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La commune aux 77 vallées

Le réseau hydrographique de la commune se partage en deux bassins versants : l’Odet et le Jet. La ligne de partage des eaux suit grosso modo la route de Coray. Les cyclistes et les marcheurs le savent bien, traverser la commune ressemble a un parcours de montagnes russes.

Vallée se dit Stang en breton, un mot qui fleurit dans la toponymie locale : on en compte douze dans la commune .
Stang Oded et Stang Jet bien entendu. Mais on a le plus souvent Stang allié à un nom de lieux : Stang Kerellou, Stang Kermoysan, Stang Kerriou, Stang Melenec.
Deux avec un adjectif : Stang Venn (la Vallée Blanche), Stang Vihanic ‘La très petite vallée ».
Trois autres sont plus complexes :
Stang Luzigoù est une création récente, peut être du mot Lus qui signifie myrtilles ; Il faudrait alors le traduire par Vallée des petites myrtilles.
Stang Quéau est un des plus vieux noms d’Ergué. Il est attesté dès 1454 (Stancqueau),
(1540 Stang Queau). Keo signifie grotte en breton a moins qu’il ne s’agisse du nom de personne Quéau.
Enfin le plus célèbre est Stangala, un nom qu’on trouve aussi à Brest sous la forme Stangalard. Il est formé de Stang + Alour, nom d’un vieux saint breton qui possède une fontaine à son nom à Krec’h-Erge et qui est aussi le saint patron d’Ergué-Armel.
 
Quand on regarde la fréquence des noms de lieux en Stang dans le Finistère, une particularité saute aux yeux : 5 communes possèdent plus de 10 noms en Stang : Elliant (17), Rosporden(10), Bannalec (15), Concarneau (12) et Ergué-Gabéric (12).
Elles sont toutes situées sur l’axe des grandes failles qui parcourent le sud de la Bretagne de la Pointe du Raz à Nantes. Ce que les géographes appellent le cisaillement sud-armoricain a provoqué il y a quelques millions d’années un basculement du relief de notre basse Cornouaille qui a provoqué cette topographie si particulière de petites vallées encaissées.
 
Les dictionnaires bretons traduisent Stang par Vallée, mais les plus importants précisent, vallée étroite, vallée encaissée.
Le mot est stankenn, mais l’accent tonique est tellement fort sur l’avant dernière syllable qu’on n’entend généralement pas le –enn- final. C’est un nom féminin qui induit une mutation de la consonne initiales des adjectifs qui le caractérise : ainsi Stank (enn) Gwenn (la vallée blanche) se prononce et s’écrit Stank Wenn
Le pluriel est stankennoù. Il peut être aussi formé à partir de Stank : il donne aussi stankoù et stankeyer.
 
Une erreur fréquente est de traduire stank par étanc. Effectivement dans le Trégor il est commun de traduire étanc, lac par stank qui est emprunté au vieux français estanc. Mais ce particularisme ne s’applique pas en Cornouaille ou étang se traduit par lenn.
La confusion vient aussi des copistes qui ont confondu Le stanc et l’estanc.
On trouve ainsi Estang an dillad et Stang an dillad à la même époque à Langolen ; tout comme Estang du Bot et Stang du Bot vers 1700 à Pont de buis. La confusion vient aussi que les étangs sont toujours dans les vallées, on a ainsi un « Stang al Lenn » à Plonéis, Vallée de l’étang.
 
Les dictionnaires bretons ignorent par contre totalement le sens « Parcelles de terre dans une vallée ». Le cadastre d’Ergué-Gabéric regorge pourtant de prairies qui portent le nom de stang. Il y en a 34 dans les matrices du Cadastre de 1834, écrits Stanc, stang, stancq ou stank : Essayons de les caractériser
 
 
Stang + nom de personne
Stanc Tudal
Stanc ar Rouz
Stang ar Berr
Stanc Guenal
Stank Guillou
Stang + adjectif
Stank vras : bras=grand
Stank vihan : bihan = petit
Stank venn : gwenn=blanc
Stang vihanic : diminutif de bihan
Stang velen : melen = jaune
Stanc cloz : kloz = fermé (cul de sac)
Stanc izella :  izel = bas
Stanc creiz : kreiz = centre
Stanc uhela : uhel = haut
Stang + Vegetation
Stang ar c’hoat : Koad = bois
Stang frost : Frost = en friche
Stang + nom hydrographique
Stang Oded
Stank Jet
Stang ar bigodou =  ar bigodou ruisseau qui se jette dans l’Oded près du moulin à papier.
Stang al lenn : lenn = étang
Stang ar veilh/stang vilin : meilh ou milin = moulin
Stang ar pontic : pontig = diminutif de pont
Stang ar feunteun : feunteun = fontaine
Stang + nom religieux
Stanc Sant Gwenole
Stang Sant Alour / Stang Alour
Stang Sant Yann
Stanc an iliz : iliz = église
Stang + activité économique
Stanc al liou : Liou = la couleur
Stanc Coe/couet : Kouez = lessive
Stanc ar poder = Poder = potier
 
Pluriel/singulatif
Parc ar stankenn
Liorzh ar stankou
 
Nom poétique
Stang C’hwitell : C’hwitell = sifflet.
Stang ar reo : ar rev = la gelée.
 
Avec Ti et Ker les noms en Stang continue de fleurir dans la toponymie locale.

Trésors d'archives > Guerres > 1945 : Fête de l'armistice à Kerdévot

Le 7-8 mai 1945 L'armistice fété à Kerdévot

 

Nous sommes en 1945, au mois de mai. C'est la semaine de l’Ascension. Depuis le Ve siècle, l’Eglise a établi une procession solennelle de pénitence, les Rogations, pendant les trois jours qui précèdent cette fête.
En réalité, à cette époque de l’année, c’était l’occasion de prier pour l’abondance des récoltes.
Dans les jours qui ont suivi,  Gustave Guéguen, recteur de la paroisse a noté dans son Journal :
 
« 7 mai 1945 : Rogations. Le lundi à Saint-Guénolé. Foule nombreuse grossissant au fur et à mesure que l’on approchait de la chapelle : une bonne douzaine d’hommes.
 
8 mai 1945 à Kerdévot. Fort peu de monde : une demi-douzaine d’hommes, une trentaine de femmes dont trois ont suivi la procession depuis le Bourg. M. le Recteur s’est plaint des déprédations organisées à la chapelle. On enlève cierges, clochettes, chandeliers détériorés, etc.  A l’issue de la messe on a appris que le battant d’une des cloches a été enlevé par la sonnerie brutale de la veille au soir, fausse alerte d’armistice.
 
8 mai 1945 à 15h (au Bourg) l’on a sonné le carillon de la victoire pendant 1 heure. Chanté le "Te Deum" devant les enfants des écoles et une assistance d’adultes restreinte.
Quelques protestations quand on a fait cesser les sonneries. Des enfants se sont amusés durant toute la soirée à tinter les cloches en montant à leur risque et péril sur la tour. Nuit très calme contrairement aux pronostics. »

Voici le calendrier de la semaine qui allait suivre, tel qu’annoncé par les prêtres de la paroisse d’Ergué-Gabéric aux messes du dimanche 6 mai 1945 :
  • Demain lundi 7 mai, Rogations : départ de la procession du Bourg pour Saint-Guénolé à 7h1/2.
  • Mardi 8 mai, départ de la procession pour Kerdévot à la même heure.
  • Mercredi 9 mai, procession autour du Bourg à 7h1/2.
  • Jeudi 10 mai, Jeudi de l’Ascension…

Raymond Lozach se souvient.

Il allait avoir 12 ans en Juin. Ses parents habitaient à cette époque, à Ménez-Kerdévot, au bord de la route, une jolie maison basse en pierres. Quelques mètres plus loin, vivait la famille du bedeau de Kerdévot, Yann Le Moigne .

Hervé Lozach et Marianne, sa femme, travaillaient courageusement leurs trois hectares de terre, élevant deux ou trois vaches et quelques cochons, cultivant des petits pois et des haricots verts dont la famille assurait la cueillette. Ils faisaient des « journées » pour les travaux difficiles, dans les fermes alentour.

La ferme de Mézanlès était exploitée par Joseph Le Roux et Marie, sa femme. Il était le frère de Louis Le Roux, de Lézouanac’h (Chroniques de Guerre 1914-1918). Il était lui aussi très bon cavalier. Il lui est arrivé de faire franchir une barrière à son étalon, oubliant la herse à laquelle celui-ci était attelé !!! Joseph était très bricoleur et très astucieux. Il faisait son électricité à partir du ruisseau dans la prairie. En plus d’avoir de la lumière, cela lui permettait d’avoir un poste de radio, la T.S.F. comme on disait, et d’écouter Radio-Londres : « Radio-Paris ment. Radio-Paris est Allemand »…

  • C’est le 7 mai 1945, à 2h.40 du matin, qu’a été signé à Reims, au Q.G. d’Eisenhower, l’acte de la reddition sans conditions de l’Armée Allemande : la fin des hostilités était fixée au 8 mai, à 23h.01.
  • Staline considérant que la signature du 7 mai ne valait que pour la zone occupée par les anglo-allemands, fit signer à Berlin, le 9 mai, à 0h28, une autre capitulation valant pour la zone soviétique.
  • Mais c’est le 8 mai, à 15 heures, que le Général De Gaulle avait fait à la radio l’annonce de la fin des combats.

