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Jean-Louis Morvan, un prêtre passionné du patrimoine religieux

 

Jean-Louis MorvanJean-Louis Morvan est né en 1920 à Kerbrat en Trégarantec dans le Nord-Finistère. Il a été recteur de la paroisse d'Ergué-Gabéric de 1969 à 1981. Il fut également l'artisan de la restauration de l'orgue de Dallam et du retable de Kerdévot, ce qui lui a valut le titre de Chevalier des Arts et des Lettres. Il vient de décéder, fin août 2006 à Quimper, à l'âge de 86 ans, après avoir été recteur de La Forêt-Fouesnant de 1981 à 1999. Depuis, il était en retraite à Pouldreuzic où il était aussi en charge de la paroisse.

Au cours des 12 années où il a exercé son ministère à Ergué-Gabéric, il a été à l'origine de nombreuses actions qui ont abouti à la rénovation et à la mise en valeur du patrimoine religieux gabéricois.  Il écrivait beaucoup et, dans un propos développé dans le livre à l'occasion du Ve centenaire de la chapelle de Kerdévot en 1989, il résumait son action dans le titre : un recteur du 20e s face au trésor de sa paroisse ».
Le dossier transmis au Ministre de la Culture en 1980, qui a abouti à sa nomination de Chevalier des Arts et des Lettres en 1983, dresse les principaux chantiers auxquels Jean-louis MORVAN a été associé au cours de ses douze années gabéricoises, avec le Conseil municipal et le Conseil paroissial :

  • La chapelle de Kerdévot réfection de la toiture de la chapelle et de la sacristie :
  • Le retable de la chapelle de Kerdévot : après le vol de statuettes de 1973, le retable a été déposé chez M. HEMERY pour y être restauré. Il y est resté pendant six années et après de nombreuses tergiversations, le monument restauré à retrouvé sa place dans la chapelle. Et Jean-Louis MORVAN, avec Gusti HERVE, a réalisé un magnifique montage audiovisuel avec commentaire sur le retable.
  • La chapelle de Saint-Guénolé que Jean-louis MORVAN appelait «  le véritable petit bijou de campagne ». Elle tombait en ruines et, en 1974, le Conseil municipal avec l'aide des Beaux-Arts et du Conseil Général a décidé sa restauration : réfection de la toiture, lambris refaits et peints, remise en valeur des sablières et peinture, taille d'un autel en pierre...
  • L'église Saint'Guinal du bourg fut l'objet de toutes ses attentions : réfection des peintures du retable du Rosaire, éclairage et mise en valeur de l'intérieur.
  • L'orgue Dallam (datant de 1680),situé dans cette église baroissiale, classé en 1975, se trouvait au fond de celle-ci dans un état délabré. Jean-Louis Morvandécida de tout mettre en oeuvre pour que cet orgue soit rénové et on peut écrire qu'il remua ciel et terre par écrit et par oral pour que cette rénovation soit réalisée pour le tricentenaire de 1980: restauration à l'intégrale de l'instrument musical par M. RENAUD. facteur d'orgues à Nantes, reconstruction de la tribune d'orgue par des artisans locaux peinture du buffet de l'orgue par P. HEMERY du Faouôt. L'inauguration en grandes pompes, couplée à la première journée du patrimoine le 19 octobre 1980, reste encore dans la mémoire de nombreux Gabéricois


Au-delà de ces réalisations sur les monuments, Jean-Louis Morvan s'attachait à faire vivre sa paroisse (chorale, organisation de concerts), animation du patrimoine religieux à travers les offices bien sûr, mais aussi par le renouveau du pardon de Kerdévot. L'échange avec la paroisse allemande de St Martin d'Augsbourg fut aussi un moment fort au niveau culturel.

Jean-Louis Morvan était fier de cette mise en mouvement autour du patrimoine, il a été un ambassadeur d'Ergué-Gabéric au cours de ces douze années avec les montages audio-visuels, les nombreux articles qu'il écrivait, en particulier dans le bulletin municipal, et par les nombreux contacts qu'il établissait pour le rayonnement des monuments religieux.

Pour terminer, on peut reprendre ce que Jean-Louis Morvan écrivait dans la préface du livre du Ve centenaire de Kerdévot en 1989 :  « des multitudes de souvenirs s'entremêlaient dans mon esprit souvenirs de mes 12 ans d'un ministère exaltant où j'étais souvent écartelé entre mes obligations pastorales dans une paroisse en pleine mutation et les richesses historiques et artistiques de la paroisse, toutes rongées par l'usure du temps et des intempéries, à qui il fallait à tout prix redonner vie ».

