Les fêtes et loisirs, par Pierre Faucher

Au début du XXe siècle naît en Europe une société de loisir. À l'instar de leurs contemporains, les Bolloré organisent des évènements festifs et favorisent les sports dans leur communauté. Dans son étude de la papeterie d'Odet, Pierre Faucher a réalisé une synthèse sur cet aspect de la vie des papetiers.

Vincent Bolloré dit volontiers que son grand-père, René II, aimait que l'on organise des fêtes, des loisirs, des manifestations religieuses... Lui-même souhaite que l'on saisisse les occasions qui se présentent pour se retrouver dans un environnement différent des préoccupations habituelles de l'entreprise.

Depuis le décès de Gwenn-Aël Bolloré, en 2011, la société Bolloré a rénové le manoir et son cadre agreste : il y a là, en effet, un parc et quelques éléments notables, dont un séquoïa californien (hypérion cornouaillais planté au début du XXe siècle et classé par Mikaël Jézégou parmi les Arbres remarquables du Finistère). La famille y accueille non seulement ceux qui particpent aux activités Bolloré, mais aussi des personnalités politiques. Ce fut le cas en 2014 avec la venue de François Hollande, président de la République, et en 2016, avec celle de Manuel Valls, premier ministre.

Lorsqu'il dirigeait les papeteries (1905-1935), René Bolloré II organisait de grandes rencontres, "team buildings" avant l'heure, pour induire de la cohésion dans l'entreprise. Plusieurs d'elles sont restées dans la mémoire collective : le mariage de René Bolloré et Marie Thubé en 1911, la fête du centenaire en 1922, les anniversaires et les multiples remises de médailles du travail... Très intuitif dans le domaine, René Bolloré II a pratiqué à fortes doses cette manière de management. Vincent Bolloré perpétue cette volonté de graver son passage dans la chronologie de la société Bolloré.

On peut classer en trois catégories les fêtes et loisirs à Odet :

 

Les fêtes religieuses

La religion tient une place conséquente dans la vie de la famille Bolloré. Dans l'entre-deux-guerres, une messe est donnée chaque jour à la chapelle Saint-René. À cette époque, certaines dates religieuses sont célébrées tous les ans à Odet, telle la Fête-Dieu, qui a lieu en mai-juin, le dimanche après la Pentecôte. À cette occasion, les fidèles défilent en des processions très fleuries dans le parc autour du manoir. La plus prestigieuse de ces célébrations fut celle de 1918 (voir ci-dessous).

La fête Dieu au manoir dOdet

 

Les fêtes d'entreprise

Ces évènements qui réunissent tout le personnel ont lieu à des moments importants de la vie des papeteries et de leurs responsables. La plus importante de ces manifestations fut la fête du centenaire, en juin 1922. Elle dura une semaine et les participants en gardèrent un vif souvenir. D'autres fêtes auront encore lieu. En 1927, le premier dimanche de mai, l'entreprise célèbre les 80 ans de madame Bolloré mère. Mille deux cents convives descendent l'Odet pour festoyer à Bénodet. En 1929, René Bolloré II fête ses 25 ans de patronat, un dimanche 15 septembre. Cette fois, 1400 personnes sont conviées à un banquet installé sous une vaste tente, à Keranna et dans la prairie de Meilh Mogueric. Là aussi, les invités descendent à Bénodet et aux Glénan.

 

1929 25 ans de patronat de René Bolloré

Banquet aux 25 ans de patronat de René Bolloré, 1929. © Étienne Le Grand.

 

80 ans de Mme Bolloré remise de médailles

Remise de médailles du travail aux 80 ans de Mme Bolloré, 1927. René Bolloré II se trouve au premier plan. On aperçoit le photographe (studios Le Grand) et la chapelle Saint-René à l'arrière-plan. © Étienne Le Grand.

 

Les évènements sportifs et le patronage d'Odet

Dès 1928, René Bolloré met à la disposition des Paotred Dispount, l'équipe de football gabéricoise, des terrains à Keranna, en face de la cité ouvrière et en contrebas des jardins ouvriers. Un terrain de sport en bonne et due forme est aménagé, favorisant les activités de la société de gymnastique, puis celles du club de football. Vers 1930, le patronage d'Odet est construit sous la forme d'une salle multi-fonctions. Il sera inauguré le 6 septembre 1931, comme le relate Jean Guéguen dans son histoire du patronage d'Odet. Les Paotred Dispount célèbrent en 2013 leurs cent ans d'existence. A cette occcasion, ils éditent un DVD, ainsi qu'un livre-souvenir richement illustré : Les cent ans des Paotred Dispount (1913-2013). Ces deux documents sont consultables chez Arkae. Pour plus d'informations, on pourra aussi visiter le site des Paotred, où figure une chronologie détaillée.

 Les Paotred Dispount posent devant le patronage

Les Paotred Dispount posent devant le patronage.

