Les écoles Bolloré : introduction

Dans les années 1920, René Bolloré II fait construire des écoles privées pour les enfants de ses ouvriers. L'histoire des écoles de Lestonan a été étudiée en détail par François Ac'h et Roger Rault en 2010 dans le cahier n°13 d'Arkae, Les écoles publiques de Lestonan, 1880-1930 : Bolloré et les écoles de Lestonan.

Ecole Sainte-Marie à Lestonan, 1928Précisons d'abord qu'une école publique existait déjà à Lestonan, depuis 1885. Cette école avait été agrandie en 1923, lorsque le nombre d'élèves est monté à 105. D'autres projets d'agrandissement ont été étudiés par la municipalité ensuite.

Vers 1927, René Bolloré fait construire à Lestonan une école privée pour les filles. L'école Sainte-Marie ouvre en 1928. L'année suivante, le patron des papeteries ouvre une école privée, Saint-Joseph, pour les garçons. La même année, il a le projet d'ouvrir une école publique dans le quartier de Saint-André.

Il souhaitera aussi transformer l'école publique de Lestonan en asile pour vieillards, mais le projet n'aboutira pas.

Construction de l'école Saint Joseph à Lestonan en 1929

Ecole Ste Marie à Odet

Ecole Saint-Joseph à Lestonan

De haut en bas : l'école Sainte-Marie en 1928 ; la construction de l'école Saint-Joseph en 1929 ;
les filles de l'école Sainte-Marie, s.d. ; les garçons de l'école Saint-Joseph, s. d.

 


Le travail à la papeterie d'Odet par Jean Le Berre

Le témoignage suivant est extrait de Moulins à papier de Bretagne, par Yann-Ber Kemener, publié aux éditions Skol Vreizh en 1989. Il figure en fin de l'ouvrage, après un témoignage de Marjan Mao sur le travail à la chiffonerie. Jean Le Berre, qui était contremaître à Odet, retrace ici tout le processus de fabrication du papier à Odet dans les années 1930-1940.

 

Quand j'ai commencé à travailler chez Bolloré en 1935, nous étions 300 à 400 ouvriers et le travail se faisait à la main. Une vingtaine de femmes triaient les chiffons, qui venaient de l'étranger par wagons entiers, et les coupaient à l'aide de lames de faux plantées dans une table. De plus, elles coupaient les cordes en utilisant une hache sur un billot de bois. Une fois les chiffons coupés en petits morceaux, les femmes les chargeaient dans un lessiveur pour bien les nettoyer à la chaux et à la vapeur. Le lessiveur était une grosse boule actionnée par un homme qui y mettait les produits chimiques, ainsi que la vapeur sous pression. Tout était étagé. La chiffonnerie se trouvait en haut et les chiffons arrivaient par une trappe dans les réserves.

 

Pile raffineuse et calandre à Odet_Réalités, 1949

Pile raffineuse et calandre aux papeteries Bolloré. Photographie parue dans le magazine Réalités en 1949.

 

Une fois lessivés, les chiffons descendaient dans les défileuses, qui étaient munies d'un tambour laveur et d'un tambour défibreur. Après cela, il fallait blanchir les fibres brutes dans une autre pile hollandaise avec du chlore. Une fois la pâte défilée, celle-ci descendait dans un réservoir, passait sur un presse-pâte, pour en extraire l'eau, et était stockée dans des wagonnets, avant de monter au troisième étage par un monte-charge. Là, elle était blanchie dans des piles, puis on ouvrait la vanne de vidange et la pâte arrivait dans des caisses d'égouttage, où elle restait plusieurs jours. Le fond des caisses était fait de carreaux perforés qui retenaient la pâte, tandis que l'eau s'en allait. Une fois blanchie, la pâte était transportée dans des wagonnets jusqu'aux piles raffineuses où elle était finement broyée, avant de descendre dans une grande réserve de 200 à 300 litres, qui était toujours pleine et récupérait également le trop-plein de pâte de la machine à papier. Celle-ci était alimentée en permanence. La pâte se déversait alors par des canalisations sur une grande toile métallique qui tournait. Des caisses aspirantes enlevaient l'eau et la fibre se maintenait à la surface de la toile. La pâte à papier restait donc sur la machine et passait par différentes presses pour y être séchée. Suivant le papier à fabriquer, il fallait régler le débit de pâte. Une fois le papier séché, il était enroulé et passait à l'atelier de bobinage ou de découpage, où l'on faisait de petites bobines de papier à cigarettes de 28 à 30 mnm de large et de 5 à 6000 mètres de long. Le filigranage du papier était effectué soit à sec, soit humide. Le filigranage à sec était réalisé par une filigraneuse composée de presses cylindriques qui imprimaient le filigrane dans le papier. Le filigranage humide était effectué pendant la fabrication du papier. Lorsque le papier était gommé, il devait, de plus, encore passer dans une machine appelée "gommeuse".