 

Ces 12 années d'intenses activités pour le patrimoine gabéricois se devaient d'être remémorées pour rendre hommage à Jean-Louis Morvan.

 

Arkae - Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric n° 21 - septembre 2006

 

 

Suite...

Afin de compléter au mieux cette présentation de Jean-Louis Morvan, voici les principales dates qui ont marqué sa vie de prêtre :

· 1937 - baccalauréat au lycée St-François de Lesneven.

· 1937 - entrée au séminaire de Quimper

· 1940 - en juin se constitue prisonnier après 11 jours de mobilisation.

· 1945 - en avril libération et retour en Bretagne.

· 1947 - ordination de prêtre par Mgr Fauvel en la cathédrâle de Quimper.

· 1948 - nomination comme vicaire de Landudec

· 1951 - vicaire à Névez

· 1954 - vicaire au Pilier-Rouge à Brest

· 1966 - nomination comme recteur de Melgven

· 1969 - recteur d'Ergué-Gabéric

· 1981 - recteur de la Foret-Fouesnant

· 1999 - retraite active au presbytère de Pouldreuzic

 

Jeune prisonnier de guerre en Allemagne

Au début du conflit de 1940-1945, en France, Jean-Louis qui avait tout juste 20 ans, écrivait son journal sur des feuilles volantes et racontait sa courte mobilisation suivi de son expérience de K.G. (Kriegsgefangener), prisonnier en route vers le pays ennemi.

Là-bas en plein coeur de l'Allemagne, dans son premier camp de prisonnier à Limburg (Stalag XIIA), il les recopia dans un cahier de marque Schola, qu'il compléta les années suivantes de deux autres cahiers identiques. A son retour de captivité, sa soeur Elizabeth les recopia minutieusement sur deux cahiers à spirales.

Plus tard ces cahiers furent remaniés et repris au format A4 agrémentés de photographies prises en Allemagne et à son retour de captivité. Jean Cognard entreprit en 2002 la transcription du texte initial des cahiers à spirale et ce travail est téléchargeable sur le site Arkae.org.

Ce qui frappe le lecteur de ses cahiers, c'est la spontanéité du prisonnier, et la fraîcheur de ses observations. Il dit et écrit tout haut ce qu'il pense. Et de cette spontanéité on devine une grande humanité, un sens de l'amitié et de la fraternité entre les peuples. Il dut travailler dur dans les champs, lui l'intellectuel, et affronter les idées nazies de certains de ses patrons de ferme. Et il souffrit physiquement lorsqu'il dut travailler à l'usine IG Farben-Industrie Ludwigshafen où il devait porter des sacs de soude de 100kg.

Après sa libération et son retour, il y eut des prolongements heureux et positifs à sa période de captivité :

· Alors qu'il baptisait le fils d'un ami à Trier, il fut invité à visiter l'usine de Ludwigshafen par un dirigeant de la société BASF (ex IG Farben). Ce dernier le reçut ensuite à table comme "Ehre Gest" (invité d'honneur) et devant les cadres supérieurs de l'entreprise il relata toute son histoire.

· Son frère Jean-Marie fut prisonnier aussi en Allemagne. Mais contrairement à Jean-Louis il resta dans la même famille à Salgen et il sympathisa avec le fils jeune séminariste allemand du village bavarois. Ce jeune Anton Schaule fit la connaissance de Jean-Louis après-guerre et ils se consacrèrent à la lourde tâche de rapprochement des peuples français et allemands.

· En 1978, Jean-Louis suggéra à Anton de proposer à ses paroissiens de venir à Ergué-Gabéric. Ils hésitèrent car ils craignaient la rancœur de certains français, mais leur accueil fut très émouvant. La messe de réconciliation à la chapelle de Keranna fut poignante également. Et ce fut le début d'échanges entre la paroisse bretonne et celle de St-Martin d'Augsbourg.