Raymond raconte :

C’était le soir du 7 mai, après souper. Mon père suivait avec grand intérêt l’avance des Alliés, sur une carte d’Europe, fixée au mur de la cuisine. Jos ar Maner (Joseph Le Roux, du manoir de Mézanlès) venait régulièrement discuter de ce qu’il avait entendu à la radio et ainsi renseigner la carte.
Ce jour-là, tout excité, il nous a appris la nouvelle tant espérée, que l’Armistice était signé. Il n’était pas seul mais j’ai oublié qui l’accompagnait. Quelqu’un a lancé : « Et si on allait à Kerdévot ! » On était habillé « en tous les jours » (c’est-à-dire en tenue de travail). Ma mère a voulu se changer mais nous sommes partis sans l’attendre.

A Kerdévot, on a sonné les cloches. Du coup, les gens des environs sont arrivés. Ils se sont rassemblés pour consommer au bistrot de Mme Nédélec. Celle-ci a débouché le baril de Cap Corse qu’elle réservait pour la fin de la guerre et le retour de son mari, François, prisonnier des Allemands.

Moi, je faisais la navette entre la chapelle et le bistrot ! Je réclamais des sous à mon père pour acheter une bouteille de limonade. Il ne comprenait pas ce que je voulais, et me tendait son verre à chaque fois… plusieurs fois… J’ai fini par avoir ma limonade mais il était bien minuit !

Comme on n’avait pas de drapeau tricolore à brandir, on a pris dans la chapelle trois bannières (pas les grandes !) pour les accrocher au clocher, face à l’Ouest : deux au niveau de la balustrade et, la troisième, Pierrot Bohars (Pierrot Le Roux) l’a fixée sur la flèche, plus haut que les pinacles. Les cierges éclairaient les coins du balcon. On se relayait pour sonner les cloches, jusque tard dans la nuit, tant et si bien que la poutre qui soutenait la grosse cloche s’est déboîtée du mur. Il a donc fallu arrêter de carillonner !

Vers 1 h ou 2 h du matin, Mme Nédélec a commencé à regarder l’heure et à manifester l’intention de fermer. Chacun est reparti vers sa maison. Les bannières de la balustarde, les cierges et les chandeliers avaient été rentrés dans la chapelle mais pas remis à leur place. Je me rappelle avoir laissé ma bouteille de limonade dans un confessionnal !

Le mardi 8 mai, au matin, après l’office, Gustave, contrarié par le désordre mis dans la chapelle, a grondé Mme Nédélec. Elle n’aurait pas dû donner les clefs ! Il a exigé qu’elle décroche la bannière du clocher ! Elle est donc venue me voir, et moi, je suis allé chercher Pierrot. Il ne se sentait plus aussi à l’aise pour grimper si haut. Alors nous avons pris un café pour nous ravigoter !

Puis nous sommes montés jusqu’aux cloches. Pierrot a dû escalader la flèche et nous avons récupéré la dernière bannière.  

Si on reprend le journal du Recteur, il parle de « fausse alerte d’armistice ». Mais la capitulation de l’Armée Allemande avait été signée le 7 mai 1945 à 2 h 40 du matin à Reims. Les journalistes s’en étaient fait l’écho, propageant la nouvelle sur les ondes. C’est ainsi que l’Armistice de 1945 fut fêté bruyamment et joyeusement arrosé à Kerdévot, le lundi 7 mai 1945 ! A 15 h, le 8 mai 1945, le Général de Gaulle annonçait officiellement la fin des combats. Les cloches sonnaient à l’église du Bourg. Celles de Kerdévot avaient déjà fêté l’évènement et … n’en pouvaient plus !

Raymond et Suzanne Lozach

Epilogue

Il peut paraître quelque peu osé de mettre ainsi en parallèle deux évènements qui ont bien eu lieu à Kerdévot, à moins de trois ans près, mais suivant une signification différente.
Et pourtant, c’est ce même retournement de situation qui eut lieu dans toute la France. Le 26 avril 1944, Pétain était encore acclamé à Paris, où les bombardements alliés venaient de faire plus de 3000 victimes en 15 jours, et 4 mois après, le 26 août, c’est le Général De Gaulle qui y recevait le triomphe du libérateur. Pétain déclanchait encore la liesse de la foule à Lyon le 5 juin et à Saint-Etienne le 6 juin 1944. Ces deux villes fêteront sans retenue leur libération le 4 septembre et le 25 août suivants.
Versatilité des Français ? Non assurément. La population s’est trouvée livrée à des attitudes ambivalentes, enfermée dans l’attentisme, coincée entre la peur et l’espoir, d’où des comportements qui peuvent paraître contradictoires, y compris chez les mêmes individus. Il faut admettre la complexité des situations. Mais en même temps il faut reconnaître que certains Français ont été plus lucides, plus courageux que d’autres.

F.A.

 


Trésors d'archives > Guerres > La fête de l'Union de la Patrie à Kerdévot en 1942

Le 15 août 1942 : la fête pétainiste de l'Union de la patrie à Kerdévot

Comme tous les ans, en cette année 1942, une fête religieuse importante a lieu à Kerdévot le 15 août en l’honneur de l’Assomption de la Vierge. C’est un samedi, mais c’est bien plus qu’un dimanche ordinaire. Le matin, à 11 heures, à la chapelle, grand’messe chantée par l’Abbé Guillou, aumônier à Odet. Au prône, le recteur Gustave Guéguen a annoncé pour l’après-midi : «Vêpres à 16 heures. Procession. Cérémonie de la terre sacrée emblème de l’union de la patrie… ».
Dans son journal, le recteur raconte ce 15 août : « A l’heure des Vêpres, grande foule, hommes nombreux. A la procession, 13 bannières…  A la fin du parcours habituel autour du placître, M. le Recteur fait ranger les porteuses d'enseignes le long du mur de clôture sud, les porteurs le long du mur sud de la chapelle. Puis se plaçant devant la façade du calvaire, il adresse à la foule attentive un mot d'explication en langue bretonne et française sur le sens de la cérémonie qui va suivre.
Celui-ci achevé, M. Pierre Tanguy de Kérellou, maire, son frère Louis Tanguy ancien conseiller général, de Quihuic, et M. le Recteur prennent une pincée de terre au pied du calvaire et la mettent dans un sachet de papier que le Recteur posera sur l'autel pendant le chant du Salve.
Ce sachet sera porté le 30 août par le Maréchal Pétain à Gergovie comme symbole de l'unité nationale. A la sacristie les trois délégués ont inscrit sur l'enveloppe contenant le sachet le lieu et la date de la cérémonie.
La foule s'est retirée profondément impressionnée par cette innovation que d'aucuns jugent d'inspiration païenne, mais que l'on peut interpréter dans un sens bien plus élevé comme cela a été fait à Kerdévot, endroit choisi d'un commun accord comme le plus saint et le plus sacré de la commune ». (Extrait du Registre-journal du recteur Gustave Guéguen).

Qu’est-ce que cette cérémonie particulière qui s’ajoute en cette année 1942 au déroulement habituel du 15 août à Kerdévot ?

Au début du mois d’août, le Préfet Maurice George avait écrit à tous les maires du Finistère pour leur demander d’organiser une « cérémonie symbolique » affirmant le « maintien de l’unité française » mise à mal par la ligne de démarcation et par la dissidence d’un général félon réfugié à Londres : « l’unanimité du sentiment national s’exprimera, cette année, le 30 août. Ainsi en a décidé le Maréchal, Chef de l’Etat, qui a voulu que ce jour-là soient apportés en un lieu historique, des sachets contenant la terre prélevée dans chacune de nos villes et chacun de nos villages ».
Ce lieu historique c’est « Gergovie où, pour la première fois, se manifesta, par le sacrifice d’un Celte illustre, l’Unité de la Patrie ».
Suivent les recommandations du Préfet aux maires « la terre doit être prélevée, dans chaque commune, le 15 août, à la sortie de la procession par exemple, en tous cas dans les cimetières - là où se mêlent le plus intimement la terre de France et les cendres de nos ancêtres – au pied de la Croix, à moins qu’un autre lieu consacré par le souvenir d’un acte mémorable, évocateur d’un grand homme, d’un grand saint ou d’une grande vertu ne paraisse devoir être préféré » (ADF 200W89).

Analysons cette mise en scène nationale.

Fac-similé : Une touchante manifestation d'unité natioanle se déroulera dimanche dans tous les villages de FranceAu premier plan, la figure de Vercingétorix, le chef gaulois qui mit en échec Jules César devant Gergovie en l’an 52 avant J.C..
Il avait réussi à faire l’unité des tribus gauloises.
Mais peu après il dut capituler après deux mois de siège à Alesia. Il vint déposer les armes aux pieds de César, fut emmené à Rome pour paraître au triomphe de son vainqueur et mourir étranglé dans sa prison. « Enchaîné, supplicié, il nous enseigne ce qu’un chef peut obtenir après la défaite… » commentera Budes de Guébriant.
Ainsi, derrière Vercingétorix, supposé fondateur de l’Unité de la France, se profile l’image du Chef vaincu et humilié de la France pétainiste, le Maréchal qui s’est, lui aussi « remis à la discrétion du vainqueur » pour protéger la Patrie de sa personne et être le garant de l’unité d’un pays coupé en une zone libre  et une zone occupée.

