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Terre d'argile et de potiers

De l'argile aux potiers à Ergué-Gabéric

Il y aurait eu des potiers à Ergué-Gabéric. Où ? Quand ?
D’où provenait l’argile qu’ils utilisaient ? Qu’est-ce que nous en savons ?
 

Des terres louées pour en extraire de l’argile à potier

Un article signé Daniel Bernard, paru en 1923 dans le Bulletin de la Société Archéolo­gique du Finistère nous fait connaître trois documents qui évoquent des terres louées pour en extraire de l’argile à poterie :

Il y a d’abord cet aveu (ac­cord) établi en 1493 par Isa­belle de Lesmaès, veuve de Canévet de Kerfors, au béné­fice de Charles de Kerfors, son fils aîné, par lequel celui-ci re­çoit entre autres donations :
« item une migne (mine) de terre de laquelle on fait des potz, affermée anciennement aux po­tiers qui la tiennent, sçavoir Je­ han Le Dourgar, Jehan Guézennec, Geoffroy Poupon et Guion Le Baelegou, la somme de 10 livres monnoie pour chacun an, a estre poyez aud terme de la Sainct Michel ». On sait que Geoffroy Le Pou­pon habitait à Parc-al-land en 1498. Il n’est pas dit où se trouvent précisément ces terres louées à des potiers pour en extraire de l’argile. Elles re­lèvent du Manoir de Kerfort.
 
Un autre aveu, daté de 1634, évoque une autre transaction :
« la poterie dudict Ergué affer­mée à Vincent Legall et Yvon Le Galland, pour payer par an quarante huit livres tournois (monnaie frappée à Tours, et par la suite monnaie royale) et une charge de potz ».
 
Puis, en 1652, dans un aveu fourni par Guy Autret, Sieur de Missirien, pour Lezergué, il est question de « deux parées de terres froides ou grandes ga­rennes dans lesquelles on tire de l’ardille (argile) à faire des potz, affermées à plusieurs parti­culiers et pouvant valoir com­munes années cent livres et six charges de potz ».
 
Première conclusion que nous pouvons tirer de ces docu­ments : du XVe au XVIIe siècles, les nobles de Kerfort louent à des potiers des terres dont ceux-ci extraient de l’ar­gile pour leurs fabrications.
 
 

Des potiers recensés le long de la route Quimper­ Coray

En septembre 1794, Jacques Cambry, un lorientais deve­nu Commissaire des Sciences et des Arts, est chargé d’une mission dans le Finistère : il doit établir un rapport, qui se­ra publié en 1799 sous le titre Voyage dans le Finistère ou Etat de ce département en 1794-1795, sur les biens nationaux, les activités économiques, les coutumes... du département.
 
A Quimper, il s’attarde sur les faïenceries de Locmaria, et si­gnale entre autre chose : « J’ai parlé de la faïence de Locmaria ; il existe d’autres pe­tites manufactures de grosse po­terie et de vases de grès dans le même lieu, à Gabéric, à Ergué ».
 
Effectivement, le recense­ment de la population effectué en 1791, signalait quatre po­tiers sur la commune d’Ergué­Gabéric : à Bec-ar-Menez, à Kervinic, à Kervéguen et à Mes­naonic.
  • A Bec­ ar­ Menez c’est Yves Coatmen (42 ans) qui est installé comme potier avec sa famille. Mais les registres d’Etat-civil ne signalent aucun potier qui lui ait succédé, pas même parmi ses cinq fils.
  • A Kervinic, Louis Istin est présenté à la fois comme potier et cultivateur en 1790. Voilà quelqu’un qui est né à Elliant en 1749, a habité suc­cessivement Parc al land, puis Guilly-huec, et qui est donc en 1790 à Kervinic avec son fils âgé de 22 ans. Un autre fils, Louis, sera signalé comme « potier-cultivateur » en 1798 à Guilly-vian, puis, en 1842, à Kervernic. Mais aucun des deux fils de ce dernier n’est mentionné comme potier.
  • A Kervéguen, Alain Huitric, 37 ans, exerce comme potier avec sa femme, son fils et sa fille.
  • A Mesnaonic, on trouve Ma­thias Gourmelen (51 ans), sa femme et trois domestiques.
  • On ne trouve pas de potiers ni dans la descendance d’Alain Huitric (Kervéguen), ni dans celle de Mathias Gourmelen (Mesnaonic).
  • Par ailleurs, les registres d’Etat-­civil des années sui­vantes devraient, à travers les informations qu’ils nous donnent, nous permettre de sa­voir l’importance de la profes­sion, la localisation des potiers éventuellement la permanence de certaines familles de potiers. Ainsi, nous repérons :
  • Joseph Quiniou potier à Kervoréden, en 1808.
  • René Jean Lozach, cultiva­teur et potier à Kerouzoul en 1817.
  • Louis René Gourmelin, né en 1814 à Kerfeunteun, est potier à Garsalec en 1850 et en 1852.
  • François Laurent, né à Pluguffan, est indiqué potier à Kervernic en 1854, puis cultiva­teur en 1856 et 1857, au même endroit.
  • Jean Laurent Toussaint Caugant est « potier » à Garsa­lec, en 1864-1866, et sa femme également est dite « po­tière et ménagère ». Mais en 1868 et 1878, ils sont à Len­hesq.
Pour aucun d’entre eux, il n’est signalé que leur descen­dance ait poursuivi dans le même métier et, à fortiori, dans le même lieu.
Quelles hypothèses pouvons- nous dégager des observations ainsi faites après la Révolution ?
  • On peut être potier et cultiva­teur à la fois. Mais le plus sou­vent, c’est uniquement l’activité de potier qui est mentionnée, ce qui ne veut pas dire que celle-ci excluait un travail an­nexe de culture et d’élevage.
  • Seul sur quatre, le potier de Bec-ar-Menez est qualifié d’ « actif » en 1790, c’est-à­dire ayant des revenus suffi­sants pour le rendre imposable.
  • Le métier (perçu comme acti­vité principale) ne semble pas se transmettre souvent de père à fils. Par ailleurs les potiers et leur descendance ne semblent pas avoir été établis durable­ment dans le même village. Il s’agirait donc d’un artisanat aléatoire.
  • Cependant, les potiers sont habituellement installés dans les mêmes villages, situés de part et d’autre de l’axe routier Quimper-Coray, qui traverse la commune d’ouest en est en em­pruntant une ligne de crête.Cette zone d’implantation au­rait un lien direct avec la pré­sence d’argile dans ces lieux.