 

La dette de la chapelle de Keranna

- La première tâche qui incomba à Jean-Louis à son arrivée à Ergué en 1969 fut purement administrative : la dette de la paroisse suite aux travaux de la chapelle de Keranna s'élevait à 25 millions de centimes. Il fallut beaucoup d'énergie pour obtenir des solutions de financement. En juillet 1970 il écrivait à son évêque : « En me nommant ici, voulait-on placer un prêtre ou un financier ?  Cette année passée, j'ai surtout été financier ; j'ai dû chercher 6 millions, faire appel à la population, organiser une kermesse ... »

- Et dès 1971 il engagea le projet d'une salle paroissiale pour le quartier du Rouillen, ce grâce à un don Le Guay-Lassau. Mais l'évêché, ne voulant pas renouveler l'expérience de Keranna, veillait au grain,  : « Notre préférence va à un équipement pastoral léger, répondant en priorité aux besoins actuels de la catéchèse des enfants et de l'A.C.E. et pouvant cependant servir aux réunions d'adultes. »

- En janvier 1980, dans le compte-rendu de la réunion du conseil paroissial, Jean-Louis put enfin crier victoire : « Pour la première fois depuis 1969, la paroisse n'a plus de dette. Celles de Keranna et de la salle du Rouillen sont règlées, et l'avoir de la paroisse est de 24903 F. »

 

Saccage et restauration du retable de Kerdévot

Entre-temps l'affaire du retable de Kerdévot causa bien des soucis au recteur gabéricois. Le 6 novembre 1973 cet ensemble unique d'origine anversoises et datant du 15e fut l'objet d'un cambriolage par le gang "spécialisé" Wan den Berghe de Bruxelles qui emportèrent six statues et saccagèrent une dizaine d'autres. Trois statues furent retrouvées six mois plus tard, mais les statues du tableau de la nativité sont encore manquantes aujourd'hui.

Suite au saccage, il fallut mettre à l'abri le chef d'oeuvre : d'abord dans le grenier du presbytère, puis dans la sacristie de Kerdévot, en enfin au musée de Quimper. Il fallut aussi répondre aux enquêtes de la police judiciaire et aux responsables des Beaux-Arts car le retable était classé.

En 1975, à force de démarches, le travail de restauration fit confié à Paul Hémery du Faouët qui sut redonner aux statues abîmées leur dorure et leur polychromie originelles. Et en 1979, Jean-Louis et Pierre Faucher, maire, décidèrent le rapatriement du retable à Ergué, car les décisions des instances parisienne tardaient à venir.

Ce jour-là, les services municipaux travaillèrent toute la journée à hisser le retable pesant une tonne et ils n'eurent pas le temps de poser la vitre blindée de protection contre de nouveaux cambrioleurs. Jean-Louis et Gusti Hervé de la commission diocésaine d'art sacré passèrent la nuit dans la chapelle et prirent des centaines de photos.

   

 

L’Orgue de Thomas Dallam en 1980

En 1971 on découvrit que cet orgue historique Dallam datant de 1680 avait été ignoré du classement des monuments historiques lors du dernier passage de la commission. Lorsque ce fut fait il fallut se battre contre les lourdeurs des administrations, valider les devis, obtenir des subventions, lancer les travaux de restauration sous l'égide de Jean Renaud de Nantes.

En 1978 Jean-Louis engagea une campagne auprès des entreprises pour collecter des fonds. Lorsqu'une société n'était pas assez généreuse il ne mâchait pas ses mots :

« Ce matin j'ai reçu une lettre de votre société avec un chèque de 100 francs libellé "pour vos orgues". Je me demande si vous avez compris le sens de ma démarche : versement d'une somme sur le 1/1000 du chiffre d'affaires destiné aux oeuvres, comme vous me l'aviez conseillé, me laissant espérer une somme assez forte en raison de la bonne marche de la société. »

Le coût total de l'opération fut de 294.000 francs. Et le budget, grâce aux dons et aux subventions, fut bouclé pour le grand jour de l'inauguration de l'orgue, le 19 octobre 1980, soit 300 ans après sa construction. Ce jour-là tout le monde ne put pénétrer dans l'église, et les organistes JA et S. Villard et M. Cocheril firent vibrer les coeurs en interprêtant du Couperin, Roberday, Purcell, Attaignant, Ximenez.

 

 

*  *  *

Les contemporains de Jean-Louis ont pu remarquer qu'il avait un "sacré" caractère. Il était capable de s'emporter, et là on remarquait son bégaiement, mais il le regrettait toujours. Il était émotif. A la cérémonie de départ d'Ergué, il ne put prononcer son discours tant il pleurait d'émotion. Et la grande musique était son refuge et son remède pour affronter les difficultés.

 

 

 Keleier Arkae 46 - septembre 2006

 

 

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Trésors d'archives > Personnage > Le cantonnier du bourg

Le cantonnier du bourg

 
Dans les années 40, quand on se rendait au bourg d’Ergué-Gabéric par la route qui longe le Jet en direction d’Elliant et avant d’atteindre le premier chemin qui mène au manoir de Pennarun, on pouvait apercevoir sur la gauche, dans un renfoncement, un curieux personnage.
 
