Trésors d'archives > Patrimoine religieux > Quand le vieux cantique de Kerdévot servait à la propagande royaliste

Quand le vieux cantique de Kerdévot servait à la propagande royaliste ! 

 

 

 

 

On ne connaissait le vieux cantique de Kerdévot que par la version éditée par l’abbé Favé dans le Bulletin de la Société archéologique de 1891. Il était déjà cité dans la Bibliographie des traditions et de la littérature populaire de Gaidoz et Sébillot en 1881. Depuis le 5e centenaire de la chapelle de Kerdévot, nous cherchions l’original de ce précieux document. C’est fait ! Grâce à son réseau de relations et d’amitié avec les chercheurs bretons, Arkae a réussi à retrouver l’original du vieux cantique. 

 

 
Mieux : nous avons fait d’une pierre deux coups, puisque nous avons trouvé une version du XIXe siècle du même cantique, rajeuni dans son orthographe et son lexique. L’ancien cantique de 1712 était truffé de mots français, car il était bien vu, à cette époque, de montrer son érudition. Celui du XIXe est plus conforme à la langue classique.
 
Le cantique est suivi d’une exhortation peu banale : l’auteur anonyme développe un vibrant plaidoyer royaliste : « Dre ar werz-mañ e welomp, e oa karet ar Roue gant hon tud kozh hag a bedent evitañ pa oa trubuilhet. Ni Bretoned, o bugale vihan a dlefe ivez karet Henri V ha pediñ ma teuy a-berzh Doue, da zegas d’hor bro, ar Frans, ar peoc’h hag an urzh vat, e-lec’h an dizurzhioù-mañ hon deus da c’houzañv a-berzh ar Republik fallakr. » 
Traduisez : « Par cette complainte, on voit que nos ancêtres aimaient le Roi et le priaient quand il était en mauvaise situation. Nous, Bretons, leurs petits enfants, nous devrions aussi aimer Henri V et prier qu’il vienne au nom de Dieu apporter à notre pays, la France, la paix et l’ordre au lieu des désordres actuels qu’on doit supporter de la part de la République scélérate. »
 
L’auteur fait allusion à la deuxième strophe du vieux cantique de 1712 :
« Biscoas, Christenien, sioas ! n’hor boa brassoc’h ezom
Da supplia hor Salver hac ar Verc’hes e Vam,
Da rei ar c’hraç d’hon Roue da veza victorius
Var e oll ennemiet, adversouryen Jesus. »
On traduira ainsi : 
« Jamais, chrétiens, hélas, nous n’avions eu besoin
De supplier notre Sauveur et la Vierge, sa mère,
De donner la grâce à notre Roi d’être victorieux,
Sur tous ses ennemis, adversaires de Jésus. »
Il s’agit ici de Louis XIV en lutte contre les Pays-Bas protestants.
 
En 1871, le contexte est tout autre. La défaite de Sedan en 1870 marque la fin du Second Empire. Les élections du 28 janvier 1871 donnent une chambre aux deux tiers monarchistes. Mais ceux-ci ne font pas immédiatement appel au Comte de Chambord pour éviter de lui faire endosser la défaite, car les Allemands occupent toujours une partie de la France. Le 8 juin 1871, le prince est autorisé à rentrer en France. Les monarchistes sont divisés en deux camps : les Orléanistes et les Légitimistes. Le Comte de Chambord accepte la fusion des deux camps. Le futur Henri V impose cependant une condition : le retour du drapeau blanc. La négociation n’aboutit pas, le Comte de Chambord renonce au trône et repart en exil.
 
A l’automne 1873, il revient à Versailles, conforté par une commission parlementaire chargée de restaurer la monarchie. Mais Mac-Mahon, chef de l’Etat, refuse toute entrevue et fait voter le septennat. La République s’installe en France.
Le Comte de Chambord meurt en exil en 1883.
 
On peut donc dater la réédition du Kantik Kozh Kerzevot aux années 1871-1873. L’éditeur, le propagandiste Arsène de Kerangal, utilise clairement le cantique comme propagande pour le prétendant au trône. 
 

 

Dossier (textes et photos) réalisé par Bernez Rouz - Keleier 84 - octobre 2014

 

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Trésors d'archives > Guerres > La mort dun jeune réfugié lorientais fin juin 1944

Un dommage de guerre
La mort d'un jeune réfugié lorientais fin juin 1944


Le dimanche 25 juin 1944, c’était le pardon des chevaux à Kerdévot. Le recteur porte cette information dans son registre-journal : « Ce même jour, un jeune réfugié de Lorient, Jacques Le Mouël a été affreusement blessé par une grenade au Rouillen à quelques mètres plus bas que la maison André sur la route de Squividan. Diverses versions : il s'amusait avec cette grenade avec d'autres compagnons comme avec une balle ; il a voulu éviter que de jeunes enfants la touchent ? En fait, il a eu la main emportée, les poumons perforés ; transporté à l'hôpital, on lui a amputé la main sans l'endormir ; il est  mort le lundi à 13 heures et a été enterré le surlendemain ». Aucun journal ne fait état de cet accident. Seul, le Progrès du Finistère du samedi 1er juillet 1944 annonce, dans sa chronique quimpéroise de l’état-civil, le décès de « Jacques Le Mouel, célibataire, 19 ans, comptable, 3 rue de l’Hospice ». Sans plus. Et cependant, en 1954, une décision ministérielle vaudra à Jacques Le Mouël d’être reconnu « Mort pour la France » et son nom figurera sur le Monument aux morts de la commune.
 
 
◙ Ce que donne le procès-verbal de la gendarmerie.
 
Les trois gendarmes Kernoa, Guillaume et Brenner sont chargés de l’enquête. Ils se rendent sur les lieux le dimanche même, « informés qu’un accident venait de se produire vieille route de Lestonan en Ergué-Gabéric, et que plusieurs personnes avaient été blessées par l’éclatement d’un enfin explosif » (ADF. 200W77). Quand ils arrivent, la Feld-gendarmerie de Quimper est déjà sur place, qui « nous dit qu’un engin explosif, vraisemblablement une grenade, qui était placée dans un des trous creusés sur la route, et destinés à la pose des mines, avait explosé, et que plusieurs personnes étaient blessées ». Puis « le docteur Quéméré de Quimper, présent, nous déclare que deux jeunes gens, dont l’état de l’un était très grave venaient d’être transportés à l’hôpital de Quimper, et que deux enfants avaient été conduits à la clinique du Docteur Pilven à Quimper ». 
 
Les gendarmes se rendent alors à l’hôpital, où ils peuvent entendre à 21 heures l'un des deux jeunes gens blessés, Gilbert Guinet. Ils reprennent leur enquête le surlendemain, 27 juin, pour interroger les 5 autres témoins qui faisaient partie du groupe, et également deux promeneurs qui se trouvaient sur les lieux au moment de l’accident. Sept jeunes s’en allaient à la « piscine » à St-Denis, en cette fin d’après-midi de dimanche… 
▪ Gilbert GUINET, né à Ergué-Gabéric le 5 mai 1926, habite Cité Lebon à Ergué-Armel.
▪ Jacques LE MOUËL, né le 24 juillet 1924 à Lorient, comptable à la Compagnie Lebon, demeurant au Bourg d’Ergué-Gabéric. Il est donc à un mois de ses 20 ans.
▪ Félix HEIMOT, né le 11 janvier 1925 à Ergué-Armel, mécanographe à la Compagnie Lebon et demeurant Cité Lebon à Ergué-Armel.
▪ Henri THEPOT, né le 27 décembre 1926 à Quimper, menuisier, demeurant 26 route de Coray à Ergué-Armel.
▪ Pierre KERMAIDIC, né le 29 juin 1926 à St-Renan (Finistère), mécanicien, demeurant 72 route de Rosporden en Ergué-Armel.
▪ Michel MORVAN,  né le 23 juillet 1925, à Ergué-Armel, plombier, demeurant 52 route de Rosporden à Ergué-Armel.
▪ et Jean LAVANANT, né le 3 octobre 1926 à Ergué-Armel, apprenti ajusteur demeurant Cité du Gaz à Quimper.
 
