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Prisonniers de guerre allemands à Ergué-Gabéric (1945-1951)

 

Tableau de Kerouredan par Helmut Homillius

Cette date et cette signature au bas d'un tableau représentant ma maison natale, ont probablement, dans mon enfance, suscité, mais sans plus, quelques interrogations familiales. Mais ce n'est que bien plus tard, en 2004 – 2005, qu'au travers d'innombrables témoignages faisant mémoire de la guerre 1939-1945 et instruisant notre histoire, qu'un début de réponse concrète m'est apparu. La collaboration de Marie-Thérèse Le Mao, témoin de cette période, et qui habitait alors avec ses parents à la ferme de Kerautret, a apporté une réponse à mes questions et a aussi permis d'enrichir un travail de mémoire sur ce sujet délicat et, bien souvent, peu connu. 
 
Elle m'a en effet livré des souvenirs liés à cette période d'après-guerre à travers le dialogue suivant.
 
Tableau de la ferme de Kervoreden peint par Helmut Homilius.
Inscription : KEROUREDAN. (pour Kervoreden). 10 JULI 1946. - H. HOMILIUS.
Entretien avec Marie-Thérèse Le Mao
Jacqueline - Je crois que ce nom "H. Homilius" te dit quelque chose.
Marie-Thérèse – Effectivement, Helmut était un prisonnier de guerre qui travaillait chez mes parents.
 
Jacqueline – Pourquoi et comment est-il arrivé chez toi ?
Marie-Thérèse – Mon père avait fait la demande à la Préfecture (peut-être avait-il la possibilité de cette obtention car il avait été fait prisonnier dans les Ardennes allemandes de mai 1940 à juillet 1942. Je ne sais pas trop tout cela).
Les prisonniers de guerre allemands étaient cantonnés à Lanniron (commune d'Ergué-Armel). Mon père est allé en char à bancs le chercher, en novembre 1945. En fait, il est revenu avec deux prisonniers, Helmut et Oscar. Le premier soir, ils ont "dévoré" leur repas, tant ils semblaient avoir peur de manquer. Mes parents ont essayé de leur faire comprendre que le lendemain ils seraient encore nourris.
 
Jacqueline – Tu peux les présenter un peu plus ?
Marie-Thérèse – Helmut était de Haïnichen (Saxe), près de la frontière tchèque, où il travaillait dans une laiterie. Cela faisait seulement huit jours qu'il était marié quand il fut arrêté. Sa femme a été faite prisonnière par les Russes.
Oscar était de Bielefeld (ville aujourd'hui jumelée avec Concarneau). Il était marié et père de deux enfants et travaillait à la Préfecture.
Helmut travaillait davantage dans les champs, alors qu'Oscar participait surtout aux travaux d'entretien (maison, jardin…).
 
Jacqueline – Le gouvernement français exerçait-il un suivi, un contrôle ?
Marie-Thérèse – De temps à autre, un inspecteur du travail passait voir si tout se déroulait correctement. Si jamais ils ne rentraient pas aux horaires requis, nous devions le signaler. Je me souviens qu'un soir, un prisonnier du secteur manquait au contrôle. Cela avait fini par s'arranger quand même assez bien.
Leurs uniformes venaient de Brest, où on devait aller les chercher. Au bout de deux ans, Helmut est devenu "travailleur libre".
 
Jacqueline – Alors que Oscar, lui, s'était évadé…
Marie-Thérèse – Il y avait d'autres prisonniers de guerre à Ergué-Gabéric, à Elliant aussi, dont notre ferme était proche. Un soir, vers 1946, Oscar, avec un prisonnier de guerre employé à Elliant (ce dernier parlait français) n'est pas rentré. Mon père a prévenu la Préfecture et les chefs à Lanniron. Trop de lenteurs dans les recherches (ou peu de réel empressement, ou quelque complicité ?) ont fait qu' Oscar a réussi à rejoindre son pays, alors que son collègue de fuite se serait fait reprendre.
Oscar avait été très malade et craignait beaucoup de revenir au camp, alors pourquoi ne pas tenter la fuite ? Quelques jours plus tard, mon père retrouva dans un champ des habits de prisonnier d'Oscar, et se rendit compte qu'il lui manquait alors une veste et ses papiers d'identité.
Parfois Oscar et Helmut "s'agrippaient un peu", mais jamais on ne saura si, dans ce cas, ils furent complices. A mon avis, une certaine solidarité a joué, car Helmut lui avait donné un peu d'argent, ce que nous apprîmes bien après.
Oui, revenir à Lanniron était pour tous une crainte. Une anecdote me revient. Au départ, ne sachant pas traire les vaches, Helmut nous révéla sa hantise que le lait ne vienne pas. Alors, il priait, priait, avant de se mettre à traire…Anecdote un peu comique à priori, mais quand on sait l'enjeu du moment, on peut comprendre !
 
