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Inhumation foraine d'un sonneur en 1729

 
C’est en consultant les registres paroissiaux d’Ergué-Gabéric que M. Henri Chauveur, membre d’Arkae, et généalogiste aguerri a relevé ce récit d’une mort peu catholique aux yeux du recteur Jean Edy qui signe au bas de l’acte.
M. Chauveur a complété sa trouvaille par des données à l’intention d’autres généalogistes d’Arkae qui auront peut-être des éléments à apporter sur les personnages ou les événements évoqués.
 

Le chemin de l'enfer ou le suicide du sonneur

Ce jour, 29 janvier 1728.
En vertu de la permission de monsieur le juge criminel, le procureur du Roy du présidial de Quimper dudit jour 29 janvier 1728 a été inhumé par moy soussignant, hors des lieux saints dans une fosse faite exprès et bénite conformément au rituel, vis à vis près de la croix de Kergaradec, le corps de Hervé Riou âgé d’environ 60 ans, mort au village de Kernaon, où ayant été appelé pour sonner a une noce, plusieurs des conviés qui nous ont dit que y avoit bu avec beaucoup d'excès. Il déboucha le four du village qui avoit été chauffé le jour précédent, le dit jour, le même [Hervé Riou] pour s’y mettre, d’où il fut extrait par plusieurs des conviés qui nous ont dit affirmé en présence desquels il expira peu de temps après, sans pouvoir parler ni avoir aucune connaissance. Le p(résent) cadavre, nous avons jugé a-propos d’inhumation dans la fosse, attendu son genre de mort extraordinaire, l’abus et le mépris qu’il a fait pendant les dernières années de sa vie des principaux devoirs de la religion, quoiqu’il luy été fait dans différents temps plusieurs remontrances salutaires de la part de l’abbé de Lahaye titulaire de cette paroisse, comme le dit sieur abbé nous l’a affirmé.
Le dit enterrement en présence d’Hervé Riou fils du défunct, de Laurent Le Corre, de Pierre Claude, de Maurice Le Barz et autres.  
Signé : Edy : Recteur d’Ergué-Gabéric
Relevé sur le registre des BMS de 1682 à 1729 : Commune d’Ergué-Gabéric
 
Keleier arkae n°23
 
 

Inhumations Foraines

Suite à la publication dans notre Keleier n°23, du document découvert par M. Chauveur, rapportant la mort étrange et l’inhumation d’Hervé Riou, le Père Castel a aimablement accepté d’apporter un complément d’information sur les inhumations dites « foraines », c’est à dire en dehors des cimetières.
 
« Les lecteurs des Keleiers de novembre et de décembre 2002, ont été intéressés par le récit de l'inhumation d'Hervé Riou au pied de la croix de Kergaradec le 29 janvier 1729. Frappés par son caractère particulier, la question s'est posée de savoir si ce procédé d'inhumation foraine, c'est-à-dire, en dehors des lieux coutumiers, a été courant dans le passé.

Reconnaissons tout d'abord que les pratiques de la sépulture chrétienne ont évolué depuis les origines. Dans les premiers siècles, les fidèles n'innovant en rien sur ce sujet, se sont conformés à la loi romaine des XII Tables qui interdisait d'ensevelir les morts à l'intérieur des murs des cités. Les cimetières chrétiens étaient donc, comme les autres, situés hors des agglomérations, principalement au long des voies qui les desservaient.
Il a fallu attendre le temps des invasions barbares pour voir, par mesure de protection, se dessiner la pratique de porter le corps des défunts dans les cités, à l'intérieur même des églises ou immédiatement autour dans des cimetières. Un tel usage, vite généralisé, aura tendance à s'imposer pour des raisons spirituelles, les défunts participant ainsi de près aux prières et aux suffrages des vivants.

Néanmoins, on ne peut s'en tenir à une vue simplificatrice dans sa généralisation. Au fil des siècles, et selon les contrées, la règle énoncée a été loin de faire l'unanimité. Ainsi, s'est perpétuée durant tout le Haut Moyen Age, et après, l'habitude d'enterrer dans les jardins ou au pied des croix de carrefour. On en a un témoignage dans la protestation émise en 1128, par Jean, évêque de Saint-Brieuc. A l'occasion de la consécration de l'église et du cimetière de Notre-Dame devant le château de Jugon, il interdit d'ensevelir les corps des défunts de cette citadelle aux croix des carrefours et en tout autre endroit qui ne possède pas le statut de cimetière.

Au siècle suivant, le pape Innocent III recommande comme non raisonnable l'usage d'enterrer dans des lieux « nouveaux, moins religieux ». On en déduit que cela se faisait un peu partout dans la chrétienté. Ainsi, les interventions, tant épiscopale que papale, confirment qu'en marge des sépultures ecclésiales et cimétériales, existaient des inhumations « sauvages », disséminées au gré des personnes et des circonstances.
Dans un tel contexte, l'insistance sur le regroupement des morts a pour objectif de socialiser des populations éparpillées à travers un territoire rural où les moyens de communication étaient souvent rudimentaires. Rapprocher les morts devient une manière de souder une communauté.

