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Le seigneur de Pennarun

 

Quand on vient de Quimper au Bourg d’Ergué-Gabéric par la vallée du Jet, la masse imposante du manoir de Pennarun s’élève à droite de la route, pratiquement au sommet de la côte, un peu avant le cimetière. Deux entrées, l’une à l’Ouest, l’autre à l’Est, permettent d’accéder à la cour.
Les premiers relevés cadastraux qui datent de la moitié du XIXe siècle, mentionnent 3 parcelles ouvertes : à l’Ouest, la parcelle 333, appelée « ale ar Veil » et classée « avenue » ; à l’Est , la parcelle 335, appelée « ale Pennarun » et classée « futaie »;  et, au Nord, la parcelle 339, « ale ar Voc’h », classée également « futaie ».
Plus tard, à la construction de la route de Pont-Névez (ou côte de Pennarun), l’«ale ar Veil» s’est changée en « Park an ale goz ». Au début du XXe siècle, l’« ale ar Voc’h », route communale du Bourg, bordée de châtaigniers, méritait toujours le nom d’« avenue ».

Le manoir de PennarunJusque dans les années 1950-1960, tous les gens du Bourg se connaissaient (c’était pratiquement vrai, aussi, pour tous les habitants de la commune.) Au Bourg donc, on parlait encore du seigneur de Pennarun, lequel avait mauvaise réputation. Le seigneur ? Quel seigneur ? Son nom s’était perdu dans la nuit des temps si son souvenir était resté vivace. S’agissait-il d’un seigneur en particulier, d’une lignée de seigneurs ? On ne le savait plus. C’était « le » Seigneur de Pennarun ! On disait qu’il était méchant, qu’il avait opprimé les paysans, qu’il pendait à Lenhesq ceux qui ne lui plaisaient pas. Il était si mauvais que la Justice Divine se devait de lui réserver un châtiment exemplaire !
Et c’est ainsi que l’on racontait toujours, vers 1950, que le Seigneur de Pennarun était condamné à réapparaître tous les ans, sous un chêne de l’« ale Goz » où il remuait éternellement l’or de son trésor enfoui. Cela, le dimanche des Rameaux, pendant la lecture particulièrement longue de l’Évangile de la Passion du Christ selon saint Matthieu. La personne qui le trouverait et accepterait son or, le délivrerait de sa malédiction…mais perdrait ipso facto son âme ! En ce temps-là, manquer la messe du dimanche était un péché mortel !

Encore aujourd’hui, personne n’a trouvé le trésor du seigneur de Pennarun. Pourtant le nombre de fidèles à l’église le dimanche matin a fondu comme neige au soleil. Mais qui sait encore à quel moment de l’année est placé le dimanche des Rameaux ? Probablement, en plus, le chêne du seigneur a été abattu pour faire du feu ! Alors, tant pis…le mystère demeure !

Où la légende et l’Histoire se rejoignent : le recensement de 1790 mentionne à Pennarun Mme Veuve Gélin, 48 ans, et ses enfants dont son fils, Marie-Hyacinthe, alors âgé de 19 ans. Ce jeune homme rejoindra la Chouannerie où il retrouvera, entre autres, ses cousins, les Geslin de Bourgogne, de Lantic dans les Côtes-d’Armor. Ses actions dans la région cornouaillaise lui vaudront d’être appelé « le cruel Geslin » (cf. les conférences de S. Duigou). Ne serait-ce pas lui le seigneur de la légende, le seigneur du trésor de « l’Ale Goz » de Pennarun ? Quand on sait que « Pen chou(a)n » était toujours une insulte 200 ans après la Révolution Française, on peut comprendre que Messire Marie-Hyacinthe De Geslin, Seigneur de Pennanrun et autres lieux,  n’était pas en odeur de sainteté au Bourg d’Ergué-Gabéric.

