Évolution des effectifs à la papeterie d'Odet

En s'appuyant sur les sources disponibles, Pierre Faucher a retracé l'évolution des effectifs au cours des 161 années de fonctionnement de la papeterie.

1822 : fondation de la papeterie par Nicolas Le Marié
1828 : 31 ouvriers travaillent à Odet, dans un usine équipée de deux cuves à papier blanc et d'une à papier gris. Source : tableaux de fabrication des Papeteries, ADF 6M 1029 et 6M1032.
1849 : 35 hommes et 37 femmes travaillent à Odet. Source : Yann-Ber Kemener, Moulins à papier de Bretagne, une tradition séculaire, Morlaix, Skol Vreizh, juin 1989.
1856 : 95 personnes travaillent à l'usine. Source : Jean Cognard, Chroniques du Grand Terrier, n°9.
1857 : 102 personnes travaillent à l'usine. Source : ADF 6M 1029 et 6M1032.
1859 : 107 personnes travaillent à l'usine. Source : ADF 6M 1029 et 6M1032.
1860 : 110 personnes travaillent à l'usine. Source : ADF 6M 1029 et 6M1032.
1861 : Jean-René Bolloré prend la direction de la papeterie.
1873 : 50 hommes, 54 femmes, 3 enfants.
1881-1905 : René I Bolloré prend la direction de la papeterie.
1884 : 37 hommes, 48 femmes, 10 enfants.
1885 : 39 hommes, 33 femmes, 29 enfants.
1905-1935 : René II Bolloré prend la direction de la papeterie.
1910 : plus de 150 ouvriers travaillent à la papeterie. Source : Yves Goulm, "Les papetiers d'Odet et de Scaër" dans le numéro éponyme de Micherioù Koz, n°30, Rosporden, Kylan's éditions, 2012, p. 14. Ces chiffres figurent dans une présentation de l'usine par "P. R. Bolloré" aux jurés de l'exposition internationale de Bruxelles de 1910.

Photo de groupe ouvriers et employés 1

Deux photos de groupe ont été prises à Odet en 1911, lors des noces de René Bolloré II avec Marie Thubé.
On y voit les ouvriers d'Odet et de Cascadec, ainsi que les enfants.
Le contremaître Jean-Pierre Rolland se trouve sous le 2e arbre à partir de la gauche.


Avant 1914 : 200 personnes travaillent dans les usines d'Odet et de Cascadec.
Années 1920 : entre les usines d'Odet, de Cascadec et de Troyes, on comptera jusqu'à 1200 employés.
1930 : 350 ouvriers travaillent à Odet, d'après le livre d'or de la papeterie.
1941-1947 : arrêt de l'usine d'Odet.
Vers 1950-1955 : Jean Le Gall, responsable de la paie, indique : "On a eu jusqu'à 314 ouvriers après la guerre 1939-45 à Odet, 413 avec les employés". En 1950, le groupe Bolloré emploie en tout 1500 ouvriers.
1983 : fermeture d'Odet. le groupe Bolloré compte encore 800 employés, dont 80 à Odet, qui iront désormais travailler à Cascadec.

Pierre Faucher


La papeterie d'Odet vue par Déguignet

Le texte ci-dessous, relatant des observations de 1897-98, extrait de Histoire de ma vie, le texte intégral des Mémoires d'un paysan bas breton, est une merveille. Après avoir introduit son sujet par une anecdote mettant en scène un milliardaire américain, puis évoqué l'inventeur de l'expression populaire « Tonnerre de Brest » (ce n'est ni Hergé, ni le capitaine Haddock), et enfin glissé un dialogue entre un voisin et un ancien ouvrier de la papeterie, Jean-Marie Déguignet nous présente avec ironie et passion le palais enchanté de la fabrique de papier d'Ergue-Gabéric, avec des machines à couper les bras. [Introduction de Moulins à papier et familles papetières de Bretagne]

 

Machine dans le livre d'or des papeteries Bolloré_1930J'ai lu quelque part que le fameux milliardaire Jay Gould disait un jour à ses ouvriers, qui s'étaient mis en grève une fois, de ne pas recommencer deux fois, car aussitôt il les remplacerait tous par des ouvriers en acier qui ne font jamais grève et travaillent jour et nuit sans jamais se plaindre. Eh bien, Tonnerre de Brest, comme disait Mahurec, il y a ici au fond de la Bretagne un industriel qui tend à réaliser le rêve du milliardaire américain. J'ai déjà parlé de la fabrique de papier d'Ergué-Gabéric, perdue là-bas au fond du Stang-Odet et que j'ai vu fonder. Cette fabrique occupait autrefois tous les ouvriers des environs, mâles et femelles, jeunes et vieux. Eh bien, aujourd'hui, il n'y a presque plus personne, quoiqu'elle fabrique dix fois plus de papier.


Il y a deux ou trois ans, un individu ayant travaillé dans cette fabrique se trouvait chez le perruquier, mon voisin, et disait que la veille on avait encore coupé les bras à dix ouvriers d'un coup !
- Comment, disait un client qui ne saisissait pas bien l'ironie, dix bras ? d'un seul coup ? par la même machine ?
- Oui juste, comme vous dites, par la même machine. Une nouvelle machine arrivée l'autre jour du Creusot et qui fait à elle seule l'ouvrage de dix ouvriers et, par conséquent, le patron a mis douze ouvriers dehors. Et ce n'est pas fini, il en viendra d'autres jusqu'à ce que tous les ouvriers soient remplacés par des machines. Et en effet, cela paraît bien près de se réaliser.