Cette unité est signifiée dans la cérémonie de la Terre de France : pincées de terre recueillies dans chaque commune de France, mélange « du fertile humus de nos plaines, de la glaise de nos campagnes, du sable de nos rivages les plus lointains, du granit de nos montagnes » ; terres « de toutes provenances et de toutes les couleurs », ramassées près du bûcher de Jeanne d’Arc (Rouen), du tombeau du Père de Foucault (El Goléa), dans la « Tranchée des Baïonnettes » (Douaumont)…
L’organisation de cette manifestation est précisément confiée aux hommes de la terre, aux paysans. Car la Révolution Nationale de Pétain, tournant le dos à l’industrialisation (et au Front Populaire) s’appuie sur la paysannerie, prône le « Retour à la Terre » et aux vertus paysannes.

Elle a organisé les travailleurs de la Terre dans le cadre de la Corporation paysanne (fondée le 2 décembre 1940).
C’est l’ « Office Central de Lan-derneau » avec tout son encadrement (le Comte Hervé Budes de Guébriant, François-Marie Jacq…), qui sert de matrice pour l’organisation nouvelle dans le Finistère et les Côtes-du-Nord, et de modèle dans toute la France.

L’Office Central établit dans chaque commune un « syndicat corporatif ». Une première réunion « en vue de l’application de la loi sur le régime corporatif de l’agriculture » a eu lieu à Ergué-Gabéric le dimanche 25 mai 1941 (Journal L’Ouest-Eclair du 24 mai 1941).  A chaque échelon de la Corporation, les chefs sont désignés par le niveau supérieur et non pas élus par la base. Ainsi, Joseph Divanach (de Penhars), ancien leader des « Chemises Vertes », est désigné Chef du District de Quimper. Jean-Louis Tanguy, de Quilihuec, est fait « syndic » de la commune d’Ergué-Gabéric, entouré de plusieurs syndics-adjoints constitués en Chambre syndicale. C’est bien en tant que syndic que Jean-Louis Tanguy participe à la cérémonie de Kerdévot, et non pas tout à fait en qualité d’ancien conseiller général du Finistère, élu en 1937.

Dans cette manifestation, si le paysan (et la Corporation Paysanne) est à l’honneur, l’ancien combattant (et la Légion Française des Combattants, organisation unique autorisée des anciens combattants de 14-18) l’est tout autant. En effet, le final du 30 août au tertre de Gergovie correspondra avec un grand rassemblement de ces « volontaires de la Révolution Nationale », fidèles du Maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, qui fêtent le deuxième anniversaire de leur « Légion ».
Ces légionnaires doivent être les promoteurs du nouvel ordre moral. Ils mènent surtout des activités de propagande (comme la vente de portraits du Maréchal) mais pratiquent aussi, par mission, la délation. C’est ce qu’on a appelé « la Légion des mouchards ». Les plus activistes vont verser dans la Milice à sa création.

Et pour compléter le tableau, il faut mentionner le rôle tenu par l’Eglise au niveau national, mais aussi dans le département et dans la commune. Dans la « Semaine Religieuse de Quimper et de Léon » datée du 14 août 1942, Mgr Duparc appelle MM. Les Curés et Recteurs à « prêter leur concours à la réalisation » dans leurs paroisses de la manifestation d’ « union de toutes les communes de France au service de la Patrie ».
Lui-même présidera le 20 août avec le Préfet et avec le Vice-Président de la Corporation Nationale Paysanne, Budes de Guébriant, la cérémonie de rassemblement des pincées de terre du Finistère, qui aura lieu à la Préfecture.
Dans son discours, l’évêque déclarera : « c’est parce que nous aimons notre terre que nous allons en faire un mélange pour l’offrir au Chef de l’Etat comme le signe de cette unité française qui nous groupe tous autour du Maréchal » (ADF200W89).
Ainsi Kerdévot a été ce 15 août 1942 au diapason de ce qui s’est passé dans toutes les communes de France, le 20 août à la Préfecture du Finistère, le 29 août  à Vichy et le 30 août à Gergovie.
Cette obédience publique à Pétain manifestée après les Vêpres de Kerdévot a cependant quelque chose de contraint. Beaucoup y croient encore, sans doute, tant le poids des notables et des leaders d’opinion est lourd, tant la collusion des institutions « civiles, spirituelles et corporatives » est forte.
Mais le doute va gagner rapidement ces « fidèles » de l’Eglise et de l’Office Central. C’est l’époque où la pression des prélèvements agricoles s’accroît : la Corporation Paysanne glisse de plus en plus nettement dans le rôle d’auxiliaire de Vichy pour les livraisons agricoles à effectuer aux Allemands et aux citadins. Elle a de plus en plus recours à des sanctions, comme ce sera le cas à Ergué-Gabéric pour livraisons insuffisantes de beurre ; le monopole des « syndicats-boutiques » de la Corporation dans l’approvisionnement des agriculteurs, dans la répartition des engrais, de la ficelle-lieuse, ou de l’essence pour les battages poussera ces hommes de la terre vers  une hostilité croissante et à la recherche de voies parallèles dans le marché noir.
Le 15 août 1942, après Vêpres à Kerdévot, des idées contradictoires se bousculaient déjà sans doute dans l’assistance.
 
François Ac'h

 

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Trésors d'archives > Patrimoine religieux > Fric-frac à Kerdévot en 1773

Fric-frac à Kerdévot en 1773

Jean-François Douguet

 

Bernez Rouz : Le vol de 1773 à Kerdévot était connu des Gabéricois et nous l'avions signalé dans le Livre d’Or du cinquième centenaire. Mais il n’avait jamais été étudié.

Jean-François Douguet a dépouillé le dossier judiciaire de cette affaire qui met en cause un jeune homme de Coat Piriou. Cette étude est un travail considérable de précision et de rigueur historique. La synthèse que Jean-François nous donne de près de huit cents pages de procédure est un modèle du genre. Il fait vivre le petit peuple des campagnes - nos ancêtres - à travers les témoignages que contient le dossier des archives départementales. On voit ainsi apparaître les Mahé de Kerdévot, les Kernevez de Kerveilh, les Le Berre de Trolan, les Le Bihan de Kerampeillet, les Caugant de l'auberge de Ty-Nevez et bien sûr le recteur Clet Delécluse.

Notre Gabéricois, Guenel Le Pape, est venu publier ses bans de mariage. Sa fiancée dira qu'il aurait mieux fait de venir seul et non avec des petits voyous de Brest. On les retrouve à faire les cents coups aux Carmes à Pont l'abbé, chez les Kermorial à Plonéour-Lanvern, au château et Keroual près de Brest, tout ceci entrecoupé de libations dans les auberges de Quimper, de Brest et d'Ergué. Bref des voleurs peu discrets.

Note : nous vous signalons que malgré la difficulté de la lecture, la graphie d'origine a été conservée.

 

Le vendredi 22 octobre 1773 au matin, la petite Marie Jeanne, 4 ans, se présente devant son père, sur le placître de la chapelle de Kerdévot, une barre de fer à la main. Et quand, intrigué, il lui demande d’où elle tient cet objet, elle le mène au pied de la sacristie. C’est ainsi que Joseph Mahé découvre une fenêtre fracturée.

Des traces de pas…

Dossier des vold de Kerdevot Sans plus attendre, il part au bourg, alerter le curé, Clet Delécluse. Celui-ci arrive dans l’après-midi, et constate les dégâts : les trois armoires situées dans la sacristie ont été fracturées, et tout l’argent de la fabrique qu’elles contenaient a été volé. Le recteur fait alors sonner le tocsin pour alerter le voisinage, et commence son enquête. Il remarque des traces de pas, de trois personnes différentes : « un portant un soulier garnis de huit clous a du cassé l’un des tallons, l’autre sans clou, le troisième enfin ayant un gros soulier dans le gouts d’un porte chaise ». Il entreprend de suivre ces traces, qui le mènent jusqu’à la chapelle Saint-Jean, puis jusqu’à un cabaret, à Ty Néves, sur la route de Coray... Mais là s’arrêtent les traces... et l’enquête du recteur.

Elle est reprise par Michel Bobet, sieur de Lanhuron, conseiller du Roy et son lieutenant civil et criminel au siège de Quimper, qui arrive sur les lieux de l’effraction deux jours plus tard, le 24 octobre, en compagnie de Jacques Boucher et Jean-Marie Cozan, « serrurier et ménuizier », afin d’expertise. Il rencontre tout d’abord Mathias Kneves, de Kraveil, « marguilier actuel de la chapelle », qui le conduit sur les lieux de l’effraction : « ...ayant entrés dans la ditte eglise, et après y avoir adoré le tres saint sacrement, il nous a fait passer dans la sacristie située au midy de plain pied. Il nous a fait voir trois armoires pratiquées sous une crédance sous les deux fenetres de la ditte sacristie, ouvertes ; lesquels trois armoires, il nous dit avoir été trouvées ouverte. Il nous a pareillement fait voir qu’on avoit forcé dans le grillage d’une des fenetres une des barres de fer passant du haut au bas a travers des barres de traverses et qu’on présumoit que s’étoit par la que les malfaiteurs auroit entrés, un carrau manquant au vitrages du chassis... »

Dossier des vols de Kerdévot, du châetau de Koual, du manoir de Kneisan et chez les Carmes à Pont-l'abbé. Archives départementales cote B805.

