Carte des constructions Bolloré à Odet

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Ancienne usine Bolloré Bolloré Technologie Ancienne cité ouvrière de Keranna Chapelle de l'usine Écoles privées Chapelle de Keranna Canal Terrain de Sport


Enquête sur le canal

Article en construction.


Les écoles Bolloré : introduction

Dans les années 1920, René Bolloré II fait construire des écoles privées pour les enfants de ses ouvriers. L'histoire des écoles de Lestonan a été étudiée en détail par François Ac'h et Roger Rault en 2010 dans le cahier n°13 d'Arkae, Les écoles publiques de Lestonan, 1880-1930 : Bolloré et les écoles de Lestonan.

Ecole Sainte-Marie à Lestonan, 1928Précisons d'abord qu'une école publique existait déjà à Lestonan, depuis 1885. Cette école avait été agrandie en 1923, lorsque le nombre d'élèves est monté à 105. D'autres projets d'agrandissement ont été étudiés par la municipalité ensuite.

Vers 1927, René Bolloré fait construire à Lestonan une école privée pour les filles. L'école Sainte-Marie ouvre en 1928. L'année suivante, le patron des papeteries ouvre une école privée, Saint-Joseph, pour les garçons. La même année, il a le projet d'ouvrir une école publique dans le quartier de Saint-André.

Il souhaitera aussi transformer l'école publique de Lestonan en asile pour vieillards, mais le projet n'aboutira pas.

Construction de l'école Saint Joseph à Lestonan en 1929

Ecole Ste Marie à Odet

Ecole Saint-Joseph à Lestonan

De haut en bas : l'école Sainte-Marie en 1928 ; la construction de l'école Saint-Joseph en 1929 ;
les filles de l'école Sainte-Marie, s.d. ; les garçons de l'école Saint-Joseph, s. d.

 


Marie-Véronique Blanchard, sage-femme des papeteries d'Odet

Marie-Annick Lemoine a recueilli dans Mémoires de Lestonan les témoignages d’habitants qui ont côtoyé, de près ou de loin, la sage-femme des papeteries. À partir de ces informations, elle a pu recomposer la vie et le parcours de Marie-Véronique Blanchard.

 

« Marie-Véronique Blanchard » : dites ce nom aux Gabéricois de souche, nés dans un créneau allant de 1905 à 1955 environ, et vous entendrez fuser ce genre de phrases spontanées : Elle me rappelle les visites médicales, avec ses « cuti » ; Elle m’a assistée, chez moi, pour la naissance de mes enfants ; Je suis un « bébé Blanchard » ; (et peut-être) Ce n’est pas un très bon souvenir pour moi.

 

Généalogie

Qui était donc Madame Blanchard ? Elle est née Marie-Véronique Berthomé, le 6 février 1896, à Anlier, en Belgique, fille de Jean-Jules Berthomé et de Marie-Célestine Guillaume. Ses parents s’étaient mariés à Anlier également, le 5 juillet 1893. Elle avait un frère, Eugène, né en 1894, et deux sœurs, Marie-Lucie et Jeanne-Hélène, nées respectivement en 1899 et 1901. Son père était originaire de Vers, dans les Deux-Sèvres (79). Yves-Marie Blanchard, son mari, est né à Quimper, rue Saint-Mathieu, le 7 août 1894 ; il était le fils de Jean-Marie Blanchard, né à Quimper, cocher, et de Marie-Louise Péron, née à Langolen, ménagère.

 

Mariage, enfants et installation à Ergué-Gabéric

Famille de Marie-Véronique Blanchard_Fonds MA LemoineYves-Marie Blanchard et Marie-Véronique Berthomé se marient à Namur en Belgique, le 28 août 1920 ; ils se sont connus pendant la guerre 1914-1918 : lui, a été blessé et soigné à Charleroi, où elle était infirmière, semble-t-il. De leur union naîtront à Ergué-Gabéric : Yvette en 1921, Denise en 1924, et Albert en 1929. Yvette est décédée jeune (à 16 ans) à Ergué-Gabéric, en mars 1937. Denise vivait à Saint-Brieuc et est décédée en mars 2006. Albert vit à Quimper et fréquente toujours Ergué-Gabéric, où on peut le voir régulièrement soutenir les « Paotred Dispount ». Personne ne nous a indiqué le moment exact de son installation : sans doute assez vite après son mariage, puisque les trois enfants sont nés à Ergué-gabéric. Monsieur et Madame Blanchard ont habité dans une maison de la cité de Keranna, autour du puits. [Ci contre : Marie-Véronique Blanchard en famille, 1re à gauche, assise]