J'ai passé par là depuis et, où je voyais autrefois une véritable fourmilière humaine, je ne voyais plus personne. Si je n'avais pas vu fonder cette fabrique, j'aurais pu me croire en présence d'un de ces palais enchantés des contes orientaux. Je voyais des machines tourner partout, en dehors, en haut, en bas, à droite et à gauche. En haut, je voyais des monceaux de choses informes s'engouffrer dans des auges, où ils étaient broyés et mis en pâte ; de là, ils passaient dans d'autres auges ; puis de là, ces monceaux de pourriture purifiés et devenus pâte claire passaient dans des tuyaux, qui les déversaient sur un plateau de fer chauffé à la vapeur. Là, la pâte claire se transformait immédiatement en papier. Puis ce papier s'enfilait ensuite à travers une quantité de cylindres tournant en sens inverse pour aller sortir à vingt mètres plus loin, où il était repris par d'autres machines qui le découpaient en format voulu. Mais j'avais beau regarder, je ne voyais personne, d'abord parce que la vapeur m'en empêchait. Cependant, quand mes yeux parvinrent à percer la vapeur, j'entrevis trois ou quatre individus, les bras croisés sur la poitrine à la manière des paysans bretons. Ils étaient là comme des fantômes, les yeux fixés sur les machines, ne bougeant, ni parlant. D'abord, pour parler, il est impossible, au milieu de ces machines.


Enfin je sortis de ce vaste palais enchanté, émerveillé du génie de l'homme, mais aussi attristé en considérant que ce génie va à l'encontre du but vers lequel il devrait tendre, c'est-à-dire à égaliser un peu le bonheur en ce monde entre tous les individus, tandis qu'il tend au contraire à accabler de richesses et de bonheur quelques privilégiés seulement, en en éloignant de plus en plus des millions de malheureux déshérités à qui, comme disait cet ouvrier renvoyé de la fabrique, les machines coupent les bras tous les jours, leur seule fortune en ce monde.


Et ces hommes de génie, ces inventeurs de machines à couper les bras, reçoivent des éloges, des encouragements, des félicitations, des brevets, des croix et des pensions, comme en reçoivent ceux qui font les meilleurs écrits mensongers pour rouler, pour berner, pour abrutir, pour consoler et pour calmer les douleurs des malheureux, qui restent impassibles, paisibles, avachis, le ventre vide, en haillons, devant ces machines qui tournent jour et nuit au profit de quelques millionnaires et milliardaires, et semblent rire en leur mouvement perpétuel et se moquer de ces autres pauvres machines en chair et en os qui restent crever de faim en les regardant tourner.


Et cependant on entend tous ces ouvriers crier après ces machines, lesquelles finiront certainement par les mettre tous sur le pavé. On entend même parfois quelques soi-disant économistes, dont toutes les économies viennent de ces machines, dire du fond de leurs cabinets que ces machines pourraient bien à la fin devenir un danger, mais ils répondent de suite qu'on ne peut pas arrêter l'essor du génie sous peine de retomber dans la barbarie.

 

Extrait de Histoire de ma vie
Texte intégral des Mémoires d'un paysan bas-breton
Jean-Marie Déguignet
Première édition : An Here ; 2001; rééditions : Arkae
Page 405


La fabrication du papier à Odet de 1822 à 1983

Pierre Faucher a dressé un historique de la fabrication du papier dans les usines d'Odet. Depuis la papeterie originelle, fondée par Le Marié, jusqu'aux usines de papiers spéciaux dans les années 1980, l'histoire d'Odet nous parle de l'évolution de l'économie et des techniques.

 

Historique des fabrications à Odet de 1822 à 1983

Pile défileuse par Mann KerouedanAu départ, le moulin à papier fabriquait industriellement des papiers « gros » d’emballage et du parchemin. Ce travail se faisait à la forme, à la cuve. Le papier était séché aux perches et parfois même à la lande. Sur la plaque inaugurale (février 1822), il est précisé que la papeterie d’Odet est la troisième manufacture à papier établie en Bretagne. Le cylindre est en l’occurrence un cylindre en fonte placé au fond d’une cuve et muni de lames transversales. Ce système de pile défileuse fut un grand progrès dans la fabrication du papier car il permettait de raffiner le chiffon en une dizaine d’heures, alors que le défibrage à l’aide de la pile à maillets nécessitait 30 à 40 heures. Avec les piles à cylindre, on pouvait produire beaucoup de pâte et donc davantage de papier. En 1834, Nicolas Le Marié acquiert une machine à papier en provenance d’Aumonay (Ardèche), ville des frères Mongolfier. Les cylindres et rouleaux sécheurs seront également intégrés dans les machines à papier plus tard. Ce système de toiles et de rouleaux remplacera le travail à la cuve et le séchage aux perches. La fabrication s’orientera vers le papier fin : papier mousseline, papier coton pour celluloïd, papier Bible.

Ci contre : système de pile hollandaise défileuse
dessiné par Mann Kerouedan,
ancien conducteur de machines à Odet.

 

 

Historique des fabrications à Odet de 1822 à 1983

1822 : Fabrication à la cuve à partir de chiffons. Papiers gros d’emballage et à parchemin.1828 : Deux cuves de papier blanc -> 3456 rames. Une cuve de papier gris -> 4218 rames.
1834 : Acquisition d’une machine à papier venue d’Annonay. Papier mousseline. Papier coton pour celluloïd. Papier Bible.
1838 : Papier de bureau et d’impression : 25 tonnes. Papier à la Jacquard : 50 tonnes. Papier de tenture : 55 tonnes., Développement des exportations.
1861 : 480 tonnes de papier.
1865 : Premiers essais de fabrication de papier à cigarette.
1881 : Mise au point de la production de papiers minces, notamment celui à cigarettes, avec Léon Bolloré (frère de René) pendant deux années.
1929 : 932 000 bobines de papier à cigarette, soit 876 000 kg, sortent des usines d’Odet et de Cascadec.
Années 1930 : OCB, Odet-Cascadec-Bolloré, débute.
1939 : La France fabrique plus de la moitié du papier à cigarette dans le monde, dont plus des ¾ sont exportés aux USA et au Canada.
1947 : Redémarrage de l’usine d’Odet, arrêtée de 1941 à 1946, avec deux machines : l’une pour le papier à cigarette et le papier Bible, l’autre pour le papier carbone, écru ou coloré.
1948 : 1800 tonnes de papier sont produites dans l’année.
1949 : 20 tonnes de papier sont produites par jour. Développement du papier condensateur (3 tonnes par jour) de 7 microns.
1950 : Quatre grandes firmes se partagent le marché français du papier mince.
1959 : Arrêt de la fabrication du papier à cigarette. Amplification de la fabrication du papier support carbone à partir de la pâte de bois écrue, ou plus rarement blanchie (suppression des ateliers de chiffonnerie, de lessivage et de blanchiment des pâtes).
1960 : Huit machines fabriquent du papier condensateur. Développement des sachets à thé.
1961 : Arrêt de la fabrication du papier carbone et progression du papier condensateur.
1969 : Expérimentation de la fabrication des films diélectriques pour condensateurs.
1972 : Nouvelle usine à Ty Coat (à 200 mètres d’Odet) pour la fabrication du film en propylène pour condensateurs.
1983 : Arrêt définitif de la papeterie d’Odet, qui sera démolie en grande partie vers 1987.