Plus de quatre cents livres de dérobées

Après quoi Mathias Kneves estime le montant du vol : « ...dans la première armoire … on peut avoir emporté dans un petit plat 24 écus de trois, et de six deniers, que d’un pot… on a  emporté aux environ de vingt un deniers en pieces de douze et vingt quatre sols, et que deux autres pots etoient aussy aux environs de vingt une livres en liard, que tout a été emporté, à l’exception de quatre pieces de douze sols et d’environ douze sols en deniers restés dans la ditte armoire … que dans la seconde [armoire] du milieu, dans un plat, onze écus de six livres, dans un grand pot, vingt quatre livres en liard, et dans un autre pot … autre somme de vingt sept livres en liard, lesquelles sommes ont toutes été emportées, à l’exception d’un denier qui a resté dans le plat… Dans la troisième étoit aussy dans un plat … aux environ de trente à quarante écus en pieces de six livres, trois livres, vingt quatre sols, douze sols, et pieces de six liards, que dans un pot il y avoit encore autant quil le peut croire aux environ de pareille somme en liard…»1. Finalement le préjudice sera évalué à quatre cent trente huit livres2.
Comme seuls indices les malfaiteurs ont laissé après eux « un mauvais morceau de bois denviron neuf pouces et demies de long, deux mauvais morceaux de fer, un bout de chandelle de suif, quelques allumettes, et un bouton gris en étoffe…». Enfin Jeanne Le Calvez et Barbe Le Poupon apportent «un morceau de bois vers de chaine, long de huit pieds et demy, lequel a été trouvé près de la fontaine de Saint Jean proche de la chapelle, laquelle piece a été portée à la ditte chapelle comme soubçonnée d’avoir servis a l’effondrement [des carreaux, et des barres de fer]… »

Deux inconnus avaient demandé les clefs…

Le sieur Bobet interroge ensuite, sur place, les premiers témoins. Le premier d’entre eux, Joseph Corentin Mahé, se remémore que «le vendredy quinze du présent sur les neuf heures du matin, vinrent chez luy qui demeure sur le placître de la dite chapelle deux hommes à luy inconnu, dont un vêtu d’un habit bleuf l’autre d’un habit brun; le premier haut de taille portant un chapeau retroussé, le second petit avec un petit chapeau, que le plus grand luy demande les clef de cette chapelle qu’il a chez luy comme plus proche voisin et luy donnoit comme à tous ceux que la dévotion y conduit et ainsy que d’usage : que causant avec ces deux particuliers le premier luy dit encore qu’il étoit venu dans le quartier avec le nommé le pape, fils d’autre le pape du moulin de coat piriou de cette paroisse..., qu’il etoit actuellement à Brest jardinier de profession et ce pour prendre des bancs3 du dit le pape... ces particuliers tels qu’ils peuvent être demeurèrent à la chapelle environ deux heures du moins qu’ils ne remirent les clefs qu’après ce tems et qu’ils vinrent les portés chez luy déposant qui étoit sorty pour son ouvrage ; mais que sa femme nommée louise Seznec luy a dit que ces deux particuliers en luy remettant les clefs luy avoit dit qu’ils étaient quatre de compagnie et le dit le pape en estoit, que luy déposant n’a pas de connaissance particulière que ce le pape et ses compagnons aient commis les méfaits de ce jour ; mais que la précaution qu’il a pris de se cacher dans son pays meme le tems que les autres se disant ses compagnons passèrent à léglise luy fait soupçonner qu’ils en étudièrent les forces et les endroit...»

« Voyant ce bruit … se pouvoit etre le bondieu… »

Clet Delécluse, le recteur, ne connaît pas le montant exact du vol car « c’est l’affaire particulieres des fabriques », puis il relate son début d’enquête. Mathias Kneves tente à nouveau d’évaluer le montant du préjudice. Yves Le Calloch, de Krempeliet bras, accouru au son du tocsin, précise que « mercredy matin estant de son village pour aller battre chez un de ses voisins il apercut des traces de gens chaussés de souliers marquant leur route vers Kdevot et en revenant… ». Jean Le Berre, de Trolan, alerté lui aussi par le tocsin, estime que dans la deuxième armoire, dont il avait la charge «il devait y avoir onze écus de six livres, dans un pot vingt quatre livres en liard, et dans un autre vingt livres… ». Anne Le Guyader, femme de Guillaume Le Bihan, de Kempeliet, quant à elle, déclare que « vendredy dernier, sestant levée pour donner à boire à son mary qui est incommodé et ayant ensuite sorty de sa demeure qui n’est séparé de la chapelle de Kdévot que de deux champs, elle entendit trois heures sonner à l’horloge de la ditte chapelle, qu’elle entendit aussy vers cet endroit du bruit mais quelle ne distingua rien et quelle crut que se pouvoit etre le bondieu sortant pour quelques malades4, que voyant ce bruit s’approcher elle attendit et que deux ou trois hommes passant dans le chemin proche sa demeure, quil faisoit si noir quelle ne put scavoir positivement sils estoient deux ou trois ny mesme reconnoitre leurs véttements ; que ces particuliers ne disoit mots en passant près chez elle et qu’elle ne croit pas non plus quils en ayt etée apercûe quils faisoient route vers le grand chemin de Coray... »

De libations, en promesses d’épousailles

Quelques jours plus tard, le 30 octobre, d’autres témoins sont auditionnés : Jérôme Kgourlay, de Kdévot, Barbe Le Poupon et Jeanne Le Calves n’apportent pas de précision particulière. Mais Louise Seznec, femme de Joseph Corentin Mahé, est plus éloquente. Comme son mari, elle raconte à nouveau que deux inconnus se sont présentés quelques jours plus tôt et ont demandé les clefs de la chapelle. Ils lui ont dit qu’ils venaient de Brest, accompagnant Guénel Le Pape, lequel «estoit venu au pays dans l’intention de mettre ses bans». Elle vit le dénommé Le Pape «et un autre», décrivant assez précisément les vêtements de ces quatre individus. Et quelques jours plus tard, elle découvrit sur le placître de la chapelle une paire de sabots que personne ne réclama. Elle soupçonne donc «ces quatre particuliers comme auteurs du meffait … sans que cependant elle puisse les leur attribuer. Mais que n’ayant point vu d’autre etrangers, et ayant ete longtems a la ditte chapelle, en tout cas en possession des clefs, elle les soubçonne aussy d’en avoir fait une inspection préméditée… »
Anne Iuel, et son mari Alain Cogant, aubergistes à Ty Nevez, sur la route de Quimper à Coray, déclarent que guenel le pape, accompagnés de deux, ou trois, inconnus, sont venus plusieurs fois dans leur établissement, restant parfois plusieurs heures à consommer fortes boissons : «le jeudy ou vendredy, ils burent pour vingt cinq sols d’eaudevie, le dimanche… ils burent pour neuf francs de vin…le lundy dix-huit, les trois premiers vinrent encore à l’auberge sur les onze heures du matin, qu’ils en repartirent sur une heure de l’après midy après avoir bu sept bouteilles de vin pour lesquels ils donnerent un écu de six livres … Ils dirent qu’ils estoient au pays pour attendre les bannyes de guénel le pape…»
D’autres témoignages, notamment des aubergistes de la région, permettent de suivre trois individus, parfois quatre, qui ne passent pas inaperçus, oubliant parfois de régler des additions, comme chez Guillaume Flouttier, à l’auberge Aux bons enfants, rue des Reguaires à Quimper. Dans cette dernière auberge, la patronne, Marie Anne Conan, les a vus en compagnie de deux filles. L’une d’elle, Marie-Françoise Le Feuvre, fille de cuisine chez madame Kermorial, à Quimper, reconnut les frères Carof, Jean et Joseph-Marie, ce dernier ayant aussi travaillé chez madame Kermorial. Elle révèle même que Jean « luy demanda si elle vouloit luy donner parolle de l’épouser, ce a quoy elle consentit, et qu’à cette ocasion le dit Jean se rendit avec elle chez un orfèvre en cette ville ou ils achepterent une bague d’or du prix de quatorze livres, dont douze furent payés par le dit Jean en deux écus de six livres, et n’ayant pas de monoyes, elle le surplus de sa poche… ». S’en suivit un repas avec les futures belle-mère et belle-sœur…
Quant à Guenel Le Pape, il croit se souvenir que dans cette auberge « estant soul on refusa de leur donner du vin et qu’ayant fait du bruit à cette occasion la garde de nuit les prit et les retint au cor de garde jusques au lundy matin d’où ils sortirent pour aller chez le nommé pennec dans la rue du chapeau rouge ou ils burent jusque au soir [et] vinrent danser sur le champs de bataille »5.

Première page du dossier de confrontation de Guenel Le Pape avec 46 témoins. Archives départementales cote B910.

Les enfants recevroient l’infamie avec le jour

Les soupçons sont dès lors suffisants pour que, le 6 novembre, Augustin Le Goazre, sieur de Kervélégan, avocat du Roy au siège de Quimper, lance, un mandat d’arrêt pour que « les nommés jean et joseph caroff et guenel le pape jardiniers soyent pris et appréhendés au corps et constitués prisonniers…pour etre ouis et interrogés sur les faits résultants des charges et informations…»
Aussitôt Michel Bobet demande l’interdiction du mariage de Guenel Le Pape, car « il lui semble du ordre, du bonheur de la société et de l’intérêt que la justice doit prendre à l’état des hommes d’arrêter, ou du moins de suspendre pareil engagement, car si dans la suite les dits décrétés se trouvent être convaincus, les enfants qui naissoient d’un pareil mariage recevroient l’infamie avec le jour ».Dès lors l’enquête se poursuit à Brest, où le sieur Bobet s’installe à l’auberge du Grand Monarque. Il y reçoit Marie-Françoise Quiniou, femme Cozien, la future belle-mère, qui lui déclare qu’elle n’a rien «apperçu que d’honnettes et de l’exacte probité » chez Guenel Le Pape. Quant à Marie-Renée Cozien, la promise, elle déclare qu’elle a connu Guenel Le Pape au château de Keroual, en Guilers, où il était jardinier, et elle servante, et qu’elle « eut aimé mieux qu’il alla seul que de s’associer à gens qu’il ne connaissoit point ». Ce à quoi il répondit « que ces gens ne buvoient plus ».