Chacun des six jeunes interrogés déclare avoir eu le même emploi du temps ce dimanche :  
« Aujourd’hui, 25 courant, j’ai assuré la garde du câble souterrain Quimper-Nantes, de 12 h à 18 h. J’ai quitté mon poste à la fin de mon service et me dirigeais vers Saint-Denis, avec l’intention de m’y baigner. » « J’ai assuré le service de garde aux fils téléphoniques à Ergué-Armel, de 12 h à 18 h. Mon service terminé, je me suis dirigé, en compagnie de plusieurs camarades, dont Le Mouël Jacques et Guinet Gilbert, dans la direction de St-Denis. Nous avions l’intention de nous rendre à la piscine »
Après avoir franchi le passage à niveau de l’Eau Blanche, ils ont traversé la route de Coray et se sont engagés sur la « vieille route de Lestonan » en deux groupes distants d’une dizaine de mètres. Morvan raconte : « A environ 100 mètres de la route de Coray, à l’endroit où la route est minée, j’ai vu un emplacement de mine, dont le couvercle était enlevé et déposé à proximité. Par curiosité, j’ai regardé dans cet endroit, et j’ai vu un engin de couleur marron et de forme ovale. Je l’ai pris, et après l’avoir examiné, je l’ai passé à d’autres camarades. Ceux-ci, après l’avoir regardé, me l’ont remis. Mon camarade Le Mouël Jacques, qui se trouvait à 5 ou 6 mètres de moi, m’a dit de lui passer cet engin pour le remettre à l’endroit où je l’avais pris. J’ai roulé cet engin sur la route, et Le Mouël s’en est saisi ». 
Les témoignages concordent ; la plupart disent avoir vu une des caissettes ouverte, couvercle posé à son côté : « à l’endroit où des trous ont été creusés par les troupes d’occupation pour la pose de mines, nous avons aperçu dans l’un de ces trous, dont le couvercle en bois était enlevé, un engin explosif, paraissant être une grenade ou un détonateur. Mon camarade Morvan s’en est saisi, à l’effet de l’examiner, par curiosité ». Et la grenade a passé entre plusieurs mains, pour revenir dans celles de Morvan qui « l’a jetée sur la route ». « C’est à ce moment que Le Mouël Jacques s’en est saisi, avec l’intention de la jeter dans le bois à proximité. Il l’avait depuis quelques secondes dans la main, lorsqu’elle fit explosion », déclare Guinet. Celui-ci poursuit : « Mon camarade a été blessé grièvement. Sa main a été arrachée ; il a en outre des éclats dans tout le corps et a été transporté à l’hôpital aussitôt. J’ai reçu des éclats dans la jambe gauche. Néanmoins, j’ai réussi à regagner mon domicile. »
Helmot : « Après l’explosion, il s’est dégagé une fumée opaque, et cette fumée dissipée, j’ai aperçu mon camarade Le Mouël couché dans le fossé droit, en direction de la papeterie. Je me suis empressé d’accourir, pour voir ce qu’il avait, et j’ai constaté que son poignet droit était arraché, et qu’il avait été atteint par plusieurs éclats sur tout le corps. Mon camarade Guinet a également été blessé à la jambe ». « Affolés par ce bruit », Kermaïdic, Thépot et Morvan, se sont « sauvés en courant vers l’Eau blanche ». Lavanant et Helmot sont restés sur place. Lavanant : « Quand j’ai entendu la détonation, je me suis retourné et j’ai vu Le Mouël couché dans le fossé. Il avait le poignet droit arraché et un morceau de l’oreille droite enlevé. Tous les autres camarades, sauf Félix Helmot et moi, se sont sauvés en entendant l’explosion. J’ai ensuite été aidé par un jeune homme qui travaillait dans un champ à proximité, à transporter le blessé jusqu’au débit André, route de Coray, où l’ambulance est venue le prendre quelque temps après ». Au moment où les cinq derniers témoins sont interrogés, ils disent avoir connaissance de la mort de leur camarade Jacques Le Mouël, survenue le lendemain de l’accident à 13 h 30. Les six jeunes gens n’ignorent pas non plus « que deux enfants avaient été également atteints. Ces enfants étaient accompagnés de leurs parents, et nous venions de les croiser un petit moment avant l’explosion » (Lavanant). 
 
Les gendarmes interrogent les parents. D’abord René COURTé, né le 5 septembre 1912 à Douarnenez, chauffeur à la SNCF et demeurant 14 rue de Chateaubriand à Ergué-Armel : « …vers 18 h 45, je me promenais en compagnie de ma femme, ma fille Marie-Renée, âgée de 4 ans ½, et de la famille Mésange, demeurant 9 rue de Chateaubriand à Ergué-Armel. Nous revenions de la piscine de Saint-Denis et rejoignions la route de Coray en passant par le moulin de St-Denis en Kerfeunteun. Arrivés à l’intersection de la vieille route de Lestonan, en Ergué-Gabéric, le chemin que nous empruntions, nous avons croisé un groupe de jeunes gens de cinq ou six, qui descendaient la côte. L’un d’eux tenait un engin à la main, paraissant être une grenade, et a dit qu’il allait la jeter à l’eau. Je leur ai dit qu’il valait mieux laisser cet engin tranquille et qu’il était peut-être dangereux de jouer avec. Nous avons continué notre route, et après avoir parcouru quelques mètres, j’ai entendu derrière nous une forte explosion. Je me suis retourné et j’ai entendu ma petite fille, qui était par la main avec le petit Mésange Gérard, appeler sa mère. Je me suis précipité vers elle, et j’ai constaté qu’elle avait une blessure au-dessus de l’oreille gauche, et que le petit Mésange portait des blessures à la main gauche et aux deux jambes. J’ai aperçu également un jeune homme tomber, mais je ne me suis pas soucié de lui. J’ai pris ma fille dans mes bras et l’ai transportée au Café André, où l’ambulance de Quimper est venue la prendre pour la transporter à la clinique du docteur Pilven. Elle a subi sur le champ l’opération du trépan. Actuellement elle se trouve en traitement dans cet établissement, où le médecin traitant vient de me déclarer qu’il ne peut encore se prononcer sur son état. » La déposition de Madame Robert Mésange, née Paule BABIN, tante du petit garçon blessé, est quasi identique.
 
L’enquête est ainsi conclue : « L’accident, dû à l’explosion d’un engin, soit une grenade ou un détonateur, s’est produit sur la vieille route de Lestonan, à environ 100 mètres de la route de Coray. A cet endroit, il existe sept trous, d’une profondeur de 15 centimètres. L’un des couvercles en bois a été enlevé et posé à proximité. D’après plusieurs personnes, le couvercle a été enlevé depuis plusieurs jours, mais nous n’avons pu savoir par qui ».
 
 
◙ Un dispositif anti-chars autour de Quimper
 
En cette fin juin 1944, les Allemands en occupation à Quimper se préparent à l’arrivée aux portes de la ville des chars alliés, pour l’instant retenus en Normandie. Ils ont déjà pris des mesures de défense telles que, à L’Eau Blanche, le barrage de la route de Rosporden, constitué par des épaulements en béton de chaque côté de la route formant une chicane ; la route était ainsi ramenée à la largeur d’une seule voie, et celle-ci était fermée par des chevaux de frise. Ce dispositif anti-blindés était complété par des mines anti-chars. Cette description nous est fournie par le Lieutenant Nicolas, chef FFI du secteur Est, dans son récit de la libération de Quimper (ADF 208 J 155).
Sur la « vieille route de Lestonan », c’est un dispositif plus simple qui a été installé. Le Lieutenant Nicolas raconte : « Dans toutes les routes autour de Quimper, on a creusé des trous faisant environ 40 cm au carré et autant de profondeur. Ces trous sont garnis d’un coffrage en bois avec tampon en bois pour la fermeture. Ils sont destinés, le moment venu, à recevoir des mines anti-chars ». Il précise que ces trous ont été creusés par des Français réquisitionnés par l’intermédiaire de la mairie et encadrés par l’Organisation Todt ou par des soldats allemands. 
Il raconte ensuite : « Vers le 19 ou le 20 juin […] on m’avait demandé de faire enlever les coffrages que les Allemands avaient fait mettre en place aux entrées Est de la ville au travers des routes […] Ces coffres ou boîtes étaient fermés par de solides tampons de bois situés au niveau de la route et ne gênant pas la circulation. Il suffisait d’enlever les boîtes, et les trous finiraient par se remplir de par la circulation des véhicules ».
Deux volontaires se proposent pour la mission. « Ils partent en début d’après-midi, connaissant bien les coffrages des diverses entrées Est de la ville de Quimper. Marchant en poussant leur vélo, ils allaient atteindre le moulin Saint-Denis sur la route de Coray pour enlever les premiers coffres lorsqu’un ''halt !'' retentissant et très germanique leur fit lever la tête pour voir deux superbes feldgendarmes dissimulés en haut du talus bordant la route. C’est la surprise. Pas question de fuir : les mitraillettes sont braquées sur eux ». Cela s’est probablement  passé à l’endroit même où a eu lieu l’accident qui, quelques jours après, a fait un mort et trois blessés. Les chars alliés n’auront pas à entrer dans Quimper.
 
 
◙ Qui a deposé cette grenade ? 
 
Est-ce par souci réel de la sécurité de la population quimpéroise, en particulier celle des enfants, que, le 17 juin, le Feldkommandant Von Coler avait demandé au préfet d’interdire de toucher aux caisses à mines fixées dans la chaussée des routes (voir ci-dessous la lettre au préfet datée du 17 juin) ? Ces caisses sont pour l’instant vides de tout explosif. Si on les déterre, le risque serait celui lié aux « nids de poule » dans la route. Si on enlève uniquement le couvercle, la caisse, se remplissant peu à peu de détritus et d’eau, deviendra inutilisable dans sa destination. Le Feldkommandant sait très bien que les « terroristes » ont entrepris de visiter ces dispositifs anti-chars pour les neutraliser. C’est pourquoi, dans le même temps, il les fait surveiller par ses gendarmes placés en embuscade.
Qui a bien pu déposer une grenade dans l'une de ces caisses au départ de la « vieille route de Lestonan » ? L’enquête ne le dit pas. Ce peut être quelqu’un, résistant ou pas, qui avait besoin de se débarrasser d’un objet compromettant : il aurait facilement trouvé un endroit plus discret pour le déposer. Soit, mais le fait de placer cette grenade dans cette caisse, un jour où cette route est fréquentée par tous ces promeneurs à pied, peut aussi être une manœuvre délibérée servant à illustrer la mise en garde du Felkommandant aux saboteurs : « Ne touchez pas aux caisses à mines ! ». 
 