Historique de la papeterie d'Odet, par Caroline Leroy-Déniel

En 2015, dans le cadre d'un inventaire du patrimoine papetier en Bretagne, Caroline Leroy-Déniel, alors directrice de l'association Au fil du Quéffleuth et de la Penzé, a établi un descriptif du patrimoine de la papeterie d'Odet, ainsi qu'un historique, que nous reproduisons ici. Ce rapport est disponible sur le site de Bretania.

 

Le site actuel

Le site historique de la papeterie d'Odet est composé de bâtiments dont certains avaient une fonction industrielle et d'autres une fonction d'habitation : un manoir construit en 1912, ses jardins et dépendances, un calvaire reconstitué au milieu des années 1920 à partir d'une ruine de Scrignac, une chapelle réédifiée par René Ménard en 1921-1922. Une grande partie des bâtiments de l'usine ont été détruits en 1987, suite à la fermeture de l'usine. Certains bâtiments sont datés (1936). L'ancien canal qui desservait la papeterie est toujours visible, mais il est asséché. Le moulin à papier d'Odet est bâti en 1822, sur l'Odet, à la sortie de Lestonan, en amont de la ville d'Ergué-Gabéric.

 

Papeterie dOdet usine actuelle

L'usine d'Odet vers 2015. Photo : Caroline Leroy-Déniel.

 

L'histoire de la papeterie

Nicolas Le Marié, fils d’un manufacturier des tabacs à La Ferté-Macé puis à Morlaix, décide de miser sur la « houille blanche » comme énergie industrielle pour fabriquer du papier. Il choisit un vallon isolé au bord de l’Odet, site sauvage, sans végétation ni habitation, à environ 9 km de Quimper. A l’inauguration de cette « manufacture de papier-cylindre », le 18 février 1822, son beau-frère, Jean Guillaume Bolloré, l’accompagne. Celui-ci est directeur d’une fabrique de chapeaux, à Locmaria. C’est son petit-fils, René Guillaume, qui sera, quelques décennies plus tard, le développeur de l’entreprise entre 1881 et 1904.

C’est la troisième usine de ce type établie en Bretagne. Un bief de 1600 mètres détourne l’Odet permettant de créer une chute d’eau suffisante pour produire la force motrice nécessaire pour actionner les machines. A cette époque, 7 200 rames y sont fabriquées par 31 ouvriers. En 1828, l'usine est équipée de deux cuves à papier blanc et d’une cuve à papier gris. En 1834, Nicolas Le Marié remplace le travail aux cuves et le séchage aux perches par les premières machines. Celui-ci devient également maire d'Ergué-Gabéric de février à octobre 1832. Armand du Châtellier dit, dans ses Recherches statistiques sur le Finistère, qu’en 1837, "toutes les papeteries végétent, sauf Odet, Quimperlé et Glaslan". En 1838, ce sont 25 tonnes de papier de bureau et d’impression, 50 tonnes de papier à la jacquard et 55 tonnes de papier de tenture qui y sont fabriquées. Cette production est expédiée dans les différentes villes de Bretagne, à Paris et aux États-Unis. Puis viennent les difficultés pour se procurer le chiffon à bon marché, le papier subit des hausses de prix. Malgré tout, la demande reste importante, et l'activité prospère. En 1849, 35 hommes et 37 femmes y travaillent.

En 1850, avec 21 hommes et 35 femmes, le préfet écrit au ministre de l'Agriculture et du Commerce (lettres n°11.226 et 12.283) que "cette papeterie ne s'est jamais trouvée dans une situation aussi florissante". En 1856, Justin Laboureau est le contremaître, 85 à 95 ouvriers y sont employés, en 1857, ils sont 105. Nicolas Le Marié, après 40 ans de labeur, est victime d'une chute, sa santé décline, et il décède en 1870.

