Bretonnismes et français de Quimper

V’la bien trois s’maines passées maint’nant qu’Hervé Lossec, un gars du Nord (non pas un ch’ti, du Nord-Finistère, du Léon quoi) est venu au Grand-Ergué « conférencer » sur comment qu’on cause ! À l’entendre, on voyait bien que çui-là faisait un peu la moque à nous. Pourtant ici on cause comme ça depuis longtemps, sans faire plus de chichi que ça.

Le français de Quimper, Léon Le BerreLes françismes avant les bretonnismes ?
En 1913 Louis Flatrès, Mellenig parti enseigner au Cloître-Saint-Thégonnec, écrit un petit opuscule Contribution aux efforts d’amélioration de l’enseignement du français et en particulier de la composition française dans les écoles rurales bretonnes, publié en 1920. Véritable hussard de la République, il se fait le défenseur intransigeant de la langue de la République : « Quiconque pénètre sur le territoire de l’école doit laisser la breton à la porte ». Cependant, c’est aussi un bretonnant et fin observateur, qui ne manque pas, avec beaucoup de tendresse et d’humour, de constater les limites de cette affirmation : « Il arrive que le seuil de la porte tranche une phrase en deux tronçons : la tête est bretonne, la queue française… Bien entendu, le français qui se parle dans la cour n’a que de lointain rapports avec la langue de Voltaire. Chaque école a son jargon comme chaque commune son breton et son costume ». Mais il nous fait aussi découvrir que bien souvent, notamment dans les campagnes, c’est le français qui avait d’abord pénétré le breton. Ce qui se traduisait par un langage bien particulier, un françisisme tout aussi original, savoureux et cocasse que le futur bretonnisme: « en sus du breton du pays, fort correct, totalement incompréhensible aux galloued, il y a le breton cuisiné à la française, breton intermédiaire de haute fantaisie, accessible aux non-celtisants : « Ar chef de gare a oa absent pa oa survent an accident gant an train marchandis – An offiçour a deuz punisset ar zoudard evit e fusul mal astiket – Ar répartitourien a zo convoket d’ar mairie vit receo an déclaration var sujet ar mutationou.  » Les deux langues se pénètrent, non sans se déformer mutuellement. Certains mots en sortent curieusement estropiés : ficelle devient sifel et biscuit guispi. Mais, évidemment, le bretonnisme n’est déjà plus très loin. Et il multiplie les exemples de conversation avec ses interlocuteurs locaux: « Oui, oui, je comprends le français. C’est l’habitude que je n’ai pas. Je ne sais pas le disscliper bien. J’ai pas été soldat. Alors j’ai pas fait grand’chose avec mon français. Pourtant j’étais bon à l’école. J’ai été chercher mon certificat. »

Histoire de prononciation, de syntaxe et de vocabulaire…
Mais déjà l’inverse avait aussi commencé, la pénétration du français par le breton. En 1854, Jean-Marie Déguignet arrivant à Lorient pour s’engager dans le 37e régiment d’infanterie, ne comprend rien de ce que lui dit le planton : «Tonnerre, pensai-je, alors le français n’est donc pas partout le même? Car là-bas à Quimper je comprenais beaucoup de mots, tandis qu’ici je ne comprends pas un seul. » Quant au sergent-major, « il parlait un autre langage que le planton, quoique avec un accent qui n’était pas celui des Français de Quimper ».
Quel est donc ce langage si particulier à Quimper ? En 1909 une première étude est publiée par Henri Kervarec, professeur au lycée La Tour-d’Auvergne à Quimper, dans Les Annales de Bretagne, "Le parler français de Quimper" : « Ce parler présente, au point de vue de la prononciation, du vocabulaire, de la syntaxe des caractères qu’il n’est peut-être pas sans intérêt de noter ». Puis il propose un petit dictionnaire des principaux mots et expressions usités dans notre région. Sa carrière le mène ensuite à Marseille, où il n’a semble-t-il pas continué à étudier les parlers locaux. Quel dommage, oh ! peuchère.
L’année suivante, dans la même revue, le Quimpérois Charles Armand Picquenard, médecin de son état, reprend les mêmes théories de Kervarec, y ajoutant, en tant qu’autochtone, un certain attachement : « C’est une langue rude, parfois un peu verte ; les commères qui en font le véhicule de leur éloquence naturelle ont parfois l’air drolatique ; mais à tout prendre ce parler populaire a de la saveur, de la vie, et sa rudesse apparente ne nuit en rien à sa plasticité ». Puis il explique que « le parler populaire de Quimper n’a aucune littérature traditionnelle; aucune grammaire, aucun dictionnaire spécial ne lui ont assigné des règles ou des formes bien définies ; chaque jour, il est exposé à varier selon le caprice, la tournure d’esprit de chacune des individualités qui en font usage ». Qui n’a pas rêvé d’une telle langue, sans erreur de grammaire, sans faute d’orthographe…
C’est dans la continuité de leurs travaux, qu’Hervé Lossec a publié, avec le succès que l’on sait, ses Bretonnismes… cent ans plus tard. Avant le siècle, c’est pas le siècle!