Visuel ci-dessous : acte de décès de Jacques Le Mouël

Acte de décès Le Mouel Jacques DSC 1604

 
Notes
1. Nom de l’actuelle « Route du Stangala »
2. En fait, les mines ne sont pas encore déposées dans les caissons qui doivent les recevoir.
3. Ils seront conduits par les deux Allemands, à pied, le vélo à la main, jusqu’à la gendarmerie allemande située face à la gare. Interrogés pendant 2 heures, ils sont soupçonnés d’être des « terroristes ». A force d’astuces, ils arriveront à se faire libérer…
 
 
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Une famille lorientaise réfugiée au Bourg
 
Réfugiés lorientais 1943
Le 16 janvier 1943, le préfet du Finistère est informé qu’un train de réfugiés venant de Lorient arrive en gare de Quimper dans le quart d’heure qui suit. Ils fuient les frappes aériennes qui ont lieu sur cette ville (voir photo ci-contre: Lorientais fuyant les bombardements de 1943, © Ouest France, 07/11/2009.). Le Felkommandant Fischer réagit : tout hébergement de réfugiés doit avoir obtenu son accord préalable. Réponse du préfet le lendemain : « les rares réfugiés qui, à leur arrivée, ne savaient où se rendre, ont été dirigés par mes soins en dehors de la zone côtière, sur les localités de Briec (39 réfugiés) et d’Edern (16 réfugiés) » (ADF 200W16). Les quelques personnes qui arrivent à Ergué-Gabéric ont donc peut-être choisi cette commune. Parmi eux, la famille Le Mouël. 
Le père, Jean-Louis Le Mouël, né en 1881 (61 ans), est un ancien ouvrier de l’arsenal de Lorient. Il habitait au 13, rue de l’assemblée nationale avec son épouse Jeanne Brivoal, 57 ans. Leur logement a été détruit. Ils habitent désormais au Bourg d’Ergué-Gabéric, où les ont accompagnés :
▪ leur fille Jeanne, 32 ans, et le fils de celle-ci, Jean Le Tallec, 8 ans ; elle habitait 12 rue de Liège à Lorient (logement détruit), et était couturière en journée. 
▪ leur deuxième fille, Suzanne, 20 ans, et le mari de celle-ci, Henri Gourlet, né le 24 juillet 1919 (23 ans), ont également abandonné leur maison partiellement endommagée. Ils ont un bébé de quelques semaines. Henri Gourlet travaillait aussi à l’arsenal de Lorient comme mécanicien. 
▪ enfin leur fils Jacques, qui a 19 ans. (ADF 178W4).
Au 23 janvier, la préfecture a recensé dans 146 communes sur les 301 que compte le Finistère, soit un total de 1 973 réfugiés lorientais. La Feldkommandantur insiste pour que ces réfugiés quittent le département pour pouvoir assurer aux troupes d’occupation les cantonnements dont elles ont besoin. Le séjour des Lorientais ne sera autorisé que pour certaines situations précises : « séjour chez des ascendants ou descendants, maladies graves, femmes en couches, vieillards intransportables (des certificats médicaux doivent être joints), travail pour les autorités allemandes (avec certificat de l’unité ou de la firme qui emploie le réfugié) ». (Lettre du préfet aux maires, le 16 mars 1943. ADF 200W17). Effectivement, Henri Gourlet souscrit un engagement au titre du Service du Travail Obligatoire et part en Allemagne le 29 mars 1943. Il travaillera à Stettin (en Pologne actuelle), dans une entreprise allemande de transport (Lehmann-Bauër) comme mécanicien-chauffeur (ADF 178W4). Il sera rapatrié le 18 juin 1945. C’est peut-être ce départ au STO qui aura permis à l’ensemble de la famille Le Mouël de rester à Ergué-Gabéric. En ce qui concerne le jeune Jacques Le Mouël, arrivé à Ergué-Gabéric le 16 janvier 1943, l’allocation due aux réfugiés civils indigents lui est versée à partir de ce jour jusqu’ au 30 avril 1943 (ADF 1W19), ce qui signifierait qu’il a disposé de ressources suffisantes à partir du 1er mai. Ce serait peut-être donc à partir du 1er mai 1943 qu’il aurait bénéficié d’un emploi de comptable à la Compagnie Lebon (ADF 200W77). Il décède le 26 juin 1944 et son corps est inhumé à Ergué-Gabéric.
Jean-Louis Le Mouël et sa femme quitteront Ergué-Gabéric à la fin du mois de juillet 1946, tandis que leur fille Jeanne et le jeune fils de celle-ci y resteront encore jusqu’à la fin mai 1947. Tous les quatre avaient été enregistrés comme domiciliés au Bourg lors du recensement de 1946.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 85 - décembre 2014

 

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Trésors d'archives > Guerres > Yves Le Gars

Itinéraire d'un Gabéricois dans la Grande Guerre
Yves Le Gars

 
Né à L’Ile-Tudy le 8 septembre 1895, de Yves, marin-pêcheur, et de Henriette Cluyou. Son père disparaît en mer le 19 février 1900 à la suite du naufrage de son bateau, Le Petit Mousse (voir encart couleur).
 
Le Gars Yves Grande Guerre Ergué GabéricMalgré la mort de son père dans un naufrage, Yves Le Gars embarque à son tour comme mousse, le 5 juillet 1909, sur le Saint-Antoine. Mais la pêche est un métier bien trop dangereux et difficile pour le jeune garçon de 14 ans, qui débarque dès le 8 septembre suivant. Sans doute sollicité par les autorités, à une époque où les aides institutionnalisées n’existent pas, René Bolloré propose alors au jeune mousse un embarquement plus confortable sur le yacht La Linotte, goélette à vapeur de sa belle famille, les Thubé (voir encadrés p. 9), à Nantes. Il navigue ainsi durant toute la saison estivale 1910, de mai à septembre. Selon la tradition familiale, c’est en 1912 que Yves Le Gars est embauché à la papeterie Bolloré, à Odet. Pourtant, on le retrouve sur deux bateaux de pêche inscrits à Pont-l’Abbé, L’Elise et Le Petit René, de janvier 1913 à février 1914. Et il est inscrit maritime définitif le 20 janvier 1914. Le 4 mars 1915, Yves Le Gars est mobilisé au 2e dépôt de la marine à Brest comme matelot de 3e classe. Mais ce même jour, la commission de réforme du 2e arrondissement le reconnaît impropre au service à la mer et exclusivement utilisable dans un service de la marine à terre. A la suite d’une hospitalisation, du 16 mai au 7 juin 1915, il bénéficie d’un mois de convalescence qu’il passe à l’Ile-Tudy. Le 15 avril 1916, il est affecté à l’artillerie du front de mer à Brest. Le 1er janvier 1917, il est promu matelot de 2e classe et le 16 avril il est nommé télégraphiste. Le 16 mai 1917, il est affecté à Rochefort, aux patrouilles du golfe de Gascogne, mais son embarquement est annulé. Il est alors affecté au 4e dépôt de la flotte des équipages à La Rochelle. Le 1er janvier 1918, il est affecté au centre administratif de Rochefort, détaché au Bataillon de recrutement de La Rochelle. Le 28 septembre 1918, il obtient officiellement son titre de matelot-télégraphiste des arsenaux (mais il en touchait la solde depuis septembre 1917). Le 15 octobre 1919, il est placé en congé illimité et se retire à Odet, en Ergué-Gabéric, avant d’être définitivement démobilisé le 4 mars 1920. Entre-temps, en 1918, son jeune frère Joseph, était mort de la grippe espagnole, quelques jours après sa mobilisation dans la marine, à Brest. Dès le 17 juin 1919, Yves Le Gars avait épousé, à Ergué-Gabéric, Jeanne Niger, couturière, dont le père (conducteur de machine à papier) et les sœurs travaillaient à la papeterie. Il effectuera lui-même toute sa carrière aux Papeteries de l’Odet, aux machines à papier tout d’abord, puis comme conducteur de la centrale thermique, avant de terminer garçon de laboratoire. Il décède à Quimper le 18 février 1979.
 
 
Le naufrage du Petit Mousse
En février 1900, un enchaînement de tempêtes, comme rarement vues, est la cause de plusieurs naufrages. Voici en quels termes le journal Le Finistère relate celui du Petit Mousse, bateau de pêche de l’Ile-Tudy : 
▪ « Le 21 février – On peut dire que depuis le 10 février 1900, la tempête a été permanente. Les accalmies ont été courtes dans l’intérieur et sur la côte, le vent ne cesse de souffler avec plus ou moins de violence suivant les heures. Dans la nuit de dimanche à lundi dernier, une nouvelle bourrasque s’est abattue sur Quimper sans occasionner de dégâts nouveaux. Hier, à 3 heures précises, un grain violent, vent, pluie et grêle, survenait brusquement, après quelques heures de soleil. Jamais pareilles perturbations atmosphériques n’ont été constatées. Les marins-pêcheurs ne sortent pas, ou s’ils prennent la mer, ils se tiennent aussi rapprochés des côtes que possible de peur de ne pouvoir fuir à temps les bourrasques qui éclatent tout à coup. La mer est d’ailleurs très dure ».
▪ « Concarneau, le 20 février – Au risque d’être engloutis, quelques audacieux marins n’en ont pas moins tenté des sorties au large. On a trouvé ce matin, dans la baie de La Forêt, le rôle d’équipage du bateau de pêche Petit Mousse, n° 1 735, du port de l’Ile-Tudy, monté par neuf hommes. On craint que ce bateau ne se soit perdu corps et biens, hier dans la matinée, en voulant se réfugier à Concarneau ».
▪ « Le 24 février – Tous les jours la mer rejette à la grève de lugubres épaves, corps humains, ballots de marchandises, débris de mâture ou de bateaux, attestant le nombre et l’importance des sinistres occasionnés par le furieux ouragan du 13 au 14 et par les tempêtes qui ont suivi ».
▪ « L’Ile-Tudy – Le cadavre de Le Gall (Alain-Joseph), âgé de 31 ans, un des matelots du canot de pêche Petit Mousse, n°1 735, du port de l’Ile Tudy, dont nous avions annoncé la disparition, a été trouvé engagé dans un paquet de filets, mardi, vers 1 heure de l’après-midi, sur la grève de Kerlin, en Trégunc, par le brigadier des douanes Le Touze, du poste de Trévignon. Après les formalités d’usage, le corps a été transporté par mer à l’Ile-Tudy, où il a été inhumé. Le Petit Mousse a dû sombrer en baie de Concarneau, dans la nuit du 19 au 20 février. Il est actuellement engagé sur les récifs de la pointe de la Jument. Les avaries à ce canot sont de peu d’importance, ce qui laisse supposer que les hommes auraient été enlevés par une lame sourde. Un béret de marin, un sabot, six écuelles en terre et 46 maquereaux ont été trouvés sur le pont ».
▪ « Après le naufrage du Neptune quelques jours plus tôt, l’émotion est immense dans la région. Le préfet Collignon se déplace à l’Ile-Tudy "visiter les veuves et les orphelins", leur apportant avec des paroles de consolation un premier secours qu’il leur a distribué, en leur donnant l’assurance d’une sympathie qui saura se souvenir. »
Le bureau de bienfaisance de l’Ile-Tudy « a fait distribuer à nos malheureux pêcheurs 160 pains de 5 kilos Cette distribution était nécessaire, car la misère est grande parmi eux. Depuis longtemps on n’avait pas vu un hiver aussi long et une série de tempêtes aussi continue et aussi fertiles en sinistres. Le mauvais temps empêche les pêcheurs de sortir du port et de rien gagner pour leurs besoins et ceux des leurs »
Le maire de la commune, M. Séchez lance un appel à l’aide, via la presse : « Quatorze marins ont trouvé la mort, laissant derrière eux 11 veuves et 25 orphelins. Les secours que l’administration de la marine ne manquera pas de leur accorder ne sauraient empêcher la charité privée de s’exercer. Je viens faire appel, au nom de la malheureuse population que je représente, bien persuadé que le concours de votre publicité sera acquis à cette cause, comme celui de tous les journaux auxquels je m’adresse en même temps qu’à vous ». Deux mois plus tard, l’on retrouve encore de « lugubres cadavres ». Le 12 avril, l’on découvre « au sud de l’île Verte, le cadavre décomposé d’un homme qu’on suppose appartenir à l’équipage du Petit Mousse, naufragé dans la tempête de février dernier ». Le surlendemain c’est, « dans les mêmes parages, la découverte d’un cadavre en décomposition qui paraît provenir aussi du naufrage du Petit Mousse ». Enfin, le 20 avril, c’est devant Le Guilvinec qu’un marin-pêcheur aperçoit un cadavre flottant qui « été reconnu pour être celui du sieur Le Gars, Yves, âgé de 33 ans, marin-pêcheur à l’Ile-Tudy. Cet homme faisait partie de l’équipage du Petit Mousse, qui s’est perdu corps et biens le 19 février dernier. Le Gars était marié et père de trois enfants ».
 