Son neveu, Jean-René Bolloré, né en 1818, à Douarnenez, ancien médecin et chirurgien-major dela Marine nationale, prend en 1861 la direction de l’usine. Le nom de Bolloré est ainsi lié à l'entreprise. Celle-ci emploie en 1873 50 hommes, 54 femmes et 3 enfants ; en 1884, 37 hommes, 48 femmes et 10 enfants ; en 1885, 35 hommes, 33 femmes et 29 enfants qui produisent 480 tonnes de papier par an. Jean-René Bolloré est considéré comme le second fondateur d’Odet. C’est lui qui débute la fabrication du papier fin. Dès 1861, il est secondé par Jean-Marie Le Lous, natif de Garlan, qui débute en qualité de commis, puis devient teneur de livres, puis comptable. Jean-Pierre Rolland et Jean-Marie Le Bras, anciens cultivateurs, entrent comme journaliers papetiers à Odet. Jean-Pierre Rolland et Marie-Anne Peton, leurs enfants, auront ensuite une place importante dans la vie de la société. Jean-René Bolloré devient également conseiller général du Finistère de 1871 à 1877.

Dès 1872, il associe à la direction de son usine son fils aîné, René-Guillaume. De 1879 à 1886, Charles Pierre Bolloré, second fils de Jean-René, participe également à la direction. En 1881, Jean-René Bolloré disparaît après une longue maladie. Odet ne produit plus, à cette époque, que 336 tonnes de papier par an. René-Guillaume prend alors la direction de l’usine. Proche de ses collaborateurs, René-Guillaume remarque un ouvrier compétent et entreprenant, Jean-Pierre Rolland, entré jeune, à 17 ans, dans l’usine. Il en fait en 1890 son contremaître, surveillant de fabrication à Odet, puis lui confie la direction technique de Cascadec, à Scaër. Lorsqu'il loue cette ancienne papeterie en 1893, pour y fabriquer du papier à lettre, puis du papier à cigarettes, René-Guillaume confie à Yves Charuel du Guérand, ingénieur de Centrale, chimiste, la mise en route de la nouvelle usine. Celui-ci deviendra son gendre en 1896, épousant sa fille aînée issue de son second mariage, Magdeleine Léonie. La famille Rolland, le couple et ses huit filles, s’installe à Scaër dans une maison construite par les Bolloré. Jean-Pierre Rolland fait un incessant va-et-vient entre les deux usines dont il contrôle le fonctionnement. Il décède en 1914, victime de l’emballement du cheval qui conduit son char à bancs. A partir de 1881, René-Guillaume innove avec de nouvelles méthodes de collaboration. Il ajoute aussi la vapeur comme nouvelle énergie. René-Guillaume met au point un système de comptabilité performant et des comptables sont embauchés.

Au décès de René Guillaume en 1904, c’est son fils, René Joseph, qui n’a pas encore 19 ans, qui lui succède. Il se forme à tous les postes de travail et suscite l’admiration de tous ses ouvriers. Léopold Desmarest, ingénieur, intègre l'équipe de direction. René Joseph épouse, en 1911, Marie Amélie Thubé, fille d’un armateur nantais. Celui-ci a d’importantes relations qu’il met au service de l’entreprise, lui offrant des débouchés en Angleterre et en Amérique. Avant la Première Guerre mondiale, une nouvelle machine à papier est mise en activité. Le personnel passe de 200 ouvriers avant la guerre à 1 200 dans les années 1920, en comptant les papeteries de Troyes, dans lesquelles des parts ont peut-être été prises à cette époque. En 1917, le moulin à papier de Cascadec, à Scaër, qui est loué depuis 1893, est également acheté et une usine hydroélectrique y est construite. Le papier à cigarettes, qui y est alors fabriqué, est expédié aux États-Unis. La marque de papier à cigarettes OCB (Odet-Cascadec-Bolloré) est fondée en 1918. En 1917, René Joseph Bolloré décide de construire, à 800 mètres de la papeterie d'Odet, la cité ouvrière de Ker-Anna avec 19 logements. Il institue des caisses de retraite, des allocations pour les malades et met en place un club sportif avec terrain et vestiaires. De 1926 à 1930, il crée un patronage et ouvre une garderie et deux écoles libres, gratuites pour les enfants des ouvriers. Pendant la guerre, les femmes y travaillent douze heures par jour, l’horaire est revenu à huit heures en 1922. Vers 1920, 54 femmes travaillent à la chiffonnerie. Les chiffons viennent de l’étranger, de Russie par exemple, et sont encore découpés sur le banc traditionnel, à savoir une table munie d’une faux. Les filets de pêche, les ficelles et les cordes sont mises en pièces à la hache sur un billot de bois. René Joseph décède en 1935, à l'âge de 49 ans.