 

Pierre Faucher


La vie ouvrière dans les années 1960-80

Plusieurs aspects de la vie des papetiers dans les décennies qui précèdent la fermeture de l'usine ont été rapportés par les anciens et documentés ici par Pierre Faucher.

 

Horaires

Les horaires de travail du personnel dans les années 1960-80 varient selon les postes :
- personnel administratif : 8 h 30 à 12 h et 13 h 30 à 18 h
- entretien : mécaniciens, électriciens, peintres, couvreurs, menuisiers, manœuvres de cour : 8 h 30 à 12 h et 13 h 30 à 17 h 30
- personnel de fabrication :
chiffonnerie : 8 h à 12 h et 13 h 30 à 17 h 30
lessivage : même horaires (sauf parfois suivant la demande de fabrication)
raffineurs, blanchiseurs, machines à papier : avant 1940, les ouvriers fonctionnent en horaires 3 x 8 h ; après 1940 en 4 x 8 h
façonnage, bobinage : 2 x 8 h
expédition : horaires de jour, variables selon la demande.

 

Médailles de travail

Chaque année, vers le 1er mai, les personnels qui avaient de l'ancienneté se voyaient remettre une médaille de travail par le directeur général ou le président directeur général.


La fête du centenaire de 1922 en photos

Ce diaporama a été réalisé fin 2006 à partir d’une interview d’Henri Le Gars et Jean Guéguen par Jean Cognard dans le cadre de recherches pour l’association Arkae. Le document présente et commente les 55 cartes postales éditées par Joseph-Marie Villard en 1922 à l'occasion du centenaire des papeteries Bolloré. Il a été projeté le samedi 20 janvier 2007, lors d’une assemblée générale d’Arkae, et commenté par Henri Le Gars.

Ces cartes sont, à notre connaissance, le seul support imprimé communiquant sur l’évènement. L’un des défis que posent ces photographies, près de 95 ans plus tard, est d’identifier les personnes représentées. C’est ici qu’ont été précieuses les mémoires de Jean Guéguen et Henri Le Gars. Ce dernier a vécu dans la cité de Keranna pendant près de 45 ans et fait toute sa carrière dans les papeteries Bolloré. Né quelques années après, il a néanmoins pu reconnaître une partie des personnes photographiées. Il raconte que ce centenaire avait donné lieu à une semaine de festivités gratuites qui marquèrent les mémoires des habitants de Lestonan.

Visionnez et/ou téléchargez le diaporama « Fête du centenaire de la papeterie Bolloré à Odet en 1922 ».


La papeterie d'Odet et la religion

Dans son étude/inventaire sur la papeterie d'odet (classeur à consulter à Arkae), Pierre Faucher a retracé la vie de la papeterie sous l'angle de la religion, de 1822 à 1968. Précisons que nous disposons sur ce sujet de sources très subjectives, dont la fiabilité reste à établir.

 

Nicolas Le Marié

Le portrait brossé par l'abbé Fouët, dans son [discours du centenaire], est dithyrambique. Citons-le, néanmoins : "[Nicolas Le Marié est un] chrétien austère vis-à-vis de lui-même [...] le jeûne entier du carême, dit-il, au repas unique comme on l'entendait alors, était un jeu pour cette nature robuste. Il recueillait sous son toit les déshérités de la famille et était bon pour les pauvres, c'était la providence d'Ergué-Gabéric et de la région de Quimper". Notons cependant que Marie-Eugénie, la fille de Nicolas Le Marié, seule survivante de la famille, se fera religieuse. Elle donnera également 800 F à la paroisse de Pleuven en 1868, à charge de faire dire à perpétuité une messe basse par mois pour sa famille.

 

Jean-René Bolloré

Après avoir soigné les pauvres de Kerfeuntun en tant que médecin, il entamme une carrière de directeur à la papeterie d'Odet. Son épouse, Eliza, qui gèrera le service administratif de la papeterie après le décès de son mari, aura aussi une correspondance régulière avec l'évêque de Quimper pendant une dizaine d'années. Un exemplaire de ses lettres a été conservé.

 