En Finistère nous pensons avoir l'attestation d'une inhumation foraine qui, à en juger par le style du monument, peut remonter au Xlle siècle. Elle est fournie par la croix de pierre, croix relativement isolée dans la campagne de Bourg-Blanc. La croix de Kerviliou (Atlas des Croix et Calvaires du Finistère, n° 93), située à peu de distance du hameau de Lagaduzic, se dresse sur le bord de la route qui monte de Bourg-Blanc à Plouvien. De facture simple, monolithe, la place habituelle du crucifix est occupée par une petite croix pattée légèrement en relief. L'intérêt de ce petit monument réside dans son revers. Sur toute la hauteur du pal se déroule une inscription latine de quatorze lignes en onciales gravées en creux. Elle indique de toute évidence qu'il s'agit d'un monument funéraire : PVNC / TA / FVI / PRO /AMI / MA : / MAV / RICII / FILII :/GVI/DO/NIS/ ANNO /DNI. (J'ai été taillée pour l'âme de Maurice fils de Gui, l'an du Seigneur). C'est évidemment la croix qui parle et dit, à qui sait lire, pour qui elle a été faite. On ne peut, certes, savoir à moins d'entreprendre une fouille si c'est ici le lieu de la sépulture de Maurice, fils de Gui. La pierre pourrait être un simple monument commémoratif. De toutes façons, se rapportant à une inhumation, elle se trouve à l'écart de tout lieu bénit « hors des lieux saints » spécialement réservés à cet effet.

La coutume d'inhumation foraine, bien que l'information documentaire soit décevante, semble être moins rare qu'il ne paraît. Le 4 avril 1647, le père jésuite Briséion, missionnaire alors en poste à Cléguérec demande dans une lettre à l'archidiacre René Gouault la création d'une nouvelle trêve pour le village des Salles. Il avance, entre autres considérations, de « pourveoir à la sépulture des morts, que l'on enterre dans les grands chemins, quand ils n'ont pas de quoy se faire porter si loing ». (Alain Croix, La Bretagne au XVIe et XVIIe siècles, tome II, p. 1006 et 1007). Voilà donc une preuve patente d'inhumations foraines.

En plus des inhumations aux croix ou « dans les grands chemins », ce qui, paradoxalement rejoint une pratique chrétienne primitive, mais en dehors de son contexte, se sont créés des cimetières forains en temps d'épidémie, pour éviter autant que faire se pouvait la propagation du fléau. A Locmaria-Plouzané, dans le Léon, l'épidémie de peste qui sévit du 20 mai au 3 novembre 1640 fait cinquante-trois victimes. Pour les ensevelir on creuse des fosses à distance du bourg dans le champ appelé Parc an ltroun Varia qui appartenait à la fabrique. En souvenir de quoi on dressera sans tarder un oratoire dédié à saint Sébastien, un des saints anti-pesteux, au lieu où se dresse aujourd'hui l'édifice qui date de 1862.

Il est possible que les croix dénommées « Croas ar Vossen, « croix de peste » situées à faible distance de certains bourgs, signalent des lieux de sépultures anonymes. Ainsi à Plouézoc'h, les mots Groas A Vocen, s'inscrivent sur la croix foraine datée de 1621. A l'ouest du bourg de Ploumoguer, au lieu-dit Ty-Guen, Croas ar Vossen se dresse dans un petit enclos qui pourrait être le cimetière réservé aux pestiférés.

Sans prendre en compte aveuglément les traditions locales qui affirment sans nuance que les croix de chemin signalent nécessairement des sépultures, il y aurait intérêt à se pencher de plus près sur le phénomène en élargissant un début d'enquête provoquée par la croix d'Hervé RIOU érigée en 1729. »
Yves-Pascal Castel,10 janvier 2003 - Keleier Arkae n°30
 
 

Trésors d'archives > Pat. religieux > Restauration de la chapelle Saint-Guénolé

Restauration de la chapelle Saint-Guénolé

 

La première restauration

Une première restauration avait eu lieu en 1974. La chapelle se dégradait, son accès devenait même dangereux, le pardon était tombé en désuétude. Il avait même été question de délocaliser Saint-Guénolé et de la reconstruire pierre par pierre à Lestonan. Projet auquel les riverains se sont opposés.
En 1971, le Conseil Municipal autorise le Maire Jean-Marie Puech à procéder à une remise en état. La chapelle n’est pas classée. Le Maire est donc le maître d’œuvre de cette première restauration (financement : Commune et Conseil Général).
La particularité de celle-ci est d’avoir été l’oeuvre d’artisans de la commune :  toiture, maçonnerie (le contrefort Nord-Est est démonté puis remonté), une partie de la charpente lambrissée. Mais peut-être l’esprit des bâtisseurs d’antan, sommeillant dans la chapelle fut-il réveillé sous le coup de cette activité car peinture du lambris, sculpture des voussures, autel et table d’autel, réalisées par des gabéricois, révèlent de véritables talents locaux. Archives Arkae Pat religieux > Sabliere de saint-GuénoléLes remarquables sablières retrouvèrent leurs couleurs sous le pinceau de l’Abbé Dilasser, membre de la Commission d’Art sacré. Les ressources d’alors n’ont pas permis de s’atteler à la réfection du clocher.
Photo : Célèbres sablières repeintes par l'Abbé Dilasser en 1974.
 

Les Amis de Saint-Guénolé

La récente restauration doit beaucoup au comité des Amis de Saint-Guénolé. Elle constitue  même, avec l’animation du quartier Saint-Guénolé, l’une des raisons qui ont prévalu à la création de  l’association le 28 mai 1991 autour de  Joëlle et Gérard Jezequel.