C’est Gaston Thubé, son beau-frère, qui assure la direction avec René Guillaume, fils aîné de René Joseph. Gaston garde la coresponsabilité de l'entreprise jusqu'en 1946. C’est en 1936 qu’est installée une machine à couper les chiffons. Ceux-ci sont nettoyés dans des lessiveuses à l’aide d’acide et de chaux. L'énergie nécessaire à l'usine est produite à partir du charbon gallois qu’un bateau, Le Domino, va chercher à Cardiff. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’usine s’arrête par manque de matières premières. René (1911-1999), fils de René Joseph et Marie Amélie Thubé, est le président directeur général de la papeterie de 1946 à 1974. La production reprend, en 1947, avec des chaudières à charbon, puis à fuel, produisant 1 800 tonnes de papier dès 1948. En 1950, Bolloré achète les Papeteries de Champagne à Troyes. Le chiffon est alors remplacé, à Odet, par de l’étoupe de lin et de chanvre, des linters de coton (duvet de fibres très courtes) et de la pâte de bois. En 1954, les papeteries Bolloré prennent des parts dans la papeterie Mauduit. En 1960-1962, il est produit du papier condensateur, qui sera vite remplacé par la technique nouvelle du film polypropylène : un nouveau bâtiment est construit pour accueillir la machine adéquate. En 1972, une nouvelle usine tournée vers la fabrication de film en polypropylène pour condensateurs est construite à 200 mètres de la papeterie. Trois machines continuent à produire du papier (papier carbone, sachets à thé, papier bible pour la collection de livres « La Pléiade »).

Michel, fils de René Joseph, devient président des papeteries en 1975. Il fait appel au groupe Edmond de Rothschild. Les maisons de Ker-Anna sont vendues, le patronage, le terrain de sport et les écoles sont cédées. Le groupe Kimberly Clark qui est entré dans le capital de l'entreprise, se retire. Michel et ses deux frères décident de quitter l'affaire en 1981. La papeterie d'Odet s'arrête définitivement, en juillet 1983, et est partiellement détruite, en 1987.


Directeurs et hommes influents des papeteries Bolloré

Si le fondateur des papeteries, Nicolas Le Marié, et les Bolloré, qui se sont succédé à la tête de l’usine depuis sa mort, ont le rôle principal dans l’orientation et le fonctionnement de l’entreprise, d’autres personnes ont influencé la vie de l’usine à différents moments de son histoire.

 

De 1822 à 1935

Ce sont les directeurs qui assurent l’organisation du travail et veillent à ce que chaque ouvrier ou employé réalise les tâches prévues. Leur responsabilité est importante. Nous savons par les témoignages qu’ils réunissaient chaque matin les chefs de service et les informaient. Ces derniers, à leur tour, rassemblent les chefs d’équipe, à qui il revient de faire respecter les ordres. Aussi René Bolloré I (1881-1905) recevait-il tous les jours un rapport sur la marche de l’usine rédigé par le directeur.

 

À partir de 1935

Après le décès de René Bolloré II, le pouvoir des directeurs semble s’accroître. Il faut dire que le groupe s’est déjà étendu, les frères Bolloré gèrent d’autres activités et ne peuvent suivre la papeterie d’aussi près que leurs prédécesseurs. Lorsque la responsabilité des usines Bolloré échoit à Gaston Thubé, les directeurs sont donc appelés à jouer un plus grand rôle et à prendre davantage d’autonomie. Il en est ainsi de la direction de Louis Garin père, directeur de 1935 à 1940, de Frédéric Ferronière (de 1945 à la fin des années 1960), de M. Callec, de Louis Garin fils et Henri Bernet. Ce dernier cèdera le contrôle de la SAFIDIEP à Shell en 1979. Ils dirigeront les usines d’Odet et de Casacadec, logeront dans une belle demeure gabéricoise, entourée d’un parc, à l’entrée de Stang-Ven, à l’écart de l’usine, mais aussi de la propriété familiale des Bolloré. Notons qu’en 1970, Louis Garin fils jouera un rôle déterminant dans l’histoire de l’entreprise, en choisissant le site d’implantation de l’usine de films propylènes à Ty Coat. Cette usine devient la SAFIDIEP, puis le siège social du groupe Bolloré.