De petite taille et de corpulence moyenne, vêtu modestement, chaussé de sabots et coiffé d’un béret rond, l’homme devait demeurer dans une petite maison derrière l’église.
 
Tous les jours de la semaine, sauf, sans doute, le dimanche, agenouillé sur une mauvaise paillasse, les fesses sur les talons, il cassait des cailloux. Ces cailloux devaient servir à combler les innombrables « nids de poule » des chemins de la commune. Il exerçait son métier de cantonnier par tous les temps.
« Je me souviens l’avoir vu, un jour qu’il pleuvait assez fort, comme cela arrive quelquefois dans notre région, avec pour seule protection, en forme de capuche comme celle des livreurs de charbon, un sac de pommes de terre. L’eau coulait sur son visage mais il ne semblait pas s’en inquiéter outre mesure, sa massette s’abattant avec régularité sur les pierres. La qualité de son travail était telle que les cailloux étaient homogènes dans la taille, « calibrés », comme le sont aujourd’hui les pommes, les oranges, les œufs ou les huîtres… Ses tas de pierre semblaient comme tracés au cordeau. »

Le métier de cet homme n’était pas valorisant et il ne susciterait sans doute pas de vocation de nos jours, mais la manière dont il l’exerçait mérite tout notre respect.
 
Bernard Le Bihan - Keleier Arkae n°18. (2002)
 
Jean Le Reste a reconnu dans ce cantonnier Alain Conan (1887-1966), né à Kerdilès. Il fut le dernier cantonnier « établi à son compte », à qui l’Equipement achetait directement les pierres. Ensuite, les cantonniers devinrent des employés communaux.
 
 

Trésors d'archives > Personnage > Marjan Mao, chanteuse traditionnelle

Marjan Mao, chanteuse traditionnelle

Une chanteuse populaire dans la plus pure tradition
 
Marjan MaoCeux qui ont eu le privilège de fréquenter assidument les grandes foires et marchés agricoles d'antan connais­sent bien le personnage du chanteur populaire, juché sur une caisse ou sur un piédestal, chantant et vendant des chansons sur feuilles volantes. Ces feuilles imprimées ont permis une large diffusion des thèmes des chanson niers, à travers les campagnes.
C'est par ce biais que Marjan Mao de Stang Odet a pu apprendre des dizaines de chansons qui composent aujourd'hui son répertoire tant apprécié des personnes du troisième âge. Comment a-t-elle appris ces chants ? Quels thèmes évoquent-ils ? De quand datent-ils ? Voici les questions auxquelles nous essayons de répondre, et l'étude plus approfondie d'une chanson nous permettra en plus de dégager l'intérêt historique, linguistique et ethnologique de notre culture orale.
 
Auguste Dupouy le poête bigouden nous a laissé une évocation fort pittoresque de nos chanteurs populai res du siècle dernier :
 
Aux pardons de chez nous, ceux des champs, ceux de la mer
Les chanteurs qui s'en vont de Tréguier à Quimper
Sortant de leur bissac ou la guerz ou la sône
Avec leur fort accent, leur glote monotone
Scandaient devant le même auditoire ingénu
Des récits d'un parler que tu n'as pas connu
Et, j'écoutais leur voix rudement cadencées
Dérouler en mes bourgs, de moindres odyssées.”

Marjan Mao et Bernez RouzL'aspect monotone relevé par l'écrivain ne pouvait que frapper ce non-bretonnant qu'était Dupouy. La Gwerz bretonne a en effet un caractère répétitif et scandé qui fait penser à un tarare en action et a tôt fait de lasser nos auditoires modernes. C'est que le ton n'a que peu d'importance dans ce genre de chant, qui tient autant du récit que de l'art musical. Seules les paroles et le thème déployé au long d'une centaine de couplets peuvent accrocher l’attention de l'auditeur et c’est elles qui renferment le véritable trésor de notre patrimoine chanté.

Celui-ci a-t-il disparu à Ergué-Gabéric ?
C'est ce que l'on peut penser car rares sont les personnes qui ont connaissance de l'existence d'une tradition qui se perpétue grâce à Marjan Mao et récemment encore à Jos Ar Saoz. Celui-ci après avoir passé toute sa vie adulte au Maroc prit sa retraite au pays, retraite active puisqu'il composa plusieurs chants racontant sa vie de colon et sa vie de retraité. Autre sujet d'étonnement ce nonagé naire alerte me chanta en 1976 l'histoire du Meunier : "Ar Meilher" apprise par lui en 1898 quand il était paotr -saout (vacher) à Briec. Il n'avait oublié aucun des 36 couplets après plus de cinquante ans passés en Afrique !