 

Embauche à la papeterie d’Odet

MV Blanchard cadrage Fonds MA Lemoine2Yves-Marie Blanchard travaillait à l’usine Bolloré à Odet. C’est René Bolloré qui demanda à Madame Blanchard de s’installer à Ergué-Gabéric comme sage-femme et « conseillère » en prévention infantile : René Bolloré avait constaté que des ouvrières ou des femmes d’ouvriers de l’usine mouraient jeunes et en couches. Madame Blanchard était salariée de la papeterie et donc payée par l’usine. Madame Blanchard pratiquait des accouchements pour les femmes travaillant à l’usine et les épouses des ouvriers. Elle assurait aussi le suivi après l’accouchement. [Ci-contre : Marie-Véronique Blanchard]

 

Avant l’accouchement

Les soins avant accouchement ne se pratiquaient pas encore. Les examens prénataux actuels n’existaient pas, et il y avait parfois des surprises, par exemple des jumeaux absolument pas attendus. Ainsi ces jumeaux, garçon et fille, pour lesquels on n’avait pas pensé aux prénoms : ils ont eu les prénoms des deux enfants de la sage-femme.

 

 

Pendant l’accouchement

Pendant quelque temps, Mme Blanchard se rendait chez les patientes à pied ou en char à bancs. Quand la voiture automobile apparaît, elle est la première femme d’Ergué-Gabéric à détenir un permis de conduire, et sa première voiture sera une « Rosengard », bien connue de tout le monde : tous s’empressaient de dégager la route dès qu’elle se pointait à l’horizon. Car c’était toujours urgent quand elle arrivait ! Son secteur était assez étendu : Ergué-Gabéric bien sûr, mais aussi Elliant, Briec, Coray… Outre les femmes de l’usine, Madame Blanchard a en effet accouché et soigné des femmes de la campagne, sur Ergué-Gabéric et Briec, et dans les communes avoisinantes. Elle était souvent payée dans ce cas en nature : en pommes de terre ou autres produits agricoles. Nous n’avons pas eu beaucoup de renseignements à ce sujet.
L’accouchement ne se passait pas toujours bien ; il pouvait y avoir du retard pour venir sur les lieux, ou pour prendre les bonnes décisions, ou encore des gestes malencontreux ; la responsabilité de la sage-femme était grande, et quand ça se présentait mal, on demandait au médecin de venir à la rescousse. Ainsi les docteurs Cottin, Maloisel (célèbre pour sa pipe et son abaisse-langue), Bourlès, Cornic, Renaut, Guivarch, et Piriou de Quimper, les docteurs Favennec et Kergoat de Briec…
Les bébés qui ont été mis au monde par Madame Blanchard sont, paraît-t-il, facilement reconnaissables, car elle leur faisait un joli « skloum », et ils ont de jolis nombrils !!!

 

Après l’accouchement

Nous avons interrogé des femmes qu’elle a accouchées et avons ainsi appris que : d’une part il n’y avait pas beaucoup de soins avant l’accouchement, et d’autre part, quand l’enfant était né, les mères devaient rester couchées pendant huit jours : elles étaient « coucounées » pendant ce temps-là. Madame Blanchard prenait soin du bébé, tandis que d’autres femmes venaient aider les mamans qui venaient d’accoucher. Les femmes qui travaillaient à l’usine récupéraient un grand morceau de tissu de feutre, très doux et résistant, dans lequel elles découpaient des langes pour les bébés.
Quand les mamans reprenaient le travail après l’arrêt nécessaire, les bébés étaient envoyés à l’usine, à heures régulières. De ce point de vue, « Briec était arriéré par rapport à Ergué-Gabéric », nous dit une de ces mamans.

 

Candidature aux élections de 1945

Madame Blanchard assurait un important rôle social, par les soins qu’elle donnait. Elle s’est aussi présentée aux suffrages des électeurs le 13 mai 1945. C’était l’élection du premier conseil municipal au suffrage universel, puisque c’était la première fois que les femmes votaient. La liste sur laquelle elle était inscrite n’a pas eu grand succès, et elle n’a pas été élue. Elle habitait Tréodet à ce moment-là.

 

Retraite

Elle a exercé son métier de sage-femme pendant près de 50 ans. Son dernier accouchement aurait eu lieu vers 1956. Elle s’est retirée à Saint-Brieuc, près de sa fille, et c’est là qu’elle est décédée, vers l’âge de 80 ans.