Localisation des dépôts d’argile à Ergué-­Gabéric

En effet, l’essentiel de ce sec­teur est constitué de granites et granodiorites d’âge hercynien (250 à 400 millions d’années) et de micaschistes briovériens (600-650 millions d’années) dans lesquels sont situés les ni­veaux argileux en alternance avec des niveaux de grès. La présence d’argile au lieu­dit « Garront Leston » au sud de Leston Vihan est signalée dans le compte-rendu du conseil municipal du 9 août 1840, relatif au projet de dépla­cement du Bourg vers Lesto­nan.
A ce compte-rendu sont jointes les observations de per­sonnes opposées au déplace­ment, qui décrivent cette garenne de Lestonan dans les termes suivants : « Le terrain sur lequel il est question de transporter le bourg est en entier composé d’une épaisse couche d’argile si compacte qu’il sert à la fabri­cation de la poterie... que le terrain étant assie sur argile à potrie et n’absorbant pas les eaux de pluie, est inon­dés tous les hyvers et présente pendant plusieurs mois de l’an­née l’aspect d’un véritable ma­rais ».
Aujourd’hui des traces de l’ex­ploitation d’argile peuvent être observées à Ty Poisson où, au milieu des bois, des trous de quelques mètres d’extension et d’un mètre de profondeur au maximum, remplis d’eau en hi­ver, attestent de ces anciens tra­vaux.
 

Formation et composi­tion de l’argile

Les argiles ou roches argi­leuses sont composées d’élé­ments provenant de l’altération mécanique ou chimique de roches préexistantes, telles que les granites, les gneiss ou schistes. Elles sont observées en amas sur leur lieu de formation, ou peuvent être transpor­tées par le vent ou l’eau, puis se déposent en couches épaisses et continues dans les formations sédimentaires
 
  • La kaolinite, de couleur blan­châtre, utilisée en céramique et en particulier dans la fabrication de la porcelaine. En Bretagne le kaolin est encore exploité à Berrien (Finistère) et à Ploemeur (Morbihan).
  • La montmorillonite, connue sous l’appellation de terre de Som ­ mière, qui est utilisée comme dé­tachant, ou comme bentonite employée dans l’industrie pétro­lière.
 
Ces minéraux ne se ren­contrent pas isolément, mais dans des roches composées de minéraux typiques des argiles et d’autres minéraux tels que du quartz, des oxydes de fer, du calcaire, des débris végétaux.
 

Utilisation de l’argile

L’argile est un des plus an­ciens matériaux utilisés par l’homme. Mélangée avec de l’eau, elle donne une pâte qui peut être facilement moulée ou mise en forme. Après cuisson, elle donne un objet résistant et imperméable, tels que les céra­miques et les porcelaines, mais aussi tuiles et briques.
L’argile exploitée à Ergué Ga­béric, appelée glaise ou terre glaise, est de couleur grise, ver­dâtre ou brune, à cause de la pré­sence d’oxydes de fer et autres détritus mélangés aux minéraux argileux. On ne connaît pas sur la commune de dépôt de kaolin permettant la fabrication de por­celaine.
A Ergué-Gabéric l’argile de­vait vraisemblablement être utilisée pour la fabrication d’objets en terre cuite tels que vases, plats, briques et tuiles, et par les enfants pour la fabrication de billes.
On connaît une autre utilisa­tion de ressources minérales ex­ploitées à Ergué Gabéric. La faïencerie Keraluc de Quimper a utilisé des feldspaths (miné­raux essentiels de la plupart des roches magmatiques et de cer­taines roches métamorphiques ; les feldspaths par altération peuvent former de la kaolinite) provenant d’Ergué Gabéric pour la décoration de ses grès. Le manque d’homogénéité et le coût de préparation de ces maté­riaux bruts pénalisèrent leur uti­lisation, qui fut remplacée dans les années 1960 par l’émail de grès uni.
Jean-René Blaise - Keleier Arkae n° 52 août 2007

Souvenirs d'enfance (années 1940-1950) d'André Le Bihan (né à Kervoreden)
 
« Etant né et ayant passé ma jeunesse à Kervoréden en Ergué-Gabéric, j’ai quelques souvenirs liés à l’argile (« pri prat »). En effet dans la petite vallée allant de Saint André vers Guily Vras, Kerouzel, Mu­nugic, c’était des terres froides (« ar yeun »). Il y avait un trou à « Parc Pen all » d’où on extrayait l’argile servant à boucher les trous dans l’aire à battre (« ar leur ») et dans la cuisine dont le sol était de terre bat­tue. Les enfants, pour s’amuser, confectionnaient des objets divers en argile et les faisaient cuire dans l’âtre du foyer qui servait pour la préparation de la nourriture des cochons « Loch ar poël ».