Le quimpertin
Mais au diable les linguistes, grammairiens et autres technocrates de la langue. Quelques hommes de lettres allaient donner à ce parler local la tradition littéraire qu’il n’avait pas. Dès 1913, Léon Le Berre, Abalor de son nom de barde, natif du P’tit-Ergué écrit, avec son complice Daniel Bernard, Paôtr-ar-c’hap, un gars du Cap (non pas Horn, mais Sizun), une comédie en trois actes dans cet idiome local, Français de Quimpertin – Galleg Kemper. L’extension -tin, diminutif de Corentin, allait donner un nom à ce parler local, le Quimpertin, plus tard, beaucoup plus tard, traduit en breton Kempertin. Dans sa préface, Anatole Le Braz, Quimpérois de 1886 à 1901, est plein de commisération pour ce petit peuple condamné « par une pédagogie absurde à pratiquer […] le mélange adultère, la contamination réciproque des deux langues ». Puis il s’étend sur « la misère linguistique d’un peuple qui, ayant à sa disposition deux beaux idiomes, n’a réussi, par la faute de ses éducateurs, qu’à les amalgamer au moyen d’une affreuse cuisine verbale, dans le plus hétéroclite et le plus burlesque des jargons ».
Replacée dans le contexte de l’époque, cette comédie a pour objet de ridiculiser ces Bretons pédants, qui s’essaient au français pour faire chic, mais se ridiculisent dans un baragouinage approximatif au grand plaisir des citadins. Ainsi Le Balc’h, l’un des personnages de la pièce qui « pour quelques vocables de pacotille, glanés sur les pas de ses bœufs, à courir les exhibitions agricoles de Paris ou d’ailleurs, s’estime un grand clerc. Fi du brezonek natal ! Baragouin de barbares, patois informe d’arriérés, demandez plutôt aux civilisés de la ville. Comme eux, il prétend être un civilisé, lui. Témoin, le poireau qui orne la boutonnière de sa veste. Il ne se doute pas, le pauvre Le Balc’h, que le poireau par essence, c’est lui, car il est l’homme qui a perdu sa langue ; et qui perd sa langue perd du même coup sa cervelle ». Et Le Braz tire de cette pièce, « un peu de la famille des Précieuses ridicules », une leçon: « Bretons, ne singeons pas les Français: nous ne ferions rien avec grâce. Soyons simplement, bravement, délibérément nous-mêmes ». Avant de conclure: « On dit qu’en France le ridicule tue; il serait à souhaiter qu’il en fût de même en Bretagne et que cette satire vengeresse dégoûtât pour jamais d’un langage qui n’a de nom dans aucune langue, non seulement les Le Balc’h, mais encore les Jennie et les Julien de l’avenir ».

Un langage bâtard
A la suite de Le Braz, les auteurs avertissent que l’intérêt de leur comédie : 
« ne réside ni dans l’intrigue ni dans le choc des passions. Elle n’a d’autre but que de peindre au vrai, la vie populaire et citadine d’un coin de notre Basse-Bretagne moderne, en lui empruntant ses formes de langage […] Puissent les ridicules que nous faisons ressortir, contribuer, du moins, à remettre nos compatriotes sur le droit chemin du Progrès intellectuel, dans la Tradition bretonne. On rougit trop souvent, hélas d’être breton, et cette mauvaise honte a envahi les campagnes avoisinant les villes. Ce qui se passe à Quimpertin, se passe aussi à Quemper-Guezennec, à Morlaix, à Lannion, à Lorient… Changez quelques expressions, modifiez un peu l’accent, et d’un bout à l’autre du pays, vous retrouverez la Pensée bretonne empêtrée dans des oripeaux mal taillés, ce même langage bâtard qui n’est ni le breton, ni le français, bien qu’on le désigne, avec une sincérité grotesquement touchante, sous ce dernier terme. L’Ecole pourrait beaucoup, si elle voulait sérieusement enrayer les progrès de ce jargon. Nous le disons avec regret : elle en est, malgré elle, la principale instigatrice. Tant que dans les hautes sphères de l’Instruction Publique, en Bretagne, on s’obstinera à écarter le système bilingue en honneur chez nos frères de Galles, tant qu’on négligera la grammaire comparée, l’enseignement du français chez les enfants du Peuple, citadins ou ruraux, sera un enseignement boiteux et inutile. Nos compatriotes ne sauront jamais le français, tout en s‘imaginant le posséder à fond. Loin de nous, de suggérer que ce langage, très spécial, n’ait un grand nombre de mots et d’expressions qui ont acquis le droit de cité dans nos villes bretonnes. Certes, les commères qui virent pendre Marion du Faouët ou qui, pour les 14-Juillet, bourouettaient en compagnie des dames de la noblesse et de la bourgeoisie, les matériaux du tertre où officierait Gomaire, durent en beurdasser et en flepper tout leur saoul ! Nous accorderons même que le Quimpérois possède un certain charme de terroir, mais nous ne croyons pas qu’il faille en tolérer l’accroissement quotidien. Komzomp brezoneg hag eur brezoneg iac’h ha difazi. Brezoneg eo Ene, kig ha mell-kein hon Broadelez-ni, met pa gomzer e galleg, iez, an oll Fransizien, diskouezomp da bep Gall, n’euz par d’eur Breizad, evit gallegât a zoare ! [Parlons breton et un breton sain et sans faute. La langue bretonne est l’âme, la substance et la moelle épinière de notre nationalité, mais quand nous parlons français, la langue de l’ensemble des français, montrons à chaque français qu’il n’y a pas meilleur qu’un breton pour parler un français de qualité !] »

Et de débuter la pièce :

SCENE I, ACTE I

- JENNIE : Mon Dieu, aussi donc ! C’est ici que c’est qu’y a du bec’h, aujourd’hui enfin!
- JULIEN : Gast ! Oueï alors ! Capable assez tout le monde aller à être fou avec !
- JENNIE : Me’nant, c’est faut que tu vas à renvoyer la bidon de pétrole chez la marquiss’ ! Reste pas à faire ton jouass, car y a la presse!
- JULIEN : La marquiss’ c’est, tu dis? Çall’ là qu’all est pisse! eune sacrée Marie Skrangn ; qu’all’ est pas seu’ment, pour donner deux sous de pratiques, quand c’est qu’on va lui envoyer des commissions!
- JENNIE : Sur vat ! pour rôder, çall’-là, all’sait, mais y faudrait la hijer pour qu’all’ ouvre sa porte-monnaie.
…/…