 

Marie-Annick Lemoine


Marjan Mao, délisseuse à la papeterie d'Odet

Dans Moulins à papier de Bretagne, édité par Skol Vreizh en 1989, Marjan Mao a laissé un témoignage précieux sur le travail des femmes à la papeterie Bolloré. Elle retrace non seulement les étapes de la transformation du chiffon en papier au début du XXe siècle, mais aussi les conditions de sa vie d'ouvrière. Le témoignage avait été recueilli en breton et traduit partiellement en français. Bernez Rouz l'a retraduit ici dans son intégralité.

Marjan Mao pel Lourdes 1928Labourat 'm eus e ti Bolloré abaoe 41 bloaz, etre 1920 ha 1961. Ganet on e 1902. Pa oan aet e 1920, e oamp 54 maoues er "chiffonnerie". Bez e oa bet daw lakaad niverennoù ewid liñserioù peb heni peogwir e oamp ken niverus! Eus ar Russi eoa al lien o tont : chaossoneier d'ar voussed, loereier... trist gweled aneho, traou lor! Ar pilhoù-se a veze memestra desinfektet en araog. Ewid troc'hañ ar pilhoù e tammoù bihan e oa un daolig goad vihan. C'hwi 'oa asezet er penn all o rampañ hag ur falz 'oa plantet gant an tu lemm en tu all. Goudese e oa ur gasset vihan ewid lakaad ar pezh 'poa gwraet. Ma oa traou lovr e oa ur "grille" e-kichen ewid tenn ar poucher kuit eos ousto. Peb sort traou a oa toud : stoup, fissel, kerden ha ne oant ket mad, ur bern traou lovr! Da gentañ e oa gwraet tammoù hir gant ae pilhoù paket en ho torn er mod-se, un tu en ho torn, an heni all o pegañ e-barzh an tamm pilhoù. Pa poa gwraet un dornad mad, c'hwi a bassee aneho e mod-se ewid ober tammoù bihan. Gwraet e oa tammoù e-gis palv ma dorn ase a oa mad. Med an tammoù-se ne oa ket toud heñvel neuse, lod aneho ne oant nemed tammoù lass. Da gentañ toud e veze labouret gant ar vouc'hal, ar falz... Ar vouc'hal-se a oa bihan, ur vouc'halig lemm a oa gant daou benn ewid troc'hañ kerden, fissel, rouedoù. Peb heni a oa red dehañ mont da ger'had ur pakad pilhoù 200 livr war e gein. Daw e oa bannañ kuit toud ar pezh na oa ket mad... Lakaet e oa toud ar boutonioù e-barzh ar "poucher". A re vad a oa daspugnet ha kasset d'ar gêr hag ar re all a oa lakaet e-touesk ar poucher dindan ar "grille". Ha goudese pa oa ur bern, e oamp o kass anehañ e-barzh ur sac'h war hor c'hein d'un tu bennag e-barzh ar c'hoad. An dra-se a rae deomp ur bourmenadenn - kuit da chom e-barzh an usin e-touesk ar poucher - war vord ar stêr pe e Keranna.

Eizh eurwezh bemdez e veze labouret e-barzh ar "chiffonerie" epad an deiz. Ha da greisteiz e oa red redeg ewid mont d'ar gêr d'ober merenn. Leun a boultr e oa toud ar pilhoù-se hag e oan o poussañ epad an nos. Daw e oa din asezañ e-barzh ma gwele kemendall a boucher a oa ganin... Hag hon dilhad deomp pegen lor e oant! Soñj 'm eus, forzh pelec'h ez aemp e oa c'hwes ar pilhoù ganeomp. Ar re-gozh ne faote ke deho e veze lakaet un "aspirateur" ewid tennañ ar poucher kuit. Bet'oa deuet ur mare hag a oa bet deuet ur sort "ventilateur". Hennezh a veze gwraet ar "moulut" anehañ. Hennezh a droe e mod-se hag ar poultr a yae er maes. Goudese e oa deuet ur mekanik da droc'hañ aneho ha ne oa d'ar mare-se nemed triañ aneho ha ne oa ket daw chom da droc'hañ aneho bihan er mod-se. Deuet e oa ar mekanik-se araog ar bresel, er bloawezh 1935-36.