 

L’oncle Lanic, qui était bouilleur de cru, distillait certaines fois, selon ses pérégri­nations (aujourd’hui on dirait planning), dans une espèce de clairière appelée « Ty Poézen ». Je pense que ce nom avait un rapport avec la poterie, « poez ». C’était à coté de Pen Carn Lestonan, vers Kerouzel et Garsalec. J’allais le voir à son travail. Voir distiller, c’était toujours magnifique... ».
Les minéraux les plus com­muns dans les argiles sont : l’illite, la forme la plus ré­pandue, qui est utilisée dans la fa­brication des objets en terre cuite, principal constituant des ar­giles trouvées à Ergué Gabéric. »
 

Trésors d'archives > Pat. religieux > Inhumation foraine d'un sonneur en 1729

Inhumation foraine d'un sonneur en 1729

 
C’est en consultant les registres paroissiaux d’Ergué-Gabéric que M. Henri Chauveur, membre d’Arkae, et généalogiste aguerri a relevé ce récit d’une mort peu catholique aux yeux du recteur Jean Edy qui signe au bas de l’acte.
M. Chauveur a complété sa trouvaille par des données à l’intention d’autres généalogistes d’Arkae qui auront peut-être des éléments à apporter sur les personnages ou les événements évoqués.
 

Le chemin de l'enfer ou le suicide du sonneur

Ce jour, 29 janvier 1728.
En vertu de la permission de monsieur le juge criminel, le procureur du Roy du présidial de Quimper dudit jour 29 janvier 1728 a été inhumé par moy soussignant, hors des lieux saints dans une fosse faite exprès et bénite conformément au rituel, vis à vis près de la croix de Kergaradec, le corps de Hervé Riou âgé d’environ 60 ans, mort au village de Kernaon, où ayant été appelé pour sonner a une noce, plusieurs des conviés qui nous ont dit que y avoit bu avec beaucoup d'excès. Il déboucha le four du village qui avoit été chauffé le jour précédent, le dit jour, le même [Hervé Riou] pour s’y mettre, d’où il fut extrait par plusieurs des conviés qui nous ont dit affirmé en présence desquels il expira peu de temps après, sans pouvoir parler ni avoir aucune connaissance. Le p(résent) cadavre, nous avons jugé a-propos d’inhumation dans la fosse, attendu son genre de mort extraordinaire, l’abus et le mépris qu’il a fait pendant les dernières années de sa vie des principaux devoirs de la religion, quoiqu’il luy été fait dans différents temps plusieurs remontrances salutaires de la part de l’abbé de Lahaye titulaire de cette paroisse, comme le dit sieur abbé nous l’a affirmé.
Le dit enterrement en présence d’Hervé Riou fils du défunct, de Laurent Le Corre, de Pierre Claude, de Maurice Le Barz et autres.  
Signé : Edy : Recteur d’Ergué-Gabéric
Relevé sur le registre des BMS de 1682 à 1729 : Commune d’Ergué-Gabéric
 
Keleier arkae n°23
 
 

Inhumations Foraines

Suite à la publication dans notre Keleier n°23, du document découvert par M. Chauveur, rapportant la mort étrange et l’inhumation d’Hervé Riou, le Père Castel a aimablement accepté d’apporter un complément d’information sur les inhumations dites « foraines », c’est à dire en dehors des cimetières.
 
« Les lecteurs des Keleiers de novembre et de décembre 2002, ont été intéressés par le récit de l'inhumation d'Hervé Riou au pied de la croix de Kergaradec le 29 janvier 1729. Frappés par son caractère particulier, la question s'est posée de savoir si ce procédé d'inhumation foraine, c'est-à-dire, en dehors des lieux coutumiers, a été courant dans le passé.

Reconnaissons tout d'abord que les pratiques de la sépulture chrétienne ont évolué depuis les origines. Dans les premiers siècles, les fidèles n'innovant en rien sur ce sujet, se sont conformés à la loi romaine des XII Tables qui interdisait d'ensevelir les morts à l'intérieur des murs des cités. Les cimetières chrétiens étaient donc, comme les autres, situés hors des agglomérations, principalement au long des voies qui les desservaient.
Il a fallu attendre le temps des invasions barbares pour voir, par mesure de protection, se dessiner la pratique de porter le corps des défunts dans les cités, à l'intérieur même des églises ou immédiatement autour dans des cimetières. Un tel usage, vite généralisé, aura tendance à s'imposer pour des raisons spirituelles, les défunts participant ainsi de près aux prières et aux suffrages des vivants.

Néanmoins, on ne peut s'en tenir à une vue simplificatrice dans sa généralisation. Au fil des siècles, et selon les contrées, la règle énoncée a été loin de faire l'unanimité. Ainsi, s'est perpétuée durant tout le Haut Moyen Age, et après, l'habitude d'enterrer dans les jardins ou au pied des croix de carrefour. On en a un témoignage dans la protestation émise en 1128, par Jean, évêque de Saint-Brieuc. A l'occasion de la consécration de l'église et du cimetière de Notre-Dame devant le château de Jugon, il interdit d'ensevelir les corps des défunts de cette citadelle aux croix des carrefours et en tout autre endroit qui ne possède pas le statut de cimetière.