Depuis 1991, Les Amis de Saint-Guénolé organisent différentes animations autour de Saint-Guénolé : kermesse d’abord puis expositions, des sorties avec les habitants du quartier. Tous les fonds récoltés par le biais de ces animations vont au bénéfice de la chapelle. L’entretien et la mise en valeur de Saint-Guénolé passent aussi par leurs soins : nettoyage interne de la chapelle (environ tous les deux ans), refonte de la cloche, signalétique, plantations, décoration le jour du pardon, cartels à venir pour chaque statue de saint…
 

En 1998, il entre dans sa phase active toujours suivi par Les Amis de Saint-Guénolé en liaison avec la municipalité et d’autres amis du patrimoine : les membres d’Arkae.
D’après une première estimation, les travaux vont concerner : la flèche à remonter en pierres du pays, la pose d’une croix et d’un paratonnerre, la consolidation et le rejointement des façades, la réfection des contreforts Nord et Sud, la restauration et la protection des vitraux.
 
Photo : Fin 1995, les Amis de Saint-Guénolé contactent un premier architecte pour dresser les plans du nouveau clocher. Ils présentent peu après en Mairie un dossier fin prêt. La municipalité se montre favorable au projet.
 
  • Breiz santel

La Mairie d’Ergué-Gabéric a contacté Breiz Santel. Breiz Santel est  une association pour la protection des monuments religieux bretons. Elle existe depuis 1952 et répond aux demandes des Mairies, des associations, des particuliers, désirant faire restaurer ou étudier  tout élément du patrimoine religieux, de l’humble croix de chemin aux chapelles et églises.
Elle fait vivre ce patrimoine et informe sur les différents chantiers de restauration en Bretagne par le biais de sa revue du même nom, Breiz Santel.
La cheville ouvrière de Breiz Santel se nomme Léo Goas-Straaijer, diplômé en études supérieures d’architecture. Depuis l’arrivée de Léo à Breiz Santel il y a 8 ans, l’association peut se prévaloir d’une quinzaine de chantiers à son actif.
 

Léo Goas-Straaijer : l’architecte et maître d’œuvre de la restauration.

Léo Goas-Straaijer a donc défini et supervisé les travaux à Saint-Guénolé, recruté les sculpteurs-tailleurs de pierres, contacté les diverses entreprises intervenues sur le chantier.
Son rôle éminent a été de retrouver la silhouette probable de l’ancien clocher. Il n’existait aucune reproduction de celui-ci. Nous savons seulement qu’au début de ce siècle encore il était assez haut pour servir de repère aux chasseurs de la région. Et qu’un architecte allemand, Pierre Marquardt, avait remarqué une chapelle identique à Garnilis (Briec). Elle aura pu servir de modèle de référence
L’architecte a alors sondé Saint-Guénolé et ses alentours afin de  faire parler  chaque pièce d’origine sur laquelle il a pu tomber: pierres concassées de l’ancien clocher retrouvées dans la maçonnerie de la base du clocher, pinacles- pièces d’ornementation du sommet-  découverts en fouillant le talus situé à proximité de la chapelle. Grâce à ceux-ci, Léo Goas-Straaijer bénéficiait d’un indice sur la hauteur du clocher. Connaissant l’angle traditionnel utilisé par les bâtisseurs du XVIe siècle. entre une flèche de clocher et sa base, Léo Goas-Straaijer a déduit les dimensions du clocher. Pour son allure, il s’est inspiré de clochers datant de la même période sur la région.
Les plans du nouveau clocher ont donc été dressés par ses soins.
D’autres vestiges, tel un chou retrouvé dans la maçonnerie de la base du clocher lorsqu’elle a été démontée,  lui ont permis de dire que Saint-Guénolé allait connaître au moins sa troisième flèche.
 
Léo Goas Straaijer
Durant les travaux, l’état du contrefort Nord surtout s’est révélé alarmant: 2 pierres de fondation avaient glissé de 10 cm. Le contrefort perdait son appui et fragilisait l’arc diaphragme. Le contrefort a dû être entièrement démonté et remonté et l’arc du bas-côté nord soutenu par des étais le temps de l’opération.
Des actes de vandalisme survenus en avril l’ont conduit à recommander une protection de la statuaire. Autre problème à signaler dans le déroulement du chantier: les oiseaux venus nicher précisément dans les failles des façades qu’il s’agissait de reboucher! Léo Goas-Straaijer  a expressément tenu à ce qu’ils ne soient pas dérangés. Les joints ont été achevés après leur départ.
Avant, pendant et après Saint-Guénolé, l’architecte cumule les chantiers. Vous le retrouverez dans différentes contrées bretonnes (actuellement Audierne, Hanvec, Lannion, Fréhel...) au chevet de notre patrimoine religieux.
 
Photo : architecte, Léo Goas-Straaijer n’en est pas moins tailleur de pierres : on lui doit la taille du larmier de Saint-Guénolé.
  • Visite du Père Castel


A l’invitation de Bernez Rouz, le Père Castel, spécialiste des croix et calvaires, est venu mardi dernier se pencher sur le haut de calvaire extirpé du talus à proximité de la chapelle Saint-Guénolé. Il est visible à présent à l’intérieur de la chapelle. Ce vestige présente le crucifié géminé à un Christ aux liens. Le traitement de ce dernier, aura retenu l’attention du Père Castel : en effet, la corde liant les poignets du Christ forme un motif très particulier, semblant  vouloir se rapprocher d’un motif  végétal  ou ornemental.
Il daterait du XVe siècle. Nous sommes donc là à une époque un peu antérieure à la construction de la chapelle : pour le Père Castel comme pour l’architecte il ne fait aucun doute que celle-ci remonte au XVIe siècle.
 