« Moi, au moins, je parle français un petit peu ! »
Mais si la dérision peut s’appliquer à cette époque à ces précieux ridicules, il ne peut en être de même pour tous ces braves gens du peuple pour qui l’expression en français devient au fil des années de plus en plus indispensable et qui en éprouve mille difficultés. A l’image de Julig, dont Pierre-Jakès Hélias relate, dans Le cheval d’orgueil, la peine à s’exprimer en français, mais fier malgré tout, avec son quimpertin, de pouvoir se faire comprendre, se plaignant d’un individu qui se moque de lui : « Celui-là se moque de moi en plein milieu de ma figure parce qu’il y a du mauvais français avec moi sur ma langue. Mais moi, au moins, je parle français un petit peu. Et même je vois que les gens me comprennent à peu près puisqu’ils me répondent de retour. Et lui, il n’entend ni la queue ni la tête quand je parle en breton, il n’est capable de dire yehed mad ni brao an amzer. Lequel est plus bête de nous deux ? Il dit aussi que j’ai un accent drôle, moi. J’ai l’accent que j’ai, quoi. Pour vous dire, j’ai entendu des fois, à la télévision, des étrangers, quoi. Des Allemands, des Américains, des grosses têtes de la politique, des savants et tout, est-ce que je sais, moi ! Ils parlaient français avec une cravate autour du cou et des chemises qui dépassaient leurs manches. Et beaucoup de ceux-là, presque tous pour dire, ils avaient un accent, terrible que c’était. Et moi, je comprenais quand même à peu près tout avec eux, même que je voyais qu’ils faisaient des fautes. Est-ce qu’on se moque de ceux-là ? Il n’y a plus de conscience dans le monde parmi les gens. »
L’époque est donc aux moqueries. Les citadins se moquent des paysans, qui le leur rendent bien, ainsi que s’en fait l’écho l’auteur du Cheval d’orgueil : « Au lycée de Quimper, les petits bretonnants que nous sommes seront moqués par les externes de la ville, qui parlent un affreux quimpertin et transforment tous les r en a : feame la poate donc ! Meade aloa ! Nous parlons tout de même aussi bien que ceux-là gast ! » Mais on va de moins en moins se moquer, car ce langage va de plus en plus se généraliser. Et il va même acquérir une certaine noblesse dans les lettres !

Le temps des poètes
Max Jacob, qui ne parlait pas breton, se repaissait de ce langage, tant des expressions que de sa sonorité. Et Pierre-Jakez Hélias pense d’ailleurs qu’il est à l’origine des propres langages du poète, comme de ses styles, déconcertant pour tout autre qu’un bretonnant de naissance. Lorsqu’il revenait à Quimper, le poète adorait se rendre dans quelques boutiques uniquement pour entendre les conversations des mégères quimpéroises. Sur ses vieux jours l’écrivain bigouden partit sur les traces de Max le Quimpérois. Dans Le piéton de Quimper, il évoque abondamment l’influence du quimpertin sur le poète : «Toujours il sera friand de ce parler populaire dont la lettre lui échappera, mais non l’esprit. C’est ainsi qu’il se plaira beaucoup à suivre, entre les deux guerres, l’envahissement progressif du breton par le français, source de bien des faux sens hilarants, mais aussi de précieuses révélations sur le génie de la première langue et l’état d’esprit de ses pratiquants, sur une psychologie naïve au premier abord, mais quelquefois très ouverte sur les mystères de la création et les problèmes de la créature. Monsieur Max va collecter avec soin ces faux sens apparents, quitte à s’en amuser d’abord avant d’en faire l’objet de ses plus profondes méditations ». 
Et encore : « Plus excitantes, plus bénéfiques encore, sont les conversations échangées, dans les rues populaires du centre, en français de Quimper que l’on appelle quimpertin. Voilà près d’un demi-siècle que le petit peuple de la ville-capitale, venu des bourgs et des hameaux bretonnants de la Cornouaille du Sud, pour occuper des emplois de services ou tenir des commerces de détail dans les proches faubourgs, s’initie péniblement à la langue bourgeoise. C’est aussi difficile pour ces gens-là que pour les bourgeois francisants d’apprendre le breton. Ce sont les mêmes fautes qui se commettent dans les deux sens, de l’une à l’autre langue ou de l’autre à l’une. Il y a des ordres de mots dans la phrase, des accents, des respirations même qui sont rebelles à la transplantation, parce que les racines linguistiques sont invétérées. Max Jacob, depuis qu’il était enfant, s’est réjoui de ce phénomène, parfois générateur de contresens hilarants, avant d’y reconnaître une preuve d’authenticité, un signe d’originalité native et sans apprêt. Bien sûr, il s’est amusé à pasticher, à parodier même le quimpertin, il est allé jusqu’à l’enrichir sur sa lancée, mais il a su également s’en servir adroitement pour faire parler à certains de ses personnages le langage qui était le leur et qui serrait du plus près possible leur vérité ».