 

Les dirigeants des papeteries Bolloré Revue Réalités sept 1959

Photographie des dirigeants des papeteries Bolloré dans la revue Réalités, parue en septembre 1959. 
Les personnes sont identifiées en légende, à l'intérieur de l'image. 

 

Quelques figures notables

D’autres hommes ont eu une place particulière dans la vie et le fonctionnement de la papeterie. Elle fut même parfois prépondérante. À l’exemple de :
- Jean-Marie Le Pontois, frère de Marie Le Pontois, épouse de Nicolas Le Marié. Il fait partie de la direction. Recensé en 1836 à Odet, aux côtés des Le Marié, il est surnommé « Jean du Moulin ».
- Léon Bolloré, le frère de René I. Il a joué un rôle essentiel dans la production d’un papier mince tout particulier, celui à cigarette, qui participera à la renommée de l’entreprise. Ce nouveau produit fut si difficile à mettre au point que l’usine ne fabriqua pas de papiers minces pendant deux ans.
- Jean-Pierre Rolland (1855-1914), « vieux loup de papeterie », contremaître qui mit en route l’usine de Cascadec après avoir été surveillant de fabrication à Odet. René Bolloré II lui rendra hommage lors du centenaire des papeteries (1922).
- Jean-René Rannou, né en 1866 à Keranguéo, en Ergué-Gabéric. Il faut contremaître de fabrication à Odet.
- Yves Charuel du Guérand, ingénieur des Arts et manufactures, marié à la sœur de René Bolloré II, Marie Madeleine Léonie, née en 1878. Il travaille comme ingénnieur à la papeterie d’Odet et sera conseiller municipal d’Ergué-Gabéric de 1906 à 1925. De son mariage est issue France du Guérand, qui a écrit un livre de souvenirs intitulé Il était une fois, édité en 1980 (en consultation au local d’Arkae).

 

Directeurs papeterie 1911

Hommes et femme influents des papeteries en 1911. Photo prise lors du mariage de René Bolloré II.
Tout à fait à droite, debout : Mme Liliac, secrétaire. Au premier rang, de gauche à droite : René Rannou, contremaître de fabrication à Cascadec, Yves Charuel du Guérand, chef de laboratoire, René Émile Bolloré, Jean-Pierre Rolland, contremaître de fabrication à Odet, Louis Garin, directeur à Odet, Yves Le Galles, chef de la chiffonnerie. Au second rang, de gauche à droite : Laurent Le Gall, comptable, Abel Briand, chef électricien, Hervé Quitin, directeur à Cascadec, Yves Provost, comptable.

 

Enfin, Gaston Thubé lui-même : voir sa biographie ici.


Dans les années 1960-1970, des hommes influents comme Jean Espern, homme de confiance des directeurs, et Jean Lassal, directeur de la Safidiep et « homme des films polypropylènes », auront aussi une place déterminante.

 

Synthèse effectuée par Pierre Faucher.


Les calvaires de René Bolloré

Nous n’avons pas de trace de patrimoine religieux dans le village d'Odet avant le XXe siècle. Les deux calvaires que l'on y trouve actuellement ont été importés sur les lieux. Celui du manoir d'Odet provient, suite à un achat de René Bolloré, de la commune de Scrignac. Pour celui de l'écluse, l'origine est plus incertaine. Les deux ont été reconstruits par des employés de la papeterie d'Odet, sous la direction de René Bolloré II.

 

Activisme religieux de René Bolloré

De 1905 à 1935, René Bolloré II (1885-1935) intervient fortement dans le domaine religieux :

  • En 1907, il finance le Likès.
  • En 1922, à Odet, il fait construire par l’architecte René Ménard une chapelle qu’il dédie à saint René. Il y fait dire des messes quotidiennes et récupère des œuvres d’art religieuses pour l’intérieur, dont une pieta.
  • En 1926, il fait reconstruire à Cascadec, en Scaër, une chapelle qu’il dédie à sainte Thérèse-de-l’Enfant-Jésus.
  • Il fait construire deux écoles chrétiennes à Lestonan en 1928 et 1929.
  • De 1927 à 1929, il envoie en plusieurs fois un don de 7 millions de francs à la sœur Yvonne-Aimée de Malestroit pour la construction d’une clinique attachée au monastère de Malestroit.
  • Lors de sa direction, il célèbre annuellement au manoir certaines fêtes du calendrier chrétien, dont la Fête-Dieu.

