Le cantonnier du bourg
Le métier de cet homme n’était pas valorisant et il ne susciterait sans doute pas de vocation de nos jours, mais la manière dont il l’exerçait mérite tout notre respect.
Voici un extrait de l’une des compositions de Barz Kerdévot : « Eur c’hlanvour iaouank ha mis du » (« Un jeune homme malade et le mois de novembre ») paru dans Feiz Ha Breiz le 13 novembre 1880.
L’auteur, qui se présente sousle nom de Barde de Kerdévot, a écrit une série de poèmes d'inspiration religieuse. Par l’évocation du mois de mai confrontée, à la strophe suivante, à celle du mois de novembre, le jeune homme souffrant met enabymeses moments d’espoir et ses moments de langueur.
E miz Mari ‘ve guelet
Leis ar prad a vleuniou, Leun ar guez a eunigou Dre ar stanken potred O cana meuleudiou ‘Neur zioual ho denved … Ar stank ‘zo heb encleo Pep canaouen ’zo ach Deut ec Mis Du !… |
Au mois de Marie on voit
Des prés pleins de fleurs Des arbres pleins de petits oiseaux Dans la vallée des pâtres, Chantant des louanges En gardant les moutons La vallée est sans écho Chaque chant est terminé Le mois noir est arrivé. |
Ann eostik-noz gant spont-vras
‘N deus nijet da bell bro Ken a vo deut ar guez glas Ne deuo ket en dro. Hed ann noz na glevimp mui ‘Med eur vouez oc’h hirvoudi Gant an avel pa c’hueo Dre ann noriou : - Hu ! Hu !… « Me eo Mis Du » |
Le rossignol de nuit épouvanté
A fui dans un pays lointain
D’ici que les arbres ne reverdissent Il ne reviendra pas La nuit je n’entendrai plus Seulement qu’une voix plaintive Avec le vent qui souffle Sous les portes – Hou, hou Je fus le mois noir. |
L'aspect monotone relevé par l'écrivain ne pouvait que frapper ce non-bretonnant qu'était Dupouy. La Gwerz bretonne a en effet un caractère répétitif et scandé qui fait penser à un tarare en action et a tôt fait de lasser nos auditoires modernes. C'est que le ton n'a que peu d'importance dans ce genre de chant, qui tient autant du récit que de l'art musical. Seules les paroles et le thème déployé au long d'une centaine de couplets peuvent accrocher l’attention de l'auditeur et c’est elles qui renferment le véritable trésor de notre patrimoine chanté.
Le répertoire de Marjan Mao est bien plus étoffé cependant car elle n'a jamais arrêté de chanter ses chansons. Née en 1902 elle a appris pratiquement tous ses chants avant la grande guerre :
"Me ‘m eus bet desket kanañ brezhoneg dam ber me moa ur voereb ha honnezh gane ken-kenañ ha neuze ma mamm. Ar re se veze atav o kanañ. Ar re se zo chañsoniou desket gant ma mamm gozh matrese, Ar re se zo chañsoniou ne oar den pegen kozh int. ‘M eus desket ‘nei ‘benn e oan merc'hig, mod se o kanañ, raed ken kanañ atao. Kanañ ha lar ar pater ingal. Ha feiz pater voe laret paotr paour... ha goude-se me zeske na founnus a-walc'h ha goude-se ar re se a blij din, ar re se vez o ranouelliñ barzh ma fenn dibaoe, setu me zalc'h soñj ar re se... Med an dra-se vez ket laret ur son d’eus an dra-se vez ket laret un chañson d’eus na, ur werz vez laret d’eus na gwechall."
J'ai appris à chanter en breton parce que j'avais une tante qui chantait beaucoup et aussi ma mère. Elles étaient toujours en train de chanter. C'était des chansons apprises par ma grand mère peut-être, c'était des chansons qu'il est impossible à personne de donner leur ancienneté. Je les ai apprises quand j'était petite fille, comme cela en chantant, on ne faisait que chanter toujours. Chanter et dire le Pater tout le temps... Ha ! On en disait des Paters mon gars... Et sans doute que j'apprenais assez rapidement et çà me plaisait, depuis ces chansons tournent dans ma tête c'est pourquoi je les retiens... Mais on ne dit pas chanson de celle là, une gwerz (complainte) disait-on autrefois."
