La chapelle de Keranna, visite guidée

Chapelle de Keranna

Le texte qui suit présente la chapelle sous l'angle d'une visite.
Il a constitué un support pour des guides.

La chapelle des ouvriers

Bâtie sur d'anciens jardins ouvriers, jouxtant le terrain de sport des Paotred Dispount (équipe sportive d'Ergué-Gabéric, fondée vers 1920), ainsi que la salle des fêtes de Keranna - autrefois patronage de Keranna- et la cité ouvrière (de l'autre côté de la route, construite par Bolloré en 1918), la chapelle de Keranna est indissociable de l'univers des papeteries Bolloré, en même temps qu'elle marque un tournant dans leur histoire. Avant la construction de Keranna, le lieu de culte le plus proche était la chapelle privée de la famille Bolloré, Saint-René, située dans l'enceinte de l'usine. Keranna fut inaugurée en juillet 1968, et l'on planta les arbres qui composent aujourd'hui son écrin de verdure. Ci-dessous, chapelle de Keranna en juin 2002 photographiée par Gaëlle Martin.

Les religieux

L'édification de Keranna répondait, pour celui qui en fut l'instigateur, à savoir l'Abbé Jean-Marie Breton, dernier aumônier attaché à l'usine Bolloré, à la nécessité de donner aux habitants de ce quartier de Lestonan un lieu de culte indépendant de l'usine. Ceci lui valut de perdre le logement qu'il occupait en tant qu'aumônier, et selon la tradition chez Bolloré, à la papeterie... En 1967-1968, Ergué 67, nouveau bulletin paroissial, raconte dans ses deux premiers numéros la conception et construction de la chapelle (voir le numéro 2, illustré par le visuel ci-dessous). Les Frères de Lammenais et les Filles du Saint-Esprit en animaient le culte. René Bolloré II avait demandé l'installation de ces congrégations religieuses à Lestonan pour diriger les écoles privées qu'il y avait fait construire en 1927 et 28, pour les enfants de ses ouvriers. Les frères et sœurs attachés à Keranna célèbraient l'office du matin dans une petite chapelle au sous-sol (entrée par l'extérieur sur le côté). De nos jours, les offices ont lieu chaque samedi soir à 18h30 et pour une messe est donnée à Noël.

 Chapelle à Keranna article Ergué 67 150 px

Les constructeurs

L'architecte Brunerie, de Quimperlé, en dressa les plans. Les habitants furent impliqués dans les travaux. Des ouvriers spécialisés de l'usine (de l'électricien au mécanicien, en passant par le maçon et le menuisier) venaient après leur journée de travail et se consacraient au chantier.

Un bel exemple d'architecture religieuse au XXe siècle

La visite de la chapelle de Keranna peut nous aider à comprendre comment l'architecture religieuse d'après guerre articule plans, formes et matériaux nouveaux pour une symbolique revivifiée. Les constructeurs n'ont pas retenu l'orientation traditionnelle. Le chœur se trouve au sud et le fond de la chapelle, c'est-à-dire l'entrée principale, est au nord. La façade triangulaire de l'édifice qui consiste en un volume pyramidal se veut un rappel de la Trinité. Elle est formée d'une immense baie favorisant l'entrée de la lumière dans la nef, comme autrefois les rosaces du gothique. La structure même de Keranna reprend des principes de construction archaïques : la hauteur sous la voûte va décroissant jusqu'au chevet, juqu'au crucifix. On progressait de cette façon vers la chambre du mort dans les premiers tombeaux de l'humanité. Le chœur de la chapelle, image du tombeau du Christ, fait face à la grande baie de l'entrée principale, par où le jour pénètre largement dans l'édifice, image de la lumière de la Résurrection. 

Un culte recentré sur les valeurs fondamentales

Cet effet architectural, ainsi que le strict dénuement à l'intérieur de la chapelle, conduisent tout naturellement le regard vers le chœur. La nouvelle doctrine de l'Église étant alors de recentrer le culte vers les valeurs clés du christianisme (sacrifice du Christ, rachat de l'humanité), le chœur se vide de tout image autre que celle de la crucifiction et du tabernacle.

 

Modernité, dépouillement et lumière

Chapelle de Keranna Intérieur Chœur

Le mur aveugle du chœur est le seul utilisant la pierre de taille (carrière de granit d'Edern). La croix de l'imposant crucifix, aux formes étirées, émaciées, a été réalisée par un Gabéricois, M. Nicot. Le tout surplombe le tabernacle, rendu incandescent par un éclairage intérieur. Un remarquable décor de fer forgé, au motif de flammes, sertit le tabernacle, symbole de la foi qui seule permet au chrétien de pénétrer le mystère de l'Eucharistie. Le ciment constitue la matière de l'autel. Les constructeurs ont ainsi voulu faire entrer ce matériau contemporain dans le registre des matériaux classiques d'une architecture religieuse en accord avec son temps. On retrouve encore dans les murs les jambes de force soutenant la voûte, la porte du tabernacle, comme substitut du plomb dans les vitraux.
Seules deux statues complètent l'ornement du chœur. Une statue ancienne en bois plychrome représente un saint non identifié. Il porte la tonsure monastique et un manteau long. Il provient sans doute d'une autre chapelle d'Ergué-Gabéric. À droite de l'autel, se tient un ex-voto en bois de la Vierge et Sainte-Anne. Pour les vitraux, simples baies rectangulaires, les maîtres-verriers ont eu recours à de volumineux cristaux colorés, de toutes formes, caractérisés par un léger relief par rapport au plan de la composition. On remarque qu'un choix de couleurs a été effectué : couleurs froides (dominantes vertes et bleues) à l'est, couleurs chaudes (jaune, orange et rouge) à l'ouest. Ces cristaux ne forment pas de motifs figuratifs : remarquons seulement une ébauche de la croix dans la grande baie et des petits crucifix rouges dans les baies du chœur à l'ouest. Les verrières ont été réalisées par l'atelier de Tristan Rulhmann, maître-verrier renommé, spécialiste des vitraux en dalle de verre, installé à Schweighouse (Bas-Rhin).
Le confessionnal se trouve engagé dans le mur, sous la tribune. La tribune constitue un autre élément d'architecture religieuse traditionnelle. À leur entrée dans le confessionnal, le fidèle et le prêtre font ainsi partie intégrante de l'édifice, c'est-à-dire, symboliquement, de l'Église. Keranna possède une sacristie résolument moderne et fonctionnelle avec un système de chauffage moderne, ce que la chapelle privée de Bolloré était seule à posséder jusque-là. Ci-contre, intérieur de la chapelle de Keranna photographiée par Gaëlle Martin en juin 2002.

 

Marilyne Cotten, d'après une synthèse de Gaëlle Martin

Pour aller plus loin : article sur les chapelles d'Ergué.