Au siècle suivant, le pape Innocent III recommande comme non raisonnable l'usage d'enterrer dans des lieux « nouveaux, moins religieux ». On en déduit que cela se faisait un peu partout dans la chrétienté. Ainsi, les interventions, tant épiscopale que papale, confirment qu'en marge des sépultures ecclésiales et cimétériales, existaient des inhumations « sauvages », disséminées au gré des personnes et des circonstances.
Dans un tel contexte, l'insistance sur le regroupement des morts a pour objectif de socialiser des populations éparpillées à travers un territoire rural où les moyens de communication étaient souvent rudimentaires. Rapprocher les morts devient une manière de souder une communauté.

En Finistère nous pensons avoir l'attestation d'une inhumation foraine qui, à en juger par le style du monument, peut remonter au Xlle siècle. Elle est fournie par la croix de pierre, croix relativement isolée dans la campagne de Bourg-Blanc. La croix de Kerviliou (Atlas des Croix et Calvaires du Finistère, n° 93), située à peu de distance du hameau de Lagaduzic, se dresse sur le bord de la route qui monte de Bourg-Blanc à Plouvien. De facture simple, monolithe, la place habituelle du crucifix est occupée par une petite croix pattée légèrement en relief. L'intérêt de ce petit monument réside dans son revers. Sur toute la hauteur du pal se déroule une inscription latine de quatorze lignes en onciales gravées en creux. Elle indique de toute évidence qu'il s'agit d'un monument funéraire : PVNC / TA / FVI / PRO /AMI / MA : / MAV / RICII / FILII :/GVI/DO/NIS/ ANNO /DNI. (J'ai été taillée pour l'âme de Maurice fils de Gui, l'an du Seigneur). C'est évidemment la croix qui parle et dit, à qui sait lire, pour qui elle a été faite. On ne peut, certes, savoir à moins d'entreprendre une fouille si c'est ici le lieu de la sépulture de Maurice, fils de Gui. La pierre pourrait être un simple monument commémoratif. De toutes façons, se rapportant à une inhumation, elle se trouve à l'écart de tout lieu bénit « hors des lieux saints » spécialement réservés à cet effet.

La coutume d'inhumation foraine, bien que l'information documentaire soit décevante, semble être moins rare qu'il ne paraît. Le 4 avril 1647, le père jésuite Briséion, missionnaire alors en poste à Cléguérec demande dans une lettre à l'archidiacre René Gouault la création d'une nouvelle trêve pour le village des Salles. Il avance, entre autres considérations, de « pourveoir à la sépulture des morts, que l'on enterre dans les grands chemins, quand ils n'ont pas de quoy se faire porter si loing ». (Alain Croix, La Bretagne au XVIe et XVIIe siècles, tome II, p. 1006 et 1007). Voilà donc une preuve patente d'inhumations foraines.

En plus des inhumations aux croix ou « dans les grands chemins », ce qui, paradoxalement rejoint une pratique chrétienne primitive, mais en dehors de son contexte, se sont créés des cimetières forains en temps d'épidémie, pour éviter autant que faire se pouvait la propagation du fléau. A Locmaria-Plouzané, dans le Léon, l'épidémie de peste qui sévit du 20 mai au 3 novembre 1640 fait cinquante-trois victimes. Pour les ensevelir on creuse des fosses à distance du bourg dans le champ appelé Parc an ltroun Varia qui appartenait à la fabrique. En souvenir de quoi on dressera sans tarder un oratoire dédié à saint Sébastien, un des saints anti-pesteux, au lieu où se dresse aujourd'hui l'édifice qui date de 1862.

Il est possible que les croix dénommées « Croas ar Vossen, « croix de peste » situées à faible distance de certains bourgs, signalent des lieux de sépultures anonymes. Ainsi à Plouézoc'h, les mots Groas A Vocen, s'inscrivent sur la croix foraine datée de 1621. A l'ouest du bourg de Ploumoguer, au lieu-dit Ty-Guen, Croas ar Vossen se dresse dans un petit enclos qui pourrait être le cimetière réservé aux pestiférés.

Sans prendre en compte aveuglément les traditions locales qui affirment sans nuance que les croix de chemin signalent nécessairement des sépultures, il y aurait intérêt à se pencher de plus près sur le phénomène en élargissant un début d'enquête provoquée par la croix d'Hervé RIOU érigée en 1729. »
Yves-Pascal Castel,10 janvier 2003 - Keleier Arkae n°30
 
 

Trésors d'archives > Pat. religieux > Les statues du calvaire de Kerdevot

Les statues du calvaire de Kerdevot

Où sont-elles passées, les statues du calvaire de Kerdévot ?

Cette question maintes fois posée reçoit invariablement la même réponse : on n’en sait rien. On ne sait même pas s’il y a eu des statues, un jour, dans les 12 niches. Tout au plus peut-on dire qu’il y a très peu de calvaires qui n’auraient pas reçu les personnages qu’ils ont pour fonction de présenter au public. On peut aussi avancer sans risque d’erreur que les 12 niches étaient destinées à recevoir les 12 Apôtres, comme c’est le cas à la chapelle de Quilinen en Landrévarzec.
 
Par ailleurs, on connaît assez bien la tentative du recteur Gustave Guéguen de pallier cette absence béante qui semble interdire au calvaire de Kerdévot d’être classé parmi les plus remarqués.
 