Ces gwerz dont parle Marjan était un des genres les plus populaires au siècle dernier. Il s'agissait de complaintes racontant des évènements tragiques : "Gwerz an Titanic" par exemple évoquait le naufrage du célèbre paquebot. Dans une société rurale que l'école n'avait pas encore culturellement transformée, ces chants servaient de journal parlé et diffusaient les grandes nouvelles de l'époque. Le plus souvent cependant la chanson prenait pour thème un crime abominable, capable d'émouvoir les foules car le chansonnier vivait de la vente de ses feuilles il fallait donc qu'il attire le client par des sujets à sensation. La chanson du Meunier déjà citée commence par une formule à "tirer son mouchoir".
L'essentiel est de capter l'attention par les pleurs ou par le rire. Car si Marjan chante la complainte à l'occasion, ses chansons sont plutôt gaies : "Ar Pilhaouer", "Barzh en tu all da Bariz", "Son ar mezvier mechant", "La Barbière" etc. Toutes ces chansons ont un intérêt certain et l'exemple d'Ar gemenerez (la couturier) est édifiant à ce sujet.
Soulignons d'abord l'archaïsme de la chanson qui nous offre le tableau d'un noble avant la révolution française avec ses chemises brodées d'argent et son train de vie imposant : valet et palefrenier. Cette chanson a dû être écrite au 18erne siècle. La langue employée est riche et d'une syntaxe excellente. Il était de bon ton de glisser quelques mots français dans les chansons bretonnes pour afficher sa "culture" : Kompozet, debonjour, parviz, bonamiez, depech... Ils sont peu nombreux et n'altèrent aucunement la qualité du texte.
Le thème en est relativement classique le noble qui profite de son rang de privilégié pour séduire les servantes ou ouvrières. Mais la façon dont il est traité est peu commun et nous renseigne sur les rapports sociaux dans cette période de décadence de l'ancien régime ainsi que sur la personnalité de l'auteur. Car, ici c'est la couturière qui attire la désapprobation des auditeurs : elle va chez le baron le soir, n'oppose aucune résistance et refuse mème l'argent qu'on lui propose. Quant au baron il est qualifié gentillement de "lampon" et nous apparaît sympathique. Le plus curieux est, qu'aucune morale n'accompagne la chanson hors il ne peut être question de mariage entre la couturière et le noble dans une société où le rang social a tant d'importance. Doit-on y voir une version non édulcorée de la Bergère et du prince charmant, thème fréquent dans nos contes populaires et traduisant le rêve des gens du peuple d'échapper à leur condition sociale par le mariage. Ceci pourrait ètre plausible dans le cas où la chanson serait vraiment issue du peuple.
Les auteurs de chansons populaires savaient écrire ce qui dénotait dans l'ancienne société un certain rang social propriétaire terrien, artisan, prètre, étudiant où... noble. La fin du XVIIIe siècle et le XIXe siècle est une période d'engouement de la noblesse pour la langue bretonne. Un des grands plaisirs de ces nobles oisifs était de composer, de recueillir ou d'arranger des chansons bretonnes voire des petits poèmes. Le plus célèbre d'entre eux restant le Vicomte Hersart de la Villemarqué auteur du célèbre "Barzaz Breiz ", recueil de chants traditionnels publiés en 1839. L'Auteur de cette chanson était-il noble ? Ce n'est pas impossible.
Marjan dit avoir appris cette chanson de part sa mère ou sa tante qui l'avait probablement apprise de la bouche d'un autre chanteur. La plus ancienne version de cette chanson a été recueillie en 1888 près de Lannion et montre bien le voyage dans le temps et dans l'espace que peut effectuer une telle oeuvre et surtout son succès.
Aujourd'hui la chanson populaire bretonne, expres sion d'une société orale florissante jusqu'en 1914 est en voie de disparition avec les derniers témoins de cette civilisation. Les campagnes de collectage effectuées par le groupe “Daspugnerien Bro C'hlazig” ont permis de recueillir Près de trios cents airs et chants auprès de personnes de plus de 80 ans. Ces chansons avaient une place précise dans cette société orale, celle du journal informer, émouvoir, distraire et influencer les choix moraux et politiques des gens. Il est logique que ces chansons disparaissent avec les derniers représentants de la société rurale dominante, elles ne correspondent plus aux besoins d'aujourd'hui, les créateurs contempo rains même s'ils s'inspirent d'elles ont complètement renouvelé les thèmes et le style. L'important est que des chansonniers continuent à créer dans cette lignée brillamment illustrée par Marjan Mao.
Les textes de chanson de Marjan Mao sont disponibles sur la page qui lui est consacrée en breton.