Le répertoire de Marjan Mao est bien plus étoffé cependant car elle n'a jamais arrêté de chanter ses chansons. Née en 1902 elle a appris pratiquement tous ses chants avant la grande guerre :

"Me ‘m eus bet desket kanañ brezhoneg dam ber me moa ur voereb ha honnezh gane ken-kenañ ha neuze ma mamm. Ar re se veze atav o kanañ. Ar re se zo chañsoniou desket gant ma mamm gozh matrese, Ar re se zo chañsoniou ne oar den pegen kozh int. ‘M eus desket ‘nei ‘benn e oan merc'hig, mod se o kanañ, raed ken kanañ atao. Kanañ ha lar ar pater ingal. Ha feiz pater voe laret paotr paour... ha goude-se me zeske na founnus a-walc'h ha goude-se ar re se a blij din, ar re se vez o ranouelliñ barzh ma fenn dibaoe, setu me zalc'h soñj ar re se... Med an dra-se vez ket laret ur son d’eus an dra-se vez ket laret un chañson d’eus na, ur werz vez laret d’eus na gwechall."

J'ai appris à chanter en breton parce que j'avais une tante qui chantait beaucoup et aussi ma mère. Elles étaient toujours en train de chanter. C'était des chansons apprises par ma grand mère peut-être, c'était des chansons qu'il est impossible à personne de donner leur ancienneté. Je les ai apprises quand j'était petite fille, comme cela en chantant, on ne faisait que chanter toujours. Chanter et dire le Pater tout le temps... Ha ! On en disait des Paters mon gars... Et sans doute que j'apprenais assez rapidement et çà me plaisait, depuis ces chansons tournent dans ma tête c'est pourquoi je les retiens... Mais on ne dit pas chanson de celle là, une gwerz (complainte) disait-on autrefois."

 

Ces gwerz dont parle Marjan était un des genres les plus populaires au siècle dernier. Il s'agissait de complaintes racontant des évènements tragiques : "Gwerz an Titanic" par exemple évoquait le naufrage du célèbre paquebot. Dans une société rurale que l'école n'avait pas encore culturellement transformée, ces chants servaient de journal parlé et diffusaient les grandes nouvelles de l'époque. Le plus souvent cependant la chanson prenait pour thème un crime abominable, capable d'émouvoir les foules car le chansonnier vivait de la vente de ses feuilles il fallait donc qu'il attire le client par des sujets à sensation. La chanson du Meunier déjà citée commence par une formule à "tirer son mouchoir".

“Ken trist eo va flanedenn, aet on skuizh o ouelañ
 E kreiz va brasañ anken en em lakan da ganañ"
 Ma destinée est si triste, je suis fatigué de pleurer
 Au milieu de mon grand désespoir je me mets à chanter”

L'essentiel est de capter l'attention par les pleurs ou par le rire. Car si Marjan chante la complainte à l'occasion, ses chansons sont plutôt gaies : "Ar Pilhaouer", "Barzh en tu all da Bariz", "Son ar mezvier mechant", "La Barbière" etc. Toutes ces chansons ont un intérêt certain et l'exemple d'Ar gemenerez (la couturier) est édifiant à ce sujet.

 

Ar Gemenerez

Selaouit hag ho klevfot, ho klevfot kanañ
Ar chanson nevez savet, kompozet ar bloaz-mañ
‘Zo savet d'ar gemenerez he anv Maivon
He neus Tailhet rochedoù d'an Aotrou ar Baron.
 
Rochedoù lien fin, rochedoù lien tanv
A zo brodet war an daouarn, gwriet gant neud arc'hant
‘Benn oan achuet gante e oant laket en ur pakad kloz
Neuze e yae Marivonig d'o c'has d'ar ger d'an noz.
 
Debonjour deoc'h paotr lakez ha c'hwi palafrinker
Ha c'hwi a lavarfe din-me, h'ar baron zo e ker ?
Ar baron diouzh e wele ‘ glevas buan an trouz
Hag a c'houlas piou zo aze war ar parviz ?
 
Piou zo aze war a parviz d'an eur mañ deuz an noz ?
N'eus nemet Marivonig ho ponamiez koant
A zo deut da z’as rochedou deoc'h, c'hwi baron yaouank
Digor an nor paotr lakez ha digorit nei frank !
 