Au commencement de cette histoire, on n’en sera pas étonné, il y a bien sûr la famille Bolloré, plus exactement Madame Bolloré. Certains l’avaient complimentée publiquement  le jour de son mariage en 1910 avec René Bolloré, en déclarant: « nous avions déjà Notre-Dame de Kerdévot, et nous avons aussi maintenant notre dame d’Odet ». Elle a manifesté un certain attachement à la chapelle de Kerdévot, mais pendant la Seconde Guerre Mondiale, quand deux de ses enfants rejoignirent l’Angleterre, l’aîné René-Guillaume en 1942, puis le benjamin Gwen-Aël, elle eut à craindre pour eux et se rapprocha plus encore de Notre Dame de Kerdévot. Elle fit un vœu : elle « ferait quelque chose » pour Kerdévot si ses deux fils revenaient sains et saufs de la guerre.
 
Il faudra attendre 1954, année déclarée « mariale » il est vrai, pour que cet engagement prenne forme : Madame Bolloré demanda alors au recteur Gustave Guéguen ce qu’elle pourrait faire pour embellir Kerdévot. Le recteur avait déjà beaucoup fait dans ce domaine depuis la fin de la guerre : un trône pour la statue de la Vierge en novembre 1945, la réparation des vitraux à Paris en 1950, l’enlèvement, la même année, de la tribune déclarée « inesthétique et inutile» par le recteur, une copie par Guillaume Saliou de la statue de Notre-Dame de Kerdévot en 1953 et de son trône en 1954… Après maintes réflexions, est retenue l’idée de faire fabriquer, dans un premier temps, six statues à poser dans les niches du calvaire.
 
Dans son journal, à la date du mercredi 7 juillet 1954, le recteur note : Monsieur Gwenaël Bolloré m’a dit que je pouvais compter sur 4 statues d’apôtres au moins pour le calvaire de Kerdévot à 30.000 l’une. Le lendemain, je me suis adressé à Beggi, le sculpteur, qui va se mettre à l’ouvrage.
 
Plus d’un an après, le 23 août 1955, on peut lire dans le même journal : « Le marbrier de Quimper (Monsieur Beggi, de Carrare) est venu apporter les quatre premiers apôtres du calvaire de Kerdévot : St Pierre, St Jean, St Barthélemy et Saint Mathieu. J’avais demandé le premier groupe apostolique : Pierre, Jacques, Jean André. Il appelait Saint Barthélemy Saint Rémy, et Saint Mathieu Saint Christophe !!! Les statues sont très bien faites, plus fines que je pensais et vont admirablement dans leur niche. On a profité pour descendre la Pieta1 et L’Ecce Homo2 : le fût de la croix est ainsi plus dégagé. A 11 heures, tout était en place ».
 
Les quatre statues sont donc dans leur niche pour le pardon de Kerdévot de septembre 1955. Mais dans son journal à la date du 11 septembre suivant, « Gustave » parle très rapidement de ces statues qu’il a « reçu ordre d’enlever et qui seront enlevées le jeudi suivant pour éviter les difficultés ultérieures ».
L’évêque, Mgr Fauvel, était présent aux Vêpres de ce pardon de Kerdévot. Le recteur observe simplement dans le même journal, au 11 septembre également, que l’évêque « a admiré le bénitier et un peu critiqué les statues. Bernard de Parades m’a dit que moyennant quelques modifications, cela pourrait aller ».
C’est ainsi que « Gustave » se vit désavoué dans son initiative, contredit dans ses goûts artistiques et mal soutenu par ce jeune évêque qui lui paraissait être un successeur un peu pitoyable du vénéré patriarche Mgr Duparc. Il ne nous dit rien de plus. Son amour propre en prit certainement un coup Il va décéder six mois plus tard.
 
En réalité, un différend avait éclaté entre Monsieur Caillaux, inspecteur des Monuments Historiques et notre « Gustave ». C’est ainsi que les quatre premières statues quittèrent leur niche. Nous ignorons sur quoi portait exactement le litige : une question de forme (le fait d’avoir pris une telle initiative sans en référer aux Beaux-Arts), ou sur une question de fond (les principes en vigueur en matière de restauration).
 
Les quatre statues furent entreposées au presbytère. L’une y est toujours. Elle mesure 90 cm de hauteur. Elle est habituellement présentée comme statue de Saint Barthélemy, qui était bien un apôtre de Jésus, et qui a subi le martyre, écorché vif. Les attributs traditionnels de sa statuaire ou des peintures qui le représentent sont ou bien le coutelas (qui aurait servi à l’égorger) ou bien une peau humaine (la sienne) qu’il brandit dans sa main. Or la statue que l’on peut voir au presbytère représente un personnage tenant à la verticale contre son corps une scie de long et fait allusion à une mort par tronçonnage à l’aide d’une telle scie. C’est ainsi qu’est habituellement représenté Saint Simon, autre apôtre. Alors ?
 
Une autre statue se trouve à « la Retraite » de la rue Verdelet à Quimper. Elle représente un Saint Pierre portant une énorme clef
 
Une troisième a trouvé niche à Léchiagat, dans un mur extérieur de la Chapelle Notre-Dame des Flots. La paroisse de Léchiagat a été créée dans les années 1958 - 1960. Cette statue a pu lui être offerte pour la décoration de sa chapelle récemment bâtie. Elle présente un Saint Jean, l’Evangéliste, portant une coupe, symbole de la coupe de poison qu’on lui aurait fait boire à Ephèse : il n’en fut nullement incommodé, tandis que les deux goûteurs qui en ont bu en même temps que lui succombaient. C’était la preuve de la supériorité du Dieu chrétien sur les idoles.
Et il n’y a donc toujours pas de statues dans les niches du calvaire.
 
Jean Guéguen et François Ac’h - « Keleier Arkae » n° 51, juin 2007.
 