Suzanne COÏC-LOZAC’H

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Trésors d'archives > Quartiers > Croas Spern

Croas Spern (Kroaz Spern)

René Huguen est né à Lestonan en 1920. Instituteur de profession, il fut en outre maire-adjoint à Saint-Brieuc, rédacteur en chef du quotidien national Ouest-Matin (Rennes) et directeur de Cabinet à la mairie du Havre.
Passionné d’histoire, il a notamment fait des recherches sur le travail du secrétaire d’Emile Zola, M. Glay-Bizouin, l’inventeur du timbre-poste. Il s’occupe aussi de la Maison Louis Guillou, à Saint-Brieuc et a notamment organisé l’exposition pour le centenaire de l’écrivain qu’il a personnellement connu.
 
Portant très loin le regard de ma mémoire, je me retrouve dans les années vingt et je revois ma grand-mère Le Meur, née Cuzon, chargée du grand seau bleu qu’elle vient de remplir à la fontaine de Gwarem goz, là où s’abreuvent les vaches de Quillihuec ; elle s’arrête devant le vieux calvaire de Croas Spern, pose le seau sur la route caillouteuse, essuie de la manche la goutte qui brille en permanence sous son nez et elle se signe en regardant la croix. Ce geste respectueux devenu instinctif, elle l’avait déjà fait à l’aller, sans s’arrêter. Le font ainsi les passants, qu’ils soient seuls ou en groupe. Un convoi funèbre s’avance en direction du bourg ; l’enfant de chœur secoue sa clochette, le cercueil, calé sur un char à bancs.
Le monument fait face au vieux chemin, ancienne voie romaine(1), encore creusé en contrebas et bordé de châtaigniers séculaires(2). La croix est dominée par un grand prunier dont la floraison au printemps lui donne un air de fête. Au bout d’un jardinet protégé de la route par une haie d’aubépine, se tient l’antique maison au toit fatigué. Le couple Le Meur habite là, moyennant quelques travaux périodiques demandés par les propriétaires de Saint-Joachim. Ah! comme je me sens bien en ces jeunes années, sur cette terre battue où courent souvent les poules, entre ces meubles rustiques dressés sur des cales inégales ; comme je me sens bien à cette grande table à l’intérieur de laquelle Grand-Mère range pain, farine et beurre ou dans l’âtre, chauffant mes petits pieds au-dessus des cendres chaudes ! Et lorsque Grand-Père rentre de sa dure journée de cantonnier et qu’il applique sa barbe piquante sur mon front en lançant fièrement: « Ar goas !»(3).
 
Aujourd’hui me voilà octogénaire; la vieille maison n’est plus depuis longtemps et le calvaire de Croas Spern a perdu sa croix d’origine, tombée et disparue(4) … Sur le socle du monument toujours gravée mais qui s’efface, une date ; on la devine : 1604.
René Huguen - Avril 2002 Keleier Arkae

 

1 - Le calvaire de Croas Spern se trouvait autrefois au carrefour de la route venant du bourg - Saint Joachim et d’une ancienne voie romaine rejoignant Lenhesq-Quimper, et Elliant dans l’autre sens. On pourrait en retrouver trace aujourd’hui en contrebas du centre socio-culturel. Le calvaire était associé à une fontaine.

2 - Une partie de ces châtaigniers fut abattue lors de la construction du premier « terrain scolaire d’éducation physique et sportive »d’Ergué-Gabéric en 1948. L’argent de la vente servit à construire les vestiaires. 

3 - Ar goas : homme, jeune homme. 

4 - La nouvelle croix du calvaire, restauré en 1992, est l’œuvre du sculpteur Tataruch. Elle comporte les statues géminées du Christ aux liens et du Christ crucifié. Ce denier regarde conventionnellement vers l’ouest, excepté dans le cas des calvaires de carrefour où il peut alors être simplement tourné vers la route. C’était le cas à Croas Spern autrefois comme l’indique M. Huguen. La restauration a tenu a respecter ce principe et le nouveau Christ regarde la nouvelle route !