Archives Arkae Pat religieux > haut de calvaireMais le Père Castel ne s’en est pas tenu qu’à l’analyse de ce reste de calvaire. Sa visite dans une chapelle qui n’a pas encore fait l’objet d’une étude complète, fut l’occasion de nouvelles observations et de remises en question  : évocation des particularités du plan, (la baie du milieu en façade sud n’est pas centrée par rapport à la travée à l’intérieur), peut-être existence de fonds baptismaux… Enthousiasmé par ses découvertes, le Père Castel était de nouveau sur le terrain le lendemain..
Nul doute que plusieurs interrogations et probablement l’identité du saint énigmatique jusque-là baptisé Saint-Alar trouveront un éclaircissement à la suite de ses investigations.
 
Photo : Haut du calvaire dans un talus proche de la chapelle.
Gaelle Martin - Keleier arkae n° 4 juillet 2000
 
 

Trésors d'archives > Pat. religieux > La petite vierge de Kroaz ar Gac

La petite vierge de Kroaz ar Gac

1. Description

Le mardi 22 août le Père Castel s’est de nouveau rendu à l’invitation d’Arkae dans le quartier de Saint-Guénolé.
 
Une visite dont le but était de parachever celle du mois de juin à la chapelle de Saint-Guénolé et qui a été consacrée cette fois à l’observation de la petite vierge dite de Croas Ar Gac.

Celle-ci se trouve à Lestonan, en haut de la rue de Croas ar Gac. Les gens de Quellennec avaient l’habitude de se signer en passant devant, sur le chemin de l’usine ou lorsqu’ils allaient faire leurs courses à Lestonan. Aujourd’hui comme hier, elle reçoit l’attention de riverains sous forme de bouquets de fleurs.

Abritée dans une niche de pierre de tailles, munie de barreaux de fer « de quatre centimètres de côté » (dans Né gosse de riche, Gwenn-Aël Bolloré, Ed. Ouest-France) surmontée d’une croix, on reconnaît, malgré l’érosion du granit, une pieta d’environ 1 m de haut, soutenant le corps du Christ. Sa tête a été sommairement fixée par un appareil de maçonnerie. On relève un contraste entre la position frontale, si ce n’est un léger  mouvement de tête vers la gauche, et équilibrée de la mère et la cambrure du Christ aux proportions plus grêles comme pour  accentuer la fragilité du corps du défunt recueilli par sa mère. Elle daterait du XVIe siècle. 

Le mot « croas » fait sans doute référence au calvaire primitif dont elle ne serait qu’un vestige. En effet, on décèle les restes d’un pilier dans le dos de la statue et à sa base. Un calvaire existait bien au point de croisement des chemins ruraux venant du Vruguic et de Stang Odet.
« Ar Gac » ou Le Gac, désigne soit le commanditaire du calvaire soit le propriétaire du champ le plus proche. L’article suivant  explique ce qui a valu à cette petite vierge, voyageuse malgré elle, de se retrouver derrière les barreaux.
 
 
Les tribulations de la Vierge de Croas ar Gac
 
Archives Arkae > Patrimoine religieux > vierge de Coas ar GacAvant que ne se mette à circuler la  rumeur comme quoi la petite vierge de Croas ar Gac se retrouve enfermée parce qu’elle a perdu sa tête, interrogeons ce que la mémoire a conservé de ses aventures. Jean Guéguen a recueilli pour nous dans les années 80, le témoignage de René Beulz (père) de Pennaneac’h. Et le livre de Gwenn-Aël Bolloré récemment paru aux éditions Ouest-France  consacre lui aussi un passage à l’enlèvement de la petite vierge.

Un jour donc, le beau-frère de René Bolloré, troisième du nom, vient trouver le père de M. René Beulz et lui demande de transporter la statue chez lui. M. Beulz, d’abord réticent, finit par accepter, pensant que le commanditaire a l’aval de M. Bolloré. 
Peu de temps après, survint une période de fort mauvais temps : tempêtes, violentes pluies, orages. Ceux qui avaient alors l’habitude de faire leurs dévotions en passant devant la pieta, s’inquiètent et se demandent si tout cela n’est pas signe du mécontentement de la vierge, fâchée d’avoir été enlevée.
L’affaire parvient jusqu’à René Bolloré. Les signes de sa colère ne se font pas attendre. Il veut connaître le coupable. Il ne tarde pas à le tenir et à exiger qu’il remît le pieux vestige en place au plus tôt. Le ravisseur tout penaud revient vers M. Beulz et lui confie le soin de ramener la statue. Celui-ci s’exécute avec une joie non dissimulée.
M. Bolloré envoya  alors un de ses maçons, Jean-Marie Quéré afin d’édifier une niche protectrice pour la vierge. De solides barreaux devaient même empêcher qu’une semblable mésaventure ne se reproduise.

Les tribulations de la Vierge de Croas ar Gac n’en restèrent cependant pas là. Sous les tirs de jeunes gens en goguette, sa tête roula au sol, mais grâce aux barreaux demeura dans la niche. Elle fut scellée au début des années 60 par des maçons à l’œuvre dans le quartier.
 