1 Il s’agit sans doute du groupe sculpté habituellement appelé « La mise au tombeau ».
2 Statue encore appelée ‘Le Christ aux liens » ou « Le Christ aux mains liées ».. On doit comprendre que ces deux éléments, positionnés de part et d’autre (face ouest et face est) se trouvaient auparavant plus en hauteur,adossés au fût monolithe de la croix.
 

Trésors d'archives > Guerres > Fanch Balès dans la résistance

Fanch Balès dans la résistance

 
Le récit historique se constitue par le recoupement de documents d'époque et de témoignages d'origines diverses. Malgré sa conviction d'être dans le vrai, aucun témoin ne peut prétendre être détenteur de la vérité historique dans toute son ampleur et jusque dans le dernier détail. D'où la nécessité de continuer à recueillir des témoignages.C'est ainsi que dans ce numéro de Keleier Arkae, nous pouvons également vous présenter ce dont Madame Catherine Peton, sœur de François Balès, se souvient des événements qui ont trait à la Résistance dans le bourg d'Ergué-Gabéric en 1940-1944. Suivent trois témoignages de Jean Borossi, Robert Méhu et Jean Le Bris.

François Ac'h
 
 
Je remercie les responsables de l'association Arkae de me donner l'occasion de m'exprimer sur la résistance de mon frère François Balès. Beaucoup d'inexactitudes ont été dites ou écrites à ce sujet.
 
J'avais 20 ans quand a eu lieu le "coup du S.T.O.", le même âge que l'un des acteurs directs, Hervé Bénéat. Je travaillais au commerce familial avec mon frère François (2 ans de plus que moi) et ma sœur Thérèse (4 ans de moins). Vivant sous le même toit et en toute confiance mutuelle avec notre frère, nous étions obligées, ma sœur et moi, de connaître une partie des activités de François, et même, dans certaines circonstances, d'y participer. Ainsi, je me souviens de ce cantonnement dans le bourg, en juin 1940, d'un groupe d'aviateurs français : un général, ami de la famille Bolloré, avait fait se replier sur Ergué-Gabéric cette troupe démoralisée qu'un soir, à la tombée de la nuit, nous vîmes arriver en faisant le tour de l'église. Elle occupa plusieurs jours la salle de bal tenue par la famille Balès.
N'ayant pas d'autre issue que de se rendre aux Allemands arrivés à Quimper le 20 juin, ils ont cependant voulu éviter que l'unique camion en leur possession ne tombe entre les mains de l'occupant. Ainsi, un capitaine a demandé à François Balès de lui indiquer où ils pourraient cacher ce véhicule. Les Allemands auront connaissance de cette cachette plus tard, après avoir fait prisonniers les aviateurs. Quand ils vinrent le récupérer, il avait été saboté par Pierre Le Moigne et François Balès. Mais ils ne purent le réparer et durent le remorquer jusqu'à Quimper.
Les Allemands avaient laissé sur place deux militaires français qu'ils avaient chargés de la liquidation des réserves appartenant aux aviateurs : tabac, conserves, autres provisions… Les aviateurs en proposèrent à la famille Balès. Notre père s'opposa fermement à ce que nous acceptions. Ils invitèrent alors les gens à se servir. Le local fut rapidement vidé.

En ce qui concerne l'apparition clandestine sur le tableau d'affichage de la mairie, le 11 Novembre 1941, du poème de Victor Hugo, c'est dans la cuisine de chez Balès que cela a été décidé. C'est là que François et ses copains ("la bande du bourg") se réunissaient et écoutaient habituellement Radio-Londres (et non chez Lennon).
C'est dans cette cuisine aussi que plus tard sera tenue à jour une carte de Russie, avec les positions des armées allemandes, ce qui permettait de suivre leur retraite. Une devise, inspirée par Pierre Kéraval, y était inscrite : "il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer"
 
Mademoiselle Anne (et non pas Marie-Louise) De Kervénoaël n'est pas venue de Saint-Pol-de-Léon à Ergué-Gabéric avant fin octobre 1943. Appartenant elle-même au Mouvement "Libération-Nord",
comme François Balès et ses amis, il lui avait été indiqué qu'elle pouvait convoyer vers le Bourg d'Ergué cinq jeunes Belges, déserteurs de l'Organisation TODT qui les employait dans la région de Saint-Pol. Ils ont été hébergés quelques jours chez Balès, avant d'être répartis en des lieux plus discrets. C'est ensuite par l'intermédiaire de François Balès qu'ils ont été recrutés dans les F.T.P. Le plus jeune d'entre eux se trouvera parmi les fusillés de Mousterlin. Quant à Melle De Kervénoaël, elle avait immédiatement été dirigée dès son arrivée vers la ferme de Sulvintin, guidée par notre grand-mère. Elle y a passé le reste de la journée.
 
A ma connaissance, François Balès n'a pas cherché à passer en Angleterre en 1941 en embarquant à Roscoff, à partir des indications de Melle De Kervénoaël, qu'il ne connaissait pas encore à cette époque C'est dès juin 1940 (vers le 25) qu'il avait envisagé un tel départ : il avait eu un contact à Quimper avec un ancien combattant et d'autres jeunes ; un bateau s'apprêtait à partir ; il fallait être au rendez-vous fixé près de la Poste… Il eut une conversation avec son père, qui arriva à le convaincre de renoncer à ce projet pour ne pas abandonner ses sœurs. Notre père est décédé un mois après. C'est sans doute à ce moment qu'il s'est plutôt orienté vers les possibilités de lutte sur place.
François s'est donc rapproché de ses copains de Lycée et de Jean Borossi, copain d'enfance, qui a pu le mettre en contact, par l'intermédiaire de Robert Méhu et Jean Pochet, avec Madame Le Bail, épouse du député de Plozévet. Il intégra ainsi le Réseau "Georges-France" dont elle était responsable pour la région. Début 1941, il était nommé responsable pour Ergué-Gabéric (voir attestations qui suivent).
Après le démantèlement du Réseau "Georges –France" et l'arrestation de Madame Le Bail, François, grâce à Jean Borossi, put prendre contact avec "Libération-Nord", dont le responsable était Antoine Le Bris, qui le chargea de constituer et diriger l'équipe du Grand-Ergué (voir attestations qui suivent).
 