L'année 2008 verra la commémoration du 90 ème anniversaire de l'armistive de la grande guerre. L'occasion pour Arkae de recueillir la mémoire de ces poilus qui ont payé chèrement leur engagement comme le témoigne l'impressionante liste du monument au mort. Voici quelques témoignages : Le premier est signé de Pot bihan Boun ( le petit gars de Bodenn) qui écrit à sa cousine Catherine Laurent qui habite Plas An Itron au bourg.
« Ma Chère cousine. J’ai reçu ta lettre ce matin avec beaucoup de plaisir, car étant là, seul dans sa tranchée à avoir des idées si lugubres, on n’aime bien avoir quelques nouvelles à lire, surtout quand elles sont aussi bonnes que ceux que tu viens de m’annoncer. Tu me parlais de la mort de J.Y.. Je savais avant, puis en même temps, j’ai eu une lettre de Hervé m’apprenant aussi cette nouvelle, qui fut très triste pour moi. J’aimais bien ce camarade, ainsi que Louis Le Roux. Lui, paraît-il, n’écrit plus non plus ; j’ai su ça par une personne qui doit pourtant recevoir souvent de ses nouvelles. J’attendais aussi des nouvelles de lui. Je m’étais dit que peut-être il n’avait pas le temps : moi, du temps que je courais la Belgique, je ne pouvais pas écrire quand je voulais non plus. Jean Le Roux ne m’a j’amais donné de ses nouvelles. Moi je ne peu pourtant pas lui écrire n’on plus puisse que je n’ai pas son adresse. A vous autres, ça m’étonne qu’il reste sans écrire. Il a une sœur qui n’est pas trop courageuse à écrire n’on plus. Mathias ne m’a pas encore écrit n’on plus, mais je lui ai écrit que dernièrement n’on plus, manque de savoir son adresse également. Il est du côté de Reims. Moi, j’ai combattu là également. J’ai été à Prunet quatre jours sous les obus. Là, j’avais vu encore des tristes spectacle devant mes yeux. Hervé Bacon fut blessé là aussi. De là, nous sommes revenu du côté de Saint Thény( ?), et quand nous passions par Reims, les premiers obus tombaient sur la cathédrale à 100 m. de nous. Je t’assure en ce moment je ne pensais pas à ma connaissance, puis ça nous arrive souvent . N’oublie pas de rendre le bonjour à Jean Péron et de lui faire part de ma misère. Je ne lui souhaite pas d’y aller, pas plus qu’à François, car ils n’auront pas la bonne place ici. Mathias doit combattre maintenant comme moi, mais je ne le dit pas à ma sœur. Nous ne sommes pas malheureux. Moi, je passe la moitié de mon temps dans les tranchées, comme je suis à l’instant. Le jour, nous sommes assez tranquille, la nuit nous sommes tous debout, prêt à recevoir les attaques. Les boches sont à environ 500 m. de nous. Quand on montre la tête, tout de suite ils tirent. Nous de notre côté, nous faisons pareil. Ainsi, on attend la mort à toute heure. Nous sommes assez bien nourri, c’est du froid qu’on souffre des fois. Tu souhaiteras aussi le bonjour à Anna : est-ce qu’elle grossit toujours ? Les jeunes filles doivent pleurer maintenant de voir tuer tant de jeunes hommes. La mienne me rend heureux, elle me reste fidèle, et très souvent je reçois de ses nouvelles.
Dimanche, Louis Barré a été me voir. Lui est aussi au 3° dragon, il est éclaireur avec un régiment de territorial. Il m’avait dit que le 3° dragon, l’active, a été écrasé du côté de Bismuthe. Ainsi, je suis inquiet avec la situation de mon cher Louis. Nous avons tant rigolé ensemble, tous les trois, mais hélas, ces beaux jours, je ne l’ai verrai plus. Puis ça me fait penser aussi quand viendra mon tour. Je me demande comment que je suis encore en vie ; plusieurs fois, je me suis pourtant dit que c’était fini. A la première bataille en Belgique, à Amis sur Sambre, le soir, je rassemble la compagnie : d’abord nous n’étions que 29 sur 264 que nous étions le matin, mais quelques jours après, lorsque nous fûmes tous rassemblés, nous nous retrouvions à 140, ça n’empêche, ça commençait bien. Huit jours après le 29 à Saint-Richemon, la bataille n’avait pas duré plus de une heure, puis nous ne restions que 80 sur les 140, et pas d’autre chef plus ancien que moi : pendant 5 jours, je suis resté seul avec ses 8O poilus, sans argent : le sergent-major fut tué, il avait 1900f. sur lui, le boni de la compagnie, tout était resté. Alors, voyez notre misère après : on ne touchait presque rien, et nous vivions avec des patates qu’on arrachaient dans les champs et qu’on cuisaient avec de l’eau sans sel. Quand on pouvait, on prenait les poules et les lapins dans les fermes abandonnées. Jamais, je n’ai vu un pays aussi beau que la Belgique, ni des gens aussi aimables. Donnez-vous une idée maintenant de ce que c’est, les fermes toutes brulées, et pas un seul animal ne reste. Ici, au Nord de la France, c’est pareil, et beaucoup de ces fermières-là ne sont pas excentes de perdre leurs maris n’on plus, alors vous voyez quel avenir pour elles. Considérez-vous heureux dans votre chère Bretagne ; je suis heureux de savoir que les miens ne souffre pas de trop de la guerre.