De Jeanne Le Lorit à Marie Le Bolloch
Dès son premier recueil de poèmes, La côte, publié en 1911, Max Jacob distille quelques vers typiquement locaux. Ainsi dans sa fausse gwerz, Jeanne Le Lorit : « Jeanne Le Lorit n’a écouté que la chaleur de la nature. Maintenant Jeanne Le Lorit a tout lieu de se repentir. Un enfant elle a eu, son enfant elle a tué. Maintenant Jeanne Le Lorit est en prison à se ronger les ongles ». Et dans Les Korrigans : «Quand je suis revenu de la foire de Morlaix, j’ai passé près du fossé du château, le trou du diable. Comme de soleil il n’y avait plus au ciel ni sur terre je faisais le signe de la croix et je disais des avé». Il parsème à nouveau de quelques vers de quimpertin son recueil de Poèmes de Morven le Gaëlique, en 1926:

Le conscrit de Landudec

Un beau cheval que j’aurais, oui, que j’aurais
si officier je devenais
à l’armée, à l’armée
à l’armée donc
Toutes les filles avec des bouquets, oui, des bouquets
à tous les balcons sur le quai
à l’armée, à l’armée
à l’armée donc
Laouïk vous viderez le baquet, oui, le baquet
des épluchures vous tirerez
à l’armée, à l’armée
à l’armée donc
…/…

 

Enterrement en Bretagne

Beaucoup de chagrin pour la mort
de votre mari vous n’avez pas encor
Voilà huit jours que la maison est pleine
et les bols de café sont pleins également.
Du temps vous n’avez pas eu pour pleurer
le soir de la mort les voitures sont arrivées
…/ …

Mais le summum de sa poésie quimpertinoise se trouve dans Cinematoma, ouvrage publié en 1929, dans lequel il relate, entre autres, les aventures de Marie Le Bolloc’h , de Saint-Oâ, Celle qui a trouvé un mari, qui, après avoir fauté avec Corentin Leborgne, tue son enfant, l’enterre, se fait arrêter, émeut le président du tribunal qui la libère, et qui, dans l’affaire, trouvera un mari :
…/… « Corentin! Regardez le ventre que j’ai pris avec vous ! »…
…« Mon Dieu, que je dis après, cet enfant là sera mieux dans la terre du cimetière que je dis. Me voilà partie avec le petit dans mon tablier, tout droit au cimetière, alors donc »…
… « Qui qui aurait eu l’idée d’aller le chercher, le pauvre petit mignon ! Corentin, vous savez, c’est rapport à vous s’il est arrivé un malheur!» que je lui dis. Mais Corentin n’a rien dit. Ah ! ça c’est vrai qu’il n’y a rien de bon à gagner autour des hommes ! »

Heureusement l’avocat, « joli garçon tout à fait. Celui-là n’aurait pas été comme Corentin à me laisser faire cet enfant-là toute seule », plaide bien: « De sa faute il n’y a pas ! qu’il disait. Non : de ma faute il n’y a pas que je disais… Allez à la maison de retour, dit le président ». Et Corentin s’étant fait pardonner, « honte que j’ai eu », Marie est ravie de constater : « Si le malheur ne serait pas arrivé, Corentin ne se serait pas marié avec moi ». Et ce, malgré la réprobation de sœur Euphrasie : 
« - Marie Le Bolloch, vous êtes dans le péché pour toujours. 
- Dans le péché, je ne dis pas, sœur Euphrasie, mais mariée pour sûr, par exemple ! »

Le 25 mars 1936, Max Jacob écrit à une amie quimpéroise une lettre en quimpertin, parodiant Marie Le Bolloc’h :
« Ma chère commère
De l’eau, il y aura encore pour sûr avant les chaleurs. Mais s’il n’y aurait pas, les fleurs il n’y aurait pas non plus, n’est-ce pas ! Alors, bien obligé ! mais quand même que la rivière irait par-dessus bord dans le café Le Theuff, content je serais toujours d’aller au pays. On aime toujours son pays, n’est-ce pas ? Chacun, n’est-ce pas ? Je pense aller de retour dans une quinzaine travailler là-bas… ici il n’y a pas moyen de rien faire avec le "reuss" » qu’il y a. Et patati et patata et ça et ça et tout le monde à virer de côté et d’autre. Alors j’avais eu l’intention d’aller là-bas de retour mais voilà que j’ai une affaire ici encore pour une quinzaine. Les "Noctambules" comme on dit : un théâtre quoi ! Alors, je vais là tous les soirs réciter… oui… réciter ; alors, là j’aurai des sous et après alors, j’irai du côté de Douarnenez-Ploaré ; dans la maison de Monsieur Colle j’irai. » 

Bernez Rouz


Rapide présentation de la chapelle de Kerdévot

Ce texte est issu du dépliant disponible lors des visites guidées de l'été à la chapelle. Il a été établi sous le contrôle de Gaëlle Martin, adjointe au patrimoine d'Ergué-Gabéric, et traduit en plusieurs langues.

 

Kerdévot Photo Clélia Steczuk 2018Arrivant par une route sinueuse de campagne, on remarque la gracieuse flèche de la chapelle de Kerdévot, entre les frondaisons. Sur le placître, abrité par deux chênes séculaires, sont groupés la chapelle, le calvaire et la sacristie. A 300 mètres, dans le champ voisin, la fontaine. En entrant dans le porche sud, on est surpris par l’ampleur de l’édifice : 13 m de hauteur, 30 m de long. L’ensemble est harmonieux. Le plan est un simple rectangle, mais la séparation entre le chœur et la nef est soulignée par un puissant arc-diaphragme et autrefois par un jubé dont il reste un accès dans le mur. Le chevet est plat et percé d’une large baie axiale. Cette formule, très souvent utilisée en Bretagne, est d’origine anglaise. La chapelle est lambrissée. Comme fréquemment en Bretagne, on a utilisé le savoir-faire des charpentiers de marine. Libéré du problème de la poussée d’une voûte, on a pu hausser et ouvrir largement les arches des travées.