J'en arrive à la destruction des dossiers du S.T.O. dans le four de la boulangerie Balès, et à ce qui se passa les jours suivants.
 
Le 14 janvier 1944, vers 19 heures, la voiture conduite par François Balès, contenant les dossiers provenant du cambriolage du S.T.O. s'arrête devant le fournil. Je savais que François avait pris la voiture de notre tante, avec son autorisation, pour aller à Quimper (son mari se trouvait prisonnier en Allemagne). Mais je ne savais pas ce qu'il était allé faire. Il est entré souriant dans la cuisine, m'a dit : "ça y est ! c'est fait !", et m'a rapidement expliqué.
Après avoir déchargé la voiture, rempli le four de papier et allumé le feu, François s'est empressé de rejoindre la ferme de Pennarun. Ses sœurs ont surveillé et alimenté le feu jusqu'au retour des garçons, qui ont continué la destruction des dossiers toute la nuit.
 
Au matin du samedi 15, un nettoyage minutieux du fournil est effectué, et toute trace de l'opération effacée, ce qui a été possible grâce à M. Le Goff, notre oncle, prévenu par Grand-mère et venu en char à banc de Sulvintin pour débarrasser cendres et pains brûlés en raison d'une surchauffe du four ; une autre partie du pain a été évacuée chez Madame Le Roux, notre tante, fermière au bourg. Par la suite, il a fallu remplacer la farine ainsi gaspillée, la farine étant à l'époque une denrée rare, strictement attribuée en fonction des bons de pain remis. C'est encore la famille Le Goff qui fera le nécessaire pour nous permettre, à la fin du mois, d'être en règle auprès des Services du Ravitaillement.
Passe le dimanche 16.
 
Le lundi 17 janvier, François se trouvait à Quimper, en particulier pour des achats de levure, quand deux hommes de la Gestapo sont arrivés chez nous vers 16 heures. Ils ont attendu François dans la salle du café, en posant quelques questions anodines et indirectes. Au bout d'un quart d'heure environ, je leur ai demandé de pouvoir continuer mon travail dans la cuisine. En réalité, c'était pour dire à ma sœur de demander aux réfugiés lorientais que nous logions chez nous (famille Talec) d'aller au-devant de François, par chacune des deux routes d'accès au bourg à partir de Quimper. Grâce à eux, et à Odette Coustans, rencontrée en route et rentrant elle même à Ergué, François et Pierre Moigne, prévenus, ne sont pas rentrés au bourg.
Hervé Bénéat quant à lui n'a pas été prévenu, et s'est fait cueillir par la Gestapo à 200 mètres avant d'arriver au bourg.
François et Pierre ont été hébergés ce soir-là et pour plusieurs jours, chez M. et Madame Gadel à Ergué-Armel. Monsieur Gadel était un retraité de l'armée, ancien combattant, ami de notre père.
Ce 17 janvier, il n'y a pas eu de perquisition par la Gestapo chez Balès, en particulier de la chambre de François. Heureusement, car ils auraient trouvé des documents compromettants, par exemple une fausse carte d'identité qui portait déjà sa fausse identité mais n'avait pas encore reçu le coup de tampon de la mairie (j'ai encore en ma possession les deux clefs de la mairie, l'une pour la porte extérieure et l'autre pour le local de mairie, qui servirent à François à s'y introduire).
Les cachets et tampons ramenés de Quimper avec les dossiers ont été enterrés (à l'intérieur d'une boîte en fer blanc) par notre grand-mère, puis remis à Jean Borossi pour permettre à la Résistance de continuer la fabrication de faux documents S.T.O.
C'est le lendemain, 18 janvier, que la Gestapo est revenue pour faire une perquisition, et là, ils n'ont rien trouvé à les intéresser, et ils n'on rien emporté.
 
Je signale que deux mois plus tard, alors que François passait de cachette en cachette dans les fermes d'Ergué-Gabéric, Melgven, Tourch… ma sœur et moi avons été arrêtées par les Feldgendarmes, et retenues à la Feldgendarmerie avant d'être transférées à la Feldkommandantur pour interrogatoire, dans le bureau du Feldtkommandant. Les Belges de l'Organisation TODT que nous avions hébergés venaient d'être pris dans le maquis de Châteaulin, et l'adresse de la maison Balès avait été trouvée dans les affaires de l'un d'entre eux. Nous avons été libérées dans la soirée. Notre chance est venue du défaut d'entente entre la Gestapo et la Feldgendarmerie, laquelle ignorait que nous avions hébergé ces Belges quelques mois auparavant »
 


Madame Catherine Péton nous a remis la copie d'un courrier que Jean Borossi lui adressait le 7 mars 1964. Nous y lisons la confirmation de ce fait bien établi :
"…c'était François qui avait la responsabilité du groupe d'Ergué et (…) c'est lui qui avait groupé tous les autres".
 