 
Le yacht La Linotte
Le yacht La Linotte BolloréIngénieur civil Eugène Pérignon est un pionnier de la plaisance à vapeur. En 1868, il fait construire La Fauvette, un yacht de 214 tonneaux pour 38, 3 mètres de longueur. En 1888, il fait construire en Angleterre La Linotte, goélette à vapeur de 90 tonneaux, 30 m. de longueur, d’une puissance de 200 chevaux, « type charmant de petit bateau à vapeur rapide, apte à la fois à la navigation de mer et à celle de rivière ». Malgré ses faibles dimensions, La Linotte a de larges emménagements et peut offrir une très noble hospitalité et peut offrir une très noble hospitalité à plusieurs passagers. Sa marche dépasse 12 nœuds, ce qui représente une remarquable « utilisation de la puissance de la machine ». Par la suite Eugène Pérignon fait construire une deuxième Fauvette, avant de décéder à Paris en 1900. C’est sur ce dernier bateau, achetée la même année par sa mère, que Virginie Herriot débuta, comme mousse, une prestigieuse carrière de navigatrice. Quant à La Linotte, c’est en mars 1909 que Gaston Thubé, riche armateur nantais, après avoir fait carrière dans la magistrature, l’achète au Havre, à un dénommé Champrobert. Le yacht rejoint Nantes, son nouveau port d’attache le 10 mars. En mai, Yves Le Gars embarque comme mousse pour participer à la croisière inaugurale de son nouveau propriétaire, un tour de Bretagne. La Linotte est aux Sables-d’Olonne le 9 juillet, au Pouliguen le 12, avant d’arriver finalement à Saint-Malo le 20. Réquisitionnée par la marine nationale à Dieppe le 28 juillet 1916, La Linotte est transformée en patrouilleur auxiliaire. Libérée le 7 février 1919, on la trouve sans doute ensuite comme bateau promenade au Tréport. En souvenir de ce bateau de famille, Marie Amélie Thubé, fille de Gaston Thubé et épouse de l’industriel René Bolloré, donne le nom de Linotte II à une barge hollandaise qu’elle a fait construire, et sur laquelle son fils Gwen-Aël fait ses premières armes de marin, comme mousse. Devenu marin confirmé à son tour, celui-ci achète en 1948 un grand voilier construit lui aussi en Hollande, en 1933, par Camper-Nicholson, sur un plan de l’anglais Halden, et qu’il baptise Linotte III. Ce bateau sera vendu en 1972. Mais le nom de ce charmant petit passereau, quelque peu écervelé à ce qu’il paraît, ne fut pas l’apanage des familles Thubé-Bolloré. Il a donné son nom à bien d’autres bateaux.
 
 
De fameux navigateurs
La famille Thubé s’est particulièrement distinguée dans le monde de la voile. Gaston Thubé fils, beau-frère de René Bolloré, est le premier champion olympique français en voile. Avec ses frères, Jacques et Amédée, il remporte la médaille d’or aux jeux olympiques de Stockholm en 1912, sur le Mac Miche, un 6 mètres JI, devant l’équipage suédois. Il meurt en son château, à Saint-Marc-sur-Mer, en 1974, âgé de 98 ans.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par Jean-François Douguet - Keleier 85 - décembre 2014

 


Trésors d'archives > Guerres > Le coup du STO enquete

Coup du STO : le rapport du lendemain par le commissaire Bodiguel

François Ac'h

 

Croquis des lieuxPour les Gabéricois, la date du 14 janvier 1944 est une grande référence historique. C’est ce vendredi soir, en fin d’après-midi, que quatre jeunes d’Ergué-Gabéric, Fanch Balès, Pierre Le Moigne, Jean Le Corre et Hervé Bénéat, participèrent à l’enlèvement, dans les bureaux du Service du travail obligatoire à Quimper, de l’ensemble des dossiers des jeunes Finistériens désignés ou à désigner pour aller travailler en Allemagne. Pendant une bonne partie de la nuit, ils brûlèrent cette masse de papier dans le four de la boulangerie Balès, au Bourg. 
 
Nous reproduisons ici le rapport établi dès le 15 janvier par le Commissaire Bodiguel et le plan des lieux qui l'illustrait.
 
Quimper, le 15 janvier 1944.
 
Le Commissaire de police à Monsieur le Préfet du Finsitère
 
OBJET : Cambriolage du STO, boulevard de Kerguélen à QUIMPER.
 
J'ai l'honneur de vous rendre compte de ce que le 15 janvier 1944 à 9 h 30 j'ai été avisé que le Service Départemental du Commissariat Intermi-nistériel à la Main d'Œuvre, dont les locaux sont situés boulevard de Kerguélen à QUIMPER, avait été cambriolé pendant la nuit précédente et que l'on s'en était aperçu seulement à la prise du travail. Immédiatement je me suis rendu sur les lieux accompagné du Secrétaire LE JACQ et de l'Inspecteur de Sûreté BLEUZEN, de mon service. Avec M. LANTHEAUME Louis, né le 9 avril 1894 à MENGLON (Drôme), Directeur du service, j'ai constaté que dans le bureau A (voir croquis schématique annexé), tous les dossiers contenus dans les casiers muraux avaient disparu. Il s'agit des fiches de recensement des classes 1939 (4e trimestre) 1940-41-42, de la liste des hommes appartenant aux classes 1932 à 1939 (1er, 2e et 3e trimestres) et de la liste des hommes âgés de 18 à 50 ans, documents concernant les 301 communes du département du Finistère.Dans le bureau B les câbles du standard téléphonique et de l'appareil « de table » ont été sectionnés, et des circulaires administratives ainsi que le courrier qui se trouvaient placés sur des tables ont disparu. Dans le bureau directorial C, contigu au précédent, l'installation téléphonique a été rendue inutilisable et environ 500 imprimés de carte de travail ont été dérobés. 
Dans le bureau D, seuls deux timbres en caoutchouc paraissent avoir été emportés. 
 
Les portes d'accès à ces divers bureaux, qui avaient été fermées à clé hier soir à 18 h 35 en présence du Directeur, ne portent aucune trace d'effraction et ce matin, toutes à l'exception de celle du bureau D, étaient encore fermées à clé. Aucune fenêtre n'a été « forcée ». Il semble donc que les cambrioleurs se sont servis de clés. D'ailleurs les serrures de ces portes sont des plus ordinaires, étant donné que les bureaux dont elles commandent l'accès ne sont que les anciennes salles de classe de l'Ecole privée de l'Espérance.
 
Continuant mes investigations, j'ai découvert dans la cour intérieure et près de l'allée de sortie deux documents émanant du STO et perdus vraisemblablement par les cambrioleurs, qui semblent donc avoir emprunté ce chemin. Deux blouses appartenant à des membres du personnel du STO ont été découvertes sur les marches du perron de l'Office du Travail. Elles ont servi, sans doute, à transporter des dossiers.
 