Jacqueline – Et Helmut ?
Marie-Thérèse – Helmut a quitté Kerautret en mai 1950. Pendant 5 ans, il a participé à la vie locale d'une façon assez "positive". Ses talents de peintre et de dessinateur, sa convivialité, ont facilité les rencontres. Dans différents lieux qu'il a fréquentés, ses tableaux sont relativement nombreux (Kerautret, Garsalec, Kervoréden…). Les gens le payaient, reconnaissant son art.
J'ai des photos où on le voit effectuant la traite des vaches ou blanchissant la  maison. Il est aussi allé à Quimper se faire photographier au studio Etienne Le Grand. Sur la photo de mariage de René CARIOU, notre voisin, en 1948, il est là avec Georges, un autre prisonnier de guerre qui se trouvait employé chez le marié du jour. Helmut s'était acheté un vélo (chez Hervé Le Goff, à la forge de Garsalec : Denise, sa fille, s'en souvient très bien), et à son départ, il l'a vendu.
 
 
Jacqueline – Finalement, peut-on dire que son intégration était assez réussie ?
Marie-Thérèse – Dans l'ensemble, je pense que oui. Il avait un peu appris le français. Mon père et lui étaient parvenus à un langage de compréhension mutuelle et cela marchait assez bien. Dire que tout était idéal, c'est exagéré. Un jour, lors d'une journée de gros travaux, mon père eut à calmer le jeu. 
Un gars du coin, qui avait été prisonnier en Allemagne, s'est un peu énervé. Cela aurait même pu s'envenimer si mon père ne lui avait rappelé que lui aussi avait souffert de son séjour en Allemagne. Helmut était là, il ne l'avait pas choisi, et c'était ainsi. Mais peut-être était-ce là un signe pour dire que le moment était venu, dans la paix retrouvée, de penser au retour…
 
Jacqueline – Comment cela s'est-il achevé ?
Marie-Thérèse – Helmut est retourné chez lui en mai 1950. Il a retrouvé sa femme, LINI (à qui il faisait parvenir des colis contenant des denrées alimentaires et des vêtements, quand cela lui était possible).
En 1952, il fut papa d'une petite fille, Barbara. Je possède aussi la photo du baptême. Puis peu à peu les échanges se sont arrêtés. C'est dommage, mais ainsi va la vie.
 
 
 

Trésors d'archives > Guerres > Récit de résistance au bourg

Récit de résistance au bourg

 
Bernard Le Bihan est né à Lorient d’une mère du Cap et d’un père gabéricois. En 1944, la famille quitte son domicile quimpérois et vient se réfugier au bourg d’Ergué. Le jeune Bernard Le Bihan a donc été amené à vivre à Ergué-Gabéric cette période où la Résistance à l’occupant s’organisait. Il a connu ces jeunes gens qui formaient le « groupe de Résistance du bourg » et il nous expose ici le témoignage d’une journée où il se vit confier un mystérieux colis dans le bourg en état d’alerte...
 

La boîte en fer blanc

« Août 1944… Dans le bourg d’Ergué-Gabéric, un groupe de maquisards bavarde devant l’école des filles. Admiratifs et curieux quelques gamins les observent… Soudain, venant de la rue du presbytère, semblant apeuré et essoufflé, un gamin plus grand que les autres crie : « les boches, les boches… ils arrivent !!! » et il indique la direction du cimetière…
 