Les vols se multiplient

Selon leur témoignage, ces trois individus retournèrent à Brest le 26 octobre, et y restèrent jusqu’au 3 novembre.
Lors de leur retour vers la Cornouaille, les frères Carof, étant restés du côté de Plougastel-Daoulas, Guénel Le Pape se retrouve seul à Pont-l’Abbé le vendredi cinq novembre où « il passa par-dessus le mur près de la greuve sur laquelle donne les jardins des carmes dans lequelle il avoit l’intention de sy promener…». Il ne fit pas que se promener, semble-t-il, puisque le lendemain on découvre que la chambre d’un religieux, le père Benin, a été dévalisée de tous ses vêtements.
Mais la nuit précédente un autre vol de vêtements est aussi commis au manoir de Kneisan, en Ploneour-Lanvern, chez monsieur de Kmorial, là même où Joseph Marie Carof travailla autrefois.
Les trois comparses se retrouvent à Plogastel-Saint-Germain, où les frères Carof, sont venus « chercher condition » auprès du sieur Lariviere6, au château du Hilguy. Ne le trouvant pas, ils vont au manoir de Saint-Alouarn, à Guengat. Là le sieur Lariviere leur déclare ne point avoir d’emploi pour eux en ce moment. Dès lors nos trois compagnons continuent d’errer, à Plonéis, puis à Locronan, où ils sont arrêtés par hasard à l’auberge de  La Croix blanche, le 8 novembre, vers onze heures du soir par quatre cavaliers de la maréchaussée qui recherchent des déserteurs.
C’est alors qu’arrive sur le bureau du sieur Bobet le procès-verbal d’un vol de vingt-six chemises, commis chez le sieur Chemit, receveur du château de Keroual, en Guilers, et dernier employeur de Guenel Le Pape, dans la nuit du 28 au 29 octobre, époque où nos trois lascars étaient à Brest…

Le recteur admoneste des témoins de « venir à révélation », sous peine d’encourir la censure…

Arkae > Archives > Patrimoine religieux > Fric-frac à Kerdévot > Conclusion du procureur du Roi

Au cours de son second interrogatoire, Guenel Le Pape reconnaît avoir commis, seul, le vol chez les carmes à Pont-l’Abbé. Quant aux frères Carof, qui n’avoueront rien, ils seront assez facilement confondus par les propriétaires et différents experts (tisserands, lingères, marchands de draps) sur les vêtements et tissus qu’ils détiennent, et bien qu’ils affirment que les vingt-six chemises volées à Kroual leur appartiennent !
Les suspects ont aussi des témoignages contradictoires sur leur emploi du temps, sur la propriété des vêtements qu’ils portent, parfois sur l’origine de l’argent qu’ils ont dépensé7.
Mais ce qui contrarie l’enquêteur, c’est l’absence d’aveux, et de preuve irréfutable, sur le vol de Kerdevot.
C’est ainsi que le 22 février 1774, le sieur Bobet reconnaît « que le but de la justice ne se trouve point remply, parce qu’il est encore certains faits essentiels sur lesquels on n’a pü acquérir tous les éclaircissements necessaires, qu’à la verité il reste quelques témoins à entendre ».
Aussi demande-t-il au recteur de la paroisse d’Ergué-Gabéric, de « lire et publier au prosne des grandes messes paroissiales, par trois dimanches consécutifs », un monitoire en neuf points sur les faits s’étant déroulés à Ergué-Gabéric et environ. De plus, il enjoint le dit recteur «d’admonester tous ceux et celles qui auroient connaissance des faits, soit pour avoir vû, entendu, oui dire ou autrement, de venir à révélation six jours après la publication du present a peine d’encourir la peine de la censure de l’eglise à nous réservée. »
Devant de telles menaces divines, le recteur répond, le 17 mars suivant que « se sont présentés françois hascouet de pleiben, actuellement en briec au village du leure pres Koberant, jean lozach menager de quillihouarn, louis jourdren du meme lieu, barbe le poupon de kdevot, jean le louet de trolan ». S’ils ont ainsi soulagé leur conscience, ces témoins n’apportent cependant aucun élément nouveau.

Conclusion du Procureur du Roi, Le Dall de Kéréon, sur la sentence des condamnés.

« Vehementement suspect »

Finalement, après plusieurs mois d’enquête, le témoignage de soixante-douze personnes, représentant huit cent trente-six pages d’écriture, et un dossier de dix centimètres d’épaisseur, le procureur du roi, Le Dall de Keréon prononce le jugement : « Le siège apres avoir ouy et interrogé sur la sellete en la chambre du Conseil guenel le pape joseph marie carof jean carof accusé les a declare tous trois deuments atteint et convaincu davoir dans la nuit du vingt huit au vingt neuf octobre mil sept cent soixante treize vollé au château de Kroual demeure du sieur chemit vingt six chemises, pareillement atteint et convaiqu davoir dans la nuit du quatre au cinq novembre dite année volé dune armoire estant dans une gallerie au manoir de Kaneizan ou estoient les hardes du jardinier seavoir une veste et culotte bleuf autre veste et culotte mordorée un mouchoir de soie, une veste de basin blanc une paire de bas de laine bleuatre autre de fil avec un grand couteau de jardenier encore atteint et convaincu davoir dans la nuit du cinq au six meme mois vollé de la chambre du pere benin religieux carme au pont labbé les draps de dessus son lit une toille dorillier ses chemises ses mouchoirs ses bas tant en laine cotton que file une culotte de peau une veste de toille grise un morceau de molleton blanc fauce manche peloton de fil en outre cents cinquante livre en ecu pieces de vingt quatre et douze sols contenu en deux bources dont une en duve rouge et blanche lautre en velours cramoisis comme aussy vingt une livre en rollets de dix sols en liards enfin les dits carof et le pape vehementement suspect davoir dans la nuit du vingt un au vingt deux octobre mil sept cent soixante treize vollé avec effraction exterieur et interieur de la sacristie de la chapelle de kdevot aux environ dune somme de quatre cent trente huit livres de differents vases et pots trouves dans les armoires y estants pour reparation».

Les galères à perpétuité

A la suite de ce jugement, tombe la sentence : « …condamne les dits jean, joseph-marie carof et guenel le pape a servir en quallite de forçat sur les galleres de sa majesté, et ce a perpetuite tous trois prealablement fletris sur lepaulle dextre des trois lettres G.A.L.8 A declaré touts et chacuns leurs biens meubles acquis et confisque au profit de qui il appartiendra, et si confiscation na lieu au profit de sa majeste, les a condamné chacun en cinquante livres damendes. Faite et arreté en la chambre du conseil du dit juge ce jour quatorze may mil sept cents soixante quatorze au rapport du lieutenant particulier civil et criminel ».

 

Un arrêt du Parlement de Bretagne

L’extrême sévérité de la sanction doit sans doute s’expliquer par la recrudescence des vols dans les édifices religieux à cette époque. Le Parlement de Bretagne va s’en émouvoir et édicter deux arrêts, le 13 décembre 1775 et le 12 novembre 1776, pour tenter d’y mettre fin :
«Le Procureur-Général du Roi, entré à la Cour, a remontré que les vols des Eglises, Sacristies et Coffres forts des Paroisses, deviennent de jour en jour plus fréquens; qu’il en reçoit très souvent des plaintes; qu’il se fait à ce sujet un nombre infini de procédures criminelles dans les différentes Juridictions Royales, ce qui occasionne des pertes très considérables  aux Généraux des Paroisses, tant par l’enlèvement de ce qu’il ont de plus précieux, que par les effractions considérables qui donnent lieu à des réparations forts coûteuses, à des défenses des Juges, rapports d’experts, et que ces vols se commettent ordinairement dans la saison où les nuits sont plus longues…

En conséquence la Cour ordonne «au Général de chaque Paroisse … de nommer, pour coucher dans la Sacristie, soit le Sacristain, ou tel autre qu’il jugera convenable, lequel sera tenu d’avertir les Paroissiens par le son des cloches, des tentatives qui pourroient être faites pour s’introduire dans l’Eglise, Sacristie et Chambre des Délibérations, et ce depuis le premier Novembre jusqu’au 30 Avril de chaque année… »

Un gardien et un coffre-fort

C’est ainsi que dès le mois de décembre 1775 le corps politique de la paroisse d’Ergué-Gabéric engage Hervé Le Tytur9 comme gardien de la chapelle de Kerdevot. Il est confirmé dans cet emploi le 12 novembre suivant. En 1779 il est remplacé par Jacques Le Calloc’h10.