Confirmant cette hypothèse, Melle KERAVEC Marie-Jeanne, 23 ans, demeurant à Tréguennec et GOULARD Yves, 18 ans, demeurant à Lothey, employés à l'Office départemental du travail, dont le local est contigu au bureau D, ont déclaré qu'hier soir vers 18 h 45, ils avaient remarqué trois à quatre hommes, dont l'un vêtu d'un pardessus et portant chacun un sac sur l'épaule, traverser la cour, se dirigeant vers la sortie du boulevard de Kerguélen où stationnait une voiture automobile, conduite intérieure d'un modèle non aérodynamique, donc assez ancien. Ils avaient pensé qu'il s'agissait de marchandises provenant du service allemand. Or ce dernier n'a transporté ou fait transporter dans cette cour que du charbon vers 17 h. D'autre part, contrairement à l'habitude, le portail de l'entrée du boulevard de Kerguélen, qui était fermé par des militaires allemands tous les soirs à 18 h 35, à l'aide d'une chaîne enserrant les montants internes des deux battants, ne l'a été hier soir qu'après 19 h. Ce matin à l'heure de l'ouverture, c'est-à-dire 8 h, cette chaîne était intacte. En outre, les deux autres issues permettant d'accéder à la cour intérieure sont contrôlées effectivement, l'une par les militaires allemands et l'autre par le personnel de l'Ecole de l'Espérance, occupant diverses parties de l'établissement. Aucun individu n'a pénétré ou n'est sorti par ces issues. M. le Chef du service local de la Sûreté allemande et MM. HIMPELEY et SCHMITT-KOPPEN, de la Feldkommandantur, se sont rendus sur les lieux. 
 
M. KERNEIS Louis, né le 15 novembre 1921 à CHATEAULIN, demeurant 17 rue Pen ar Steir à QUIMPER, a été conduit à la Sûreté allemande pour y subir un interrogatoire, vraisemblablement parce qu'il est l'employé qui a fermé les bureaux B et C et qui a reçu des mains de M. HAMON Yves, né le 8 mai 1895 à GOUEZEC, demeurant 9 rue de Locronan à QUIMPER, la clé du bureau A. 
 
Ce cambriolage a été signalé à l'Intendance de police (trois services régionaux) et diffusé à la Cie de gendarmerie du Finstère, à tous les  commissariats du département et à la Sûreté allemande à QUIMPER. L'enquête est effectuée en envisageant notamment une corrélation possible entre ce cambriolage et l'agression à main armée commise le même jour vers 19 h 15, 22 rue de Pont-l'Abbé à QUIMPER.
 
LE COMMISSAIRE DE POLICE,
Gabriel Bodiguel 
 
 
Avis de menaces sur le commissaire Bodiguel ADF200W73 DSC 4660Le rapport des pages précédentes est établi à partir d'une enquête effectuée par le commissaire Bodiguel et l'inspecteur Bleuzen. Gabriel Bodiguel ne manifeste pas de tolérance particulière pour les « terroristes », en particulier les communistes. D’abord instituteur public, il a passé le concours de Commissaire de police et pris son premier poste en 1938 à la tête de la police municipale de Concarneau. Il rejoindra Quimper le 5 août 1941. Il se mettra prudemment en maladie le 21 janvier 1944, après avoir pris connaissance d’une affiche de menaces de mort le concernant, collée rue du Steïr. Elle est rédigée par le 3e détachement des FTPF.
A ses côtés, l’inspecteur de Sûreté René Bleuzen. Né en décembre 1914 à Tourc’h. D’abord gardien de la paix à la police municipale à Brest, il rejoint Quimper en mars 1943. A l’occasion de son passage de la police municipale à la police d’Etat, il est devenu inspecteur, chargé de l’organisation du service (inspecteur de la Sûreté). En septembre 1943, il entre à « Libé-Nord », alors que la chasse aux « réfractaires » au STO bat son plein. Dans les journées de la Libération de Quimper, il se montrera très actif et très efficace. Il est décédé à Bénodet fin mars 2012, à 97 ans.
 
 
 
 
 
Le coup du STO Jean Le Corre Fanch Balès Hervé Bénéat et Pierre Le MoigneLe « coup du STO », vu 70 ans après 
 
Haut fait de la Résistance à Quimper, le « coup du STO » n’est pas à considérer isolé de tout son contexte : il faut le situer dans une succession d’évènements, que nous évoquons ici.
 
Janvier 1943. l’Allemagne réclame de plus en plus de travailleurs français dans ses usines, et Vichy instaure le 16 février un Service de travail obligatoire qui se substitue à des formules comme « la Relève » qui invoquaient le volontariat. Désormais, le Reich, qui retient déjà plus d'un million de prisonniers de guerre français dans ses frontières, réquisitionne aussi la jeunesse de France, comme elle réquisitionnait déjà le beurre, l’avoine, les chevaux, les logements, les voitures… 
 
1er mars 1943. Rapport du Préfet au Feldkommandant : « le recensement des jeunes gens nés en 1920-1921-1922 est en cours et sera terminé le 4 mars. Les désignations s’effectueront d’après le résultat du recensement actuellement en cours ».
 
24 mars 1943. Lettre véhémente du Feldkommandant au préfet : les ouvriers défaillants conduits au camp d’hébergement surveillé, installés à l'hôpital Gourmelen, sont examinés quatre jours consécutifs par quatre médecins français différents, avec des appréciations sensiblement différentes. Décision : désormais les nouveaux arrivants au camp seront examinés par un seul médecin français, et tous les ouvriers estimés inaptes par ce médecin seront conduits le jour même, sous garde de police, en contre-visite par le médecin-chef de la Kommandantur.
 
12 avril 1943. Le Préfet visite le camp de Lanniron qui pourrait servir de « centre d’hébergement surveillé pour les défaillants ». Il précise au Feldkommandant : « pour éviter toute évasion, il y aura lieu de mettre quatre rangées supplémentaires de fils barbelés ». Le centre restera à l'hôpital Gourmelen.
 
10 mai 1943. L’Office départemental du travail est transféré de Brest à Quimper : la Felkommandantur a réquisitionné pour les Services du travail obligatoire le rez-de-chaussée de l’école de l’Espérance, 9 rue du Frout (trois pièces, ainsi que deux pièces à aménager, véranda) (lettre du Felkommandant Braun au préfet, le 3 mai 1943).
 
1er juin 1943. Le Feldkommandant Braun demande au Préfet de procéder également au recensement des jeunes nés au dernier trimestre 1919.
 
Mars à juillet 1943.  C’est la période où l’appareil de réquisition pour le STO bat son plein : convocations en vue du recensement des jeunes gens par commune, remise d’un « certificat de recensement », visites médicales, établissement de listes d’astreints au STO et d’exemptés, établissement d’un certificat de travail individuel (remplaçant le « certificat de recensement ») à présenter avec la carte d’identité pour tout acte administratif, opération postale, retrait de ticket d’alimentation, contrôle de police… Le défaut de carte de travail vaut désignation automatique pour le STO.
 
Les « défaillants » ou « réfractaires » sont très nombreux. Les autorités allemandes et la police française les recherchent, et pour cela répètent des convocations en mairie. Les réfractaires évitent de se présenter. Les tentatives pour les piéger ne manquent pas, par exemple la distribution des titres d’alimentation organisée à leur intention à une date séparée. (A Quimper, le 1er juillet, un seul sur les 80 jeunes qui se présentent a une carte non valable).
 
Le commissaire aux Renseignements généraux Soutif note dans son bulletin hebdomadaire du 20 au 26 juin 1943 : « L’état d’esprit de la population reste toujours très hostile au travail obligatoire et cette hostilité tend à gagner tous les milieux. Des gens qui semblaient ne pas avoir pris parti jusqu’alors à ce sujet ou qui avaient réservé leur opinion annoncent avec une pointe de satisfaction qu’ils ont appris qu’avec la Savoie et quelques départements du Centre, le Finistère est une des régions où le recrutement est le moins satisfaisant » (BHR 1943, n°22). Il compte pour quatre jours (les 19, 22, 23 et 24 juin) et sur l’ensemble du département 1620 convocations, auxquelles n’ont ré-pondu que 25 jeunes.
 
Semaine suivante, 27 juin au 3 juillet, le même Soutif écrit : « L’hostilité de la population à l’égard du STO va croissant. En ville, de petits rassemblements se forment au passage des jeunes gens conduits au centre d’hébergement par les gendarmes, et les gens ne craignent pas de manifester à haute voix leur indignation. Dans les campagnes, un vaste élan de solidarité prend corps de plus en plus pour faire échapper les jeunes gens au départ pour l’Allemagne. Les gendarmes rencontrent de plus en plus de difficultés lors des arrestations des défaillants. Certains d’entre eux prétendent que dans les fermes les paysans ont créé un véritable dispositif de sécurité pour permettre aux jeunes de prendre la fuite à travers champ dès qu’apparaissent les uniformes noirs et bleus. Généralement, c’est un gamin qui, posté à l’entrée du chemin de terre qui conduit à la ferme, donne l’alerte, et lorsque les gendarmes arrivent à la maison, ils la trouvent vide de tous ses occupants, astreints ou non au STO » (BHR – 1943, n°23). Cette semaine, pour 1 145 convocations, il y avait 30 présents. Le nombre de convocations diminue de semaine en semaine : 745, 131, 69 (pour 34, 8 et 0 présents) et descend à 4 (pour aucun présent) dans la dernière semaine de juillet. 
 
Le 31 juillet 1943, le commissaire Soutif constate : « En dépit des efforts multipliés par la Gendarmerie et la police, les arrestations de défaillants et d’insoumis deviennent de moins en moins nombreuses. Après avoir dépassé largement les 200, le nombre d’arrestations est tombé à moins de 100 par semaine ; il était la semaine dernière de 45 et il est cette semaine de 66. Le personnel chargé des recherches constate qu’ils ne trouvent plus que des jeunes gens en règle. L’Autorité allemande s’est émue de cette situation, et un fonctionnaire allemand venu d’Angers a entrepris, dans le département, en liaison avec des représentants de la police française, des sondages qui, selon les premiers renseignements qui me parviennent, ont été fort décevants. A Quimper, ce fonctionnaire, qui désignait lui-même dans la rue les jeunes gens à contrôler, n’a pu enregistrer aucune arrestation, et, comme il se déplaçait en civil, il a pu entendre les réflexions faites par les jeunes gens contrôlés, ce qui ne lui laissera aucune illusion sur la popularité du STO. » (BHR – 1943, n°27). 
 