François Balès, pas du tout impressionné déclare : « Je rentre de patrouille de nuit et je vais me coucher, s’il y a du grabuge, venez me chercher !!! ».Un responsable donne des ordres et tout le monde s’éparpille dans toutes les directions…Un petit garçon blond se dirige vers la maison qu’il occupe avec ses parents, en face de la « ferme des F… », à l’angle de la rue qui mène à l’école des sœurs. Il croise en chemin un couple qu’il connaît comme étant des réfugiés de Brest, et dont l’homme doit exercer la profession de dentiste ou de prothésiste dentaire. La femme lui confie alors une grande boîte en fer blanc, une de ces boîtes qui a contenu à l’origine des gâteaux, en lui recommandant d’y faire très attention, de bien la cacher, et de la lui rapporter quand les allemands seront partis…Un car manœuvre sur la route de Kerdévot. Sur le toit un résistant est armé d’un fusil mitrailleur…Quelques secondes plus tard, la boîte en fer blanc sous le bras, il pénètre dans le jardin qui embaume la pèche mûre. Il appelle l’autre locataire, Marie-Louise C. mais elle n’est pas là. La maison est donc vide car ses parents sont également absents. Une idée bien précise en tête il traverse rapidement la parcelle de choux à vaches qui s’étend devant la maison et accède au fond du jardin. Celui-ci surplombe d’environ 2 m la fin d’une ruelle qui débouche sur le chemin qui, passant derrière le presbytère rejoint la route d’Elliant. Entre le fond du jardin et la ruelle, il y a une échelle de meunier et c’est sur cette échelle qu’il a décidé de se cacher. 
La boîte en fer blanc sur le sol, le nez dans l’herbe et au travers des choux, il peut ainsi, pratiquement invisible de la maison, observer et à la moindre alerte s’enfuir par la ruelle. La boîte en fer blanc l’intrigue : que peut-elle contenir ? Le couvercle en est maintenu par une ficelle nouée à l’aide d’une « cosette ».
 
Brutalement trois rafales d’arme automatique déchirent le silence, elles proviennent de l’endroit où le car s’est placé pour prendre la rue en enfilade. Un silence s’installe comme si le bourg retenait sa respiration…
 
L’enfant a peur, très peur et des sanglots silencieux secouent ses épaules, il connaît la brutalité et la sauvagerie des occupants…
Un bourdon vaque à ses occupations…
 
Plus aucun bruit ne venant rompre le silence, se sentant abandonné de tous et après un temps qui lui paraît long, il se décide avec mille précautions à rejoindre la maison. Celle-ci est toujours vide de ses occupants… Dans la demi-pénombre de la salle principales, il pose la boîte en fer blanc sur la table. Il fait glisser la ficelle sur la boîte de manière à pouvoir enlever le couvercle sans défaire le nœud. Un peu honteux de succomber à la curiosité, qui comme chacun le sait est un vilain défaut, il ôte le couvercle et la boîte en fer blanc dévoile son secret : elle est pleine à ras bord de billets de banque !!!
 
Le coeur gonflé d’orgueil de se sentir responsable d’un tel « trésor », le petit garçon s’empresse de remettre tout en ordre.
 
Un moment plus tard après avoir remis aux propriétaires légitimes la boîte en fer blanc et son précieux contenu, il est à nouveau parmi les maquisards. Ceux-ci commentent l’événement : « Heureusement que ce n’était qu’une fausse alerte, dit l’un d’entre eux. Qu’est-ce que j’aurais fait avec ça ? ». Et il exhibe un poignard de scout. Un autre dit : « Et moi avec ça ? », en montrant un pistolet de petit calibre, tout juste bon  à effrayer les chiens.
 
Une patrouille qui cherchait le contact avec les Allemands revient en poussant devant eux l’auteur de la fausse alerte. Immédiatement conduit devant le chef, celui-ci lui assène une gifle formidable et lui dit : « Si tu avais été un homme nous t’aurions fusillé… ». Cette histoire est authentique.
Cinquante six ans plus tard, si je n’ai toujours pas compris comment des adultes ont pu confier à un enfant de huit ans leur bien le plus précieux, je revendique l’honneur d’avoir été ce jour-là, le plus jeune convoyeur de fonds de France !!! »
 
Bernard Le Bihan.

Keleier Arkae n° 6 - Octobre 2000
 
 
 

Trésors d'archives > Guerres > Pélerinage des Quimpérois à Kerdévot

Pélerinage des Quimpérois à Kerdévot (1870)

 

Ce texte est la traduction d’un article intitulé « Kemperiz e Kerzevot » et publié par le journal Feiz ha Breiz en 1870 (numéro 296, daté du 1er octobre, pages 277-278). Il relate le pèlerinage effectué par des Quimpérois à Kerdevot le 20 septembre 1870, alors que les évènements se précipitaient autour de Paris assiégée par les Prussiens. L’article est signé « Ur c’hrouadur da Intron Varia Kerzevot » (un enfant de Notre-Dame de Kerdevot), et le post-scriptum est de la main de Goulven Morvan, le prêtre nommé par l’évêché pour lancer et gérer ce journal.