Et l’on peut voir aujourd’hui encore, au premier étage de la sacristie de la chapelle de Kerdevot, la cheminée où l’infortuné gardien11 pouvait se chauffer durant les longues et froides nuits d’hiver…

Parallèlement le général de la paroisse semble s’être équipé d’un coffre-fort, comme le confirme une annotation du 28 juillet 1776 concernant le paiement au peintre Antoine Baldini d’une somme « retirée du coffre-fort de la chapelle Nostre-Damme de Kerdévot ». Dès lors le trésor de Kerdevot est en sécurité…

 

Les frères Carof

Joseph-Marie Carof naît au manoir de Kouannec, en Plougourvest, le 2 mai 1745, de Guillaume et Jeanne Le Balc’h. Il est l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. Jean, le troisième, naît aussi à Kouannec, le 24 juillet 1747.
Jardiniers tous les deux, ils accompagnent Guenel Le Pape, dans l’espoir de trouver du travail dans les environs de Quimper, où Joseph-Marie a déjà travaillé, au manoir de Kneisan, chez monsieur de Kermorial. Lors de leur séjour à Coat Piriou, une quinzaine de jours, il déclara qu’ils « s’occuperent à aider au délogement du dit le pape [père] qui passoit lors du dit moulin a une ferme du meme nom »1.
Quant à Jean, il fut employé chez un commandant de la Marine à Brest, et résidait chez sa sœur, dans cette même ville. Il profite de sa venue à Quimper pour demander en mariage Marie Françoise Lefeuvre, servante chez madame de Kermorial. Même s’il avait probablement connue la jeune fille lors de visites faites à son frère, qui avait le même employeur, la mère de la fiancée trouvait « qu’elle estoit peut etre allée bien vitte en cette affaire parce que les choses pouvoient n’etre pas sure ».
Quant à son passage à Kerdévot, il expliqua qu’il n’était allé à la chapelle « que par pure complaisance pour le dit Le Goff qui avoit promis de la visiter »2.
Le sieur Bobet de Lanhuron soupçonnait très fortement que le bouton trouvé dans la sacristie de la chapelle lui appartenait, ce que confirma d’ailleurs un expert marchand de drap, mais Jean Carof expliqua « qu’il en perd souvent par l’habitude qu’il a d’avoir les mains dans les poches » …
Jean Carof est le seul des inculpés à savoir signer.
 
Signatures de quelques uns des protagonistes du dossier :
Bobet de Lanhuron, Le Livec, avoué, Le Dall de Kéréon, procureur du roi, Delécluse, conseiller du siège, Audouyn Keriner, conseiller du siège, J.-B. Demizit et Férec, avocats.
En bas du prononcé de la sentence aux accusés, la signature de Jean Carof, le seul des condamnés à savoir signer.
 
1. On peut s’interroger sur ce déménagement, car les parents de Guenel Le Pape décédèrent tous deux quelques années plus tard au moulin de Coat Piriou : François, le père, le 24 novembre 1782, âgé de 61 ans, et Françoise Le Jeune, la mère, le 19 juin 1784, âgée de 57 ans.
2. Jean Le Goff, originaire de Briec, était marin à Lorient. Il connaissait Guenel Le Pape. Son frère, tailleur à Briec, confirme qu’il faisait effectivement à chacun de ses retours une visite à Notre-Dame de Kerdévot.

 

Guenel Le Pape, le fils du meunier de Coat Piriou

Né le 6 juin 1750 à Coat Piriou, Guenel Le Pape est le deuxième des sept enfants de François Le Pape, meunier, et Françoise Le Jeune. Jardinier, il semble qu’il arrive à Brest au début de 1773. Il est temporairement hébergé par Jacques Ropars, qui lui trouve un emploi chez les capucins, à Brest, avant qu’il ne trouve à s’employer, du 10 août au 5 octobre, chez le sieur Chemit, receveur du château de Keroual, en Guilers, évêché de Léon. Il se fait embaucher sous le prénom de François « parce que ayant voulu apprendre a signer son nom, [le secrétaire du sieur Chemit] luy en avoit donné des modelles au titre de françois le pape, lequel dit lors que son nom commençoit par un G, quil sapelloit Guenel, nom qu’il n’avoit pas voulu conserver parce que l’on se moquoit de luy ».
Devant le juge se présente «un homme de moyenne stature1, cheveux brun long et un peu creppu, sourcis de meme couleur, visage long, ayant une cicatrice à la joue droite, un soin2 au proche et en dessous, autre au menton du cotte goche et quelques autres sur la joue du meme cotté, yeux bleuf, né court, petite bouche ». Lors de son premier interrogatoire, le 13 novembre 1773, il est « vettu d’un habit et veste brune, culotte bleuf, le tout detoffe, jambe nue, chossé de souliers, fer au pied, chapeau à la main ».
Durant son séjour à Keroual, il fait la connaissance de Marie-Renée Cozien, originaire de la paroisse de Saint-Sauveur à Brest, qui y est servante. Ils projettent de se marier, et les bans sont publiés à Ergué-Gabéric les 17, 24 et 30 novembre 1773. C’est pour recueillir ces bans que Guenel Le Pape s’en est revenu au pays...

1. Une autre description donne sa taille exacte : 5 pieds, 1 pouce et demi, soit environ 1,57 mètre.
2. Peut-être un pansement, ou de petites plaies ?

 

Keroual, propice aux échanges britto-anglais

Après avoir travaillé chez les capucins à Brest, Guenel Le Pape est embauché comme jardinier au château de Kroual, en Guilers, près de Brest.
Au XVIIe siècle Keroual appartient à la famille de Penancoët. Née en 1649, Louise de Kerouazle de Penancoët, est remarquée par le duc de Beaufort, qui la fait engager à la cour de Versailles, comme demoiselle d’honneur de Madame, c’est-à-dire la duchesse d’Orléans, belle-sœur, cousine et ancienne maîtresse de Louis XIV, mais aussi sœur du roi d’Angleterre, Charles II. Elle accompagne la duchesse à la cour de Londres en 1670, et devient bientôt la favorite du roi, qui la fait nommer dame du palais de la reine, duchesse de Petersfield et de Porsmouth en 1672. Quant à Louis XIV il en fait une duchesse d’Aubigny en 1684.
Après la mort du roi, en 1685, la duchesse de Porsmouth s’en revient en Bretagne où elle acquiert de nouvelles terres, ainsi qu’en Ile-de-France. Mais les moyens par lesquels elle a acquis sa fortune (Saint-Simon la considérait comme une aventurière) ne sont pas approuvés par son père qui, malgré une lettre de Louis XIV en sa faveur, reste inflexible jusqu’à sa mort, en 1690, fidèle à la devise de ses ancêtres: A bep lealdet (loyauté partout). La duchesse d’Aubigny s’éteint en son hôtel parisien, rue des Saints-Pères, le 14 novembre 1734. Par le fils qu’elle eut du roi anglais, Charles de Lenox, duc de Richmond, elle est l’ancêtre d’une autre célèbre princesse, du XXe siècle, lady Diana.
Des revers de fortune l’obligent cependant à vendre Keroual en 1715 au financier auvergnat Crozat, marquis du Châtel. En 1773 c’est le petit-fils de ce dernier, le duc de Lauzun, qui est propriétaire de Keroual.
Il combattra lors de la guerre d’indépendance américaine en 1778. Elu député aux Etats généraux de 1789, il se rallie à la Révolution, dans le parti du duc d’Orléans. Il se fait dès lors appeler général Biron, combat dans les armées du Rhin, puis du Nord avant de prendre le commandement de l’armée d’Italie au début de 1793 puis, à partir de mai, l’armée de l’Ouest. Il prend Saumur puis bat les Vendéens à Parthenay. En dépit de ses états de service, il est arrêté pour trahison et guillotiné le 31 décembre 1793. Ce brillant militaire étant peu présent dans ses terres bretonnes, c’est Gabriel Joseph Benjamin Smith, avocat à la cour, procureur fiscal de la baronnie du Châtel, et résidant à Keroual, qui administre ses biens. Né en la paroisse Saint-Michel, de Quimperlé, en 1734, celui-ci épouse à Guilers, en 1760, Marie-Josèphe Lunven de Kerbiquet, fille d’un ancien capitaine à la Compagnie des Indes, à Lorient. On ne sait comment ce gentilhomme d’origine anglaise arrive en Bretagne. En tout cas les scribes locaux auront tôt fait de bretonniser son patronyme en Chemit.

 

1.  1 liard = 3 deniers – 1 sol = 12 deniers, ou 3 liards – 1 livre = 20 sols, ou 240 deniers – 1 écu = 3 livres, ou 60 sols. La monnaie était encore plus complexe, puisqu’il existait, outre des liards et deniers, des pièces de 3 livres, d’autres de six livres… Quant à la livre, c’était uniquement une unité de compte.
 
2. Il est difficile de comparer ces sommes à la monnaie actuelle. Selon les sources, on peut estimer qu’une livre de 1787 équivaut à 20 euros d’aujourd’hui, ce qui permet d’évaluer le préjudice du vol de Kerdevot à environ 8760 euros. Autre comparaison, Guenel Le Pape est engagé chez le sieur Chemit, en août 1773 aux gages annuels de 28 écus, soit 84 livres. La somme dérobée à Kerdévot représentait donc plus de cinq ans de salaire d’un jardinier. En fait, il ne reçut que 8 livres et demi de gages, pour son travail du 10 août au 5 octobre, soit 47 jours.
 
3.  Il s’agit de la publication des bans du futur mariage de Guénel Le Pape avec Marie-Renée Cozien, de la paroisse Saint-Sauveur, de Brest, publiés à Ergué-Gabéric les 17, 24 et 30 novembre 1773.
 