 

Les fabrications importantes de la papeterie d’Odet

Le papier à cigarette
La France a acquis une réputation mondiale pour cette sorte de papier et s’est placée au premier rang avec une quarantaine de machines, répartie dans 13 départements, dont le Finistère, avec les papeteries Bolloré. Les 9/10e de la production sont exportés aux USA, en Espagne, en Turquie, en Russie…

Les variétés de papier à cigarette
- Blanc, sans charge, velin ou vergé, de 10 à 14 grammes au mètre carré
- Blanc, chargé de 15 à 25 grammes au mètre carré
- Très combustibles

Caractéristiques
Tous ces papiers doivent présenter, malgré leur légèreté, une bonne résistance à la rupture, à la perforation et aux froissements. Ils doivent avoir de l’opacité, de l’épair (une certaine transparence) et être exempts de piqûres. Suivant les cas, on exige une combustion lente ou rapide.

Composition
- la pâte de chanvre blanchie (déchets de filature, chiffons, cordages, filets, sacs)
- la pâte de lin blanchie (étoupes, rebus de filature, toile et fil de lin)
- les "bulles-durs" (papier grossier) de différentes qualités (contenant coton, lin, chanvre) pouvant former jusqu’à 50 % du mélange
- la pâte de coton (vieux chiffons, déchets de filatures) dont on ne prend généralement qu’une faible quantité
- la pâte au bisulfate blanchie, parfois ajoutée mais en faible proportion (5 à 12 %)

Raffinage
Ces pâtes doivent toujours être au préalable très soigneusement lavées. Le raffinage a une très grande importance pour éviter la formation de « boutons » (agglomération de fibres). On raffine en moyenne de sept à 12 heures suivant la nature du mélange des pâtes. Les constituants sont travaillés séparément et mélangés en dernier lieu.

Charges
On utilise le carbonate de chaux, le carbonate de magnésie, la magnésie, et quelquefois le kaolin. Ces matières ont pour but de communiquer de l’opacité et un toucher onctueux tout en retenant certains produits volatils, malodorants, pouvant résulter de la combustion des fibres organiques. La proportion employée varie de 5 à 30 % selon l’opacité, le poids au m2 etle degré de combustibilité demandé. Le carbonate de chaux est généralement prédominant parce qu’il donne de la porosité et des cendres très blanches. On lui adjoint un peu de sulfate de zinc. Enfin, pour accroître la combustibilité, on ajoute dans la pile hollandaise, vers la fin du raffinage, un peu de nitrate de magnésie, de nitrate de soude ou de chlorate de potasse. Quelquefois, on pulvérise des solutions de ces derniers produits sur la feuille en cours de fabrication sur la machine à papier (en fin de sècherie).
Parfois, on procède à un faux filigranage (marque ou dessin se trouvant dans le corps du papier et que l’on peut voir par transparence) avec des rouleaux graveurs agissant par écrasement des fibres sur la feuille préalablement humidifiée.
Des années 1880 à 1959, la fabrication du papier à cigarette fut importante dans les usines Bolloré, permettant avec cinq machines de produire dans les années 1930 plus de 2500 tonnes de papier correspondant à 50 milliards de cigarettes. Les cahiers OCB ne se fabriquent plus en Bretagne, mais à Angers, avec les cahiers Zig-Zag, tandis que les cahiers Job sont produits à Perpignan.

Le papier condensateur occupe la première place dans les années 1960 avec huit machines de production. Bolloré représente 30 % du marché mondial avec ce papier d’une extrême finesse, qui joue le rôle d’isolant en électricité. Le papier carbone se développe aussi dans les années 1960, avec 80% du marché français (de différentes couleurs) et sera fabriqué à partir de la pâte de bois. Le sachet à thé : Bolloré assure 80 % du marché intérieur français. Ce papier est fabriqué à partir de chanvre de Manille, puis de la fibre longue de la pâte de papier. Le papier Bible sert à l’édition de livres religieux et à celle de la collection littéraire « La Pléiade », en papier fin. Le film polypropylène apparaît dans les années 1970. Ce film plastique est fabriqué à partir de petits granulés blancs, fondus dans une « extrudeuse ». Transformé en une matière visqueuse, le polypropylène retourne à l’état solide sous la forme d’un film plat, après passage dans un cylindre réfrigéré.  Ce film est alors étiré en longueur et en largeur. Cette fabrication a beaucoup évolué avec l’usine de Pen Carn.


Pierre Faucher


Chronologie pour les usines d'Odet

Cet historique des usines d'Odet est établi à partir d’éléments assemblés par Jean Guéguen[1], papetier de 1948 à 1983, laborantin à l’usine vers 2000. Il présente les dates et étapes essentielles du fonctionnement de la papeterie.

 

1821 : Nicolas Le Marié, ingénieur à la Manufacture de tabacs à Morlaix, après avoir visité plusieurs lieux, décide de construire un moulin à papier (une manufacture à papier à cylindre) sur les rives de l’Odet, à deux lieues en amont de Quimper.

1822 : Nicolas Le Marié pose la première pierre de cette manufacture de papiers à cylindre (le 19 février) à Odet, en Ergué-Gabéric. Ainsi est créée le moulin à papier (veilh paper) d’Odet. Il s’agit d’entreprendre la fabrication de gros papiers pour parchemins, emballages, etc. Ce travail se fait à la forme ou à la cuve, puis le papier est séché aux perches ou à même la lande.