Vit ma gallo Marivonig dont d'am gwelet d'am c'hambr
Pa edo Marivonig ‘ vont d'an diriou d'an nec'h
Ar baron lampon sache dei war he brec'h
Didostit Marivonig vit aour na vit arc'hant
 
Deus da aozan din va gwele depech ma teus c'hoant
Me ne ran ket kant mil foutre gant aour nag an arc'hant
Me a gousko un nosvezh gant ur baron yaouank.

 

La Couturière

Écoutez et vous entendrez chanter
La chanson nouvellement composée cette année
Sur une couturière nommée Marivonne
Qui a taillé des chemises à monsieur le Baron
Des chemises de drap fin
Qui sont brodées sur les mains
et cousues de fils d'argent
Quand je les ais terminées je les mis dans un paquet clos
Alors Marivonig partit les emmener la nuit
Bonjour à vous laquais et à vous palefrenier
Me diriez-vous si le baron est à la maison ?
Le Baron de son lit entendit vite le bruit
Et demanda qui est là sur le parvis?
Qui est là sur le parvis à cette heure-ci de la nuit ?
C'est seulement Marivonig votre jolie bonne amie
Qui est venue vous apporter vos chemises à vous jeune Baron
Ouvre la porte pour que Marivonig puisse entrer dans ma chambre
Quand Marivonig montait les marches, le Baron coquin lui tirait sur le bras
Approchez Marivonig pour de l'or ou pour de l'argent
Vient faire mon lit dépêche-toi si tu veux
Moi çà m'est égal d'avoir de l'or ou de l'argent
Car je dormirai une nuit avec un jeune baron.

 

Soulignons d'abord l'archaïsme de la chanson qui nous offre le tableau d'un noble avant la révolution française avec ses chemises brodées d'argent et son train de vie imposant : valet et palefrenier. Cette chanson a dû être écrite au 18erne siècle. La langue employée est riche et d'une syntaxe excellente. Il était de bon ton de glisser quelques mots français dans les chansons bretonnes pour afficher sa "culture" : Kompozet, debonjour, parviz, bonamiez, depech... Ils sont peu nombreux et n'altèrent aucunement la qualité du texte.

Le thème en est relativement classique le noble qui profite de son rang de privilégié pour séduire les servantes ou ouvrières. Mais la façon dont il est traité est peu commun et nous renseigne sur les rapports sociaux dans cette période de décadence de l'ancien régime ainsi que sur la personnalité de l'auteur. Car, ici c'est la couturière qui attire la désapprobation des auditeurs : elle va chez le baron le soir, n'oppose aucune résistance et refuse mème l'argent qu'on lui propose. Quant au baron il est qualifié gentillement de "lampon" et nous apparaît sympathique. Le plus curieux est, qu'aucune morale n'accompagne la chanson hors il ne peut être question de mariage entre la couturière et le noble dans une société où le rang social a tant d'importance. Doit-on y voir une version non édulcorée de la Bergère et du prince charmant, thème fréquent dans nos contes populaires et traduisant le rêve des gens du peuple d'échapper à leur condition sociale par le mariage. Ceci pourrait ètre plausible dans le cas où la chanson serait vraiment issue du peuple.

Les auteurs de chansons populaires savaient écrire ce qui dénotait dans l'ancienne société un certain rang social propriétaire terrien, artisan, prètre, étudiant où... noble. La fin du XVIIIe siècle et le XIXe siècle est une période d'engouement de la noblesse pour la langue bretonne. Un des grands plaisirs de ces nobles oisifs était de composer, de recueillir ou d'arranger des chansons bretonnes voire des petits poèmes. Le plus célèbre d'entre eux restant le Vicomte Hersart de la Villemarqué auteur du célèbre "Barzaz Breiz ", recueil de chants traditionnels publiés en 1839. L'Auteur de cette chanson était-il noble ? Ce n'est pas impossible.

Marjan dit avoir appris cette chanson de part sa mère ou sa tante qui l'avait probablement apprise de la bouche d'un autre chanteur. La plus ancienne version de cette chanson a été recueillie en 1888 près de Lannion et montre bien le voyage dans le temps et dans l'espace que peut effectuer une telle oeuvre et surtout son succès.