Enfin, ma Chère Catherine, je crois que c’est assez pour une fois. Donc je te quitte en serrant cordialement les extrémités des cinq phalanges, ainsi qu’au vieux François, veinard que tu es, et à vos enfants. Ah ! quel plaisir si j’aurai encore le plaisir d’aller vous voir. Bons baisers à tous. Votre cousin « pot bihan Bouden » qui vous aime. A revoir et à bientôt. Je suis fatigué à écrire sur mon jenou, c’est mon bureau maintenant. »
Le camp de prisonniers de guerre de Lanniron "Frontstalag 135" était situé sur l'ancienne commune d'Ergué-Armel, intégrée à celle de Quimper en 1960.
Le camp fut installé sur la rive gauche de l'Odet, à la périphérie de Quimper, chef-lieu du département, sur des terrains privés réquisitionnés par les autorités militaires allemandes d'occupation.
Le camp de prisonniers occupait des terrains agricoles et des vergers dépendant de fermes appartenant aux familles De Massol (5 hectares réquisitionnés), également propriétaire du château de Lanniron, et De Blois (3 hectares réquisitionnés), propriétaire du château de Poulguinan également proche du camp de prisonniers. Au début du mois de novembre 1940, le château de Lanniron fut également réquisitionné et mis à disposition des officiers commandant le camp de prisonniers.
Les terrains furent réquisitionnés dès septembre 1940. Des baraques furent bâties sur une superficie de 20 ares dans un premier temps. Le camp fut rapidement agrandi car à la fin de la guerre la surface des baraques atteignait 90 ares. Il y avait une surface de 4,50 ares d'emplacements cimentés pour les W.C., les lavabos. Plus de 50 ares de routes empierrées furent ouvertes sans compter des tranchées et des emplacements bétonnés.
Voir les dessins d'Helmut Homilus sur le camp de Lanniron
A la fin de l'année 1940, les premières troupes françaises sont internées en captivité au camp de Lanniron. On trouve mention de militaires français de métropole au camp de Lanniron dès 1940.
En mai 1941, le camp de prisonniers de Quimper comptait, selon un rapport de la Croix-Rouge : "803 blancs, 6.592 hommes de couleur, 31 noirs, 320 annamites, soit un total de 7.746 hommes".
Plusieurs décès de soldats coloniaux sont constatés dans les registres de l'état-civil. Il s'agit de tirailleurs sénégalais (18ème RTS), marocains (2ème RTM), tunisiens (8ème RTT) et algériens (19ème RTA), parfois de soldats de bataillons de pionniers ou du Génie, originaires d'Afrique du Nord, et plus rarement d'AOF ou d'AEF.
Dix de ces militaires décèdent à Quimper en 1941.
La ville de Quimper est libérée le 8 août 1944 après plusieurs combats opposant les résistants aux troupes allemandes qui se replient vers Brest et la presqu'île de Crozon. Dès la Libération de la ville, le camp de prisonniers de Lanniron devient le lieu de détention des prisonniers de guerre allemands. Les conditions de détention de ces prisonniers semblent avoir été difficiles. En effet, au moins 39 soldats allemands sont décédés en captivité à Quimper : 18 ont été inhumés dans un premier temps à Quimper, et 21 à Ergué-Armel, entre août 1944 et le 26 mai 1946, date du dernier décès enregistré. Le camp de prisonniers est fermé peu après cette date car le 29 juin 1946, les autorités militaires françaises lèvent la réquisition des terrains qui sont alors restitués à leur propriétaire.
Des dossiers d'indemnisation sont instruits dans le cadre des dommages de guerre pour réparer les préjudices des propriétaires. Les baraques sont démolies en 1946. Aujourd'hui, rien ne subsiste plus de ce camp.
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