1828 : La manufacture est dotée de deux cuves à papier blanc et d’une cuve à papier gris. Une trentaine d’ouvriers assurent la production.

1834 : Acquisition d’une machine à papier venue d’Annonay (Ardèche). Le travail à la cuve et le séchage aux perches sont supprimés. La fabrication s’oriente vers le papier fin : papier mousseline, papier coton pour celluloïd, papier Bible.

1861 : Suite à un accident, une chute qui provoquera un affaiblissement général, N. Le Marié, qui est sans descendance directe, appelle son neveu, Jean-René Bolloré, chirurgien et médecin dans la Marine, à lui succéder à la tête de l’usine. Désormais, le nom de Bolloré restera attaché à l’entreprise.

1865 : Premiers essais de la fabrication de papier à cigarette, spécialité qui devait faire la renommée de la papeterie d’Odet.

1881 : Mort de Jean-René Bolloré. L’aîné de ses trois fils, René, le remplace.

1893 : Les activités de la papeterie d’Odet s’accroissent et vont se développer avec la location du moulin à papier de Cascadec, à Scaër, au bord de la rivière Isole.

1904 : Après le décès de René Bolloré, son fils René, âgé de seulement 19 ans, prend la direction de l’usine.

1910 : Mariage de René Bolloré avec Marie Thubé, fille d’armateur nantais.

1912 : Construction du manoir d’Odet en bordure de rivière et de nouveaux bâtiments de l’usine.

1913 : Acquisition d’une deuxième machine et construction du laboratoire, ainsi que de bureaux administratifs et comptables. Début de la construction de la centrale électrique à vapeur.

1917 : Achat de la papeterie de Cascadec, après 24 ans de location, et construction d’une usine hydroélectrique.

1918 : Construction de la cité ouvrière de Ker-Anna. Aménagement de jardins pour les ouvriers. Dans les années qui suivent, René Bolloré y fait venir une sage-femme et fait ouvrir une garderie pour les enfants, avec des religieuses et une infirmière.

1919 : Création du bâtiment de la chiffonnerie, en bordure de la route de Briec, et de l’atelier de délissage (triage des chiffons).

Création de la société sportive les « Paotred Dsipount »

Organisation de la procession de la Fête-Dieu dans le parc du manoir.

1920 : Prise de participation dans les papeteries de Champagne (Troyes).

1921-1922 : L’ancienne chapelle d’Odet, trop petite, est remplacée par une autre, plus vaste. Elle est dédiée à Notre-Dame, mais est souvent appelée Saint-René.

1922 : Le centenaire de la papeterie d’Odet est célébré avec faste, dans le parc du manoir d’Odet en présence de tous les ouvriers et de nombreuses personnalités.

1925 : René Bolloré se rend acquéreur de la chapelle de Coat-Quéau, en Scrignac, et de son calvaire, mis en vente publique par la commune. Cet achat se fait avec l’autorisation de l’évêque de Quimper. Ces édifices seront reconstruits en 1927 : le calvaire dans le parc du manoir d’Odet et la chapelle à l’entrée de l’usine de Cascadec, en Scaër (ainsi que, peut-être, le calvaire de Stang-Luzigou).

1927 : Le 1er dimanche de mai, pour les 80 ans de sa mère, René Bolloré réunit tout le personnel pour un banquet de plus de 120 convives : descente de l’Odet et repas dans un hôtel à Bénodet.

1928 : Construction de l’école libre des filles à Lestonan (Sainte-Marie).

Arrivée d’une nouvelle machine plus performante (cf. 7), remplaçant la machine 1, plus ancienne.

1929 : Construction et inauguration de l’école libre des garçons (Saint-Joseph) à Lestonan.

1930 : Inauguration du terrain de sports de Ker Anna, puis l’année suivante de la salle de patronage.

1935 : Mort de René Bolloré, le 16 janvier, à la veille de ses 50 ans. C’est Gaston Thubé, son beau-frère, qui assure la direction de l’entreprise, avec René Bolloré, le fils aîné, que rejoindront ultérieurement Michel et Gwen-Aël, ses frères.

1936 : Construction d’un 2e bâtiment de chiffonnerie.

1938 : Démarrage de la 4e machine à Odet (cf. 8)

1941-1946 : Arrêt de l’usine d’Odet pendant la guerre, suite à un manque d’approvisionnement en charbon.

1947 : Redémarrage de l’usine d’Odet avec deux machines :

  • l’une pour le papier à cigarette et le papier Bible
  • l’autre pour la papier carbone écru ou coloré

1950 : Achat des papeteries en Champagne (Troyes)

1952 : Électrification de l’usine d’Odet.

1959 : Arrêt de la fabrication de papier carbone pour être remplacé par la papier condensateur.

Construction d’un nouveau bâtiment pour accueillir une machine à condensateur (machine 9).

1963 : Construction d’un autre bâtiment pour une autre machine pour papier condensateur (cf. 10).

1969 : Arrêt définitif des machines 7 et 2 à Odet.

1972 : Une nouvelle usine de film en propylène pour condensateur est construite à 200 mètres de la papeterie.

1981 : Vincent Bolloré rachète les usines Bolloré (Ty Coat).

1983 : En juillet, arrêt définitif de la papeterie d’Odet, qui sera démolie en grande partie en 1987-88.

 

Jean Guéguen

 

[1] Jean Guéguen : surnommé Georges Briquet au laboratoire d’Odet (cf. Kannadig an Erge-Vras/Chroniques du Grand Terrier n° 2, août 2007). Il fut membre en 1978 de la commission extra-municipale des recherches historiques sur Ergué-Gabéric, devenue en 1990 Arkae, dont Jean Cognard fut membre.


Papeterie d'Odet : le choix du site

Pourquoi le fondateur des usines d'Odet a-t-il choisi de s'installer à Ergué-Gabéric, dans "un petit vallon à la sortie de Lestonan" ? Pour le comprendre, Pierre Faucher est remonté aux sources de la papeterie, autour de 1822. Nous découvrirons ce qui a poussé Nicolas Le Marié à élire ce site, ce qu'était ce lieu et ce qu'il en a fait.