 

« La France est sauvée ! ». Voilà les paroles d’une mère chrétienne à ses enfants quand elle s’en revint de Kerdevot, le 20 de ce mois. « La France est sauvée ! » quand enfin nous sommes venus faire appel à Notre-Dame.

Que s’est il donc passé de nouveau à Kerdevot, le 20 de ce mois ? Quoi ? Quelque chose qui est susceptible de donner de la confiance à ceux qui l’avaient presque perdue. Voici un petit mot sur cette belle journée.

Des Quimpérois, épouvantés par les pertes successives de nos soldats, affligés au fond de leur cœur de la défaite de leurs enfants, de leurs compatriotes, se sont massés au pied des autels, ont rempli tous les soirs l’église de Saint Corentin. Plus nombreux que jamais, ils se sont agenouillés pour recevoir la communion ; ils ont cherché partout la bénédiction du ciel, et le ciel semblait toujours rester sourd à leurs prières.

Alors, quelques dames bien connues pour leur haut rang ont pensé que Kerdevot était la chapelle où la Vierge est le plus aimée en ce pays. Il leur est venu à l’esprit que Notre Dame de Kerdevot avait fait cesser la peste dans le pays d’Elliant et ses alentours il y a plusieurs siècles. Il leur est revenu qu’on trouve encore des gens qui ont été guéris par miracle dans cette chapelle sainte : une fille d’Edern, muette depuis huit ans, a retrouvé la parole le jour du grand pardon devant des milliers de personnes, c’était en 1849. Un autre, infirme depuis longtemps, a retrouvé la marche. Et beaucoup d’autres n’ont reçu plein de grâces rien qu’en mettant leur confiance en la Vierge. Que font donc les grandes dames de Quimper ? Elles firent le voeu d’aller en pèlerinage à Kerdevot et d’y faire dire une messe pour tous les soldats de France.

Dans l’heure, tout Quimper apprend le vœu avec le plus grand enthousiasme. Sans tarder, avec l’argent de la messe, c’est plus de 80 francs qui sont collectés pour la chapelle. Le Curé de Saint Corentin, qui dans toutes ses missions n’a jamais oublié de prêcher à ses frères l’amour qu’ils doivent porter à la Vierge, annonça, lors du prône de la grand’ messe, le vœu qu’avaient fait ses paroissiens d’aller faire pardon à Kerdevot le 20 Septembre.

Le mardi à cinq heures du matin, les Quimpérois sont sur pied. Depuis la Croix de l’Hôpital, le lieu du rendez-vous, ils s’avancent, chacun dans son groupe, vers le Grand Ergué, le chapelet en mains.

Je ne vous parle pas de l’air vif du matin, des trois lieues qu’il y avait à parcourir avant d’arriver à Kerdevot, du silence général, du grand âge de beaucoup de dames qui avaient quitté leur maison à jeun. La hâte qu’elles avaient toutes de voir Kerdevot leur faisait oublier leurs peines.

Vers sept heures et demi, beaucoup de pèlerins arrivent pour suivre la première messe et l’église, qui peut contenir jusqu’à 900 personnes, est déjà trop petite. Chacun, le chapelet à la main, plusieurs, un cierge dans l’autre, tous agenouillés à même la pierre, tous ont les yeux fixés sur l’image de la Vierge Marie ou sur son autel, qui n’a pas d’égal dans l’évêché de Quimper. Plus de cent personnes communient à cette messe, et à peine est-elle terminée qu’ils entonnent aux quatre coins de la chapelle, une salutation à la Vierge Marie dans le plus beau des chants. Oui, à vrai dire, ce chant était un triomphe et, pour la première fois dans ma vie, j’ai été porté à croire qu’il était possible de chanter en ce pays aussi bien que dans d’autres, connus pour leurs chœurs. Tous donnaient l’impression d’être déjà vainqueurs de nos ennemis ; ils donnaient l’impression de tenir dans leurs mains la vie du dernier Prussien.