L’ensemble du bâti religieux lié aux papeteries Bolloré a donc fait l’objet d’une réappropriation personnelle.

 

Réaction au déplacement des pierres

Calvaire dOdet par Louis le Guennec Finistère Monumental IIILe calvaire d’Odet provient, avec certitude, de l’acquisition d’une ruine à Scrignac, « de ces contrées de la montagne où l’on pouvait, sans vergogne, se servir[1] » ; quant au calvaire de l’écluse, on suppose qu’il est originaire de la même commune. La vente de ces ruines aurait fait l’objet, selon Louis Le Guennec, de « commentaires émus[2] » dans la presse de 1925. On retrouvera ces articles de l’Ouest-Éclair et de l’Illustration sur le site Grand Terrier.

Quelques temps après l'achat et le déplacement, René Bolloré invite Louis Le Guennec, archiviste de la bibliothèque de Quimper, et Henri Waquet, conservateur du Musée des Beaux-Arts, à visiter les monuments restaurés. Louis Le Guennec relate cette visite dans son journal. Le keleier n°99 (décembre 2017) en contient des extraits : « Le matin, M. Bolloré nous invitait tous deux à aller voir la chapelle de Coat-Quéau qu’il fait rebâtir à Cascadec en Scaër […] Le soir, il a renouvelé son invitation, mais à M. Waquet seulement. Serais-je assez sot pour m’en dépiter ? ». Rappelant les articles de presse précédents, Jean-François Douguet décrypte la situation en note : « L’invitation de René Bolloré […] n’était sans doute pas désintéressée car le rachat de la chapelle et du calvaire de Coat-Quéau, en Scrignac, par René Bolloré fit quelques vagues dans les milieux culturels de l’époque et Henri Waquet n’y était pas étranger. En effet, c’est probablement lui qui est à l’origine de la parution d’un article paru dans le célèbre journal L’Illustration du 9 mai 1925 […] Par cette visite, René Bolloré voulait sans doute convaincre le rigoureux archiviste, amoureux des vieilles pierres, en lui montrant la qualité du déménagement et de la restauration des vieux monuments. Ce que, sans doute, Louis Le Guennec ignorait. »

Quoi qu’il en soit, comme le relève Jean Cognard, des articles ultérieurs seront plus en faveur de l’action de René Bolloré : Le Courrier du Finistère, en 1927, et L’Illustration, en 1928[3]. En 1929, René Bolloré a expliqué à Louis Le Guennec les motifs qui l’ont poussé à acquérir ce patrimoine. L’archiviste-historien rapporte ainsi les propos de l’industriel gabéricois dans son Finistère monumental (tome III) : « Tout cela était condamné à bref délai… je ferai le nécessaire pour que l’église subsiste encore à l’état de ruine pittoresque […] J’ai obtenu les autorisations requises du côté de l’évêché[4]. »

 

Le calvaire d’Odet/Coat-Quéau

Calvaire Coatquéau Odet Haut v2Il se trouve dans le parc du manoir Bolloré depuis 1925. Comme on l’a dit, il provient d’une ancienne église devenue chapelle, celle de Notre Dame de Coat-Quéau en Scrignac, qui date du XVIe siècle[5]. René Bolloré a acquis le calvaire et la chapelle en 1925 : la commune de Scrignac avait mis en vente publique leurs ruines pour 10 200 francs. Le tout était, semble-t-il, effondré depuis 20 ans. Après déplacement et reconstruction, la chapelle renaît près de l’usine de Cascadec à Scaër, à 40 km de son lieu d’origine, en 1926.

Quant au déplacement du calvaire, il aurait nécessité, selon Louis Le Guennec, l’intervention d’une équipe de vingt hommes munis de palans différentiels. Il fut ensuite restauré avec l’aide du chanoine Abgrall. Le Guennec décrit l’état des statues avant la restauration : « Le Christ et les deux larrons sont tombés, jetés bas par la tempête ou le vandalisme. M. Bolloré m’en montra les débris, parmi lesquels le torse du Bon Larron, fixé à sa croix par de solides cordes. »