Goudese e oa "la lessive" e-barzh ur pezh mell childourenn. Reoù hir a oa da gentañ pa oan aet ha goudese e oa gwraet daou newez, re ront ha bras. Bez e oa unan o vont e-barzh al "lessiveur" da flastrañ ar pilhoù memes ma n'en doa ket droed d'henn ober ewid fourañ ar pilhoù gant ur vazh koad. Dont a rae ar pilhoù gwalc'het eus ar chidourenn-se. Paet e oamp herwez ar bailhoù (lessiveurs) gwraet ganeomp. A-wechoù e oa daou d'ober, a-wechoù tri pe pewar. Start e oa al labour. Er bloawezh 1924, pa 'm boa dimezet, em boa gwraet 800 lur en ur mis hag am boa paeet toud ma frejoù dimeziñ ganto. Goudese e veze lakaet ar pilhoù e-barzh ar "piloù" ewid bezañ dineudet ha gwennet ha 'benn ar fin e oa toas kros. Tennet e oa an toas-se gant ur vac'h ha lakaet anehañ en ur "pil" all da dorriñ anehañ finnoc'h. Red e oa d'an toas bezañ fin tre ewid ober paper.

 

J’ai travaillé chez Bolloré pendant 41 ans, de 1920 à 1961. Je suis née en 1902. Quand j’ai commencé, en 1920, on était 54 femmes à la chiffonnerie. On devait mettre des numéros sur les draps qu'on remplissait de chiffons, car on était très nombreuses. Les chiffons venaient de Russie : c’étaient des chaussons d’enfant, des chaussettes... C’était triste de les voir, tellement ils étaient sales. Ces chiffons étaient quand même désinfectés avant le découpage. Pour les couper en petits morceaux, on avait une petite table. Vous étiez assis d’un côté, les jambes écartées ; et une faux aiguisée était plantée de l’autre côté. On avait une petite caisse pour mettre ce qu’on avait découpé. Si c’était trop sale, on se servait d’une grille pour enlever la poussière. On voyait de tout : de l’étoupe, de la ficelle, des cordes qui n’étaient pas bonnes, beaucoup de saletés. Dans un premier temps, on découpait des pièces en longueur, en tenant le chiffon d’un bout à l’autre. Quand vous aviez fait un beau tas, vous repassiez les chiffons sur la faux pour en faire de petits bouts de la taille d’une paume. Mais les morceaux n’étaient pas identiques, certains ressemblaient à des ficelles. Il fallait travailler avec la hache, une petite hache à deux tranchants, aiguisée pour les cordes, les filets et les ficelles. Chacune d’entre nous devait aller chercher son paquet de chiffons (100 kilos) et le porter sur le dos. Il fallait jeter tout ce qui n’était pas bon. Les boutons, on les jetait dans la poussière. On ramenait les bons à la maison, les autres étaient mis sous grille. Quand on avait formé un bon tas, on le mettait dans un sac, sur notre dos, et on l’amenait dans le bois. Ça nous faisait une promenade au bord de la rivière ou à Keranna, ça nous sortait de la poussière de l’usine.

On travaillait 8 heures par jour à la chiffonnerie. A midi, on courrait à la maison préparer le déjeuner. Tous ces chiffons étaient remplis de poussière et on toussait pendant la nuit. Il fallait que je dorme assise, tellement j'avalais de poussière. Et nos habits, qu’ils étaient sales ! Partout où on allait, on sentait la poussière. Les anciens ne voulaient pas qu’on prenne un aspirateur. Mais ensuite, on nous a mis un ventilateur. On l’appelait le « moulut ». Il tournait en permanence et propulsait la poussière dehors. Puis on nous a installé une machine à déchirer les chiffons. On n’avait plus qu’à les trier et les couper en petits morceaux. Cette machine est arrivée en 1935-36, avant la guerre.

Dans un second temps, on lessivait les chiffons dans une grande marmite. Au début, la marmite était de forme allongée, puis elle a été remplacée par deux lessiveuses, de forme ronde. L’une d’entre nous allait dans la marmite pour tasser les chiffons avec un morceau de bois, même si elle n’en avait pas le droit. On ressortait ensuite les chiffons des lessiveuses. On était payées au nombre de lessives par jour : parfois deux, jusqu’à quatre. Le travail était dur. Quand je me suis mariée, en 1924, j’avais gagné 800 francs dans le mois : avec ça, j’ai payé tous les frais de la noce. Enfin, les chiffons étaient mis dans une deuxième pile pour casser les fibres, les blanchir et en faire une pâte grossière. Après ça, on enlevait la pâte avec un croc et on la transvasait dans une autre pile, où la pâte était encore affinée. La pâte devait être très fine pour faire du papier.

Photographie : Marjan Mao lors d'un pélerinage à Lourdes en 1928.