Pour la semaine du 1er au 7 août, nous lisons encore : « le rythme des convocations se ralentit considérablement, ce qui fait croire à beaucoup que les pouvoirs publics renoncent, dans une certaine mesure, aux "déportations" sous la pression des évènements extérieurs. Toutefois, le rythme des arrestations se maintient à un niveau élevé, puisque cette semaine encore 96 jeunes gens ont été dirigés sur le Centre d’hébergement du département ». (BHR – 1943, n°28)
 
Juillet 1943 encore. Des communiqués de presse rappellent les sanctions prévues par la loi : une amende administrative de 10 000 à 100 000 F, y compris pour les membres de la famille de l’intéressé, qui auraient sciemment hébergé, aidé ou assisté un « réfractaire ».
 
Septembre-novembre 1943. Le recensement des jeunes gens nés en 1923 est lancé en septembre, et les visites médicales auront lieu à Quimper et dans les cantons voisins  du 25 octobre au 10 novembre.
 
Le 15 octobre 1943, à 22 h 40, un soldat allemand logeant dans l’immeuble de l’école de l’Espérance aperçoit les lueurs d’un feu dans les locaux du STO. Il se saisit d’un extincteur et éteint l’incendie. Suivant l’enquête du commissaire Bodiguel, l’origine volontaire est manifeste : bout de mèche d’amadou, odeurs d’essence, fuite précipitée d’un inconnu…
 
Une trentaine de dossiers contenant les recensements des communes ont brûlé dans la salle des convocations, et autant sont partiellement endommagés. Les dégâts sont considérés comme peu importants, et toutes les données détruites seraient récupérables. Tout laisse penser que les auteurs de cet incendie appartiennent à une organisation « terroriste ».
 
11 novembre : dans la soirée, des « inconnus » tirent quelques coups de revolver sur le directeur du STO, M. Trarieux.
 
30 décembre 1943, à 21 h 15. « Six individus armés d’un pistolet à chaque main et masqués » font irruption au poste de police. L’effet de surprise est total. Les assaillants se saisissent des registres des cartes d’identité, du fichier s’y rapportant et de quelques armes. Ils quittent les lieux en souhaitant une « bonne année » aux six policiers présents. Le lendemain, l’inspecteur Bleuzen, chef de poste, fait son rapport (in Alain Le Grand, Finistère 39-49, Quimper, éd. Daoulan, 1994),
 
14 janvier 1944, soit 15 jours après. Cette fois, cela se passe immédiatement après la fermeture des bureaux du STO à l’école N.D. de l’Espérance. Les « cambrioleurs » sont au nombre de onze, et le coup de main est rapide… Une première enquête est effectuée le lendemain matin par le Commissaire Bodiguel, assisté de l’Inspecteur de Sûreté Bleuzen. C’est ce rapport qui  est présenté dans ce numéro des Keleier d'Arkae, pages 2 et 3.
 
 
Comment les choses évoluent après le 14 janvier 1944 ?
 
Janvier-février 1944. Il y a très peu de départs vers l’Allemagne. Par contre, les jeunes réquisitionnés sont dirigés vers les chantiers Todt : « environ 6 000 hommes dans les communes voisines de la région côtière du département, pour les employer à des travaux stratégiques manifestement destinés à la mise en état de résistance du territoire au débarquement anglo-américain ». (BHR n°1, 1er janvier 1944). Ces réquisitions se font de plus en plus difficiles : « Ceux qui s’étaient rendus sur les lieux de travail les premiers jours n’y retournent pas. Dernièrement, un chantier qui comptait sur 1500 travailleurs n’en vit se présenter qu’un seul… » (BHR n°4, 22 janvier 1944).
 
Mars-avril 1944. Alors que le recensement de la classe 1944 est en cours, suivi des visites médicales, on voit les Allemands s’intéresser aux ouvriers employés dans les usines de conserves de Douarnenez et d’Audierne. Quelques-uns sont désignés pour l'Allemagne. « Il semble bien que les ouvriers, dans leur ensemble, soient décidés à se soustraire par tous les moyens à cette mesure et à ne quitter la France à aucun prix », note le commissaire Soutif (BHR n°10, 4 mars 1944).
 
On sait que le Reich réclame 300 000 ouvriers français. On sait aussi que « malgré les promesses faites, une grande quantité de jeunes gens  des classes 41, 42, 43 ont été saisis sur les chantiers et dirigés vers l’Allemagne. Afin d’éviter de tomber dans le même piège, le nombre d’ouvriers quittant leurs chantiers s’accroît sans cesse, notamment dans la région de Quimperlé » (BHR n°17, 22 avril).
 
Mai-juin 1944. Et voici la saison des rafles. Des hommes de tout âge et de toutes professions sont acheminés vers le Centre d’hébergement de Quimper. Le 9 mai, 56 sont dirigés vers l’Allemagne, 47 la semaine suivante. « Le 20 mai, dans l’après-midi, à partir de 16 heures, des rafles ont été effectuées à Quimper et Kerfeunteun par les autorités allemandes. Des quartiers ont été cernés et de nombreuses arrestations opérées. Les personnes arrêtées ont été conduites vraisemblablement dans un lieu ignoré où doivent avoir lieu les vérifications de situation ». Citons aussi l’arrestation « pour circulation tardive » à Moncouar en Briec le 18 mai de Louis Cogent, Jean Herry, Jean Tanneau et Fanch André. Ils sont partis pour l’Allemagne le 20 mai.  Dans la dernière semaine de mai, 94 hommes de 18 à 35 ans, de toutes professions, quittent Quimper pour l’Allemagne…
 
 
En conclusion
 
1. La politique allemande en matière de recrutement d’ouvriers français aura beaucoup varié. En janvier 1943, quand Hitler prélève 300 000 ouvriers des usines allemandes pour en faire des soldats sur le front russe, Sauckel, chef de la main d'oeuvre du Reich, doit les remplacer d’abord par un recrutement forcé de 250 000 jeunes Français, puis, dans la même année, par d’autres vagues de « requis ». C’est de cette situation que naît le Service du travail obligatoire. Quand ensuite, en fin 1943-début 1944, c’est à l’Ouest que s’annonce un débarquement anglo-américain et que le Mur de l’Atlantique est à construire, c’est dans la zone côtière qu’il faut faire travailler une main-d’œuvre si possible recrutée sur place. 
 
Aussi en janvier 1944 n’y a-t-il pratiquement plus de nouveaux départs pour l’Allemagne, et cependant le recrutement de la classe 1943 est engagé. Le personnel du STO de Quimper comporte une équipe de jeunes étudiants, anciens copains au lycée de La Tour-d’Auvergne à Quimper. Ils ont bénéficié d’un sursis jusqu’au 1er juillet et ont trouvé à s’embaucher en septembre, ce qui a l’avantage de les exempter personnellement d’un départ pour l’Allemagne. Ils ne sont pas là pour se « planquer ». Ils sont entrés dans la Résistance, dans les organisations « Libération-Nord » ou « l’Armée secrète ». Antoine Le Bris et Louis Kerneis sont au STO pour saboter le travail de ce service, comme Laurent Jacq est au Génie rural et René Fauvel à la préfecture. Ils s’assurent la complicité des médecins qui doivent intervenir dans les visites médicales. Ceux-ci établissent des certificats de maladie à ceux qui sont assujettis. S’ils sont en trop bonne santé, ils sont simplement déclarés « à revoir » ; ceux qui sont employés à l’Organisation Todt s’en sortent avec une déclaration d’aptitude… à rester là où ils sont. Ceux enfin qui sont exemptés parce qu'ils travaillent pour l’agriculture ou dans des entreprises d’intérêt majeur pour les occupants sont tous en bonne santé.
 
Jean Le Bris nous raconte la suite dans un texte rédigé par lui en 2010 : « Vers la fin de l’année 1943, le recensement se termine. La préfecture se désespère des résultats obtenus. Les statistiques sont extraordinairement mauvaises. Le directeur du STO, Lantheaume, est interrogé et reconnaît qu’il ne comprend pas. Il tente de convaincre ses rédacteurs à plus d’efficacité. En fait, plus personne ne comprend plus rien […]. Le nombre de fausses cartes délivrées s’élève à près de 3 000. Les Allemands demandent par la suite d’établir des convocations massives par commune. Pour gagner du temps, les rédacteurs se procurent les noms des décédés, des malades, et les convoquent par priorité. Pour permettre aux maquisards de circuler, des attestations provisoires leur sont délivrées. Le sabotage des dossiers de la classe 1943 est réussi ».
 
Il faut faire disparaître tous les dossiers, car les Allemands ne manqueront pas de s’intéresser aux curieux résultats obtenus. Il est nécessaire maintenant pour les résistants du STO de se protéger. Faire intervenir un commando armé en pleine ouverture des bureaux, comme au poste de police le 30 décembre ? Le quartier grouille d’Allemands. Mettre le feu ? La tentative du 15 octobre avait montré que l’idée d’un incendie détruisant rapidement cette masse de papier était à écarter. Reste la solution d’un enlèvement éclair, à un moment opportun, le vendredi soir, nuit tombée, immédiatement après la fermeture des bureaux. Fanch Balès et son équipe d’Ergué-Gabéric sont tout à fait aptes à intervenir pour faire disparaître la cargaison de dossiers. Laurent Jacq obtient l’accord de « Libération-Nord ». Et le « coup du STO » a fonctionné comme une belle mécanique.
 