Vx MoulinAvant 1822, l’emplacement de la papeterie ne devait correspondre qu’aux abords sauvages d’un petit fleuve côtier (l'Odet, allant de Saint-Goazec à Bénodet) avec des terrains en pente rocailleux, incultes, recouverts de ronces et de broussailles, sans beaucoup d’arbres. Le chemin vicinal ordinaire n° 3, qui relie le bourg de cette commune au chemin vicinal de Briec allant aussi au bourg de Briec, arrive vers Odet (Odet était le nom du fleuve, mais ne correspondait pas alors à un lieu-dit, avant la création de la papeterie), après avoir traversé le ruisseau du Bigoudic et le fleuve Odet. Un pont, proche du pont actuel (construit en 1859), enjambe-t-il l’Odet ou celui-ci est-il traversé au gué ? Il ne semble pas qu’il y ait eu de moulin à papier à EG avant cette date. Un moulin exista à Briec à la limite de la commune d’Edern, et d’autres sur le Steïr à Kerfeunteun (Ster ar C’hoat) et à Plogonnec (Meilh Nevet)[1]. Peut-être y a-t-il eu un moulin à céréales sur le Bigoudic, avec une roue à aubes ? Précisons qu’au recensement de 1790, il n’est mentionné aucun meunier à Keranguéo.

Gravure du livre d'or des papeteries (1930) représentant le moulin à papier construit par Nicolas Le Marié.

 

Les origines du choix du site

Discours de labbé André Fouët 1922

Selon l’abbé A. Fouët dans son discours du centenaire des Papeteries d’Odet, prononcé en 1922 : « Que de transformations à Odet depuis ce printemps de l’année 1824 où un cavalier de 24 ans parcourait cette région plus déserte, plus chaotique, plus désolée que le Stangala : du roc, des pierres, et encore des pierres, à peine des ronces et des broussailles, pas un arbre ! Aussi, lorsqu’il voulut s’arrêter, il ne savait pas où attacher la bride de son cheval ! Il dut superposer des pierres pour la fixer. »

Ce cavalier, c’est Nicolas Le Marié à la recherche d’un emplacement pour s’établir. Il est le fils d’un marchand « fayencier » quimpérois, qui exploitait aussi une manufacture de tabacs à Morlaix sous la Révolution. Les circonstances s’opposent doublement à la réalisation d’un projet de papeterie. Premièrement, dans le Nord-Finistère, les moulins à papier commencent à battre de l’aile sur les rivières de Morlaix. Secondement, l'État napoléonien a repris le monopole du tabac et les petites manufactures de tabac ferment.

Face à cette situation, les recherches de Nicolas Le Marié s’orientent, après ses études à Morlaix, vers la Cornouaille. A. Fouët poursuit : « Un petit vallon à la sortie de Lestonan, sur les bords de l’Odet, près de Quimper, le séduit, mais il lui manque une chute d’eau. Qu’à cela ne tienne, il détourne le cours de la rivière sur 1500 mètres, fait sauter des mètres cubes de roche et la crée de toutes pièces. Disposant alors de la force motrice nécessaire, il pose la première pierre des papeteries d’Odet en pleine campagne, loin de tout centre d’échanges et de communications[2]. » Ainsi l’implantation de la papeterie d’Odet fut-elle décidée dans un lieu sauvage, dans un vallon où coule l’Odet, mais sans voisinage habité, sans chemin adapté à cette activité.

Acquisition foncière des terrains d’origine de la papeterie
Le 27 janvier 1822, devant Timothée, Nicolas, François, Marie CHAUVEL et collègues, notaires royaux à la résidence de Quimper :
Présents : Jacques LE FAVENNEC, maçon, et Marie-Jeanne QUENHERVÉ, sa femme, demeurant à Kong Quéau, Ergué-Gabéric ; Nicolas LE MARIÉ, marchand, demeurant à Quimper.
Vente : la moitié du lieu-dit Kong-Quéau[3].
Origine : J. Le Favennec, acquéreur de Jean HERVÉ et Marie-Jeanne ROPARS, sa femme, par contrat d’acquêt du 26 août 1809 (MENIEL, notaire à Quimper), ledit HERVÉ l’ayant recueilli en partie de la succession de père et mère, qui, eux-mêmes, l’avaient acquis par contrat d’adjudication le 25 septembre 1745.
Prix : 1400 francs.
Superficie : d’après le cadastre de 1835, 15 hectares 04 ares 17 centiares.
Jouissance : 29.09.1822.
Hypothèques : n°134 du 11 février 1822.


La ressource en eau de la papeterie

Plan Moulin à papier XIXeL’abbé A. Fouët continue la recherche avec Nicolas Le Marié : « À cette époque, dans nos régions, on utilisait bien peu la houille blanche comme moteur industriel, et le chercheur du site voulut faire coup double en s’en servant pour fonder une papeterie. Une chute d’eau était à créer ; pour l’obtenir, il fallait détourner l’Odet sur une longueur de 1500 mètres. » En effet, les besoins en eau sont conséquents pour le fonctionnement d’une papeterie pour la production d’énergie (hydraulique et vapeur) et pour la fabrication de la pâte à papier. Deux tronçons de cours d’eau peuvent être utilisés pour la création de la papeterie : le ruisseau du Bigoudic, qui prend sa source vers Kervoréden et qui descend se jeter dans l’Odet en remontant un peu vers Stang Luzigou ; le fleuve Odet, qui vient des montagnes Noires (Saint-Goazec) et qui traverse le site intéressant Nicolas Le Marié.

Ces deux cours d’eau sont à maîtriser pour répondre aux besoins en eau de la papeterie. Le Bigoudic a dû être le fournisseur d’eau exclusif à l’origine de la papeterie. Pendant combien d’années ? Quand Nicolas Le Marié a-t-il étudié et décidé de creuser le canal ? Sa réflexion datait peut-être de l’origine de l’implantation de la papeterie d’Odet, mais n’a-t-il pas dû se contenter de l’eau du Bigoudic entre 1822 et les années 1850-1860 ? Il devait rechercher comment établir la jonction entre l’Odet et l’usine afin de satisfaire les besoins en eau pour l’énergie et la fabrication de la pâte à papier. C’est certainement lorsqu’il a étudié la liaison possible depuis le niveau du moulin de Coat-Piriou, distant de 1600 mètres environ de la papeterie, avec une chute d’environ six mètres (selon Mann Kerouédan), qu'il a décidé de creuser ce canal.