Photo : Vierge de Croas ar Gac dans sa niche de pierres de taille.
 

2. Toponymie

Dans ses souvenirs d’enfance, Gwenn-Aël Bolloré situe la petite Vierge de Croas ar Gac au sommet d’une colline. Elle se situe en effet au lieu- dit Beg ar Menez, le sommet du mont (voir keleier n°3 sur les sommets d’Ergué).

Un nom de lieu intéressant dans les environs car il se compose sur un nom de famille Bigoudic : nom récent.
Il faut le rapprocher de Stang ar Bigodou, et de Pont ar Bigodou en 1541. Il s'agit probablement du nom de famille Le Bigot.
La prononciation bretonne d'Ergué explique que O devienne Ou. De même que ar Mor (la mer) est prononcé ar Mour. Bigoudic signifie donc le petit bigot.
Keleier arkae n° 5  - septembre 2000

3. Pré-inventaire de 1972 (© Inventaire du Patrimoine Culturel de Bretagne)

Niche à statue à 3,5 km au nord du bourg, au croisement du chemin vicinal n°11 et du chemin vers Stank-Odet

Localisation : Cadastre : 1962 – Section : B1 – Parcelle : 207

Observations éventuelles de l’enquêteur : médiocre état de conservation 

Description :

  • - Niche orientée vers l’est, de 1,30 m de large et 2,40 m de haut
  • - Demi-cercle de pierre à la pointe d’un talus avec en façade une niche où se trouve la statue, et surmonté d’une croix
  • - Grille devant la statue représentant une piéta en granit. Il manque la tête du Christ
  • - La tête de la Vierge a été cassée récemment après avoir été cimentée une première fois

 

Matériaux :

Moyen appareil de granit pour la niche

 

Résumé historique

On raconte que ce monument a été déplacé : il a été installé au carrefour par un certain M. LE GAC, ancien propriétaire d’une ferme dans la région qui a fait cette statue afin de laisser au moins une trace de son passage, car il n’avait pas d’enfants.

 
 
 

Trésors d'archives > Pat. religieux > Saint-Guénolé, interview de Pierre Le Bihan

Saint-Guénolé : une restauration qui ne restera pas sans suite

Interview de Pierre Le Bihan

 

Nous ne pouvions clore cette année « Saint-Guénolé » sans précisément laisser le dernier mot à la chapelle du Quellennec.

Nous sommes allés à la rencontre de Pierre Le Bihan de Ty-Glas. Nous avons voulu évoquer avec lui sa participation à la restauration de Saint-Guénolé dans les années 1970-74 et recueillir son sentiment, aujourd’hui face à l’édifice prêt à aborder le troisième millénaire dans toute son élégance retrouvée !

 

L'édification de la chapelle

Pierre Le Bihan explique tout d’abord comment il s’est opposé avec d’autres habitants du Quellennec au projet de l’abbé Breton d’utiliser les pierres de Saint-Guénolé pour l’édification de la chapelle de Ker-Anna. En effet, pour lui il s’agissait d’une part, de respecter un vœu, un choix des anciens ; d’autre part, Saint-Guénolé constituait là sur cette petite hauteur du Quellennec un centre de vie tout autant religieux que populaire, flanquée alors de deux cafés-commerces.

Le Conseil municipal, sous le mandat de Jean-Marie Puech, avalisa le projet de restauration. Pierre Le Bihan, à la demande du recteur Morvan, accepta alors de se faire sculpteur pour réaliser le décor de l’autel. Il nous donne l’origine du motif : un cœur d’où sortent des flammes, entouré d’ondulations. Il s’en trouve un semblable sur une tombe du cimetière de Saint-Guénolé Penmarc’h. Le cœur symbolise l’amour, les flammes, la foi et l’eau, le baptême. Pierre le Bihan raconte qu’il se consacrait à cet ouvrage après son travail de cultivateur et qu’il a eu à souffrir quelque peu l’impatience du recteur ! Il avoue avoir été assez heureusement surpris du résultat mais ne pas avoir persisté dans l’art du ciseau par la suite.

 

Comité de Saint-Guénolé

 Cependant, à l’issue de cette première restauration, la vie n’avait pas repris à Saint-Guénolé. Les pardons étaient tombés en désuétude. Autrefois avaient lieu un petit (1er dimanche de mars) et un grand pardon (3e dimanche de Juillet). L’office, jusque dans les années trente, se terminait par le baiser aux reliques de Saint-Guénolé, alors conservées dans le maître-autel. La procession reprenait les bannières entreposées à l’église paroissiale et faisait le tour du Quellennec. Il a fallu attendre 1991 et la formation du Comité de Saint-Guénolé pour voir revivre le grand pardon et sa kermesse telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Le légendaire plane toujours autour de la chapelle. Légende des origines, bien sûr, et M. Le Bihan est un familier de la légende de saint Guénolé. L’influence de cette légende se fait sentir jusque dans le récit de cet orage de 1911, fatal au clocher de la chapelle. Pierre Le Bihan a toujours entendu dire que c’était le saint lui-même qui avait commandé cet orage et il a gardé en mémoire un récit qui laisse à penser que l’événement fut spectaculaire : des hêtres s’élevaient à l’époque devant Saint-Guénolé qui ont pu attirer la foudre; un éclair a d’abord abattu le clocher, puis sous la forme d’une boule de feu aurait roulé dans l’habitation voisine, passé entre les pattes d’une jument et  fini sa course en ôtant la vie à une poule qui couvait. 