Un peu de chronologie
De style gothique flamboyant, la chapelle fut commencée par le chœur vers 1470 et achevée par la nef au début du XVIe. Le chœur est donc contemporain de la progression de la cathédrale et sous l’influence architecturale de ce chantier. Peut-être les maîtres d’œuvre ont-ils travaillé sur les deux chantiers en même temps ? Le clocher, écroulé le 2 février 1701, fut reconstruit l’année suivante. Le maître d’œuvre respecta le style gothique et ajouta des éléments de décoration classique (XVIIe). En réussissant le rapprochement de styles si différents, il fit preuve d’une parfaite maîtrise de son art. Par contre, la sacristie, datée 1705, est clairement du XVIIIe. La toiture à l’impériale, en forme de carène de navire renversée, est une belle réussite. C’est une forme savante héritée des modèles de la Renaissance française, introduite ici en milieu rural. Le calvaire (XVIe) est un des sept calvaires aux Apôtres du Finistère, mais il est très incomplet. Les statues des Apôtres n’ont peut-être jamais occupé leurs niches et le registre supérieur est vide des groupes sculptés qui devaient l’orner.

Pourquoi cette chapelle de campagne présente-t-elle une telle ampleur, une telle richesse ?
La tradition orale veut que la chapelle fut construite pour remercier la Vierge d’avoir arrêté, à la frontière des deux communes, la terrible épidémie de peste qui ravageait Elliant et menaçait Ergué-Gabéric. La « peste d’Elliant » a tellement frappé l’imagination populaire que son histoire est arrivée jusqu’à nous dans de multiples versions, dont une recueillie par Th. Hersart de la Villemarqué dans son livre le Barzaz Breiz, publié en 1839. Dans la réalité, il pourrait s’agir de l’épidémie de 1450, parmi les nombreuses autres épidémies de peste. 
Mais il faut aussi remarquer la grande abondance des armoiries et blasons (vitraux, façades). La noblesse locale s’est fait largement représenter pour ses dons. En effet, à la fin du XVe, cette classe sociale veut témoigner de son ascension dans un contexte politique favorable qui est celui du puissant Etat breton, créé par les ducs dans le courant du siècle. Les ducs eux-mêmes favorisent ce mouvement de rénovation du paysage architectural par une politique de mécénat. L’intérêt du pouvoir ducal pour la construction de Kerdévot se remarque ainsi sur la façade (hermine passante, bannière ducale) et sous le lambris (écu plein de Bretagne).

Les pièces du mobilier : retables et statues
pardon Kerdevot 2014 samedi 13 Benoît BondetLa fabrique de Kerdévot était donc assez riche pour s’offrir une belle construction et, par la suite, de belles pièces de mobilier pour en orner l’intérieur. Le retable flamand est en bois (chêne) polychrome et doré. Il raconte la vie de la Vierge en bas : la Nativité, la Dormition, les Funérailles. En haut, l’Adoration des mages, le Couronnement, la Présentation au temple. Il devait aussi comporter des volets peints. Les trois panneaux du bas et le panneau du couronnement ont été réalisés vers 1500 dans les ateliers d’Anvers. Au XVIIe siècle, un artiste breton a sculpté les deux panneaux du haut, à droite et à gauche. Connaissant l’importance des relations commerciales maritimes entre la Bretagne et les Flandres, on peut supposer qu’il est venu par mer. Mais quand ? Nous n’avons aucune information sur ce sujet. Ce retable a malheureusement été victime d’un vol en 1973. De nombreuses statuettes ont été dérobées. Aujourd’hui sa protection est assurée.
A gauche, la Vierge de Kerdévot est assise sur un trône imposant. Cette Vierge à l’Enfant affirme le triomphe de la maternité. Etant donnés le style et le décor Renaissance, c’est peut-être une œuvre fin XVe, importée d’Italie ou d’influence italienne. On possède peu d’informations sur cette statue remarquable. A droite, une Vierge de la Victoire foule le démon de son pied gauche et présente son enfant de front. Elle peut dater du début XVIIIe.
Quant aux retables des bas-côtés : à droite, celui de la Déploration serait peut-être de la fin XVe et de style hispanisant ; à gauche, le baptême du Christ a été volé en 1973. Il est remplacé par une Epiphanie, peut-être réalisée par un artisan local vers la fin du XVIe. L’encadrement est du XVIIIe.
Une statue de Saint Thélo, chevauchant un cerf, doit être du début du XVIIe. La crucufixion, au nord, est une œuvre composite difficile à dater.


Carte des constructions Bolloré à Odet

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Ancienne usine Bolloré Bolloré Technologie Ancienne cité ouvrière de Keranna Chapelle de l'usine Écoles privées Chapelle de Keranna Canal Terrain de Sport


Enquête sur le canal

Article en construction.


La chapelle Saint-René à Odet

Dédiée à Notre-Dame d’Odet, mais souvent appelée « Saint-René », la chapelle se situe dans l’enceinte des papeteries d’Odet, à Ergué-Gabéric. Propriété privée de la famille Bolloré, la chapelle Saint-René est invisible depuis la route qui va de Lestonan à Briec. Ouvriers, employés et cadres de l’usine ont assisté à des cérémonies religieuses dans ce bâtiment, d’une date incertaine au xixe siècle jusqu’aux années 1960, lorsque sera élevée la chapelle de Keranna.

 

Chapelle Saint Rene Odet par Louis Le GuennecOrigine

L’édifice actuel, refait en 1921-1922, est l’œuvre de l’architecte René Ménard. Il a remplacé une chapelle plus étroite, probablement construite au xixe siècle, tandis que l’activité des usines se développait. Ce premier bâtiment est mentionné par le livre d’or des papeteries en 1930[1] et par des témoignages. Ci contre : la chapelle Saint-René dessinée par Louis Le Guennec.