Aujourd'hui la chanson populaire bretonne, expres sion d'une société orale florissante jusqu'en 1914 est en voie de disparition avec les derniers témoins de cette civilisation. Les campagnes de collectage effectuées par le groupe “Daspugnerien Bro C'hlazig” ont permis de recueillir Près de trios cents airs et chants auprès de personnes de plus de 80 ans. Ces chansons avaient une place précise dans cette société orale, celle du journal informer, émouvoir, distraire et influencer les choix moraux et politiques des gens. Il est logique que ces chansons disparaissent avec les derniers représentants de la société rurale dominante, elles ne correspondent plus aux besoins d'aujourd'hui, les créateurs contempo rains même s'ils s'inspirent d'elles ont complètement renouvelé les thèmes et le style. L'important est que des chansonniers continuent à créer dans cette lignée brillamment illustrée par Marjan Mao.

Bernez Rouz - Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric, mars 1982

Les textes de chanson de Marjan Mao sont disponibles sur la page qui lui est consacrée en breton.

 
 
 
 

Trésors d'archives > Personnage > Barz Kerdevot (extrait de poème)

Barz Kerdevot (extrait de poème)

« Eur c’hlanvour iaouank ha miz du » (Un jeune homme malade et le mois de novembre) paru dans Feiz Ha Breiz , page 373.

 

Voici un extrait de l’une des compositions de Barz Kerdévot : « Eur c’hlanvour iaouank ha mis du » (« Un jeune homme malade et le mois de novembre ») paru dans Feiz Ha Breiz le 13 novembre 1880.

L’auteur, qui se présente sousle nom de Barde de Kerdévot, a écrit une série de poèmes d'inspiration religieuse. Par l’évocation du mois de mai confrontée, à la strophe suivante, à celle du mois de novembre, le jeune homme souffrant met enabymeses moments d’espoir et ses moments de langueur.

 
E miz Mari ‘ve guelet 
Leis ar prad a vleuniou,
Leun ar guez a eunigou
Dre ar stanken potred
O cana meuleudiou
‘Neur zioual ho denved …
Ar stank ‘zo heb encleo
Pep canaouen ’zo ach
Deut ec Mis Du !…
 
Au mois de Marie on voit
Des prés pleins de fleurs
Des arbres pleins de petits oiseaux
Dans la vallée des pâtres,
Chantant des louanges
En gardant les moutons
La vallée est sans écho
Chaque chant est terminé
Le mois noir est arrivé.
 
Ann eostik-noz gant spont-vras 
‘N deus nijet da bell bro
Ken a vo deut ar guez glas
Ne deuo ket en dro.
Hed ann noz na glevimp mui
‘Med eur vouez oc’h hirvoudi
Gant an avel pa c’hueo
Dre ann noriou : - Hu ! Hu !…
« Me eo Mis Du » 
Le rossignol de nuit épouvanté
A fui dans un pays lointain
D’ici que les arbres ne reverdissent
Il ne reviendra pas
La nuit je n’entendrai plus
Seulement qu’une voix plaintive
Avec le vent qui souffle
Sous les portes – Hou, hou
Je fus le mois noir.
 
 
 
 
 

Trésors d'archives > Guerres > Lettres de Guerre

Lettres de Guerre - 2 décembre 1914

 

L'année 2008 verra la commémoration du 90 ème anniversaire de l'armistive de la grande guerre. L'occasion pour Arkae de recueillir la mémoire de ces poilus qui ont payé chèrement leur engagement comme le témoigne l'impressionante liste du monument au mort. Voici quelques témoignages :  Le premier est signé de Pot bihan Boun ( le petit gars de Bodenn) qui écrit à sa cousine Catherine Laurent qui habite Plas An Itron au bourg.

 