Quant au trésor de Saint-Guénolé, quelques « oeuvriers » employés à sa restauration ont bien sondé les pierres mal scellées ici ou là et même le sous-sol mais en vain…

 

La réédification du clocher

Pierre Le Bihan ressent aujourd’hui une grande fierté devant cette chapelle : fierté d’avoir réussi à sauver une première fois l’édifice, fierté d’y avoir mis un peu de lui-même au travers de la pièce majeure que constitue pour un édifice religieux son autel, fierté de voir la nouvelle génération prendre le relais au point de faire aboutir un vœu cher aux habitants du Quellennec depuis longtemps : la réédification du clocher de leur chapelle.

Cette restauration ne marque pas un point ultime à la mobilisation autour de Saint-Guénolé : le comité a annoncé son engagement pour la remise en état du calvaire et pour le maintien du pardon. La municipalité d’Ergué-Gabéric a inscrit Saint-Guénolé au concours « Les Rubans du patrimoine » qui récompense au niveau national une initiative en matière de restauration. L’Office de Tourisme souhaite l’inclure dans ses circuits intercommunautaires… Nul doute que la chapelle fera  encore  parler d’elle au-delà de l’an 2000.

 

Keleier arkae n° 8 décembre2000
 
 

La saga Bolloré, entre histoire et légende

La saga Bolloré, entre histoire et légende

 

Voici quelques remarques rédigées à la suite de la lecture de la 1ère partie du livre de Jean Bothorel, paru cet été 2007 : Vincent Bolloré, une histoire de famille. Ces 60 premières pages portent sur la période 1822-1981 (soit 160 années) et ont pour sous-titre « Les racines et la dynastie » : elles traitent donc de la période historique qui intéresse Arkae. Une 2e partie prend 110 pages pour couvrir les 25 années de l’histoire du groupe sous la direction de Vincent Bolloré, et une 3e (5 pages) annonce le second centenaire, qui sera fêté dans 15 ans. La première partie, celle dont il est ici question, me semble se situer à mi-chemin entre ce qui se prétend un travail d’histoire et ce qui serait en fait une hagiographie à la façon de Joinville travaillant pour son roi Saint Louis. Je veux dire que ce n’est pas un travail d’histoire tel que nous l’entendons à Arkae.

 

Le piano mécanique

Le travers qui apparaît rapidement, c’est celui d’attribuer nécessairement à la famille Bolloré tout ce qui se faisait à Lestonan, et d’ignorer que la population de Lestonan, ou celle d’Ergué-Gabéric a habituellement su se ménager un certain espace hors de l’emprise Bolloré. Exemple plutôt comique : le bilan de Bolloré II, mort en 1935 (pages 47-48) : « Il avait pris le temps avant de disparaître de bâtir de nouvelles écoles privées, d’aider au lancement d’une deuxième cité ouvrière, Le Champ, qui fut construite à grande vitesse et baptisée la Cité Champignon. Il encouragea la construction d’un patronage, les Paotred Dispount, littéralement « les gars sans peur », qui formèrent une troupe de théâtre et une clique avec ses fifres, clairons et tambours. Enfin un piano mécanique fut installé chez Chan Deo, où les jeunes se réunissaient les dimanches après-midi… » Est-il raisonnable de penser que ce serait Bolloré qui aurait contribué à équiper le café de Chan Deo d’un piano mécanique et ainsi à sponsoriser ce qui était dénoncé par le clergé comme un lieu de perdition et de débauche en plein cœur de Lestonan ?

 

L’école publique

Non seulement les Bolloré auraient financé le piano mécanique, mais ils auraient aussi « créé » l’école qui a été ouverte à Lestonan en 1885. C’est bien une école publique que le Conseil Municipal, à la demande insistante de l’inspecteur d’académie, a décidé en 1882 de construire. Or elle est  présentée par Jean Bothorel, page 32, comme école privée : « adjoint au maire d’Ergué-Gabéric, il (le René Bolloré, qui fut à la tête des Papeteries de 1881 à 1905) ouvrit dans le hameau de Lestonan une école privée pour éviter aux enfants le long trajet jusqu’au bourg ». Cette phrase est directement transcrite (mais l’auteur ne l’indique pas) du discours prononcé à la Fête du Centenaire en 1922 par l’Abbé André-Fouet dans l’éloge qu’il fait de Bolloré I : « il crée l’école de Lestonan pour éviter aux enfants le long trajet jusqu’au bourg ». Où donc Jean Bothorel va chercher que René Bolloré était adjoint au maire ? Jean Mahé avait été élu maire en 1881, avec comme adjoint Hervé Le Roux. A la mort de Jean Mahé en 1882, Hervé Le Roux devient maire, avec René Riou comme adjoint. René Bolloré, pendant ce temps, était l’un des 14 conseillers municipaux. Et pourquoi ajouter qu’il s’agit d’une école privée là où André Fouët indiquait simplement une école, et alors qu’en réalité il s’agissait d’une école publique ?