 

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Trésors d'archives > Personnage > Kenavo Norbert

Kenavo Norbert
 

Norbert Bernard nous a quittés lors du week-end du patrimoine, une coïncidence qui nous a tous frappés, terriblement. Depuis presque dix ans, il était en contact étroit avec Arkae, il était devenu impossible de conjuguer l’histoire d’Ergué sans passer par lui et par sa formidable érudition.

Etudiant en histoire à l’Université de Bretagne Occidentale à Brest, c’est en 1996 que Norbert prend contact avec Arkae. Licence en poche il propose au professeur Jean Kerhervé un mémoire de maîtrise sur les chemins et la structuration de l’espace en Cornouaille du V° siècle au XVII° siècle. Norbert trouve dans les archives d’Arkae, patiemment collectées depuis vingt ans, un premier substrat pour donner corps à son étude. Sa remarquable connaissance des écritures anciennes lui facilitera l’accès aux plus vieux parchemins de l’histoire de notre commune. Bien vite, les seigneurs d’Ergué lui deviennent familiers. Et le voilà dans notre vieux cadastre napoléonien traquant les chemins aujourd’hui disparus : les carront, croas-hent, carpont, dro-hent, hent-car, hent-meur, autant de toponymes qui fleurissent dans le dédale de notre bocage. Norbert présente son mémoire en 1997 et se lance tout de suite dans un autre travail de recherche, un D.E.A. (diplôme d’étude approfondie), première étape vers un doctorat.

Cette fois il prend pour étude la seigneurie des Rives de l’Odet (1425-1575). Ce monumental travail de 320 pages dactylographiées est consacré aux manoirs du canton de Briec et de Rosporden. Il le présente en 1999. Il a amassé alors une somme considérable de connaissances sur les familles nobles de Basse-Cornouaille au Moyen-Age.

Norbert Bernard en compagnie de Linda Asher, la traductrice américaine des Mémoires d'un paysan bas-breton de Jean-Marie DéguignetMais c’est un tout autre travail -son premier travail salarié- qui lui est confié en mars 2000 : le livre de Jean-Marie Déguignet Les Mémoires d’un paysan bas-breton, vient de rentrer dans le cercle restreint des meilleures ventes de librairie en France. L’association Arkae confie à Norbert la valorisation de l’ensemble des écrits de notre compatriote. On ne redira jamais assez l’extraordinaire travail réalisé pendant les cinq années de son contrat d’emploi-jeune au Centre de Recherche et de Documentation Déguignet (13/12/1999-26/12/2005). L’ensemble des écrits de l’enfant de Quélennec est maintenant disponible. Norbert y a ajouté un appareil critique considérable, fruit d’une recherche dans laquelle il excellait. Il a signé aussi une exposition sur Déguignet, et un site Internet, l’un des cinq qu’il faisait vivre.

Car Norbert, hormis son travail de recherche, avait deux passions : l’histoire et l’informatique. Sa générosité est totale, il ne refuse jamais un coup de main à ceux qui sont perdus dans la jungle informatique ou englué dans de vieux grimoires aux graphies incertaines. Il fait vivre bénévolement le site Internet de l’ASPREV, l’association du patrimoine religieux en vie ; il crée un site sur les nobles de Cornouaille, puis un site de généalogie pour présenter son cabinet de recherche nouvellement créé, enfin il collabore à l’encyclopédie en ligne wikipédia.

Au printemps dernier l’aventure Déguignet est terminée, Norbert édite son premier livre Les Voix d’Yves Pennec, récit d’après un procès en sorcellerie contre un habitant d’Ergué. Les projets sont nombreux : guide, conférencier, généalogiste, écrivain, et toujours collaborateur d’Arkae. On lui avait confié un travail de sauvegarde du bulletin paroissial de 1925 à 1939. C’était en mai, et Norbert dut lâcher prise, miné par un mal que les médecins n’arrivaient pas à cerner. La suite, c’est une opération chirurgicale au mois d’août et l’espoir de revenir rapidement à ses passions. Il voulait signer son livre au pardon de Kerdévot, il voulait plus que tout être présent le 18 septembre au café-crèpes de Saint André ou il s’était investi dans le comité de sauvegarde de la chapelle.