A neuf heures et demie, quand commence la seconde messe, celle pour les soldats, plus personne ne peut s’agenouiller dans la chapelle, et les deux cent personnes qui s’approchèrent pour communier, ne purent s’approcher qu’avec beaucoup de difficulté. A la fin de cette messe, comme s’ils avaient déjà obtenu satisfaction à toutes leurs demandes, ils chantèrent de tout leur cœur le Magnificat, ce merveilleux cantique laissé entre nos mains par notre mère elle-même et dès lors, on n’entendit plus que des chants dans la chapelle toute la journée.

Les treize cents ou quatorze cents personnes venues à Kerdevot se retirèrent petit à petit. Leur cœur réjoui, avec l’espoir, comme le disait une des dames de Quimper, d’entendre le jour même une bonne nouvelle.

Celle-ci est venue sans tarder, le corps d’armée du général Fritz a été battu par notre général Vinoy, le jour même du pèlerinage des Quimpérois à Kerdévot.

La Vierge Marie écouta ce jour-là ses enfants, elle ne cessera plus de les écouter jusqu’à ce que ce cri d’une mère de famille ne devienne réalité : « La France est sauvée ! »

Un enfant de N.D. de Kerdévot

Le 27 du mois il y a eu à Kerdevot un pèlerinage encore plus beau que celui du 20. Le mardi 20 septembre, il n’y avait à Kerdevot que des Quimpérois, le mardi 27 il y avait en plus les gens du Grand Ergué et des paroisses alentours. Il y avait ce jour-là entre trois et quatre mille pèlerins et il y a eu entre cinq et six cents communiants.

 

Goulven Morvan
 
 
 

Cahier de charges et doléances de la paroisse d'Ergué-Gabéric

Cahier de charges et doléances de la paroisse d'Ergué-Gabéric

 

Le cahier de doléances a été rédigé le 12 avril 1789, quinze jours avant la tenue des Etats généraux de Versailles. Ces doléances en neuf points ont été rédigés dans la sacristie de l'église paroissiale par une délégation de treize personnes, probablement le corps politique de la paroisse. C'est Augustin Gillart de Gongallic et Jean Le signour de Keranroux qui furent chargés de porter ces doléances à l'assemblée de Sénéchaussée du 16 avril. 184 députés des paroisses de la sénéchaussée se retrouvèrent ce jour là pour adopter un cahier général. Le 20 avril un cahier commun des sénéchaussées de Quimper et de Concarneau fut rédigé. Trois députés de Quimper, Le Déan, Le Guillou de Kerincuff et Le Goazre de Kervélégan furent chargés de le porter à versailles.

 

CAHIER DE CHARGES ET DOLEANCES DE LA PAROISSE D’ ERGUE GABERIC POUR LES ETATS GENERAUX FIXES AU 27 AVRIL 1789.

 

Nous, habitants de la paroisse d’ Ergué Gabéric, régulièrement convoqués et assemblés pour arrêter le cahier de nos charges, réclamations et doléances pour les Etats généraux convoqués par Sa Majesté à Versailles pour le vingt sept de ce mois :

1- Déclarons et confessons fidélité et obéissance au roi notre souverain Seigneur ; déclarons et professons encore sa personne sacrée.

2-Consentons et désirons qu’il soit pris des mesures sûres pour acquitter la dette nationale.

3-Que, pour y parvenir plus sûrement, les citoyens de tous ordres, rangs et dignités, supportent tous les impôts , indistinctement, proportionnellement à leurs facultés et à leurs biens.

4- Qu’il soit fait une répartition proportionnelle de tous les biens ecclésiastiques, sans distinction, de manière que tous les membres du clergé y aient une part raisonnable et graduelle, depuis l’archevêque jusques aux simples prêtres habitués des paroisses, afin que ceux-ci soient affranchis de la honte de la quête, c’est -à -dire de celle de mendier.

5- Que les citoyens de tous les ordres, sans distinction, contribuent à l’entretien des chemins publics et à la confection des nouveaux, s’il en était besoin.

6- Que le franc-fief, établi lorsque la Noblesse seule faisait le service des armes, soit aboli, aujourd’hui que les armés ne sont composées que du Tiers-Etat.

7- Que la justice ne se rende plus qu’au nom du roi ; que l’exercice de justice au nom des seigneurs soit supprimé ; que la compétence du présidial de Quimper soit élevée de manière que les sujets du roi, de cette extrémité de la province, ne soient contraints d’ aller à Rennes que pour des intérêts majeurs.