René Bolloré II

Image pieuse mort Bolloré fils 1949Dans la période d'opulence que connaît la papeterie, il intervient fortement dans tout ce qui touche au domaine religieux. Il achète le Likès, le lycée de Quimper, tenu par les frères des Écoles chrétiennes en 1907, et loue à l'évêché pour l'installation du petit séminaire. Il construit des écoles "libres" chrétiennes à Lestonan en 1928 et 1929. Nous renvoyons ici au cahier d'Arkae sur les [écoles Bolloré].
L'engagement de René II dans l'enseignement catholique est conséquent dans cette période qui fait suite à la séparation de l'Église et de l'État (1905). Plus tard, avec la construction de la chapelle Saint-René à Odet en 1922 (et la construction de celle de Cascadec en 1925), des messes sont dites régulièrement "pour la prospérité de l'usine et le bien des ouvriers". Un prêtre résidera à Odet dans "la maison du curé" de 1929 à 1968, au bord de la route de Briec.
Quatre prêtres ont été nommés par l'évêque "vicaires à Odet" de 1929 à 1968 : Auguste Hanras (1929-1931), Yves Le Goff (1931-1939), Jean Corre (1955-1960) et Jean-Marie Breton (1960-1968). L'abbé Louis Le Gall, vicaire de 1913 à 1927, qui résidait au presbytère du bourg d'Ergué-Gabéric, jette les bases des Paotred Dispount et des activités autour du patronage et du terrain de sport de Keranna.
Cette période du XXe siècle à la papeterie est marquée par un catholicisme social. La volonté d'assurer au mieux la vie sociale des ouvriers est contrebalancée par un certain autoritarisme dans le cadre du travail en usine. Par ailleurs, la politique salariale de Bolloré elle-même est placée sous le signe des garanties sociales (caisse de retraite, égalité salariale hommes-femmes...).
Cependant, même si aucun document ne l'atteste, mais on peut imaginer que ce cadre moral ait pesé sur les employés et ouvriers, notamment en ce qui concerne la pratique religieuse et le placement des enfants dans les écoles. On pourra évoquer une polémique entre les ouvriers et la famille Bolloré, dont on perçoit les échos dans la revue ArMen en 1990 (Michel Bolloré défendant son père sur le sujet de la liberté religieuse).
En janvier 1935, l'inhumation de René Bolloré a lieu à Ergué-Gabéric, en présence de nombreux évêques et prêtres (selon "Une histoire de famille" de Jean Bothorel). Les usines seraient restées fermées du jour de sa mort jusqu'à son enterrement auquel assiste une grande foule, composée des employés.

 

Gaston Thubé

Après le décès de René II et avec l'avènement du Front populaire, le prêche de l'évêque de Quimper (qui se dit basé sur "la justice, la solidarité et la collaboration des classes") ne peut être que favorablement entendu par Gaston Thubé et son adjoint, René III. Mais pour eux, comme pour l'évêque, les notions de "lutte des classes", d'"expropriation capitaliste", de "grêve générale", d'"action directe" sont en opposition avec la morale chrétienne, et même la morale tout court. Selon Jean Bothorel, la Confédération française des travailleurs chrétiens fait recette aux usines d'Odet et de Cascadec.

 

Les années 1960

Cette décennie voit aboutir la dissociation travail/religion à Odet. Une page importante est tournée : la population ouvrière demande que la pratique religieuse soit dissociée du lieu de travail et réalisée en dehors du périmètre de la papeterie. C'est ainsi qu'est construite la chapelle de Keranna, sur un terrain donné par la famille Bolloré à la paroisse d'Ergué-Gabéric. La chapelle ouvre en 1968. Contrairement à la chapelle Saint-René, elle se situe en dehors de l'enceinte de l'usine et jouxte le terrain de sport des Paotred et la cité ouvrière. Les frères Lamenais et les filles du Saint-Esprit, installées à l'origine par René Bolloré pour diriger ses écoles, animent le culte à Keranna.


Marjan Mao : des enregistrements et une partition

Connaissez vous Marjan Mao ? Cette ouvrière papetière décédée en 1988 à l’âge de 86 ans est devenue une véritable vedette des médias dans les années 80. Pourtant sa première apparition sur les écrans date de 1922 : elle a été filmée dans une course à pieds lors du centenaire de la papeterie Bolloré. En 1979 une équipe de collecteurs de Daspugnerien Bro C’hlazig enregistre une quinzaine de chansons et de complaintes apprises auprès de sa mère et de sa tante. L’exceptionnelle qualité de ce répertoire, ainsi que sa propre vie d’ouvrière, attire les équipes de France 3 qui tournent un film en 1981 [Ur Vuhez a vicherourez (Une vie de travailleuse)] à Stang Odet et à la papeterie juste avant qu’elle ferme. Ce film donnera lieu à une mémorable avant-première chez Quéré. Il est conservé aujourd’hui à l'Institut national de l'audiovisuel. Marjan Mao fera l’objet de plusieurs articles dans la presse locale ainsi qu’une émission radio sur Radio France Bretagne Ouest.

Pour écouter les enregistrements des chansons de Marjan, nous vous donnons rendez-vous sur le site de Dastum (Dastumédia). Notez que pour accéder aux fichiers audio accrochés aux notices "Archives sonores", vous devez créer votre compte sur le site. Voici la page consacrée à Marjan : http://www.dastumedia.bzh/dyn/portal/index.seam?fonds=&req=18&page=listalo&va_0=marjan+mao

À l'occasion d'un spectacle sur Marjan prévu en 2020, Pascal Rode, professeur de bombarde au conservatoire de Quimper et membre du groupe Lirzhin, a transcrit les partitions de "La jeune barbière" d'après les enregistrements de Daspugnerien bro c'hlazig : 

Partition Jeune barbière 1 transcription Pascal Rode

Partition Jeune barbière 2 transcription Pascal RodePartition Jeune barbière 3 transcription Pascal Rode