À partir de 1852, Nicolas Le Marié fait les acquisitions foncières nécessaires à la construction du canal, en trois fois :
- Acquisition de terres et du moulin à eau broyant des céréales de Coat-Piriou le 23 février 1852 (parcelles de 23 à 30 autour du moulin et près de l’Odet / parcelles 262 à 265 : taillis et garennes)
- Acquisition d’une partie de la parcelle n°906 (à Briec, section I), appartenant à Jean-Louis LE STER et Marie-Anne CARIOU à Gresker, le 17 mars 1852, et de tous les droits sur les eaux courtes ou de la partie fluide de l’Odet, rive droite de cette rivière (contrat de Me PLUNIER, notaire à Briec).
- Acquisition en 1853 des parcelles 249 à 261 le long de l’Odet, entre les terrains acquis en 1822 à Odet et le moulin de Coat Piriou[4], soit environ une dizaine d’hectares de landes provenant de la ferme de Quillihouarn.

 

Le moulin de Coat Piriou

Ce moulin[5] [6], connu depuis 1540, aujourd’hui disparu, dépendait de Kerfors (manoir situé près de Lezergué). À cet endroit, l’Odet vient buter contre le flanc rocheux (rive gauche, côté Ergué-Gabéric), d’où ce virage à angle droit, avec un déversoir naturel de 0,80 à 1 mètre dans le coude de la rivière. Cette différence de niveau fait du lieu l’emplacement idéal pour l’implantation d’un moulin produisant de la farine. On va l’appeler « Meilh Coat Piriou ». Creuser un bief d’une centaine de mètres en aval pour obtenir 1 mètre de chute est suffisant pour faire tourner les roues d’un moulin.

Le moulin à farine de Coat Piriou sera inventorié en 1809 à la demande du préfet aux maires des communes finistériennes (Salomon BRÉHIER est alors maire d’Ergué-Gabéric, de 1808 à 1812). Le moulin de Coat Piriou est en activité avec une roue verticale et une roue horizontale pour une production journalière de quatre quintaux de farine. Il figure comme moulin, avec son bief, sur la carte de tous les chemins ruraux dressés en 1914 (archives municipales).

Meuniers identifiés[7], Nicolas LE BERRE et sa femme, sont qualifiés d’« honorables gens » par les actes ; Corentin COJEAN, recensé en 1790, sa femme, Marie CALVEZ, et leurs deux domestiques (Marie NOUY et Jean LE CLOAREC) sont recensés ; Jean PIRIOU (an 12 ??), Joseph FRAVAL (1809), Yves FRAVAL (1816-1818), Jean-Louis LE GARS (1832-1839), Hervé ILLIOU[8] (1851-1858) apparaissent également.

Extrait d’acte de naissance
Un enfant est né en 1858, le 16 mars, au moulin de Coat Piriou : Marie-Renée HILLIOU, fille de Hervé, âgé de 39 ans, meunier au lieu du moulin de Coat Piriou, et de Anne QUINIOU, son épouse âgée de 34 ans, en présence de Louis HILLIOU, 22 ans, et de Joseph PÉTILLON, 30 ans, meuniers en cette commune.

Achat du moulin de Coat Piriou par Nicolas LE MARIÉ le 23 février 1852 devant Me PLUNIER, notaire à Briec.
Marie-Anne LE BERRE, ménagère, épouse judiciairement séparée de Pierre LOUBOUTIN, demeurant au bourg de Briec, vend :
À Nicolas LE MARIÉ, propriétaire, demeurant à la fabrique de papier au moulin d’Odet : une montagne appelée Menez ou Goaremmou Ty Ouarn et dépendant du village de ce nom ; un moulin à eau, sis sur l’Odet, nommé Meil Coat Piriou : prairies, courtils et toutes dépendances.
M. Le Marié sera propriétaire à dater d’aujourd’hui avec les revenus correspondants du moulin, et à l’expiation du bail qui finit le 29 septembre 1853 pour la montagne de Ty Ouarn.
Prix : 6000 francs
Payés : 600 francs de suite
Et 5400 francs dans les quatre mois
Acte signé à Gougastel

En relevant les hypothèques, le moulin de Coat Piriou est signalé démoli en 1859. Le moulin a dû arrêter ses activités meunières et être démoli en 1858. Le 17 mars 1852, au terme d’un contrat reçu par Me Plunier, notaire à Briec, M. Nicolas Le Marié a acquis une partie de la prairie cadastrée sous le n° 906 (section 1 de Briec) pour la vente de M. Hervé ROLLAND et Mme Marie-Louise PENNARUN, son épouse, cultivateurs, demeurant au Gresquer, commune de Briec, ainsi que tous les droits sur les eaux courantes ou la partie fluide de la rivière de l’Odet (Briec), rive droite de cette rivière, dépendant de la ferme de Gresquer ou des terres appartenant aux vendeurs. Dans cet acte, il est indiqué que M. Le Marié n’élèvera pas de déversoir de son moulin, sis sur la rive gauche de l’Odet en la commune d’Ergué-Gabéric, au-dessus du niveau actuel, qu’il sera tenu de faire incessamment établir et constater à M. le juge de paix du canton de Briec (dans les échanges contentieux de 1923, ayant trait à la surélévation du barrage ; il est fait mention de conventions de 1852).

Moulin de Coat Piriou par Man Kerouedan

Dessin du bief et moulin de Coat Piriou en 1835 par Mann Kerouedan, ancien conducteur
de machines aux papeteries Bolloré : « La maison du moulin est occupée par Monsieur
Jean-Claude Pichavant, note-t-il au-dessus du dessin. Le canal démarre en haut du bief
après destruction de l'ensemble et du pont. Le dénivelé est d'environ 2 mètres. Deux entrées
sur le bief : en été, l'entrée du haut ; en hiver, l'entrée centrale. Sur l'autre rive se trouve
la commune de Briec. » Août 2009.