8- Que les aides coutumières soient supprimées, toutes corvées déclarées franchissables, le fief anomal ou domaine congéable converti en censive.

9- Nous déclarons, au surplus, adhérer, comme il est juste, aux charges arrêtées par le Tiers Etat dans sa dernière assemblée, desquelles charges qui sont imprimées nous avons parfaite connaissance et lesquelles aussi ont été remises au roi par nos députés vers Sa Majesté.

Fait et rédigé, en la sacristie de l’église paroissiale d’ Ergué Gabéric, ce jour douzième d’avril mil sept cent quatre vingt neuf.

Ainsi signés Hervé C. Lizien, Jean Jaouen, Jérôme Crédou, Jean Le Signour, Jean Lozeach, René Le Guennau, les autres ayant déclarés ne savoir signer quoique de ce requis et interpellé, et le mien avec signature ne mutatur.

Mettez P(rocureur) au présidial.
 
 
 
Le cahier de Doléances d’Ergué-Gabéric est décevant à première vue. Il est tiré d’un modèle qui a largement été diffusé dans la Sénéchaussée de Quimper. Ainsi on trouve à Guengat ou à Plonéis des points similaires si ce n’est la presque totalité du texte.
 
Ce qui peut expliquer ce manque d’originalité c’est le planning très serrés des assemblées primaires de la juridiction de Quimper. Celle-ci comportait 85 paroisses, et les hommes de loi durent effectuer un véritable marathon pour tenir toutes ces réunions. Il fallait faire vite et d’abord déterminer qui était convoqué à cette réunion. Il fallait être majeur et contribuable ce qui limite le nombre de participants. D’après le procès verbal il n’était que treize dont six ont signés.
 
C’est parmi ces six signataires qu’on choisira les deux députés d’Ergué.
 
La qualité des représentants gabéricois n’est pas à remettre en cause, sans doute trouvaient t’ils leur compte dans le modèle qu’on leur présentait.
On y retrouve sans surprise une déclaration d’allégeance au Roi et un soutien au principe des Etats Généraux pour tenter de faire face à la crise financière qui affectait le Royaume. Les représentants d’Ergué optent pour un impôt sur le revenu proportionnel touchant tous les citoyens. Ils se démarquent ainsi de la Noblesse et du Clergé qui en était exempt. Cependant l’assemblée gabéricoise défend le petit Clergé en soutenant une répartition plus équitable des revenus ecclésiastiques. Là encore le clivage entre haut et bas clergé est clairement prononcé. En voulant supprimer la quête du dimanche, c’est sans doute plus la défense de leur propre intérêt que la défense des prêtres, que les Gabéricois mettent en avant.
 
Dans le chapitre corvée, l’entretien des routes, doit être supporté par tous, comme les impôts. C’est le principe d’égalité. L’abolition du franc fief est plus intéressant. C’était un droit que le détenteur roturier de biens nobles devait payer au noble qui possédait anciennement la terre. En principe ce droit était dû tous les vingt ans. C’est une sorte de rachats de droits féodaux. On comprend que les propriétaires terriens d’Ergué ainsi que les bourgeois des villes soient intéressés par l’abolition de ce droit qui renchérissait les terres.
 
Les paysans souhaitent aussi racheter les corvées et supprimer le domaine congéable. Ce système typique de Basse Bretagne donnait la propriété des terres et des arbres au bailleur, le fermier étant propriétaire des édifices, des talus et des fossés ainsi que du bois de taillis. Ce système est considéré comme une survivance féodale c’est pour cela qu’il est assimilé a la notion floue de fief anomal c'est-à-dire irrégulier. Il a été systématiquement remis en cause avant la Révolution, mais il n’a pas été aboli au grand dam des tenanciers. D’ailleurs le cahier des sénéchaussées de Quimper et Concarneau ne retient pas l’abolition du domaine congéable, alors que 46 communes l’avaient demandée.
 
Il semble donc que les Gabéricois n’est pas pris très au sérieux la rédaction de leur cahier de Doléances. Ils ont confié ce soin au corps politique de la paroisse qui était habitué à relayer les information des Etats de Bretagne lors des prônes dominicaux. Il ne semble donc pas qu’il y ait eu une prise de parole et une expression des revendications profondes à Ergué-Gabéric contrairement à maintes paroisses qui n’ont pas hésitées à remettre en cause de façon virulente le pouvoir féodal.
 