Mais Norbert n’était pas là, ce week-end du patrimoine pour lequel il a tant œuvré, il luttait déjà contre les ombres, il est mort dans la nuit.

Norbert s’en est allé avec ses rêves, ses envies de recherches, ses travaux inachevés. C’est une grande perte pour tous ceux qui l’ont connu car ses qualités humaines étaient à l’image de ses qualités professionnelles. Pour l’association, la mémoire de Norbert vivra à jamais : ses travaux sont disponibles dans notre centre de documentation sur l’histoire d’Ergué, ses écrits seront valorisés et tous ceux qui se pencheront sur l’œuvre de Déguignet sauront que le travail d’édition de l’ensemble de son œuvre est signé Norbert Bernard.
Bernez Rouz - Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric - décembre 2005.
 
 

Trésors d'archives > Pat. religieux > Notes sur les chapelles par Anatole Le Braz

Notes sur les chapelles par Anatole Le Braz

Anatole Le Braz

En 1886 Anatole Le Braz est nommé professeur de lettres au lycée de Quimper. Dès son arrivée, François-Marie Luzel alors archiviste départemental et conservateur du musée archéologique de la ville, l’associe à ses travaux. Anatole Le Braz effectue bientôt ses premières collectes de contes, légendes et traditions. Il se voit confier trois missions officielles par le ministère de l’Instruction Publique, notamment afin de recueillir les traditions populaires sur les vieux saints bretons et leurs oratoires puis sur ce qu’il reste de la tradition des mystères bretons. Dans ce cadre, de 1892 à 1898 environ, il parcourt la Basse Bretagne et se sert de petits carnets sur lesquels il consigne ses observations ainsi que sa rencontre et quelques-uns de ses échanges avec Déguignet. Voici rassemblés des extraits des carnets d’Anatole Le Braz dans lesquels il est question d’Ergué-Gabéric. Ils nous donnent ainsi des aperçus de notre patrimoine dans les années 1890 et nous font part d’éléments et de traditions aujourd’hui oubliés.

 

Fontaine Saint-Guénaël à Kerrouz

« fontaine de Saint-Guénaël près du Stangala au village de Kerrouz où l’on trempait les enfants pour les guérir de certaines maladies. Guénaël patron d’Ergué-Gabéric ». (carnet E 76)

Saint-Guénolé

« Saint-Guénolé : pardon 3ème dimanche de juillet. La chapelle sur une hauteur dans un bois de hêtres ». (carnet E 40)

Photo : Extrait des carnets d'Anatole Le Bras concernant la statuaire de St Guénolé.

« À Ergué-Gabéric, auprès de Saint-Guennolé, il y a une fondrière (eun toul-lap) qu’on appelle poull ar c’héméner. C'est là, disait-on, qu'on trouvait tous les enfants qui naissaient dans les fermes des environs.
Le quéméner qui a donné son nom à ce poull était un tailleur extraordinaire : il allait toujours seul, ne voulait pas d'apprenti. Pour revenir chez lui le soir, il passait toujours par ce poull. Il y avait de l'eau là, dans l'hiver, jusqu'à la ceinture. Chaque fois qu'il arrivait près de ce poull noir, il criait :
- Harz ar Bleiz ! Venez à mon secours, car le loup me dévore.
Il y avait réellement des loups en ce pays, dans ce temps-là. Les gens accouraient pour lui porter aide. Lui alors se moquait d'eux :
- Vous auriez mieux fait de rester au lit.
Mais à la fin, à force de se moquer des paysans, ceux-ci n'allaient plus. Or, un soir, il fut dévoré. On ne trouva que sa tête. Cette tête est encore là sous une grosse pierre debout, un menhir où est sculptée une croix. Cette pierre est toujours là ».
« À Saint-Guennolé, il y a un saint Isidore au-dessus du portail d'entrée, avec une faucille à la main. »