 

La création du canal

J. Bothorel, dans Vincent Bolloré, une histoire de famille (2007), écrit sur les origines du canal : « On utilisait très peu, dans cette contrée, la ‟houille blanche” comme force motrice, et N. Le Marié n’hésita pas à détourner le cours de l’Odet sur 1600 mètres, à faire sauter des milliers de rochers, à remuer des masses énormes de terre. Des travaux gigantesques à une époque où les explosifs, les outils et le matériel de terrassement étaient tout, sauf performants. En six mois, un canal aux eaux claires et pures, aux berges ombragées, fut creusé. Il alimentera la manufacture de papier construite avec la même détermination et célérité. » Mais on peut s’interroger sur les sources et la véracité de ce texte.

N. Le Marié a certainement appuyé l’aménagement du déversoir et de l’écluse sur la rive droite, en amont du moulin de Coat Piriou. Ce serait pour cela qu’il acquiert une partie de la parcelle 906 et les droits sur les eaux courantes le 17 mars 1852. Quand le canal a-t-il été creusé[9] ? Quelle a été la durée des travaux ? Par qui ont été réalisés ceux-ci ? On peut difficilement le préciser (on ne trouve pas de trace écrite sur le sujet). Cette réalisation s’est certainement déroulée dans la décennie 1850-1860. N. Le Marié était alors au sommet de ses capacités d’entreprendre, soutenu par un développement régulier de la manufacture. Les achats fonciers (moulin de Coat Piriou, parcelle de Gresker 906 pour établir le déversoir ; landes de Quillihouarn le long de l’Odet) en 1852-1853 ont permis de terminer la jonction entre la papeterie et le moulin de Coat Piriou. Et cela semble s’achever par la démolition du moulin (1858). La construction du déversoir a dû être entreprise après 1852, si l'on en croit plusieurs écrits : achat de la parcelle 906, écrit de René Bolloré en 1923 évoquant à deux reprises cet aménagement à partir de 1852.

 

Le déversoir et le canal entre 1852 et 1923

Au déversoir, l’eau de l’Odet se divise selon deux orientations : vers le canal, où l’eau traverse quatre vannes manuelles ; vers le lit de l’Odet, reconstitué en bas du déversoir. Un muret d’une cinquantaine de centimètres de haut sur une trentaine de mètres de long, avant le déversoir, guide la courant de la rivière (l'Odet) sur la rive droite, le long des prairies de M. Le Ster. En principe, le niveau de l’eau dans le fleuve s’élève à 60-70 cm de haut, ce qui correspond au volume habituel qui transite dans l’Odet. Mais ce niveau est irrégulier à l’arrivée aux vannes d’entrée du canal.

Dès la mise en fonctionnement du canal, deux situations vont alterner :

  • En période de fortes pluies, le niveau d’eau monte en amont, car les vannes du canal forment un barrage. L’eau passe au-dessus des berges sur le muret de la rive droite (du côté de Briec) et inonde les prairies Le Ster.
  • En période de sécheresse, c’est l’inverse qui se produit. Il n’y a personne pour baisser les vannes du canal et le muret (de la rive droite en particulier) dirige l’eau vers le canal. L’eau ne passe plus sur le déversoir, l’Odet se trouve alors à sec entre le bas du déversoir dans la rivière et l’usine. Les poissons n’ont plus d’eau pour remonter.

Ces deux situations vont amener les parties concernées par les variations du niveau de l’Odet à récriminer le canal :

  • Le propriétaire des prairies de la rive droite (M. Le Ster, Gresquer, Briec), qui sont régulièrement inondées lors des crues. Cet état de fait nuit à la quantité de fourrage récoltée (herbe ou foin).
  • Les pêcheurs et l’État, responsable du bon fonctionnement des cours d’eau. Dans son rapport de 1923, l’inspecteur des Eaux et Forêts insiste sur l’importance de l’Odet pour la production du saumon et son développement, ce qui nécessite d’adopter des solutions favorables au franchissement du barrage par les poissons migrateurs. 

Or M. René Bolloré demande de surélever son barrage de prise d’eau pour accroître le volume d’eau utilisé par la papeterie. Cette demande avait été esquissée dès 1913-1914, et avec la guerre, elle restera en attente. Mais après 1920, la demande est renouvelée.

 

Le relèvement du barrage et la création de vannes automatiques

Bolloré demande donc la surélévation du barrage de la prise d’eau, et M. Le Ster, propriétaire des prairies riveraines du barrage s’y oppose en raison des inondations et submersions qui en résulteraient. Une enquête publique sur ce projet se déroule du 1er au 15 octobre 1923 dans les communes d’Ergué-Gabéric et de Briec.

  • Le dossier d’Ergué-Gabéric contient deux protestations motivées par les menaces d’inondation de parcelles appartenant à deux agriculteurs propriétaires.
  • Le dossier de Briec contient huit protestations de propriétaires ou fermiers riverains toujours motivées par les submersions et inondations qui en résulteraient et par l’augmentation de l’importance des gelées résultant des inondations. M. le maire de Briec demande qu’il soit tenu compte des observations présentées.

Cette enquête mobilisera les administrations, le préfet en premier lieu, et le dossier établi en archives comptera 89 pièces (récapitulatif du bordereau du 14 février 1925) ! En définitive, M. Bolloré demande un relèvement du déversoir de 55 cm. Après enquête, il en sera accordé 33 cm. Il y eut opposition systématique de M. Le Ster, qui obtenait depuis 1852 une indemnité, qu’il a touchée sans interruption. Il résultera de ces faits de nouveaux ouvrages régulateurs. À la place du simple déversoir existant en 1923 et de l’échelle de poissons à gradins, le barrage devra être doté de :

  • une vanne automatique à poissons de 1 mètre de largeur utile et dont le seuil sera sensiblement à la cote au fond de la rivière.
  • une grande vanne automatique, dont le seuil serait à la cote du fond de 11 mètres de largeur.
  • un déversoir.