2. Il est à remarquer que ce qui s’est passé dans les murs de l’école de l’Espérance le 14 janvier 1944, à 18 h 30, fait suite à plusieurs mois d’un refus nettement exprimé, non seulement par les jeunes gens concernés par l’obligation du travail en Allemagne, mais aussi par toute la population, villes et campagnes réunies. Les divergences d’intérêt entre paysans et citadins n’ont pas tenu devant une solidarité qui a joué à plein. Cela, bien que les jeunes agriculteurs fussent exemptés de la réquisition au STO. 
 
Dès le mois de mai 1943, cette attitude est largement partagée, au moment où le Service du travail obligatoire s’installe à l’école ND de l’Espérance. Le STO n’est pas apprécié et le sera de moins en moins : « On n’entend même pas défendre le STO dans les milieux les plus favorables à la Collaboration » (Rapport du commissaire des RG du 3 juillet 1943). Ce même état d’esprit perdure en fin d’année : l’attaque contre le poste de police de Quimper a « mis la population bourgeoise de la ville dans un visible état d’euphorie » (Rapport des RG du 1er janvier 1944).
 
Ainsi, le « coup du STO », loin d’être une intervention d’isolés, est bien la traduction en acte d’une opposition générale à une déportation des travailleurs français en Allemagne.
 
Plaque à la mémoire des résistants du Coup du STO Collège Brizeux QuimperPour aller plus loin, nous vous conseillons de lire ou relire l'ouvrage de Jean Le Corre, Récit d'un résistant déporté, Ergué-Gabéric, Cahier d'Arkae n°2, 2004. Toujours d'actualité.

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 82 - mars 2014

 


Trésors d'archives > Patrimoine religieux > Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Couverture des Mémoires de Duguay Trouin
Un soldat de Quimper, nommé Deschamps,
En visitant Kerdevot, le dernier carême,
A dit au fabricien qu’il a été secouru
Par Marie, dans sa campagne, pendant l’hiver passé.
 
Les soldats qui avaient été avec M. Duguay
Ne pouvaient plus retrouver leur route pour revenir à la maison.
En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse.
Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse.
 
Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; 
Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet,
Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe.
Soutenez-les encore, ô Vierge, dans leurs combats.
 
 
Ce sont là les strophes 30, 31 et 32 de l’« Ancien cantique de Kerdévot », tel qu’il nous est communiqué par l’Abbé Favé, vicaire à Ergué-Gabéric de 1888 à 18971. Elles évoquent « la mise à sac de Rio de Janeiro » en 1711 par le corsaire Duguay-Trouin, et le pèlerinage qui s’en suivit, à Kerdévot, au pardon du 11 septembre 1712, de soldats rescapés de cette expédition qui fit sensation. Nous nous référons ici à la relation faite de ce coup de main plein de panache et d’aventures dans les Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin2 lui-même. Nous voulons ici comprendre la démarche de ces soldats pèlerins d’un jour, qui ont dû impressionner les habitués de Kerdévot.
 
Le long règne de Louis XIV3  fut une succession de guerres menées par lui contre les Etats européens. Sa politique de domination avait mobilisé toutes les ressources de la  Bretagne, imposé de nouveaux impôts4, rompu tout commerce de la province avec l’Angleterre et, du fait du blocus anglais, mis fin aux relations maritimes avec ses autres partenaires habituels. D’où un marasme économique persistant. L’activité des armateurs français qui était, en temps de paix, le transport maritime, devenait, en temps de guerre, la protection des navires français et l’attaque des bateaux ennemis, isolés ou en convois.  Ils armaient pour la « course ». Le « corsaire » fournissait le navire et prenait en charge les frais d’armement. Il se payait en s’appropriant marchandises et bateau. Il agissait sous couvert du roi (sur « lettre de marque »), ce qui lui donnait un statut de combattant, bénéficiant ainsi des règles du droit de la guerre et lui interdisant, par contre, de sortir du cadre défini.

 
Le projet de Duguay-Trouin
Duguay-Trouin, né d’une famille d’armateurs malouins, était un « corsaire » particulièrement audacieux ; en 1708, il comptait à son actif 16 captures de navires de guerre et plus de 300 de marchands. Il est anobli par le roi. Il forme alors un projet important : « une entreprise sur la colonie de Rio de Janeiro, l’une des plus riches et des plus puissantes du Brésil5 », qui est alors possession portugaise. Le Portugal est allié à l’Angleterre contre la France dans le cadre de la Guerre de Succession d’Espagne. Cette opération est menée avec des armateurs amis, qui la montent et la financent. Le roi donne son aval ; par convention, il fournit une douzaine de navires, avec leurs équipages (officiers, marins et soldats), contre versement d’un cinquième du revenu des prises. En somme, un accord de partenariat entre forces militaires du roi et armements privés. L’expédition se donne également pour objectif de délivrer les 600 Français retenus prisonniers à Rio  à la suite de l’échec, l’année précédente, d’une tentative semblable. 

 
La prise de Rio et les périls de la mer
 
Plan de la baie de Rio de Janeiro Mémoires de Duguay Trouin
Le départ de Brest a lieu le 2 juin 1711, après deux mois de préparatifs menés dans la plus grande discrétion. Le 12 septembre, au matin, l’escadre française composée de 18 vaisseaux et frégates, transportant 2000 marins et 4000 soldats, se présente à l’entrée de la baie de Rio de Janeiro. L’assaut final de la ville est donné le 21 septembre : c’est la débandade pour les 12 000 hommes de la garnison portugaise, dont le gouverneur accepte le versement d’une rançon très importante, en argent et marchandises, afin d'éviter la destruction de la ville elle-même après son pillage. 
Le 13 novembre, l’escadre reprend la mer avec le butin (plus d’1,3 tonne d’or, des navires marchands chargés du pillage des entrepôts). Mais le voyage de retour se révèle très périlleux : une forte tempête envoie par le fond deux navires avec leur équipage (1 200 hommes noyés) et une partie du butin accumulé à bord. Les premiers bateaux pénètrent dans la rade de Brest le 2 février 1712. Duguay-Trouin fait le bilan financier de l’expédition, côté armateurs : « les retours des deux vaisseaux que j’avais envoyés à la mer du Sud6, joints à l’or et aux autres effets apportés de Rio de Janeiro payèrent la dépense de mon armement, et donnèrent 92% de profit à ceux qui s’y étaient intéressés…7 ».

 
Le soldat Deschamps et les autres
C’est un des sept mercredis du Carême de 1712, entre le 10 février et le 23 mars, qu’un soldat de Quimper, nommé Deschamps, rentré sain et sauf de l’expédition de Rio, a annoncé au fabricien de Kerdévot la participation au prochain pardon, le 11 septembre, d’un groupe de soldats rescapés, pour exécuter le vœu qu’ils avaient fait à la Vierge au cours de la tempête essuyée au large des Açores. Certaines éditions des Mémoires de Duguay-Trouin donnent pour chaque vaisseau ou frégate de l’escadre de Rio l’état de ses effectifs au moment de l’armement, avec l’indication des commandements attribués. Ainsi la frégate L’Argonaute8, commandée par le chevalier du Bois-de-la-Motte, avait pour second enseigne un dénommé Droualin. Il s’agit de Benjamin Droualin9, un Bigouden, présenté comme faisant partie « de la Compagnie de Dernaud ». Lazare Darnaud apparaît, lui, sur les registres de St-Mathieu de Quimper : il est mort le 11 juillet 1721 à l’âge de 65 ans et est désigné à cette date comme « lieutenant de vaisseau et capitaine d’une compagnie franche de marine10 ». Quant au « soldat Deschamps », il s’agirait de François Deschamps, qui figure sur les registres de Quimper St-Mathieu pour son mariage le 15 octobre 1703 avec Anne Kerbaoul. Il y est effectivement présenté comme « soldat, dit "Belle Rose", dans la Compagnie de Monsieur Darnaud ». Le Cantique de Kerdevot n’indique pas le nombre de ces rescapés de l’escadre de Rio qui ont assisté au pardon du 11 septembre 1712. Nous pouvons cependant déduire qu’il s’agissait d’une partie des soldats de la Compagnie du Capitaine Darnaud, qui comptait des Cornouaillais dans ses rangs et naviguait sur la frégate L'Argonaute.

 
Les compagnies au XVIIIe siècle

Equipage de lArgonaute
Les compagnies franches de Marine sont les ancêtres de nos troupes de Marine actuelles. Elles avaient leurs bases dans les grands ports militaires français (Brest, Rochefort, Toulon et Port-Louis). Dans les années 1710, elles comptaient sur le sol français environ 10 000  soldats, à savoir 100 compagnies de 100 hommes chacune, et dans les colonies environ 5000 soldats. 
Ces soldats sont bien des fantassins formés au maniement du mousquet, au combat à l’épée, aux manœuvres d’attaque et de défense, aux patrouilles, aux parades, mais aussi à l’abordage et à l’attaque à la grenade, au débarquement en terrain hostile. Plusieurs avaient une formation de canonnier. En outre, ces soldats étaient accoutumés à la vie à bord, tout comme aux latitudes tropicales. Les hommes de troupe étaient recrutés en grande partie aux abords des grands ports, mais pas uniquement. L’engagement se durait de 6 à 8 ans. Beaucoup prenaient une identité d’emprunt : « La Fleur », « Boit-sans-soif », « Joli-Cœur », « Brin d’avoine »… ou encore « Belle-Rose », comme Deschamps.