Sainte Apolline

« Il y a en Ergué, sur la route de Kerdévot, auprès de Lezergué, une fontaine de sainte Apolline (santez Apollina).
C'est la patronne des dents : elle est représentée à Saint-Guennolé avec une tenaille à la main, et une dent entre les pinces de la tenaille. On allait à la fontaine jeter des croix de bois, pour le mal de dents. Peut-être la statue de sainte Apolline est-elle maintenant au bourg d'Ergué ». (carnet ED 40 253-258, propos inédits de J.-M. Déguignet recueillis par Anatole Le Braz )

Saint-André

« II y a encore en Ergué-Gabéric la chapelle de Saint-André qu'on a reconstruite il y a une quinzaine d'années.
« Le dimanche des Rameaux, les paysans cornouaillais ont l'habitude de planter un rameau de laurier bénit dans leurs champs ». (id.

Kerdévot

« 29 juin 1899 venu ce soir à Kerdévot. Remarqué l’hermine ailée qui est sculptée au fronton de la Tour. Le calvaire a quatre niches de face et deux sur chaque bout. Toutes vides. On entend du dehors le bruit sourd du balancier qui fend lourdement son heure. Édouard remarque avec raison que quelqu’un qui entendrait cela de nuit - un Breton - serait singulièrement effrayé. Sur la route un peu avant d’arriver à la chapelle et sur la gauche, une maisonnette d’où sortait un bruit de métier de tisserand et un chant de navette. Il y aurait quelque chose à écrire sur un tisserand de Notre-Dame. La chapelle de Kerdévot est une belle chose mais ce qui est encore plus beau c’est le cadre, l’immense chênaie plusieurs fois séculaire qui lui sert de parvis et tout alentour un foisonnement de verdure intense avec entre les grandes frondaisons de jolies éclaircies de soleil sur des prairies, sur des froments, sur des vergers où les fruits se nouent ».
Et plus loin dans le même passage : « Le chêne est à lui seul un monument avec de grandes plaies, de vraies grottes dans son écorce et les bossellements de ses racines qui forment des sièges naturels ». (carnet EG 86)
« Le clocher est d’une sveltesse extraordinaire et pointe très haut au dessus des arbres. On le voit de la montée de tout à l’heure aigü et clair au-dessus des grandes verdures de la vallée boisée où est située la chapelle à mi-versant. Deux fermes sont de part et d’autre : l’une un ancien manoir avec un très grand porche, l’autre masquée derrière un rideau de pins ». (carnet ED 42).

Lezergué

"Vu au château de Lezergué (9 septembre 1893) sur une armoire datant de 1822 dans la cuisine une représentation de saint Edern mitre en tête sur un cerf à corps de cheval très fringant avec énormes bois sinueux, la crosse dans une main. Les gens de la maison savent du reste que c’est saint Edern ». (carnet ED 42)

 

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Trésors d'archives > Personnage > Jean-Louis Morvan

Jean-Louis Morvan, un prêtre passionné du patrimoine religieux

 

Jean-Louis MorvanJean-Louis Morvan est né en 1920 à Kerbrat en Trégarantec dans le Nord-Finistère. Il a été recteur de la paroisse d'Ergué-Gabéric de 1969 à 1981. Il fut également l'artisan de la restauration de l'orgue de Dallam et du retable de Kerdévot, ce qui lui a valut le titre de Chevalier des Arts et des Lettres. Il vient de décéder, fin août 2006 à Quimper, à l'âge de 86 ans, après avoir été recteur de La Forêt-Fouesnant de 1981 à 1999. Depuis, il était en retraite à Pouldreuzic où il était aussi en charge de la paroisse.

