), Bourlès, Cornic, Renaut, Guivarch, et Piriou de Quimper, les docteurs Favennec et Kergoat de Briec…
Les bébés qui ont été mis au monde par Madame Blanchard sont, paraît-t-il, facilement reconnaissables, car elle leur faisait un joli « skloum », et ils ont de jolis nombrils !!!

 

Après l’accouchement

Nous avons interrogé des femmes qu’elle a accouchées et avons ainsi appris que : d’une part il n’y avait pas beaucoup de soins avant l’accouchement, et d’autre part, quand l’enfant était né, les mères devaient rester couchées pendant huit jours : elles étaient « coucounées » pendant ce temps-là. Madame Blanchard prenait soin du bébé, tandis que d’autres femmes venaient aider les mamans qui venaient d’accoucher. Les femmes qui travaillaient à l’usine récupéraient un grand morceau de tissu de feutre, très doux et résistant, dans lequel elles découpaient des langes pour les bébés.
Quand les mamans reprenaient le travail après l’arrêt nécessaire, les bébés étaient envoyés à l’usine, à heures régulières. De ce point de vue, « Briec était arriéré par rapport à Ergué-Gabéric », nous dit une de ces mamans.

 

Candidature aux élections de 1945

Madame Blanchard assurait un important rôle social, par les soins qu’elle donnait. Elle s’est aussi présentée aux suffrages des électeurs le 13 mai 1945. C’était l’élection du premier conseil municipal au suffrage universel, puisque c’était la première fois que les femmes votaient. La liste sur laquelle elle était inscrite n’a pas eu grand succès, et elle n’a pas été élue. Elle habitait Tréodet à ce moment-là.

 

Retraite

Elle a exercé son métier de sage-femme pendant près de 50 ans. Son dernier accouchement aurait eu lieu vers 1956. Elle s’est retirée à Saint-Brieuc, près de sa fille, et c’est là qu’elle est décédée, vers l’âge de 80 ans.

 

Marie-Annick Lemoine


Marjan Mao, délisseuse à la papeterie d'Odet

Dans Moulins à papier de Bretagne, édité par Skol Vreizh en 1989, Marjan Mao a laissé un témoignage précieux sur le travail des femmes à la papeterie Bolloré. Elle retrace non seulement les étapes de la transformation du chiffon en papier au début du XXe siècle, mais aussi les conditions de sa vie d'ouvrière. Le témoignage avait été recueilli en breton et traduit partiellement en français. Bernez Rouz l'a retraduit ici dans son intégralité.

Marjan Mao pel Lourdes 1928Labourat 'm eus e ti Bolloré abaoe 41 bloaz, etre 1920 ha 1961. Ganet on e 1902. Pa oan aet e 1920, e oamp 54 maoues er "chiffonnerie". Bez e oa bet daw lakaad niverennoù ewid liñserioù peb heni peogwir e oamp ken niverus! Eus ar Russi eoa al lien o tont : chaossoneier d'ar voussed, loereier... trist gweled aneho, traou lor! Ar pilhoù-se a veze memestra desinfektet en araog. Ewid troc'hañ ar pilhoù e tammoù bihan e oa un daolig goad vihan. C'hwi 'oa asezet er penn all o rampañ hag ur falz 'oa plantet gant an tu lemm en tu all. Goudese e oa ur gasset vihan ewid lakaad ar pezh 'poa gwraet. Ma oa traou lovr e oa ur "grille" e-kichen ewid tenn ar poucher kuit eos ousto. Peb sort traou a oa toud : stoup, fissel, kerden ha ne oant ket mad, ur bern traou lovr! Da gentañ e oa gwraet tammoù hir gant ae pilhoù paket en ho torn er mod-se, un tu en ho torn, an heni all o pegañ e-barzh an tamm pilhoù. Pa poa gwraet un dornad mad, c'hwi a bassee aneho e mod-se ewid ober tammoù bihan. Gwraet e oa tammoù e-gis palv ma dorn ase a oa mad. Med an tammoù-se ne oa ket toud heñvel neuse, lod aneho ne oant nemed tammoù lass. Da gentañ toud e veze labouret gant ar vouc'hal, ar falz... Ar vouc'hal-se a oa bihan, ur vouc'halig lemm a oa gant daou benn ewid troc'hañ kerden, fissel, rouedoù. Peb heni a oa red dehañ mont da ger'had ur pakad pilhoù 200 livr war e gein. Daw e oa bannañ kuit toud ar pezh na oa ket mad... Lakaet e oa toud ar boutonioù e-barzh ar "poucher". A re vad a oa daspugnet ha kasset d'ar gêr hag ar re all a oa lakaet e-touesk ar poucher dindan ar "grille". Ha goudese pa oa ur bern, e oamp o kass anehañ e-barzh ur sac'h war hor c'hein d'un tu bennag e-barzh ar c'hoad. An dra-se a rae deomp ur bourmenadenn - kuit da chom e-barzh an usin e-touesk ar poucher - war vord ar stêr pe e Keranna.