 

Constructeurs

Si les travaux d’agrandissement ont été ordonnés et financés par René Bolloré II (1885-1935), ils ont été conduits sur les plans de René Ménard (Nantes, 1876 - Nantes, 1958) et sans doute été exécutés par l’entreprise Thomas. Précédemment, René Bolloré avait confié à l’architecte nantais les travaux d'extension de son manoir d'Odet (1911) et la construction de la cité ouvrière de Keranna (1919). Les plans de la chapelle, conservés aux Archives départementales de Loire-Atlantique, ont été publiés par le site Grand Terrier[2]. Ils montrent notamment qu’en 1921, Ménard avait proposé plusieurs options au maître d’œuvre.

 

Situation

80 ans Mme Bolloré 9

La chapelle est, dès l’origine, mitoyenne d’un magasin, à l’est. L’ensemble a été élevé à flanc de colline, sur un dénivelé mesurant, au plus haut, c’est-à-dire au niveau du magasin, 1,20 mètre. Ce dénivelé est particulièrement visible sur une photo de 1927, à l’occasion des 80 ans de Léonie Bolloré (voir ci-contre). La chapelle d’origine, plus modeste, n'était pas orientée à l’est ; la chapelle agrandie ne le sera pas non plus. Or, dans la plupart des églises chrétiennes, depuis le xve siècle, le chœur se trouve à l’orient, tourné vers la Ville Sainte. À Saint-René, le chœur est situé à l’ouest et donne au nord-ouest sur la résidence Bolloré. L’entrée des fidèles se fait par le nord : avant l’office, les hommes s’engagent dans l’édifice « par une élégante porte sculptée[3] », tandis que les femmes pénètrent par une porte secondaire, à gauche. Gwenn-Aël Bolloré indique l’existence de deux autres portes donnant sur le parc du manoir (les deux premières donnant dans l’enceinte de l’usine)[4].

 

Extérieur

Chapelle Saint René chevet à pignonsLouis Le Guennec est le premier à donner de la chapelle Saint-René une description relativement fournie, puisqu’elle court sur deux pages. Ce texte figure dans un ouvrage posthume : Le Finistère monumental, tome III, p. 506-507, publié en 1984. Un dessin complète cette description.  Sur l’aspect général, Le Guennec note le « style gothique[5] » de la chapelle. Dans toutes ses constructions pour René Bolloré, René Ménard puisera en effet dans les traditions régionales, c’est-à-dire le gothique breton des xve et xvie siècles. La chapelle se distingue par son « clocheton plat qui découpe parmi les branches d’arbres son pignon à dentelures et ses trois chambres de cloches […] Sur la toiture chevauche un campanile-horloge revêtu d'épaisses ardoises imbriquées en écailles de poisson. » En outre, « un chevet à trois pans, percés de fenêtres flamboyantes, décore le grand pignon auquel s'appuie la sacristie ». Ce chevet à plusieurs pignons est inspiré, d’après Philippe Bonnet[6], des réalisations de l’atelier morlaisien des Beaumanoir (xve siècle). Cette abside à noues multiples est en effet l’une des caractéristiques du « style Beaumanoir ». René Ménard a pu se souvenir, par exemple, du chevet de l’église Saint-Gildas à Carnoët, construite par Philippe de Beaumanoir vers 1500. Grâce à ses trois faces, le chœur de Saint-René est éclairé de manière optimale, ce qui compense les dimensions modestes du bâtiment. Ci-contre : la chapelle d'Odet et son chevet. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

               

Intérieur

Chapelle Odet Saint René2Grâce à ce chœur éclairé de vitraux, l’intérieur se révèle, selon Louis Le Guennec, « large, clair, admirablement entretenu ». La nef « s'égaie de la lumière colorée et chatoyante des beaux vitraux placés dans les fenêtres du chœur ». En termes de capacité d’accueil, on peut déduire d’après les plans de René Ménard et les photographies du centenaire de 1922 que la chapelle, rectangle d’environ 10 mètres sur 17, ne recevait pas tous les ouvriers d’Odet lors d’un même office. En 1912, le recteur Lein soulignait déjà l’étroitesse de la chapelle, comme nous l’expliquons ci-après. Gwenn-Aël Bolloré donne quelques indications sur la répartition des places à l’intérieur de la chapelle. On y retrouve la hiérarchie de la papeterie, des âges, des sexes et de la géographie : « Nous voici tous à nos places. Au premier rang, à droite du chœur, chacun de nos prénoms est inscrit sur les prie-Dieu. Le protocole est rigoureusement respecté. De gauche à droite, mon père, ma mère et nous les enfants, par rang d’âge. Derrière, le personnel de maison. Au troisième rang, les employés et ouvriers de l’usine, par rang d’importance, et ensuite les enfants des écoles des Frères, puis la foule des hommes d’Ergué-Gabéric. Côté gauche, ma grand-mère a droit à un prie-Dieu capitonné. Elle a déjà près de soixante-dix ans [vers 1916]. Ses filles et leurs enfants derrière, les filles des écoles des Sœurs, puis la foule des femmes d’Ergué-Gabéric. […] Le prêtre officiant est un chapelain, […] payé et logé par mon père. […] Sept ou huit choristes, vêtus de soutanes rouges, l’assistent[7]. » Gwenn-Aël précise encore que, comme dans d’autres églises, les messes se disent en latin, tandis que les chants et le prêche sont en breton. L’enfant, élevé en pays gallo, ne comprend pas le breton ; et l’on ne sait pas dans quelle mesure son père entendait le breton et s’il comprenait le prêche du prêtre. Ci-contre : la chapelle de Keranna, du côté des entrées. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

 