 

Le rachat du Likès

Un autre épisode longuement raconté par Jean Bothorel, pages 33-34, concerne le Likès à Quimper. L’auteur trouve le moyen de placer dès 1907 « une des premières initiatives » de René Bolloré II, qui venait de prendre la direction des Papeteries en 1905, à 20 ans (à noter que Bothorel préfère dire « à 18 ans » ; or, ce René Bolloré est né le 28 janvier 1885, et son père est mort le 15 février 1905 : le fils venait d’avoir eu 20 ans à la mort du père). Voici le texte de Bothorel. « Le collège Le Likès, célèbre institution de Quimper tenue par la Congrégation des Frères des écoles chrétiennes, tombait sous le coup de la loi anti-congréganiste de juillet 1904. Le 18 mai 1907 se déroula au Palais de Justice de Paris la "vente aux enchères publiques, en un seul lot, d’une grande propriété sise à Quimper (Finistère) rue de Kerfeunteun". Il s’agissait du Likès. La mise à prix était de 60 000 francs, une braderie, puisque la seule chapelle construite huit ans plus tôt avait coûté 15 000 francs. Le jour de la vente, Eugène Bolloré, soutenu par son cousin René Bolloré II, se porta acquéreur. Eugène, grand, de belle allure, la moustache en pointe, était président de l’Amicale des anciens élèves du Likès. Les enchères ne montèrent pas très haut, 63 000 francs. Comme la loi interdisait de réaffecter les locaux à l’enseignement scolaire, Eugène Bolloré trouva un artifice : il loua le Likès à l’évêché de  Quimper qui y installa son Petit séminaire sous le nom de collège Saint-Vincent… ».

Qu’en a-t-il été réellement ? La source (probable) à laquelle Bothorel puise son information (ce serait encore une fois sans le dire) est un ouvrage écrit par le frère Hervé Daniélou en 2001, intitulé Un siècle de vie likésienne (1838-1945). On y fait état (page 51) de la création en 1889 d’une Amicale des anciens élèves, dont le président fut, de 1889 à 1924, M. Eugène Bolloré, mercier au 13 rue de Kéréon à Quimper, et qui était effectivement le cousin de René Bolloré II. Page 56 de ce livre se trouve relatée la vente du Likès : « C’est le 18 mai 1907 que se déroula, devant le Tribunal civil de la Seine, au Palais de Justice de Paris, la "vente aux enchères Publiques, en un seul lot, d’une Grande Propriété, sise à Quimper (Finistère), rue de Kerfeunteun" […]. L’affiche annonçant cette vente publique, comporte […] la mise à prix : 60.000 francs. C’est évidemment une véritable braderie, si on pense que la chapelle seule, terminée huit ans plus tôt, avait coûté 150.000 francs [NB : Bothorel retient un chiffre de 15.000 francs au lieu des 150.000 francs ici indiqués]… Le jour de la vente, parmi les acheteurs éventuels, se présente un homme de haute taille, au regard droit et à la moustache en pointes : il s’agit de M. Eugène Bolloré, président de l’Amicale des anciens élèves, qui, en accord avec les Frères, se porta acquéreur de la propriété mise aux enchères. Celles-ci ne montent pas bien haut et, pour 63.000 francs, Monsieur Bolloré devient propriétaire de l’ensemble des terrains et bâtiments affectés au Likès et au District. On peut évidemment se poser la question de savoir si, en l’occurrence, M. Bolloré utilisa sa fortune personnelle ou si l’argent de l’achat fut avancé par les Frères. Ce qui se passa plus tard, lors de la constitution de la "Société Anonyme Le Likès", qui devint propriétaire légale de l’ensemble de la propriété et des bâtiments, permet de donner la préférence à la seconde hypothèse […]. » Ainsi l’hypothèse plausible, selon la source, est que M. Eugène Bolloré n’aurait été qu’un prête-nom, pour le compte des Frères, et il n’est pas question dans ce récit d’un rôle quelconque en « soutien » de René Bolloré II, le cousin, qui rappelons-le, avait 22 ans à l’époque, et était un ancien élève des Jésuites de Vannes et non du Likès. Pourquoi donc s’obliger à le mêler activement à cette entreprise (« une des premières initiatives de René Bolloré ») et à consacrer une page entière à cette opération financière un peu particulière ? Il y a pire, par exemple ce qui est retenu par le Chanoine René Gougay dans « Le Petit Séminaire Saint-Vincent. Pont-Croix 1822-1973 », édition Association des anciens élèves de l’institution Saint-Vincent, 1986 ; page 79) : « À la Séparation, les Frères de Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle virent leurs écoles fermées et confisquées. Leur établissement du Likès à Quimper fut acheté par M. Bolloré, industriel papetier à Odet en Ergué-Gabéric. L’acquéreur était mandaté par le Comité des anciens élèves dont il était le président. Il le loua à Mgr Dubillard ». Jean Bothorel pouvait donc prendre encore plus de distance avec la réalité historique.