Bernez rouz

Trésors d'archives > Pat. religieux > La reconstruction du clocher de l'église Saint-Guinal en 1837

La reconstruction du clocher de l'église Saint-Guinal en 1837

Clocher bas

Le 2 février est à marquer d’une pierre noire dans les annales de notre patrimoine : C’est en-effet un 2 février 1701 que la foudre abattit le clocher de Kerdevot faisant deux victimes. Plus près de nous il a 170 ans un coup de vent fit tomber le clocher de l’église paroissiale St Guinal … le deux février 1836, preuves que les dérèglements climatiques ne datent pas d’aujourd’hui. Les dégâts sont considérables : la tour n’est plus qu’un tas de cailloux, les orgues sont abîmées ainsi que l’horloge, sans parler du toit. L’émotion est grande à une époque ou le clocher paroissial est l’emblème et la fierté d’une commune ou toute la population pratique la religion catholique.

 

Chasse aux subventions

Du côté officiel, les choses n’ont pas traîné. Dès le 17 mars les 9 conseillers municipaux ont devant leurs yeux le devis de l’architecte départemental Joseph Bigot. Agé de 29 ans, il signe là l’un de ses premiers devis : 7486 francs et 80 centimes, la somme est considérable.

La commune a déjà chiffré les dépenses de charrois, de fournitures et d’entretien des pierres pour 700 francs. Une souscription a été ouverte qui a permis de collecter 200 francs. La commune estime qu’elle ne pourra mettre guère plus de 300 francs. Depuis le Concordat, l’état doit rémunérer le clergé mais aussi entretenir les édifices cultuels. Le maire de l’époque René Laurent de Skividan, se tourne donc vers l’autorité compétente et «  exprime le vœu qu’il plaise à l’administration supérieure de venir au secours d’une commune qui abandonnée à ses propres ressources ne pourrait espérer voir rétablir l’église au culte de la religion pratiquée par la totalité des Habitants. »

La fabrique, c’est à dire l’association qui gère l’église paroissiale, prends le relais et écrit à l’évêque Jean-Marie Dominique De Poulpiquet de Brescanvel alors âgé de 77 ans, pour qu’il intervienne auprès du ministre des cultes, afin qu’il finance la reconstruction et demande 4000 francs. L’évêque de Quimper et du Léon fait intervenir une vieille connaissance de la noblesse bretonne, l’Archevêque de Paris Hyacinthe-Louis de Quélen, pair de France, et lui demande d’appuyer la requête. Les interventions gabéricoises ne s’arrêtent pas là : le député Augustin Le Goazre de Toulgoet, chevalier de Saint-Louis est également sollicité.

 

Adresse au Roi

Mais les résultats se font attendre. Le 4 octobre, le conseil de fabrique écrit en désespoir de cause à l’évêque : « Nous n’avons rien à attendre du gouvernement ». Ils souhaitent que le pasteur du diocèse leur cède le tiers des revenus de Kerdévot pendant quelques années, ils se promettent d’organiser une souscription pour compléter le financement. Les Gabéricois en bons bretons ne baissent pas les bras. Ils apprennent peu après Noël que le Roi Louis-Philippe vient d’échapper à un attentat à Paris. Au début de l’année 1837 le conseil de Fabrique écrit donc à Louis Philippe, en breton, une lettre touchante qui fait un parallèle étonnant entre les malheurs du roi et ceux des paroissiens d’Ergué. On l’a connaît grâce au livre Breiz-Izel ou la Vie des Bretons de l’Armorique :
Ce courrier qualifié à l’époque de chef-d’œuvre de bonhomie et de finesse par Alexandre Bouët, touche à son but, puisque la préfecture est chargé d’annoncer la bonne nouvelle au recteur d’Ergué-Gabéric :

Aotrou Roue,
Ar bloavezh 1836 a zo bet e gwirionez , leun a drubuilhoù evidomp ;
Gwall glac'haret omp bet o klevout hoc'h bet c'hwi teir gwech war bouez bezañ drouklazhet , hag an avel en deus diskaret tour iliz ar barrez d'an eil a viz c'hwevrer .
Hogen dre vadelezh Doue , deuet hoc'h a-benn d'en em dennañ diouzh an taolioù-se ha spi hon eus e teuimp a-benn , gant aluzennoù an dud vat , da renkañ hon iliz ha d'adsevel hon tour .
Ho servichourien , a-greiz-kalon hag ho keneiled gant doujañs .