La petite vanne sera réglée de manière à s’ouvrir complètement avant que la grande n’entre en action. La grande vanne intervient pour réguler le niveau de l’Odet. Cette vanne se soulève quand le niveau d’eau monte. Les flotteurs montent dans leurs logements respectifs. Quand l’eau descend, c’est l’effet inverse. Le but est d’avoir une hauteur d’eau suffisante dans le canal.

 

La vanne de décharge et l’entretien du canal

Cette vanne de décharge du canal dans l'Odet, avec tunnel, a été bâtie sans béton, entièrement en pierres de taille il y a plus d'un siècle. Pas la moindre herbe ne pousse entre les pierres. Chaque année, pendant l'arrêt de la papeterie au cours de l'été, le canal était vidé, nettoyé et parfois réparé pour colmater les effondrements de murs et les fuites. Il était aussi curé en partie certaines années. Une convention notariée entre M. Bolloré et M. Le Ster sera signée le 3 juin 1925, actant les ouvrages et les indemnités. Ci-dessous : Schéma des vannes de l’écluse du canal, Ti-Ouront, par Mann Kerouedan.

Ty Ouront traité

 

La fermeture de la papeterie en 1983

 Elle entraîne l’abandon de l’utilisation du canal. Et l’équipement en vannes de l’écluse va se détériorer.

 

Le bois de Stang Luzigou et le canal depuis 1980

Le Conseil général du Finistère a acheté les bois du Stang Luzigou en 1981-1982 (28 hectares). L’aménagement de sentiers, d’une aire de jeux et de stationnement, les plantations et coupes de bois seront réalisés régulièrement par le Conseil général, sous la direction de l’ONF (Office national des forêts). En 1994, le Conseil général achète les prairies comprises entre la route et l’écluse (4 hectares 86) et l’Odet. En 1996, la commune d’Ergué-Gabéric achète l’assiette du canal (1 ha 2 a 34 ca), car Bolloré voulait y mettre un droit de réserve pour y puiser de l’eau à des fins industrielles éventuellement[10], et le Conseil général, dans le règlement des acquisitions avec le financement par la taxe sur les espaces verts, ne peut acquérir s'il y a la moindre réserve dans l’acte d’achat, ce qui était le cas. Les praires, le long du canal, et vers l’Odet , ont été aménagées, plantées, avec des sentiers piétonniers. Par contre, aucun projet d’aménagement du canal n’a été réalisé.

L’eau était un élément déterminant dans l’implantation de la papeterie d’Odet, pour la production de l’énergie et la fabrication du papier. Après l’utilisation du Bigoudic, l’acheminement de l’eau de l’Odet par le canal permit de satisfaire la demande de l’usine, qui augmentait avec la forte croissance de la production.

 

La démolition des vannes de Coat Piriou en 2014

On trouve dans un article de Jean Cognard, intitulé "Promenade bucolique près du canal : le chêne à la baignade" et paru dans le Grand Terrier n° 9 (octobre 2009), une description de Coat Piriou, du souvenir qu'a laissé ce lieu : « Ce magnifique chêne se trouve depuis de nombreuses décennies au bord du canal d’Odet, où il déploie ses branches majestueuses au-dessus de l’eau. Plus que centenaire, il était peut-être déjà là avant la construction du canal ? Il est précisément à mi-chemin entre la papeterie et l’écluse, à cet endroit qu’on appelle la baignade, car au moins trois générations de Gabéricois s’y sont baignés, nombreux chaque année de mai à septembre. Et le sport favori des jeunes gens était de plonger dans l’eau froide depuis la branche horizontale principale de l’arbre, tout en éclaboussant allègrement les jeunes filles effarouchées. »

Pierre Faucher

 

Notes

[1] Voir Moulins à papier de Bretagne, Yann-Ber Kemener, Morlaix, Skol Vreizh, 1989.

[2] Livre d’or Bolloré, 1930, p. 2 : « L’initiative prise par Nicolas Le Marié ne manquait pas de hardiesse. Certains l’eurent taxée de témérité. Le lieu dans lequel, au printemps de l’année 1921, il décidait de créer cette manufacture de papier à cylindre, n’offrait d’autre ressource que l’eau de la rivière d’Odet, qui coulait entre les coteaux granitiques, sans végétation, sans village, sans moyen de communication avec la ville de Quimper, sise à plus de 9 kilomètres. »

[3] Kong Quéau : village dénommé le « Quéau », nom qui proviendrait du breton « Keo », c’est-à-dire « grottes ». Keranguéo signifie ainsi « village des petites grottes ». Cf. Bernez Rouz, Les noms de lieux d’Ergué-Gabéric, Arkae, Cahier n°9, 2007.

[4] Le moulin de Coat Piriou est signalé démoli aux hypothèques en 1859.

[5] Appelé parfois Moulin Odet, près de Pont Piriou.

[6] Piriou : nom très ancien. On le trouve dès 1540 sous la forme Peryou. Son origine remonterait au XIe siècle, dans le cartulaire de Quimperlé. Peryou contient la racine per (du gallois pyr), qui signifie « prince ». Soit piriou : princier. Cf. Bernez Rouz, Les noms de lieux d’Ergué-Gabéric, Arkae, Cahier n°9, 2007.

[7] Source : Kannadig du Grand Terrier, n°15, juillet 2011.

[8] Hervé Illiou et Anne Quiniou se sont mariés le 4 février 1849 à Ergué-Gabéric, et le père d’Hervé, Yves Illiou, était meunier.

[9] Suite à la découverte de la carte ci-jointe (carte d’état-major, dite de Capitaine, datant de 1858), trouvée dans le dossier Déguignet, sur laquelle on distingue le canal réalisé, peut-on déduire que le canal a bien été creusé entre 1852 (achat du moulin de Coat Piriou et de terrains à proximité) et 1858 ?

[10] C’était essentiellement Gwen-Aël Bolloré, qui habitait à l’époque au manoir familial d’Odet, qui « rêvait » de remettre en eau le canal, peut-être pour y réaliser une activité piscicole, avec pêche à la ligne !...