« Ma Chère cousine. J’ai reçu ta lettre ce matin avec beaucoup de plaisir, car étant là, seul dans sa tranchée à avoir des idées si lugubres, on n’aime bien avoir quelques nouvelles à lire, surtout quand elles sont aussi bonnes que ceux que tu viens de m’annoncer. Tu me parlais de la mort de J.Y.. Je savais avant, puis en même temps, j’ai eu une lettre de Hervé m’apprenant aussi cette nouvelle, qui fut très triste pour moi. J’aimais bien ce camarade, ainsi que Louis Le Roux. Lui, paraît-il, n’écrit plus non plus ; j’ai su ça par une personne qui doit pourtant recevoir souvent de ses nouvelles. J’attendais aussi des nouvelles de lui. Je m’étais dit que peut-être il n’avait pas le temps : moi, du temps que je courais la Belgique, je ne pouvais pas écrire quand je voulais non plus. Jean Le Roux ne m’a j’amais donné de ses nouvelles. Moi je ne peu pourtant pas lui écrire n’on plus puisse que je n’ai pas son adresse. A vous autres, ça m’étonne qu’il reste sans écrire. Il a une sœur qui n’est pas trop courageuse à écrire n’on plus. Mathias ne m’a pas encore écrit n’on plus, mais je lui ai écrit que dernièrement n’on plus, manque de savoir son adresse également. Il est du côté de Reims. Moi, j’ai combattu là également. J’ai été à Prunet quatre jours sous les obus. Là, j’avais  vu encore des tristes spectacle devant mes yeux. Hervé Bacon fut blessé là aussi. De là, nous sommes revenu du côté de Saint Thény( ?), et quand nous passions par Reims, les premiers obus tombaient sur la cathédrale à 100 m. de nous. Je t’assure en ce moment je ne pensais pas à ma connaissance, puis ça nous arrive souvent . N’oublie pas de rendre le bonjour à Jean Péron et de lui faire part de ma misère. Je ne lui souhaite pas d’y aller, pas plus qu’à François, car ils n’auront pas la bonne place ici. Mathias doit combattre maintenant comme moi, mais je ne le dit pas à ma sœur. Nous ne sommes pas malheureux. Moi, je passe la moitié de mon temps dans les tranchées, comme je suis à l’instant. Le jour, nous sommes assez tranquille, la nuit nous sommes tous debout, prêt à recevoir les attaques. Les boches sont à environ 500 m. de nous. Quand on montre la tête, tout de suite ils tirent. Nous de notre côté, nous faisons pareil. Ainsi, on attend la mort à toute heure. Nous sommes assez bien nourri, c’est du froid qu’on souffre des fois. Tu souhaiteras aussi le bonjour à Anna : est-ce qu’elle grossit toujours ? Les jeunes filles doivent pleurer maintenant de voir tuer tant de jeunes hommes. La mienne me rend heureux, elle me reste fidèle, et très souvent je reçois de ses nouvelles.

Dimanche, Louis Barré a été me voir. Lui est aussi au 3° dragon, il est éclaireur avec un régiment de territorial. Il m’avait dit que le 3° dragon, l’active, a été écrasé du côté de Bismuthe. Ainsi, je suis inquiet avec la situation de mon cher Louis. Nous avons tant rigolé ensemble, tous les trois, mais hélas, ces beaux jours, je ne l’ai verrai plus. Puis ça me fait penser aussi quand viendra mon tour. Je me demande comment que je suis encore en vie ; plusieurs fois, je me suis pourtant dit que c’était fini. A la première bataille en Belgique, à Amis sur Sambre, le soir, je rassemble la compagnie : d’abord nous n’étions que 29 sur 264 que nous étions le matin, mais quelques jours après, lorsque nous fûmes tous rassemblés, nous nous retrouvions à 140, ça n’empêche, ça commençait bien. Huit jours après le 29 à Saint-Richemon, la bataille n’avait pas duré plus de une heure, puis nous ne restions que 80 sur les 140, et pas d’autre chef plus ancien que moi : pendant 5 jours, je suis resté seul avec ses 8O poilus, sans argent : le sergent-major fut tué, il avait 1900f. sur lui, le boni de la compagnie, tout était resté. Alors, voyez notre misère après : on ne touchait presque rien, et nous vivions avec des patates qu’on arrachaient dans les champs et qu’on cuisaient avec de l’eau sans sel. Quand on pouvait, on prenait les poules et les lapins dans les fermes abandonnées. Jamais, je n’ai vu un pays aussi beau que la Belgique, ni des gens aussi aimables. Donnez-vous une idée maintenant de ce que c’est, les fermes toutes brulées, et pas un seul animal ne reste. Ici, au Nord de la France, c’est pareil, et beaucoup de ces fermières-là ne sont pas excentes de perdre leurs maris n’on plus, alors vous voyez quel avenir pour elles. Considérez-vous heureux dans votre chère Bretagne ; je suis heureux de savoir que les miens ne souffre pas de trop de la guerre.
Enfin, ma Chère Catherine, je crois que c’est assez pour une fois. Donc je te quitte en serrant cordialement les extrémités des cinq phalanges, ainsi qu’au vieux François, veinard que tu es, et à vos enfants. Ah ! quel plaisir si j’aurai encore le plaisir d’aller vous voir. Bons baisers à tous.  Votre cousin « pot bihan Bouden » qui vous aime. A revoir et à bientôt. Je suis fatigué à écrire sur mon jenou, c’est mon bureau maintenant.  »