Au cours des 12 années où il a exercé son ministère à Ergué-Gabéric, il a été à l'origine de nombreuses actions qui ont abouti à la rénovation et à la mise en valeur du patrimoine religieux gabéricois.  Il écrivait beaucoup et, dans un propos développé dans le livre à l'occasion du Ve centenaire de la chapelle de Kerdévot en 1989, il résumait son action dans le titre : un recteur du 20e s face au trésor de sa paroisse ».
Le dossier transmis au Ministre de la Culture en 1980, qui a abouti à sa nomination de Chevalier des Arts et des Lettres en 1983, dresse les principaux chantiers auxquels Jean-louis MORVAN a été associé au cours de ses douze années gabéricoises, avec le Conseil municipal et le Conseil paroissial :

  • La chapelle de Kerdévot réfection de la toiture de la chapelle et de la sacristie :
  • Le retable de la chapelle de Kerdévot : après le vol de statuettes de 1973, le retable a été déposé chez M. HEMERY pour y être restauré. Il y est resté pendant six années et après de nombreuses tergiversations, le monument restauré à retrouvé sa place dans la chapelle. Et Jean-Louis MORVAN, avec Gusti HERVE, a réalisé un magnifique montage audiovisuel avec commentaire sur le retable.
  • La chapelle de Saint-Guénolé que Jean-louis MORVAN appelait «  le véritable petit bijou de campagne ». Elle tombait en ruines et, en 1974, le Conseil municipal avec l'aide des Beaux-Arts et du Conseil Général a décidé sa restauration : réfection de la toiture, lambris refaits et peints, remise en valeur des sablières et peinture, taille d'un autel en pierre...
  • L'église Saint'Guinal du bourg fut l'objet de toutes ses attentions : réfection des peintures du retable du Rosaire, éclairage et mise en valeur de l'intérieur.
  • L'orgue Dallam (datant de 1680),situé dans cette église baroissiale, classé en 1975, se trouvait au fond de celle-ci dans un état délabré. Jean-Louis Morvandécida de tout mettre en oeuvre pour que cet orgue soit rénové et on peut écrire qu'il remua ciel et terre par écrit et par oral pour que cette rénovation soit réalisée pour le tricentenaire de 1980: restauration à l'intégrale de l'instrument musical par M. RENAUD. facteur d'orgues à Nantes, reconstruction de la tribune d'orgue par des artisans locaux peinture du buffet de l'orgue par P. HEMERY du Faouôt. L'inauguration en grandes pompes, couplée à la première journée du patrimoine le 19 octobre 1980, reste encore dans la mémoire de nombreux Gabéricois


Au-delà de ces réalisations sur les monuments, Jean-Louis Morvan s'attachait à faire vivre sa paroisse (chorale, organisation de concerts), animation du patrimoine religieux à travers les offices bien sûr, mais aussi par le renouveau du pardon de Kerdévot. L'échange avec la paroisse allemande de St Martin d'Augsbourg fut aussi un moment fort au niveau culturel.

Jean-Louis Morvan était fier de cette mise en mouvement autour du patrimoine, il a été un ambassadeur d'Ergué-Gabéric au cours de ces douze années avec les montages audio-visuels, les nombreux articles qu'il écrivait, en particulier dans le bulletin municipal, et par les nombreux contacts qu'il établissait pour le rayonnement des monuments religieux.

Pour terminer, on peut reprendre ce que Jean-Louis Morvan écrivait dans la préface du livre du Ve centenaire de Kerdévot en 1989 :  « des multitudes de souvenirs s'entremêlaient dans mon esprit souvenirs de mes 12 ans d'un ministère exaltant où j'étais souvent écartelé entre mes obligations pastorales dans une paroisse en pleine mutation et les richesses historiques et artistiques de la paroisse, toutes rongées par l'usure du temps et des intempéries, à qui il fallait à tout prix redonner vie ».

 

Ces 12 années d'intenses activités pour le patrimoine gabéricois se devaient d'être remémorées pour rendre hommage à Jean-Louis Morvan.

 

Arkae - Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric n° 21 - septembre 2006

 

 

Suite...

Afin de compléter au mieux cette présentation de Jean-Louis Morvan, voici les principales dates qui ont marqué sa vie de prêtre :

· 1937 - baccalauréat au lycée St-François de Lesneven.

· 1937 - entrée au séminaire de Quimper

· 1940 - en juin se constitue prisonnier après 11 jours de mobilisation.

· 1945 - en avril libération et retour en Bretagne.