Monsieur le Roi
L’année 1836 a été en vérité bien malheureuse pour nous ;
Nous avons appris avec beaucoup de tristesse qu’on a failli trois fois vous tuer , et le vent du second jour de février a abattu la tour de l’église de notre paroisse
Mais, par la grâce de Dieu, vous êtes sortis sain et sauf de tous ces dangers-là, et nous avons confiance que la charité des bonnes gens nous aidera à réparer notre église et notre tour.
Vos humbles serviteurs du fond du cœur, et vos amis avec respect.

Monsieur le préfet,

Le Roi a eu sous les yeux l'adresse en langue bretonne votée par le conseil de fabrique d'Ergué-Gabéric à l'occasion de l'attentat du 27 décembre .
Sa majesté a été touchée des bons et honorables sentiments qui s'y trouvent naïvement exprimés.
Désirant donner à cette commune un témoignage de sa bienveillance , sa majesté vient de lui destiner un secours de 300 francs pour aider aux réparations de la tour de l'église .
J'ai l'honneur de vous en donner avis , en vous priant , Monsieur , de prévenir M. le curé d'Ergué-Gabéric que cette somme va être remise à sa disposition par les soins de M. le trésorier de la couronne .
Agréez ...
    
Le secrétaire du cabinet.
Signé , Camille Vain.

Le 12 mars 1837 , le bilan du lobbying gabéricois est très loin des espérances.
L’état donne 1100 F, Le conseil général 500 francs, la Commune 300, La Fabrique 300, Le Roi, 300, et le gouvernement accepte une aide supplémentaire de 500 F.

 

Philippique
Le 14 mai 1837, le conseil municipal confie le travail au maître-maçon L’haridon, qui donc à reconstruit la tour, à l’économie. Le projet de Joseph Bigot a été sérieusement revu à la baisse et nous vaut une tour moins élancée qu’on aurait pu espérer. Amer le conseil municipal conclu : « Les habitants qui ont déjà fournis diverses sommes pour sa réparation se trouveront encore dans la nécessité de s’imposer de nouveaux sacrifices pour l’acquisition d’une horloge et de deux clochers. »

Les Orgues ne furent réparées qu ‘en 1845.

Quand à Louis-Philippe, les Gabéricois lui réservèrent un triste sort en 1848. C’est Déguignet qui nous raconte comment les enfants du Guélennec lapidèrent son effigie en plâtre que René Laurent, retiré des affaires gardait dans sa ferme de Skividan. « Nous nous étions arrêtés à regarder un grand bonhomme en plâtre posé au milieu de l’aire à battre avec une grande pipe dans la bouche. Le maire , un gros paysan qui aimait à rire assez, nous voyant là arrêtés à regarder ce bonhomme, vint demander si nous connaissions cette figure là. Non parbleu ! … il s’appelle Louis-Philippe, et était roi de France, mais il s’est sauvé comme un bramer coz . Les Parisiens voulaient bien le tuer, mais ils n’ont pas pu. Eh bien, mes enfants, dit-il, voyons si vous serez plus forts que les parisiens, vous allez ramasser des cailloux et vous allez tirer dessus, et le premier qui lui cassera sa pipe aura un sou. » On peut penser comme les cailloux pleuvèrent [sic] dru sur le pauvre bonhomme Philippe, non seulement sa pipe, mais sa tête, et tout le reste de son corps furent brisés en moins de cinq minutes, pendant que le maire se tenait les côtes de rire. Voilà comment on arrange les hommes qui tombent, les rois comme les autres. Le maire était cependant un fervent philippiste, puisque ce fut lui-même qui fit fabriquer cette statue pour orner son bureau, et puis, il fut le premier peut-être, à la mettre dehors, et à la faire mutiler, de tous les maires de France. »
 René Laurent s’était peut être vengé ainsi du peu d’intérêt que l’État montra à ses projets. C’est lui qui en 1840 laissa voter le projet pharaonique de déplacement du bourg à Penn-Carn Lestonan, c’est lui qui également fit voter une résolution pour déplacer la chapelle de Saint-André près de la route de Coray. Deux projets bloqués par le préfet. La prochaine mise en en lumière du clocher paroissial devrait lui donner un peu de baume au cœur c’est le seul chantier d’envergure qu’il a mené à bien.

Bernez Rouz - (Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric. septembre 2007).

 

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