4. Il ne faut pas voir dans cette drôle d’expression une imagination mystique, alimentée par les korrigans, ou autres lutin noz, mais plutôt le résultat d’une alchimie syntactique entre ce que dit Anne Le Guyader, ce que traduit l’interprète, et ce que transcrit un scribe ayant beaucoup de difficultés avec la langue française... Il faut donc comprendre que Anne Le Guyader croyait que ce pouvait être le prêtre qui allait porter un sacrement à quelque malade.
 
5. D’après un témoin, c’est rue Obscure (actuelle rue Elie Fréron)  que le «dimanche 24 octobre sur les onze heures, le fils le pape et un autre petit maigre [Jean Carof] avoient quelques altercations avec le fils d’un cloutier de cette ville, que le sergent de garde... ayant vu que le dit le pape et son camarade estoient yvre il les fit mettre au corps de garde, que guenel s’y endormit ainsy que lautre ».
 
6. Jacques Nador, dit la Rivière, était jardinier au château du Hilguy.
 
7. Ainsi Bobet de Lanhuron réussit à confondre Jean Carof, qui prétendait que son argent venait de ses gages de jardinier chez un commandant de navire, en consultant les services de la Marine.
 
8. Sous l’Ancien régime les condamnés étaient marqués au fer rouge des lettres V pour les voleurs, TP pour ceux condamnés aux travaux forcés à vie, T pour les condamnés à une peine temporaire, F pour les faussaires, et GAL pour ceux condamnés aux galères. Aboli en 1791, ce type de peine fut rétabli sous l’Empire, en 1806 (le châtiment était alors public), avant d’être définitivement supprimé en 1832.
 
9. Né à Elliant le 15 février 1743, Hervé Le Titur décède à Kerdevot le 11 août 1822. En 1790 il est journalier au Petit Kerampelliet.
 
10. Il s’agit sans doute de Jacques Le Calloc’h, né à Ergué-Gabéric le 25 juillet 1737, décédé à Kergaradec le 26 mars 1782, époux de Gilette Quéméré. Dans les délibérations de la fabrique son prénom est écrit sous la forme hébraïque de Jacob. Le 21 août 1779 on trouve également  le décès d’un Guenec, contraction de Guézennec, Le Calloc’h, transcrit en Winoc !
 
11. L’arrêt prévoyait une rétribution de 3 livres par mois, à prélever sur le compte de fabrique.

 

Dossier (textes et photos) réalisé par Jean-François Douguet - Keleier 73 - avril 2012

 

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Trésors d'archives > Patrimoine rural > Les laitiers d'Ergué-Gabéric

Les laitiers d'Ergué-Gabéric, fournisseur de lait à Quimper

René Danion 

 

François Ac'h : Cet article de René Danion nous présente un métier disparu, qu’il appelle « laitier de proximité ».

Il désigne par là les agriculteurs d’Ergué-Gabéric qui vendaient directement leur production de lait à Quimper, la livrant eux-mêmes surtout dans les épiceries, accessoirement dans les crêperies et pâtisseries. Il a lui-même pratiqué ce métier. Il n’ignore pas que dans la même période il y avait aussi des « laitiers » proches du Bourg ou de Lestonan qui vendaient directement de la ferme à leurs clients et voisins.

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Localisation

Géographiquement, les « laitiers » qui vendaient directement leur production à Quimper avaient, du moins avant la guerre,  leur ferme au plus près de la ville, c’est-à-dire au confluent de l’Odet et du Jet, ce qui diminuait le temps de trajet pour la livraison. La proximité de ces deux rivières faisait qu’ils disposaient de prairies naturelles très prisées à cette époque.
Généralement, les autres agriculteurs de la commune qui n’étaient pas « laitiers » étaient « beurriers » : la production laitière servait chez ceux-ci à la fabrication du beurre, qu’ils livraient à Quimper une ou deux fois par semaine.     
Etre ou ne pas être « laitier » relevait souvent d’une tradition familiale : on naissait « laitier » ;  c’était une vocation. Mme Le Menn, de Stang Quéau, m’a confirmé qu’à son mariage en 1945, elle avait refusé de continuer à « faire du lait » comme ses beaux-parents. Elle venait de Kerdudal, où on « faisait du beurre ».

 

Transport

Les « laitiers » étaient tenus d’effectuer une livraison quotidienne, le plus tôt possible le matin. Ils avaient à transporter en ville de 30 à 120 litres de lait, suivant l’importance de leur clientèle. Les deux fermes les plus proches de Quimper, Le Cleuyou et Kerampensal, ont toujours livré en charrette à bras, mais elles n’allaient que jusqu’à chez Zita (Poupon), à l’Eau Blanche. Les deux livreurs les plus éloignés, Lezouanac’h et Kerdilès, n’ont toujours livré (ils n’ont livré qu’après guerre) qu’en voiture l’un, et qu’en tricycle à moteur l’autre. Madame Lozachmeur, dite « Malouch Kerrous » a toujours été fidèle à son char à bancs, et « Bichette » sa jument demi-sang était bien connue à l’Eau Blanche.
La plupart des livreurs ont eu une automobile un peu avant la guerre, mais durant les 5 ans du conflit, ils ont dû revenir au char à bancs classique.

Le char à bancs avait un avantage sur la charrette : sa légèreté et la flexibilité de ses brancards permettaient le trot et donc de gagner du temps. Le cheval était souvent un demi-sang, qui se devait d’être très docile, obéissant et patient lors des arrêts prolongés. La marche sur les pavés provoquait l’usure rapide des ferrures ; les fers auraient pu tenir un mois, mais on préférait les remplacer toutes les 3 à 4 semaines, car la perte d’un fer durant la livraison pouvait abîmer la sole du sabot. Ce cheval ne participait pas aux autres travaux de l’exploitation et était pansé tous les jours.

Avant guerre puis dans l’immédiat après-guerre, ce fut de plus en plus la voiture familiale qui fit la livraison. Les pots étaient disposés dans une caisse aménagée. Ces voitures avaient une odeur particulière, car il pouvait y avoir du lait de renversé. L’auto, comme le char à bancs, ne devait pas être sale, car le client jugeait de la propreté du lait suivant celle du véhicule et aussi suivant celle de la personne qui livrait.

Avantages

Les exploitations vouées à la production et à la livraison du lait en ville y trouvaient des avantages : livrer du lait en vrac et en bidon payait beaucoup mieux que de « faire du beurre ». Et le lait était payé toutes les semaines, ce qui permettait d’anticiper sur les dépenses à venir. L’aisance financière que procurait la vente directe du lait a permis aux « laitiers » d’assurer avant les autres des investissements lourds pour l’époque : faucheuse, lieuse, batteuse…

De plus, cette situation permettait la commercialisation en parallèle de produits annexes : fruits, légumes, pommes de terre, balle d’avoine pour les berceaux. Elle donnait l’occasion de prendre des commandes de bois, de cidre : la plupart des laitiers se trouvaient sur un terroir favorable à la production cidricole, et entre eux régnait une saine émulation pour la qualité de leur production.

Par ailleurs, dans les épiceries, crêperies et pâtisseries dont nous étions les fournisseurs, nous étions aussi des clients obligés. Ce qui faisait qu’on achetait un peu de superflu, qui améliorait l’ordinaire.

Arkae > Archives > Patrimoine rural> Laitiers d'Ergué-Gabéric > Comice agricole à Ergué-Gabéric - 1953Contraintes

Ces avantages avaient leur contrepartie : disposer d’une main-d’œuvre relativement importante, qui était soumise à des horaires de travail contraignants, à une sorte d’esclavage (volontaire) : il fallait commencer sa journée à 6 heures, pour pouvoir livrer le plus tôt possible le lait du matin, dit « lait chaud ».
Cette traite, il fallait la faire tous les jours, matin et soir, même si on était légèrement malade, et cela 365 jours par an, sans un seul jour de repos, toujours suivant les mêmes horaires. Le personnel était libéré à tour de rôle le dimanche après-midi.

Comice agricole à Ergué-Gabéric vers 1953. Jean Le Menn, maire,  tient la vache.

Dans le Sud-Finistère en général, et à Ergué-Gabéric en particulier, les hommes, à quelques exceptions près, ne trayaient pas les vaches avant l’arrivée des trayeuses mécaniques. Mais c’étaient les hommes qui attelaient le cheval et chargeaient le lait dans le char à bancs.

Chez tous les laitiers, il y avait une jeune fille de la maison, ou une ou deux bonnes, à qui revenait d’effectuer la traite rapidement. Et comme dans la majorité des cas c’était une femme qui assurait aussi la livraison, elle devait d’abord faire la traite pendant une bonne heure, prendre son  petit déjeuner à la hâte et faire sa toilette avant de partir, vers 7 h 30. La livraison s’effectuait par exemple de 8 h 30 à 10 h 30, ce qui permettait d’être de retour à la ferme autour de midi après avoir fait quelques courses en ville. Si la patronne se réservait la livraison, il fallait qu’une femme reste à la maison pour s’occuper des enfants et préparer le repas de midi.

La livraison devait se faire quel que soit le temps, quels que soient les évènements de la vie : mariage, deuil à la ferme… Par gros gel et verglas, lorsque le cheval risquait la chute, mon père prenait la charrette à bras d’une voisine, mettait de vieilles chaussettes sur ses chaussures et accompagnait ma mère jusqu’au passage à niveau de l’Eau Blanche. Sébastien Coïc et Youenn Quilliec procédaient de même.