Dans un travail universitaire effectué en 1993, Joëlle Le Saux décrit ainsi le calvaire : « De style Renaissance, ce calvaire élancé du XVIe siècle est composé d'un emmarchement circulaire de cinq degrés, le socle également circulaire supporte le fût bosselé. [...] Sur le socle, on peut voir deux personnages en kersanton, un Ecce Homo et sainte Madeleine agenouillée. Celle-ci, la tête rejetée en arrière, contemple le Christ. Le croisillon portant les trois croix supporte dix personnages en kersanton. Le chapiteau est décoré d'une frise d'oves et porte une inscription MG LE SAUX LORS G. Cette inscription, complétée par la date 1560, se lit Maître Guillaume Le Saux alors gouverneur. Le terme gouverneur peut avoir deux significations : soit il équivaut aux termes fabrique ou fabricien, soit il désigne une chapelle sans fondateur, entretenue par les fidèles. De chaque côté, deux bustes soutiennent la console formée par le croisillon, ces cariatides sculptées stylistiquement sont également en kersanton. Parmi les dix personnages présents, on trouve entre autres les deux larrons sur leurs gibets en forme de T. Les larrons sont attachés par des cordes, selon la règle établie. Le mauvais larron détourne les yeux du Christ, tandis que le bon larron lève le visage vers lui. En signe de pardon, le Christ penche la tête vers le bon larron. Celui-ci a les jambes ramenées et attachées de l'autre côté de la croix, d'une façon particulière. Deux scènes sont représentées sur la console : [d’un côté] une déposition de croix et de l'autre côté trois personnages. La déposition de croix est constituée d'une piéta. La Vierge portant le Christ dans ses bras est ici représentée en Vierge de douleur, des larmes coulent sur son visage grave. La Vierge est accompagnée de saint Jean, selon la tradition, et d'une sainte femme en voile qui se trouve à sa droite. Devant, sous la crucifixion, on peut voir trois personnages. Au centre un moine lisant un livre ; saint Quéau ou Kew, qui est le patron primitif de Coat-Quéau. Une sainte priant, revêtue d'une tunique et d'un voile, et enfin un chevalier, genoux à terre, levant ses yeux vers le Christ et portant sa main droite au cœur. […] Au revers une Vierge Mère à l'enfant repose sur un socle, juste au-dessus de la piéta, il s'agit de Notre Dame de Coat-Quéau. Deux anges ailés recueillent le sang du Christ, ceux-ci ont été sculptés lors de la restauration, ils reposent sur deux socles, visibles à droite et à gauche de la croix du Christ. Le socle de Notre Dame de Coat-Quéau et ceux des anges marquent une séparation, amplifiée par un chapiteau situé au milieu de la croix du Christ. Un écusson sur le chapiteau rappelle l'origine de ce calvaire, on peut voir quatre blasons d'armes seigneuriales, parmi lesquelles on trouve les trois pommes de pin de la famille de Tresiguidy, qui possédait autrefois le manoir de Coat-Quéau. Cette famille a sans doute commandité ou participé au financement du calvaire[6]. »

 

Le calvaire de l’écluse

Calvaire de lécluse entier zoomCe second calvaire, « calvaire de l’écluse » ou « calvaire de Stang Luzigou », se trouve au bord du chemin qui longe le canal menant à l’ancienne écluse. Ce canal avait été construit pour les papeteries et les alimentait. Le lieu en lui-même, Stang Luzigou (28 ha), appartenait à la famille Bolloré, avant de devenir propriété du conseil général et "bois départemental" en 1983. Le village a été habité par des ouvriers de la papeterie.

Réalisé au XIXe siècle, le calvaire provient peut-être de la commune de Scrignac, comme la chapelle de Cascadec en Scaër et le calvaire d'Odet. Ses pierres auraient été déplacées et restaurées par René Bolloré II. Gaëlle Martin note, dans une visite guidée du calvaire, que René Bolloré, grand amateur de patrimoine, était coutumier de ces déplacements. Son fils, Gwenn-Aël, relate dans ses mémoires une anecdote à La Trinité-Surzur : en y passant, René Bolloré aurait voulu acheter la fontaine du village.