· 1947 - ordination de prêtre par Mgr Fauvel en la cathédrâle de Quimper.

· 1948 - nomination comme vicaire de Landudec

· 1951 - vicaire à Névez

· 1954 - vicaire au Pilier-Rouge à Brest

· 1966 - nomination comme recteur de Melgven

· 1969 - recteur d'Ergué-Gabéric

· 1981 - recteur de la Foret-Fouesnant

· 1999 - retraite active au presbytère de Pouldreuzic

 

Jeune prisonnier de guerre en Allemagne

Au début du conflit de 1940-1945, en France, Jean-Louis qui avait tout juste 20 ans, écrivait son journal sur des feuilles volantes et racontait sa courte mobilisation suivi de son expérience de K.G. (Kriegsgefangener), prisonnier en route vers le pays ennemi.

Là-bas en plein coeur de l'Allemagne, dans son premier camp de prisonnier à Limburg (Stalag XIIA), il les recopia dans un cahier de marque Schola, qu'il compléta les années suivantes de deux autres cahiers identiques. A son retour de captivité, sa soeur Elizabeth les recopia minutieusement sur deux cahiers à spirales.

Plus tard ces cahiers furent remaniés et repris au format A4 agrémentés de photographies prises en Allemagne et à son retour de captivité. Jean Cognard entreprit en 2002 la transcription du texte initial des cahiers à spirale et ce travail est téléchargeable sur le site Arkae.org.

Ce qui frappe le lecteur de ses cahiers, c'est la spontanéité du prisonnier, et la fraîcheur de ses observations. Il dit et écrit tout haut ce qu'il pense. Et de cette spontanéité on devine une grande humanité, un sens de l'amitié et de la fraternité entre les peuples. Il dut travailler dur dans les champs, lui l'intellectuel, et affronter les idées nazies de certains de ses patrons de ferme. Et il souffrit physiquement lorsqu'il dut travailler à l'usine IG Farben-Industrie Ludwigshafen où il devait porter des sacs de soude de 100kg.

Après sa libération et son retour, il y eut des prolongements heureux et positifs à sa période de captivité :

· Alors qu'il baptisait le fils d'un ami à Trier, il fut invité à visiter l'usine de Ludwigshafen par un dirigeant de la société BASF (ex IG Farben). Ce dernier le reçut ensuite à table comme "Ehre Gest" (invité d'honneur) et devant les cadres supérieurs de l'entreprise il relata toute son histoire.

· Son frère Jean-Marie fut prisonnier aussi en Allemagne. Mais contrairement à Jean-Louis il resta dans la même famille à Salgen et il sympathisa avec le fils jeune séminariste allemand du village bavarois. Ce jeune Anton Schaule fit la connaissance de Jean-Louis après-guerre et ils se consacrèrent à la lourde tâche de rapprochement des peuples français et allemands.

· En 1978, Jean-Louis suggéra à Anton de proposer à ses paroissiens de venir à Ergué-Gabéric. Ils hésitèrent car ils craignaient la rancœur de certains français, mais leur accueil fut très émouvant. La messe de réconciliation à la chapelle de Keranna fut poignante également. Et ce fut le début d'échanges entre la paroisse bretonne et celle de St-Martin d'Augsbourg.

 

La dette de la chapelle de Keranna

- La première tâche qui incomba à Jean-Louis à son arrivée à Ergué en 1969 fut purement administrative : la dette de la paroisse suite aux travaux de la chapelle de Keranna s'élevait à 25 millions de centimes. Il fallut beaucoup d'énergie pour obtenir des solutions de financement. En juillet 1970 il écrivait à son évêque : « En me nommant ici, voulait-on placer un prêtre ou un financier ?  Cette année passée, j'ai surtout été financier ; j'ai dû chercher 6 millions, faire appel à la population, organiser une kermesse ... »