Vitraux

Les vitraux présents dans le chœur représentent les saints René (Renatus), Michel (Michael), Guinal, Jacques (Jacobus), Madeleine, Jehanne d'Arc. Ce sont ces verrières que Louis Le Guennec a vues et décrites dès les années 1920 : « Ces vitraux, timbrés aux hermines de Bretagne et aux armoiries des principales villes de notre province, témoignent du patriotisme breton et de l'esprit de foi des fondateurs de la chapelle, qui y ont fait peindre les images de leurs saints patrons et protecteurs[8]. » Des blasons portés par des anges renvoient en effet aux lieux chers à la famille Bolloré (Quimper, Nantes, Saint-Malo sont reconnaissables). À l’image des seigneurs commanditaires des églises médiévales, les Bolloré sont aussi présents, sous la forme de leurs saints patrons, dans les vitraux de leur chapelle :
Renatus correspond à : Jean-René, l’arrière-grand-père né 1818 ; René I, le grand-père né en 1847, René II, le père né en 1885, et René-Guillaume III, l’aîné des enfants né en 1912 ;
Notre-Dame : Marie Thubé, épouse de René Bolloré, née en 1889 ;
Jacobus à Jacqueline, la cadette née en 1914 ;
Michael à Michel, le cadet né en 1922 ;
Guinal à Gwenaël, le benjamin né en 1925, trois ans après la construction de la chapelle. Saint Guinal est aussi le patron de l’église d’Ergué-Gabéric. 
On peine, en revanche, à déceler la signature du maître verrier dans ces six vitraux.

L’entrée de la chapelle est encadrée par deux verrières de facture moins classique. Ces vitraux de saint Léon/saint Gwenolé et saint Corantin/saint Yves portent la signature d’Yves Dehais, maître verrier né en 1924, deux ans après la construction de la chapelle Saint-René. Les deux verrières en question seraient donc plus tardives que l’édifice. Formé aux Beaux-Arts de Nantes, Yves Dehais a complété sa formation au vitrail à Quimper, au sein de l’atelier Le Bihan-Saluden[9], dans les années 1940. Sur le vitrail « Saint-Corantin », on distingue un cartouche figurant un poisson, un « B » et un « S ». On peut attribuer ce « logo » à l’atelier quimpérois Le Bihan-Saluden, le B désignant Bihan et le S Saluden[10]. Un vitrail de l’église de La Lorette à Plogonnec porte le même cachet, la mention de « Quimper 1946 », ainsi que les noms d’Yves Dehais et Pierre Toulhoat, qui y ont travaillé. On reconnaît par ailleurs dans ces quatre verrières colorées l’expressivité des artistes, comme Yves Dehais, qui ont fait la grande période Keraluc à Locmaria. Ci-dessous, en haut : les verrières décrites par Louis Le Guennec ; en bas : les vitraux côté entrée. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

Vitraux ND dOdet Saint René

 

Statuaire

Lors de sa visite, Louis Le Guennec a aussi décrit les statues visibles dans la chapelle. Il les date du xvie siècle. « Au bas de la nef, il y a trois statues curieuses du xvie siècle dont chacune porte sur son socle le nom de son donateur. Les deux premières devaient faire partie d'une série de douze apôtres comme il en existe au porche de nombreuses églises.
1. Saint Pierre, sans tiare ni autre coiffure, barbe et cheveux longs, robe à collet, manteau, banderole qui devait porter, inscrit en couleur un verset du Credo, tenant clef et livre fermé. Sur le socle : P. Guiriec.
2. Saint Jean, tête nue, cheveux bouclés, robe à collet rabattu, tenant une coupe de laquelle sort un crapaud, banderole pour verset du Credo, nom : Y. Musellec.
3. Saint Guillaume, en Kersanton, coiffé d'une mître et couvert d'une armure complète soigneusement exécutée, manteau sur les épaules bénissant de la main droite. L'inscription est en caractères gothiques, sauf la date. Nom : G. Saulx, Not(aire), l'an 1557.
Au dehors près d'un escalier, il y a un autre saint de pierre, moins bien conservé, portant livre et bâton[11]. »
Le Guennec ne donne pas l’origine des statues. Nous savons néanmoins, d’après la biographie de Gwenn-Aël Bolloré, que René Bolloré récupérait, au détour de visites, de voyages ou d’enchères, des objets de patrimoine breton, parfois à l’abandon, pour les introduire à Odet[12]. Ces quatre statues en font vraisemblablement partie. Ci-dessous, de gauche à droite : statues de saint Pierre et de saint Guillaume. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

Statue saint Pierre Notre Dame dOdet photo Gaëlle Martin 2000

Saint Guillaume Notre Dame dOdet G. Martin 2000

 


L’administration de la chapelle dans les années 1910 et 1920

Mgr Duparc Villard 1900 recadréSur son site Grand Terrier, Jean Cognard présente quatre lettres du recteur d’Ergué-Gabéric, le père Louis Lein, à Monseigneur Duparc (ci-contre : portrait par Joseph Villard), l’évêque de Quimper et Léon[13]. Le recteur y évoque les problèmes liés à la chapelle Saint-René. Jusqu’en 1912, une messe est donnée tous les dimanches et jours de fête par un vicaire. Or le patron des papeteries souhaite développer l’activité religieuse de la chapelle, en demandant une messe supplémentaire, tous les premiers vendredis du mois, et des confessions, tous les samedis ou tous les quinze jours. C’est alors que le recteur expose les problèmes créés par cette chapelle privée au sein de sa paroisse. Il signale notamment à son supérieur : 1. La difficulté de mener à bien des offices et des confessions à Odet, en même temps qu’à l’église saint-Guinal et dans deux autres chapelles.
2. La « fuite » de fidèles qui, ayant suivi la messe à Odet, risquent d’abandonner l’église paroissiale. À l’instar de la famille Bolloré, ils ne mettraient plus les pieds à Saint-Guinal.
3. La création, avec l’agrandissement futur de la chapelle, d’une paroisse officieuse dans la paroisse officielle d’Ergué.
4. La petite taille de la chapelle qui, en 1912, pose déjà problème. Et inversement, puisque même l’agrandissement serait un problème : « Cependant la chapelle est beaucoup trop petite. Et si elle était agrandie (ce qui va arriver dans quelques temps), les difficultés deviendraient encore plus fortes[14]»
5. Du fait de cette petite taille, la sélection/discrimination à opérer parmi les fidèles : qui est autorisé à assister à tel office, à se confesser à tel endroit ?
6. Sa position délicate d’intermédiaire entre l’industriel et les autorités religieuses.
Lorsque la direction des papeteries décidera d’instaurer les dimanches travaillés, les messes à Saint-René seront dites à deux heures différentes, à 8 h et 10 h, ou 8 h et 12 h, afin que les ouvriers de faction le dimanche puissent y assister.