Dans un article consacré au calvaire, Jean Cognard, se basant sur l’inscription du fût, émet une autre hypothèse sur l’origine du calvaire : « Le calvaire a été dédié en 1815 à un couple Le Core-Le Guillou de Penhahars, lieu-dit attesté de la commune de Leuhan, et sans doute a été leur propriété. […] Des recherches généalogiques ont permis de retrouver les traces des deux personnes citées qui en l'occurrence étaient mari et femme. Les relevés du Centre genéalogique du Finistère font état des baptêmes et du mariage d'Yves Le Core et de Marie-Isabelle Le Guillou à Leuhan : […] 10/01/1802 (20/Nivo/An10), Leuhan (Pays : Châteauneuf), mariage de LE CORE Yves, fils de Germain Louis et de KERVRAN Marie, et de LE GUILLOU Marie Izabelle, fille de Jean et de LAZ Marguerite. Yves Le Core avait donc 34 ans en 1815, il est bien né à Penhars ou Penhahars, lieu-dit attesté de la commune de Leuhan. Il était probablement tailleur de pierres et aurait dédié cette pierre à son épouse Marie Isabelle Le Guillou[7]. » 

Le fût mesurant environ 1 mètre supporte un groupe de statues compact. Au centre, se détache une croix brisée portant un Christ dont il ne reste plus que le bassin et les jambes. Au revers, trois personnages forment une déposition de croix, on y retrouve toujours une piéta.

La restauration fut réalisée par Jean-Marie Quéré et Jean-Louis Favennec, maçons et salariés de la papeterie. Le haut de la croix garde d’ailleurs les marques d’une restauration : le groupe de statues qui le constitue est aujourd'hui cimenté au fût, sans chapiteau. Joëlle Le Saux, voyant que l’ensemble manquait d’harmonie, pense que les statues de la Vierge et de Saint-Jean avaient dû reposer sur des socles à l’origine. Selon elle, le calvaire aurait aussi perdu un croisillon dans le déplacement. Jean Cognard ajoute que « la texture des pierres de la partie basse du socle semble plus ancienne, ce qui laisse à supposer que le fût et cette partie haute a été adjoint plus tard. De même, la croix et les statues supérieures sont bien antérieures à la date de 1816 ». Composé d'un emmarchement et d'un socle carré, l’assise mesure presque 2 mètres. Elle comporte un banc et un chanfrein. Sur les quatre faces de l’emmarchement, une inscription est gravée en relief : FAIT P/ YVES LE -> CORE DE PENAHARS -> 1816 LE GUIL -> MARIE IZABELLE / LOU 

 

Synthèse réalisée par Marilyne Cotten

 

Notes

[1] Yves-Pierre Castel, « Le comité d’histoire d’Ergué-Gabéric à la recherche des croix et calvaires », Le Progrès de Cornouaille, 6 septembre 1986.

[2] Louis Le Guennec, Le Finistère monumental, tome III, Quimper, Les Amis de Louis Le Guennec, 1984, p. 508.

[3] Jean Cognard, Historial du Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_vente_de_la_chapelle_et_du_calvaire_de_Coat-Qu%C3%A9au%2C_Ouest-Eclair_Illustration_1925 et http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_chapelle_de_Coat-Qu%C3%A9au_transport%C3%A9e_%C3%A0_Cascadec%2C_Courrier_Illustration_1927-28

Extrait de l’article de l’Illustration du 9 mai 1925, intitulé « Un calvaire à l’encan » : « Commencées à la sortie de la messe, au matin, les enchères étaient terminées à dix heures et, pour la somme de 10.200 fr., le calvaire, la chapelle en ruines, le terrain et un second calvaire de moindre valeur était adjugés à un industriel de Quimper. L’acquéreur aurait, croit-on, l’intention de construire une chapelle nouvelle. L’ancienne chapelle possède cependant des vestiges intéressants, notamment des fenêtres ogivales du dix-septième siècle, finement ciselées et intactes. La vente est-elle définitive ? Aujourd’hui, l’administration des Beaux-Arts s’émeut, et, en ce moment M. Waquet, archiviste départemental, poursuit une enquête aux fins de faire classer le calvaire comme monument historique : l’antique lieu de pèlerinage conserverait ainsi ses pieux monuments consacrés par les plus chères traditions. »

[4] Louis Le Guennec, op. cit., p. 508.

[5] La datation est donnée par l’inventaire du patrimoine culturel en Bretagne : http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/hameau-coat-queau-scrignac/38acf4e3-bc67-46d5-8184-2d3939924ab3 En 1937, une autre chapelle est construite à l’emplacement de l’ancienne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_de_Koat-Keo

[6] Joëlle Le Saux, Rapport sur les croix et calvaires à Ergué-Gabéric, 3e trimestre 1993.

[7] Jean Cognard, « Le calvaire de Stang Luzigou », janvier 2009, Historial du Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=Le_calvaire_de_Stang-Luzigou