 

Les ouvriers au secours du patron

Enfin, cet épisode, situé sous la direction de René Bolloré I (entre 1881 et 1905). Il est ainsi rapporté par Jean Bothorel (pages 30-31) : « Plus d’une fois, l’entreprise frôle la catastrophe. A tel point qu’en 1897, elle est mise en vente sur l’initiative de certains membres de la famille. Sans doute voulaient-ils se partager l’héritage avant qu’il ne se désagrège… On raconte que les ouvriers et ouvrières se sont alors mobilisés et ont rassemblé toutes leurs économies pour les offrir à leur patron : Monsieur Bolloré, nous vous aimons, nous ne voulons pas d’autre patron que vous. Tenez, prenez notre argent, si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l’usine. On ignore s’il en eût besoin. On sait en revanche qu’il réussit à se sortir de cette mauvaise passe… ». Bothorel ne cite aucune source. Il dit : « on raconte que… », comme s’il s’agissait d’un récit largement approprié . Or cet épisode n’est connu qu’à partir de l’évocation qui en a été faite par René Bolloré II dans le discours prononcé par lui à l’occasion des fêtes du centenaire en 1922 : « Mes chers amis, je vous raconterai un fait qui résumera l’intensité de l’affection dont il (son père) était entouré. En connaissez vous de plus touchant ? Le voici tout simplement : Quand il y a 35 ans, l’usine fut mise en vente pour partage de famille, les ouvriers de l’époque rassemblèrent leurs économies et vinrent les offrir à mon père, par l’intermédiaire du vieil Auffret, de ton père, Horellou, en lui disant : Monsieur René, nous vous aimons, nous ne voulons pas d’autre patron que vous, tenez, prenez notre argent si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l’usine ». Chacun remarquera d’abord que le discours étant prononcé en 1922 et évoquant des faits vieux de 35 ans ; il faut situer ceux-ci en 1887, et non pas en 1897 comme le fait Bothorel. Effectivement, le Docteur Bolloré était mort en 1881, et ses trois fils se sont engagés dans une direction collégiale de l’entreprise. Au bout de quelques années, les deux plus jeunes ont laissé faire leur aîné (René Bolloré I), et lui ont demandé le partage du bien familial. D’où une situation de crise. C’est alors, à une date inconnue et dans des circonstances qui restent ignorées, qu’une démarche de soutien au chef d’entreprise serait venue du personnel. S’agit-il d’une démarche représentative de tout le personnel ou émanant de quelques individus de ses plus proches collaborateurs ? S’agit-il d’une vague proposition ou y a t’il eu un début de réalisation de collecte ? Nous ne disposons d’aucune autre source que ce discours du Centenaire pour connaître cet épisode. Nous devons nous poser la question du bien-fondé de ce récit présenté dans un contexte de célébration de l’entreprise et de ses héros, dans un élan de convivialité recherchée et de sentimentalité bien apparente. René Bolloré II est-il plus crédible que son ami André-Fouet attribuant ce même jour à René Bolloré I la création de l’école publique ? Un minimum de prudence s’impose à qui prétend faire un travail d’historien.

Bothorel aurait pu dire que, dans la tradition Bolloré, cet épisode est devenu une sorte d’évènement fondateur, sans doute autant construit que réel, et relevant désormais du merveilleux. Il fait partie du légendaire de l’entreprise et peut être resservi quand il y a lieu de mobiliser le personnel autour de la direction. L’histoire à faire, c’est aussi l’histoire de l’utilisation de ce récit : quelque chose s’est passé, mais qui a été valorisé peu ou prou, pour les besoins de l’édification des fidèles, comme dans les légendes locales qui ont fleuri sur fond de religiosité.

A travers ce mode de traitement des sources (que l’on prend soin bien souvent de ne pas citer), apparaît une manière habituelle de forcer l’histoire dans le sens d’une dramatisation : à plusieurs reprises, tout alla mal, mais chaque fois, tout fut sauvé, quasi miraculeusement, grâce à l’énergie et à la clairvoyance du héros éponyme, qui disparaît pour renaître, tel le phénix.  « La manière dont Jean-René Bolloré entre dans l’affaire ressemble étrangement au scénario qui se renouvellera en 1897-1898 avec René Bolloré I, en 1919-1920 avec René Bolloré II, en 1948-1950 avec Michel Bolloré et ses frères, enfin en 1981 avec Vincent Bolloré » (page 25. La même récurrence de rebonds historiques est présentée page 56). Ainsi se résumerait la saga des Bolloré, qui serait une illustration des vertus du « capitalisme familial », libre et efficace (page 191). Une histoire à thèse en quelque sorte.

 

François Ac’h - Keleier Arkae, n° 53 - Décembre 2007

 

Signalons encore des erreurs que nous pouvons considérer comme ordinaires, mais qui témoignent d’un certain parisianisme de la part de l’auteur, pourtant finistérien (né à Plouvien). Petit bêtisier. Jean Bothorel situe la commune de Scaër et le moulin de Cascadec dans les monts d’Arrée, et non dans les montagnes Noires : « il [René Bolloré II] loue en 1893, à quelques encablures d’Odet, sur la commune de Scaër, le moulin de Cascadec. Celui-ci enjambe l’Isole qui coule aux pieds des monts d’Arrée, dans l’un des plus beaux sites du Finistère » (page 30). « …en avril 1917, René Bolloré II achète l’usine de Cascadec, jusque là en location. Il y installe une seconde machine à papier, et creuse dans les monts d’Arrée un canal pour amener l’eau aux turbines… » (page 39). Et pourquoi, quand on veut mettre en scène une « brave » bretonne, faut-il en faire une Bigoudène ? Évoquant (page 192) le mariage récent du fils Bolloré, Bothorel a ce commentaire : « Ah, pour sûr, y avait du beau monde !, aurait dit la bigoudène Marianne Saliou ». Marie-Anne Niger, épouse Saliou, est née à Ti-Ru et habitait Stang-Venn.

 

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