Eizh eurwezh bemdez e veze labouret e-barzh ar "chiffonerie" epad an deiz. Ha da greisteiz e oa red redeg ewid mont d'ar gêr d'ober merenn. Leun a boultr e oa toud ar pilhoù-se hag e oan o poussañ epad an nos. Daw e oa din asezañ e-barzh ma gwele kemendall a boucher a oa ganin... Hag hon dilhad deomp pegen lor e oant! Soñj 'm eus, forzh pelec'h ez aemp e oa c'hwes ar pilhoù ganeomp. Ar re-gozh ne faote ke deho e veze lakaet un "aspirateur" ewid tennañ ar poucher kuit. Bet'oa deuet ur mare hag a oa bet deuet ur sort "ventilateur". Hennezh a veze gwraet ar "moulut" anehañ. Hennezh a droe e mod-se hag ar poultr a yae er maes. Goudese e oa deuet ur mekanik da droc'hañ aneho ha ne oa d'ar mare-se nemed triañ aneho ha ne oa ket daw chom da droc'hañ aneho bihan er mod-se. Deuet e oa ar mekanik-se araog ar bresel, er bloawezh 1935-36.

Goudese e oa "la lessive" e-barzh ur pezh mell childourenn. Reoù hir a oa da gentañ pa oan aet ha goudese e oa gwraet daou newez, re ront ha bras. Bez e oa unan o vont e-barzh al "lessiveur" da flastrañ ar pilhoù memes ma n'en doa ket droed d'henn ober ewid fourañ ar pilhoù gant ur vazh koad. Dont a rae ar pilhoù gwalc'het eus ar chidourenn-se. Paet e oamp herwez ar bailhoù (lessiveurs) gwraet ganeomp. A-wechoù e oa daou d'ober, a-wechoù tri pe pewar. Start e oa al labour. Er bloawezh 1924, pa 'm boa dimezet, em boa gwraet 800 lur en ur mis hag am boa paeet toud ma frejoù dimeziñ ganto. Goudese e veze lakaet ar pilhoù e-barzh ar "piloù" ewid bezañ dineudet ha gwennet ha 'benn ar fin e oa toas kros. Tennet e oa an toas-se gant ur vac'h ha lakaet anehañ en ur "pil" all da dorriñ anehañ finnoc'h. Red e oa d'an toas bezañ fin tre ewid ober paper.

 

J’ai travaillé chez Bolloré pendant 41 ans, de 1920 à 1961. Je suis née en 1902. Quand j’ai commencé, en 1920, on était 54 femmes à la chiffonnerie. On devait mettre des numéros sur les draps qu'on remplissait de chiffons, car on était très nombreuses. Les chiffons venaient de Russie : c’étaient des chaussons d’enfant, des chaussettes... C’était triste de les voir, tellement ils étaient sales. Ces chiffons étaient quand même désinfectés avant le découpage. Pour les couper en petits morceaux, on avait une petite table. Vous étiez assis d’un côté, les jambes écartées ; et une faux aiguisée était plantée de l’autre côté. On avait une petite caisse pour mettre ce qu’on avait découpé. Si c’était trop sale, on se servait d’une grille pour enlever la poussière. On voyait de tout : de l’étoupe, de la ficelle, des cordes qui n’étaient pas bonnes, beaucoup de saletés. Dans un premier temps, on découpait des pièces en longueur, en tenant le chiffon d’un bout à l’autre. Quand vous aviez fait un beau tas, vous repassiez les chiffons sur la faux pour en faire de petits bouts de la taille d’une paume. Mais les morceaux n’étaient pas identiques, certains ressemblaient à des ficelles. Il fallait travailler avec la hache, une petite hache à deux tranchants, aiguisée pour les cordes, les filets et les ficelles. Chacune d’entre nous devait aller chercher son paquet de chiffons (100 kilos) et le porter sur le dos. Il fallait jeter tout ce qui n’était pas bon. Les boutons, on les jetait dans la poussière. On ramenait les bons à la maison, les autres étaient mis sous grille. Quand on avait formé un bon tas, on le mettait dans un sac, sur notre dos, et on l’amenait dans le bois. Ça nous faisait une promenade au bord de la rivière ou à Keranna, ça nous sortait de la poussière de l’usine.

On travaillait 8 heures par jour à la chiffonnerie. A midi, on courrait à la maison préparer le déjeuner. Tous ces chiffons étaient remplis de poussière et on toussait pendant la nuit. Il fallait que je dorme assise, tellement j'avalais de poussière. Et nos habits, qu’ils étaient sales ! Partout où on allait, on sentait la poussière. Les anciens ne voulaient pas qu’on prenne un aspirateur. Mais ensuite, on nous a mis un ventilateur. On l’appelait le « moulut ». Il tournait en permanence et propulsait la poussière dehors. Puis on nous a installé une machine à déchirer les chiffons. On n’avait plus qu’à les trier et les couper en petits morceaux. Cette machine est arrivée en 1935-36, avant la guerre.

Dans un second temps, on lessivait les chiffons dans une grande marmite. Au début, la marmite était de forme allongée, puis elle a été remplacée par deux lessiveuses, de forme ronde. L’une d’entre nous allait dans la marmite pour tasser les chiffons avec un morceau de bois, même si elle n’en avait pas le droit. On ressortait ensuite les chiffons des lessiveuses. On était payées au nombre de lessives par jour : parfois deux, jusqu’à quatre. Le travail était dur. Quand je me suis mariée, en 1924, j’avais gagné 800 francs dans le mois : avec ça, j’ai payé tous les frais de la noce. Enfin, les chiffons étaient mis dans une deuxième pile pour casser les fibres, les blanchir et en faire une pâte grossière. Après ça, on enlevait la pâte avec un croc et on la transvasait dans une autre pile, où la pâte était encore affinée. La pâte devait être très fine pour faire du papier.

Photographie : Marjan Mao lors d'un pélerinage à Lourdes en 1928.