 

Le catholicisme social de René Bolloré

Image pieuse René Bolloré II 1949 v3La construction de cette chapelle répond au catholicisme social de René Bolloré. Le directeur des usines d’Odet a sans doute été influencé par l’encyclique du pape Léon XIII (1891), comme le suppose le bulletin paroissial d’Ergué-Gabéric. Un article du Kannadig établit ce lien en 1928 : « Animé d’une foi vive et agissante, M. Bolloré s’occupe d’une façon toute particulière des intérêts religieux et moraux de ses ouvriers. Il a doté son usine d’Odet d’une belle chapelle, l’un des plus jolis édifices religieux du pays de QSuimper. On y dit la messe quatre fois par semaine, et toutes les ouvrières y assistent avec une grande dévotion. Le dimanche soir, une nombreuse assistance assiste à la bénédiction du Saint-Sacrement. […] le patron […] a dû méditer longuement l’Encyclique de Léon XIII sur la condition des ouvriers[15]. » Un rapport de la DRAC sur la vie dans les papeteries d’Odet rappelle aussi qu’ « à Annonay (dont l’usine s’appelle Vidalon), la grande fête annuelle était dédiée à Notre-Dame de Vidalon, mêlant dans une même envolée Dieu, les ouvriers papetiers et les patrons Montgolfier[16] ». Un fait que l’on peut mettre en parallèle avec une note du Kannadig d’Ergué-Gabéric précisant que l’on surnommait Mme Bolloré, la mère du directeur, « Notre-Dame d’Odet[17] ».

 

Synthèse effectuée par Marilyne Cotten

 

Notes

[1] Livre d’or des papeteries d’Odet, Paris, impr. Crété, 1930. Consultable au local d’Arkae.

[2] http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=1910-1928_-_Les_plans_gab%C3%A9ricois_de_l%27architecte_Ren%C3%A9_M%C3%A9nard_pour_l%27industriel_Ren%C3%A9_Bollor%C3%A9

[3] Louis Le Guennec, Le Finistère monumental, tome III : Quimper Corentin et son canton, Quimper, Les Amis de Louis Le Guennec, 1984, p. 506-507.

[4] Gwenn-Aël Bolloré, Né gosse de riche, Rennes, éd. Ouest-France, coll. Latitude ouest, p. 44.

[5] Louis Le Guennec, op. cit., p. 506.

[6] Philippe Bonnet, Églises du xxe siècle en Bretagne, de la loi de séparation à Vatican II, Paris, Bibliothèque de l’École des chartes, t. 163, 2005, p. 107.

[7] Voir Gwenn-Aël Bolloré, op. cit., p. 43

[8] Louis Le Guennec, op. cit., p. 507.

[9] Source : Jean-Yves Cordier sur http://tableauxdeyvesdehais.e-monsite.com/ et https://www.lavieb-aile.com/article-la-chapelle-de-la-lorette-a-plogonnec-109127377.html Yves Dehais est né en 1924 à Nantes et y est mort en 2013. En 1946, il ouvre son propre atelier à Nantes. Il collabore aux débuts de la manufacture de faïence Keraluc, de 1945 à 1948.

[10] En 1908, Auguste et Anna Saluden avaient un atelier à Brest. Après la Première Guerre mondiale et la destruction de la cité portuaire, ils s’installent à Quimper dans un atelier qui sera repris par le gendre d’Anna Saluden, Yves Le Bihan. Jusqu’en 1952, les ateliers signent donc leurs vitraux Le Bihan-Saluden.

[11] Louis Le Guennec, op. cit., p. 507.

[12] Voir Gwenn-Aël Bolloré, op. cit., p. 43 : « À La Trinité-Surzur, il y a une très belle fontaine en granit sculpté. Mon père, qui a la passion des monuments bretons, s’arrête un jour et demande à qui elle appartient. À la mairie, lui répond-on. [Le maire] commence par refuser de vendre sa fontaine, puis cède devant le montant du chèque. [Mais le curé intervient] : "Vous n’allez pas nous enlever la seule jolie chose qu’il nous reste !" [Mon] père, après avoir haussé les épaules, lui donne la fontaine et s’en va en bougonnant. »

[13] Archives diocésaines de Quimper, série P, paroisse d’Ergué-Gabéric, lettres du 22 août, du 1er octobre 1912 et du 29 janvier 1913 de L. M. Lein à Mgr A. Duparc. Reprises in extenso et analysées en contexte sur le site Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=1912-1913_-_La_question_de_la_r%C3%A9organisation_du_service_paroissial_%C3%A0_la_papeterie_d%27Odet

[14] Idem.

[15] Kannadig Ergué-Gabéric, « Œuvres sociales et morales », 1928. Archive Arkae.

[16] La vie dans les papeteries d’Odet au XIXe et XXe siècle, rapport de la DRAC, ca 2004. Archive Arkae.

[17] Kannadig Ergué-Gabéric, « Monsieur René Bolloré », 1933. Archive Arkae.