- Et dès 1971 il engagea le projet d'une salle paroissiale pour le quartier du Rouillen, ce grâce à un don Le Guay-Lassau. Mais l'évêché, ne voulant pas renouveler l'expérience de Keranna, veillait au grain,  : « Notre préférence va à un équipement pastoral léger, répondant en priorité aux besoins actuels de la catéchèse des enfants et de l'A.C.E. et pouvant cependant servir aux réunions d'adultes. »

- En janvier 1980, dans le compte-rendu de la réunion du conseil paroissial, Jean-Louis put enfin crier victoire : « Pour la première fois depuis 1969, la paroisse n'a plus de dette. Celles de Keranna et de la salle du Rouillen sont règlées, et l'avoir de la paroisse est de 24903 F. »

 

Saccage et restauration du retable de Kerdévot

Entre-temps l'affaire du retable de Kerdévot causa bien des soucis au recteur gabéricois. Le 6 novembre 1973 cet ensemble unique d'origine anversoises et datant du 15e fut l'objet d'un cambriolage par le gang "spécialisé" Wan den Berghe de Bruxelles qui emportèrent six statues et saccagèrent une dizaine d'autres. Trois statues furent retrouvées six mois plus tard, mais les statues du tableau de la nativité sont encore manquantes aujourd'hui.

Suite au saccage, il fallut mettre à l'abri le chef d'oeuvre : d'abord dans le grenier du presbytère, puis dans la sacristie de Kerdévot, en enfin au musée de Quimper. Il fallut aussi répondre aux enquêtes de la police judiciaire et aux responsables des Beaux-Arts car le retable était classé.

En 1975, à force de démarches, le travail de restauration fit confié à Paul Hémery du Faouët qui sut redonner aux statues abîmées leur dorure et leur polychromie originelles. Et en 1979, Jean-Louis et Pierre Faucher, maire, décidèrent le rapatriement du retable à Ergué, car les décisions des instances parisienne tardaient à venir.

Ce jour-là, les services municipaux travaillèrent toute la journée à hisser le retable pesant une tonne et ils n'eurent pas le temps de poser la vitre blindée de protection contre de nouveaux cambrioleurs. Jean-Louis et Gusti Hervé de la commission diocésaine d'art sacré passèrent la nuit dans la chapelle et prirent des centaines de photos.

   

 

L’Orgue de Thomas Dallam en 1980

En 1971 on découvrit que cet orgue historique Dallam datant de 1680 avait été ignoré du classement des monuments historiques lors du dernier passage de la commission. Lorsque ce fut fait il fallut se battre contre les lourdeurs des administrations, valider les devis, obtenir des subventions, lancer les travaux de restauration sous l'égide de Jean Renaud de Nantes.

En 1978 Jean-Louis engagea une campagne auprès des entreprises pour collecter des fonds. Lorsqu'une société n'était pas assez généreuse il ne mâchait pas ses mots :

« Ce matin j'ai reçu une lettre de votre société avec un chèque de 100 francs libellé "pour vos orgues". Je me demande si vous avez compris le sens de ma démarche : versement d'une somme sur le 1/1000 du chiffre d'affaires destiné aux oeuvres, comme vous me l'aviez conseillé, me laissant espérer une somme assez forte en raison de la bonne marche de la société. »

Le coût total de l'opération fut de 294.000 francs. Et le budget, grâce aux dons et aux subventions, fut bouclé pour le grand jour de l'inauguration de l'orgue, le 19 octobre 1980, soit 300 ans après sa construction. Ce jour-là tout le monde ne put pénétrer dans l'église, et les organistes JA et S. Villard et M. Cocheril firent vibrer les coeurs en interprêtant du Couperin, Roberday, Purcell, Attaignant, Ximenez.

 

 

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Les contemporains de Jean-Louis ont pu remarquer qu'il avait un "sacré" caractère. Il était capable de s'emporter, et là on remarquait son bégaiement, mais il le regrettait toujours. Il était émotif. A la cérémonie de départ d'Ergué, il ne put prononcer son discours tant il pleurait d'émotion. Et la grande musique était son refuge et son remède pour affronter les difficultés.

 

 

 Keleier Arkae 46 - septembre 2006

 

 

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