 
« Une espèce de miracle »
 
La rafale The gust 1680 W. v. VeldeLes Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin font un récit intéressant du retour à Brest. « Le 20 décembre, après avoir essuyé bien des vents contraires, nous passâmes la ligne équinoxiale, et le 29 janvier, nous nous trouvâmes à la hauteur des Açores. Jusque-là, toute l’escadre s’était conservée11 ; mais nous fûmes pris sur ces parages de trois coups de vent consécutifs, et si violents qu’ils nous séparèrent tous les uns des autres. Les gros vaisseaux furent dans un danger évident de périr ; Le Lys, que je montais, quoique l’un des meilleurs de l’escadre, ne pouvait gouverner par l’impétuosité du vent ; et je fus obligé de me tenir en personne au gouvernail pendant plus de six heures, et d’être continuellement attentif à prévenir toutes les vagues qui pourraient faire venir le vaisseau en travers. Mon attention n’empêcha pas que toutes mes voiles ne fussent emportées, que toutes mes chaînes de haubans ne fussent rompues les unes après les autres, et que mon grand mât ne rompît entre les deux ponts ; nous faisions d’ailleurs de l’eau à trois pompes, et ma situation devint si pressante au milieu de la nuit, que je me trouvais dans le cas d’avoir recours aux signaux d’incommodité, en tirant des coups de canon, et mettant des feux à mes haubans. Mais tous les vaisseaux de mon escadre, étant pour le moins aussi maltraités que le mien, ne purent me conserver, et je me trouvais avec la seule frégate "l’Argonaute", montée par le chevalier du Bois-de-la-Mothe, qui dans cette occasion voulut bien s’exposer à périr, pour se tenir à portée de me donner du secours.
Cette tempête dura pendant deux jours avec la même violence, et mon vaisseau fut sur le point d’en être abîmé12, en faisant un effort pour joindre trois de mes camarades, que je découvrais sous le vent13. En effet, ayant voulu faire vent arrière sur eux avec les fonds de ma misaine seulement14, une grosse vague vint de l’arrière qui éleva ma poupe en l’air et dans le même instant il en vint une autre encore plus grosse, de l’avant, qui passant par-dessus mon beaupré15 et ma hune de misaine16, engloutit tout le devant de mon vaisseau jusqu’à son grand mât. L’effort qu’il fit pour déplacer cette épouvantable colonne d’eau dont il était affaissé17 nous fit dresser les cheveux, et envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer. La secousse des mâts et de toutes les parties du vaisseau fut si grande que c’est une espèce de miracle que nous n’y ayons pas péri, et je ne le comprends pas encore…18 » Six vaisseaux purent se regrouper à l’issue de la tempête et rejoindre Brest. Deux autres y arrivèrent deux jours après. D’autres purent atteindre La Corogne ou Cayenne. Mais deux autres ne réapparurent jamais : Le Fidèle et, hélas ! Le Magnanime. Ce dernier était commandé par le chevalier de Couerserac, qui fut l’autre grand héros de l’expédition, « mon compagnon fidèle », écrit Duguay-Trouin, « qui dans plusieurs de mes expéditions m’avait secondé avec une valeur peu commune [...] ma confiance en lui était si grande que j’avais fait charger sur le "Magnanime", qu’il montait, plus de six cent mille livres en or et en argent. Ce vaisseau était en outre rempli d’une grande quantité de marchandises ; il est vrai que c’était le plus grand de l’escadre, et le plus capable, en apparence, de résister aux efforts de la tempête, et à ceux des ennemis. Presque toutes nos richesses étaient embarquées sur ce vaisseau, et sur celui que je montais19 ». Image ci contre : La Rafale, W. v. Velde, 1680. Navire en haute mer, pris dans une bourrasque comparable à celle que l'expédition de Duguay-Trouin a pu vivre.

 
Un « magnifique » chapelet remis en ex-voto à Kerdévot
 
"La flotte de Duguay Trouin à l'attaque de Rio" par F. Perrot, 1844
Nous savons ainsi que L’Argonaute, le vaisseau sur lequel était embarquée la Compagnie de Darnaud, a subi les mêmes tourments que ceux supportés par Duguay-Trouin sur Le Lys. Chacun des hommes qui étaient à son bord a pu « envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer ». D’où cet appel au secours, lancé à la Vierge : « En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse. Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse », dit le Cantique. Comme par mouvement d’instinct, ils ont décidé d’aller trouver la Vierge, en reconnaissance, dans l'un de ses sanctuaires connus. Ce serait à Kerdévot. Et c’est le « soldat Deschamps » qui effectua, peu après l’arrivée des navires à Brest, la prise de contact pour préparer la démarche. Ce choix tient certainement à la notoriété de Kerdévot dans une population qui n’est pas celle des campagnes cornouaillaises, mais celle des villes, des milieux des Armées et de la Marine royale : « Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet, Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe ». L’usage est que le pèlerin laisse sur place un « ex-voto », témoin dans le temps de sa reconnaissance pour le secours apporté, terme de l’échange entre protecteur et protégé. L’ex-voto peut être un calvaire érigé après une épidémie de peste (Plougastel-Daoulas), les béquilles de l’estropié guéri, la médaille militaire du soldat rentré au foyer, le tableau représentant l’accident qui « par miracle » n’a pas fait de victime… Dans le cas présent, on ne serait pas étonné de trouver une maquette de la frégate L’Argonaute ou une peinture du bateau dans la tempête. On s’étonne plutôt de trouver un chapelet, objet qui n’est pas spécialement lié à l’image du soudard. On s’étonnera moins, cependant, si le chapelet est en or et en argent, et si on se reporte au récit de Duguay-Trouin : « En entrant dans cette ville abandonnée, je fus surpris de trouver d’abord sur ma route les prisonniers qui étaient restés de la défaite de M. Du Clerc20. Ils avaient, dans la confusion, brisé les portes de leurs prisons, et s’étaient répandus de tous côtés de la ville, pour piller les endroits les plus riches. Cet objet excita l’avidité de nos soldats, et en porta quelques-uns à se débander ; j’en fis faire, sur-le-champ même, un châtiment sévère qui les arrêta ; et j’ordonnai que tous ces prisonniers fussent conduits et consignés dans le fort des bénédictins21. » « Dès le premier jour que j’étais entré dans la ville, j’avais eu un très grand soin de faire rassembler tous les vases sacrés, l’argenterie et les ornements d’église, et je les avais fait mettre, par nos aumôniers, dans de grands coffres, après avoir fait punir de mort tous les soldats ou matelots qui avaient eu l’impiété de les profaner, et qui s’en étaient trouvés saisis. Lorsque je fus sur le point de partir, je confiai ce dépôt aux Jésuites, comme aux seuls ecclésiastiques de ce pays-là qui m’avaient paru dignes de ma confiance ; et je les chargeai de le remettre à l’évêque du lieu22. » Nous pouvons émettre l'hypothèse que les soldats de la Compagnie de Darnaud ont commis eux aussi des actes de pillage, au domicile de riches particuliers ou dans des églises, et ce malgré les mesures dont tient à faire état Duguay-Trouin. Un chapelet en or et argent est relativement facile à dissimuler. Mais quand la tempête se déchaîne sur plusieurs jours et qu’on pense que tout ce qui survient est voulu par la puissance divine, alors les éléments en furie crient au sacrilège et l’esprit est assailli par le remords devant l’impiété reconnue. Le soldat se rend alors à l’évidence : le chapelet est voué à la Vierge, la grande Protectrice ; il faut se rendre à son sanctuaire pour le lui remettre. Si nous nous en sortons, c’est qu’elle y consent. Une hypothèse qui expliquerait un « blanchiment » de chapelet par les compagnons de « Belle-Rose », qui assurément n'étaient pas des « enfants de chœur » !
 
François Ac’h
 
Notes
 
1. Texte en breton et en français (56 strophes) dans BSAF 1891, pages 170 et sv., sous le titre « L’ancien cantique de Kerdevot ».
2. Nous avons consulté le texte des Editions France-Empire, mars 1991, avec présentation par Philippe Clouet.
3. Louis XIV est mort en 1715. Il prit réellement le pouvoir à la mort de Mazarin, en 1661.
4. D’où la Révolte dite des Bonnets rouges, en 1675.
5. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p.128.
6. Ainsi était appelée, en particulier par les pirates, corsaires et armateurs, la partie de l’Océan Pacifique baignant l’Amérique du Sud. C’est dans cette partie de l’empire espagnol (mines du Pérou et de Potosi), plutôt qu’en France, que Duguay-Trouin pouvait vendre certaines marchandises saisies à Rio, par exemple le sucre (pages 155-156).
7. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 163.
8. Frégate munie de 46 canons, avec 287 hommes à bord, dont 51 officiers et mariniers, 97 matelots et 106 soldats.
9. Le grand-père de Benjamin Droualin avait été sénéchal du baron du Pont (Pont-l’Abbé) ; il avait restauré le manoir de Lestrémec, en Tréméoc, pour en faire le berceau d’une famille qui ne cessera de fournir des officiers aux armées et à la Marine. Un frère de Benjamin a été tué au siège de Lille en 1708.
10. A la suite d’un second mariage, il est le père de Jean-Charles Darnaud, « écuyer », qui se marie à Quimper en 1704.
11. Terme de marine : « naviguer sans se perdre de vue ».
12. Sens ancien : « tombé dans un abîme »
13. « dans la direction opposée à celle du vent (d’où vient le vent) »
14. « en faisant gonfler la voile basse du mât d’avant »
15. « mât couché sur l’éperon à la proue d’un vaisseau »
16. « Hune de misaine » : petite plate-forme de bois placée au sommet du mât de misaine
17. « qui l’avait fait tomber à un niveau inférieur sous son poids »
18. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 160-161.
19. Ibid., p. 162.
20. L’hiver 1711, une précédente expédition, conduite par le capitaine Duclerc, avec cinq vaisseaux et un millier de soldats, avait mis le cap sur Rio afin de se saisir à son point de départ de la flotte portugaise transportant vers Lisbonne l’or recueilli au Brésil. Ce fut un échec : 600 hommes restèrent prisonniers à Rio.
21. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 150.
22 Ibid., p. 156.

Dossier réalisé par François Ac'h - Keleier 81 - janvier 2014