Il y avait une obligation de fournir du lait en qualité et en quantité égales toute l’année. Pour cela, il fallait essayer de bien répartir les vêlages. A défaut, on pouvait acheter une vache qui venait de vêler, en état de produire dès son arrivée. Ce marché existait au foirail du samedi à Quimper.

Il n’y avait pas trop de problèmes de qualité du lait : la plupart des laitiers avaient des vaches bretonnes Pie-Noir, au lait très riche en matières grasses, qualité recherchée à l’époque. Mais il y avait une exigence de propreté : le lait était déversé dans une passoire à trois filtres métalliques ; entre les deux derniers était disposé une rondelle ouatée. Dans toutes les fermes, après usage, cette rondelle était jetée au chat, toujours fidèle à ce rendez-vous. Inutile de dire qu’après un transit intestinal, l’expulsion pouvait en être laborieuse…
En été, et surtout les jours orageux, il fallait refroidir le lait du soir pour qu’il ne « tourne » pas. Chacun avait sa méthode : on le mettait à passer la nuit dans une fontaine, un lavoir, une rivière, mais gare aux pluies subites en cas d’orage. Il revenait souvent aux femmes d’effectuer ces déplacements du lait vers des bas-fonds à l’accès difficile, quand, en plein été, les hommes étaient encore aux champs. Mais le matin, c’étaient les hommes qui le ramenaient. Ces mesures de rafraîchissement étaient indispensables, car le client en ville n’avait pas de réfrigérateur.

La guerre

Beaucoup de choses ont changé pendant la guerre.
La première conséquence fut le retour au char à bancs pour tous, car il n’y avait plus d’essence pour circuler.
La deuxième fut qu’on avait obligation de continuer à livrer à un prix fixé à un niveau très bas. A vrai dire, à cette époque il eût été beaucoup plus intéressant de « faire du beurre » : le prix de vente du beurre par le producteur avait grimpé, et il pouvait servir de monnaie d’échange pour obtenir de la quincaillerie, pneus de vélo, ficelle pour lieuses, etc. De plus, le « beurrier » disposait du lait écrémé et pouvait donc élever des porcs. Ce qui était juteux.
Mais les « laitiers » d’Ergué-Gabéric ont tous été solidaires avec leur clientèle, qui manquait de tout. Je me rappelle avoir vu les clients avec leurs tickets, mais c’était l’épicière qui faisait la loi : un quart de litre pour un couple seul, et après, c’était selon le nombre d’enfants.

Déclin

Arkae > Archives > Patrimoine rural > Laitiers Ergue Gaberic - Coucours agricole 1930Vers 1960 la réglementation sanitaire s’est mise en place. Il fallait des bacs réfrigérés et on demandait de mettre le lait en sachets plastiques, ce qui était un travail supplémentaire à une époque où la main-d’œuvre se raréfiait.

Les petites épiceries fermaient, remplacées par des supérettes qui se faisaient livrer par des laiteries auparavant inexistantes. De plus, le stationnement devenait un problème. Il n’y eut plus que Jean Le Roux à continuer, mais il ne livrait plus que les crêperies et l’hôpital Gourmelen. Parvenu à la retraite, il aidait son fils Jean à la ferme de Lezouanac’h pour les livraisons de lait. Il est décédé à 85 ans, après avoir livré le lait le jour même de sa mort, le 1er juin 2008.

Je suis le dernier survivant de cette corporation. Beaucoup de bons souvenirs font que je ne regrette pas d’y avoir consacré une douzaine d’années. Mais les difficultés allant crescendo font que je ne regrette pas d’y avoir renoncé.

Photos : Concours agricole années 30.

René Danion.

La salle de traite ambulante de Kerhamus

Cette salle de traite mobile était en service à Kerhamus, installée pendant 5 mois de l’année dans la stabulation, et les 7 autres mois dans les pâtures. Elle comportait 4 stalles. On peut remarquer la propreté des vaches, importante pour la propreté du lait.
Les vaches venaient d’elles-mêmes se faire traire, car à l’intérieur elles trouvaient un aliment à base de mélasse très appétant (et bon marché).
Cette installation avait l’avantage de ne pas faire emprunter la route par le troupeau et ainsi de ne pas gêner la circulation.
La salle de traite de Kerhamus a fini sa carrière au Centre de formation des vachers à Saint-Ségal.
 
 
René Danion.

 

Le lait entier pendant la guerre : un produit rationné et taxé

Arkae > Trésors d'archives > Patrimoine rural > Le lait entier pendant la guerre : un produit rationné et taxéDès l’automne 1940, il a fallu faire face en France à une forte pénurie de matières grasses, conséquence de l’état de guerre (cheptel réduit, usines dévastées, blocus anglais interdisant l’importation d’oléagineux des colonies…).

C’est surtout le beurre qui fait défaut : il faut donc un contrôle strict des quantités de beurre produites, et une organisation unique de son ramassage et de sa mise en vente.
Il y aura beaucoup de problèmes dans le Finistère pour faire entrer toute la production de beurre dans le circuit unique de commercialisation créé sous l’égide du Groupement Interprofessionnel Laitier.
Ce G.I.L. doit organiser la répartition entre la population finistérienne, mais doit aussi fournir aux troupes d’occupation les quantités exigées, et trouver quelques excédents à destiner aux autres départements français sous-producteurs.

La tension sera moindre en ce qui concerne le lait entier (non écrémé), qui est rationné et taxé comme le beurre.
Le lait écrémé, lui, restera en vente libre, à condition qu’il ait été écrémé à la machine et non à la cuiller. Ainsi les consommateurs qui n’ont pas droit au lait entier peuvent cependant être servis en lait écrémé, qui est taxé mais ne fait pas l’objet de rationnement.

Le rationnement du lait entier est imposé dans le pays par décret du 17 septembre 1940, applicable à partir du 1er novembre suivant. Cela veut dire que chaque consommateur n’a droit qu’à une quantité limitée, et  que seuls les consommateurs munis de cartes spéciales peuvent être servis en lait entier jusqu’à concurrence de la quantité spécifiée sur les cartes. De leur côté, les producteurs de lait fournissant des villes agglomérées de plus de 2000 habitants doivent demander une carte professionnelle qui leur est délivrée par le G.I.L., dont le siège est à l’office central de Landerneau ; cette carte les autorise à vendre le lait entier dans le cadre du rationnement. Le 10 de chaque mois suivant chaque trimestre, ils adressent au G.I.L. les fiches et talons des cartes de lait du trimestre précédent
De leur côté, les commerçants détaillants aussi ont à présenter une carte professionnelle « Catégorie F1 » et à assurer les mêmes déclarations trimestrielles.

La taxation du lait entier a pour objet de fixer une fourchette de prix pour la vente (un prix minimum et un prix maximum) du producteur au détaillant, comme du détaillant au consommateur, et donc de déterminer la marge autorisée. Ces prix sont fixés par un Comité local interprofessionnel (ainsi, en novembre 1940, le producteur vend le litre de lait écrémé 1,10 francs et le litre de lait entier 2 francs).

Cette réglementation concernant le lait entier ne fut que faiblement respectée. A preuve cette lettre du 30 juin 1943 relative au « Ravitaillement en lait de la population civile » adressée par le Feldkommandant Dr. Vischer au Préfet du Finistère (ADF 200W20) :

« Conformément aux règlements, le lait entier ne doit être délivré qu’à certains groupes de consommateurs contre remise de tickets. Or il est constaté que notamment dans les petites localités, la distribution du lait s’effectue sans contrôle et surtout soit que les Maires ne délivrent pas de cartes de lait, ou qu’ils ne se conforment pas aux prescriptions du règlement n°4. En conséquence, je vous demande :

  • de faire vérifier dans toutes les communes si les règlements relatifs à la délivrance des cartes de lait sont respectés.
  • de prendre les mesures nécessaires pour que les propriétaires de vaches laitières, autorisés à vendre du lait entier, ne délivrent du lait entier que contre remise de la carte de lait et qu’ils rendent compte mensuellement au Groupement Laitier en lui faisant parvenir les cartes reçues. La négligence apportée dans le Département du Finistère à l’observation de ces prescriptions ne saurait être tolérée plus longtemps.

Il serait d’ailleurs souhaitable que l’Administration française sauvegarde son crédit sans l’intervention des Forces d’Occupation et qu’elle fasse elle-même respecter les lois françaises ».

Ouest-Eclair a fait état de nombreuses condamnations pour non respect de la réglementation :
« Une ménagère de Quimper est poursuivie pour avoir acheté du lait sans remettre de tickets, et une commerçante pour lui avoir livré ce lait. Toutes deux ont été condamnées à 16 francs d’amende avec sursis. »
« Trois cultivateurs de Ploaré et Kerlaz sont prévenus d’avoir livré du lait entier à leurs clients sans leur demander les tickets correspondant à la quantité de lait livré. Leur avocat, Maître Le Coz fait remarquer qu’il ne s’agit pas de vente de lait sans tickets, mais uniquement de transport sans tickets. En effet, le supplément de lait pour lequel ils n’étaient pas en possession de tickets devait être livré à des clients occasionnels contre remise de tickets. Après déposition de l’inspecteur du contrôle qui dressa procès-verbal, les trois cultivateurs sont condamnés chacun à 16 francs d’amende ».
(Journal daté du 26 février 1941).

François Ac'h.

 

Dossier réalisé par René Danion et François Ac'h - Keleier 72 - mars 2012

 

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