Mais qui avait sollicité l'engagement de Fanch Balès ?
"c'était François qui avait été contacté, par mon intermédiaire, d'abord par Jean Pochet. Puis, par la suite, il m'avait demandé mon opinion sur Le Bris, qui l'avait contacté en 1943-1944. Je lui avais dit qu'il pouvait marcher en confiance avec lui".
Nous savons ainsi comment s'est constitué le groupe d'Ergué-Gabéric du Réseau "Georges-France". Il y avait déjà, à Quimper, un groupe de ce Réseau, dirigé par Robert Méhu (employé à la gare, né en 1912, habitant Kerfeunteun) et comprenant Jean Pochet (instituteur d'Ergué-Armel, né en 1922 et beau-frère de Robert Méhu), Jean Borossi et Roger Le Bras (qui sera tué à Telgruc). C'est donc Jean Borossi qui signale Fanch Balès et le met en contact avec Jean Pochet.
Une attestation émanant de Robert Mehu, établie en mai 1985 à l'intention de Madame Péton, apporte les compléments suivants:
"Au début de 1941, accompagné de Madame Le Bail Jeanne (femme de Monsieur Albert Le Bail, député de Plozévet), en tant que chef de groupe au sein du Réseau de résistance "Georges-France", je suis allé à Ergué-Gabéric voir Monsieur François Balès, boulanger dans cette commune. (Madame Le Bail fut par la suite déportée, ainsi que son fils Georges).
Nous désirions que Monsieur Balès accepte d'assurer la constitution d'un groupe de résistance à Ergué-Gabéric et qu'il en assure la gestion. C'est sans hésitation qu'il accepta …"
Et plus tard, c'est donc Jean Borossi qui a encore encouragé Fanch Balès à rejoindre le Mouvement "Libération-Nord" dont le responsable quimpérois était Antoine Le Bris.
Madame Péton nous communique aussi un courrier récent (du 22 septembre 2004) de Jean Le Bris, le frère d'Antoine .
"Je savais qu'Antoine avait choisi ton frère comme adjoint, pour Quimper-Est et qu'il lui faisait une confiance sans limite. Il l'avait recruté pour "Libé-Nord" et l' "Armée Secrète" en septembre 1943.
"La mise à sac du S.T.O. a eu lieu le 14 janvier 1944, le vendredi en soirée. Et le mardi à midi, Antoine m'a dit que Fanch était "en cavale", la Gestapo étant venue chez toi pour l'arrêter le lundi après-midi. Ce dont ton frère l'avait prévenu par une voie que j'ai toujours ignorée, en lui disant où il se trouvait. Nous sommes montés tous deux à Kergoat-al-Lez en vélo. Antoine est entré dans la maison à l'adresse indiquée, après l'appel de Fanch qui surveillait la rue depuis le grenier de la maison. Quant à moi, je suis resté dehors, pour faire le guet, au cas où…
Nous sommes ensuite repartis, et je n'ai rien su de leurs échanges ; mon frère ne m'a fait aucune confidence, et je ne lui ai, du reste, rien demandé. C'était alors la règle de sécurité et nous étions satisfaits de savoir François à l'abri de la Gestapo."

Ces différents témoignages situent bien le rôle essentiel de Fanch Balès.
 
 
 

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Lettres de Guerre - 2 décembre 1914

 

L'année 2008 verra la commémoration du 90 ème anniversaire de l'armistive de la grande guerre. L'occasion pour Arkae de recueillir la mémoire de ces poilus qui ont payé chèrement leur engagement comme le témoigne l'impressionante liste du monument au mort. Voici quelques témoignages :  Le premier est signé de Pot bihan Boun ( le petit gars de Bodenn) qui écrit à sa cousine Catherine Laurent qui habite Plas An Itron au bourg.

 

« Ma Chère cousine. J’ai reçu ta lettre ce matin avec beaucoup de plaisir, car étant là, seul dans sa tranchée à avoir des idées si lugubres, on n’aime bien avoir quelques nouvelles à lire, surtout quand elles sont aussi bonnes que ceux que tu viens de m’annoncer. Tu me parlais de la mort de J.Y.. Je savais avant, puis en même temps, j’ai eu une lettre de Hervé m’apprenant aussi cette nouvelle, qui fut très triste pour moi. J’aimais bien ce camarade, ainsi que Louis Le Roux. Lui, paraît-il, n’écrit plus non plus ; j’ai su ça par une personne qui doit pourtant recevoir souvent de ses nouvelles. J’attendais aussi des nouvelles de lui. Je m’étais dit que peut-être il n’avait pas le temps : moi, du temps que je courais la Belgique, je ne pouvais pas écrire quand je voulais non plus. Jean Le Roux ne m’a j’amais donné de ses nouvelles. Moi je ne peu pourtant pas lui écrire n’on plus puisse que je n’ai pas son adresse. A vous autres, ça m’étonne qu’il reste sans écrire. Il a une sœur qui n’est pas trop courageuse à écrire n’on plus. Mathias ne m’a pas encore écrit n’on plus, mais je lui ai écrit que dernièrement n’on plus, manque de savoir son adresse également. Il est du côté de Reims. Moi, j’ai combattu là également. J’ai été à Prunet quatre jours sous les obus. Là, j’avais  vu encore des tristes spectacle devant mes yeux. Hervé Bacon fut blessé là aussi. De là, nous sommes revenu du côté de Saint Thény( ?), et quand nous passions par Reims, les premiers obus tombaient sur la cathédrale à 100 m. de nous. Je t’assure en ce moment je ne pensais pas à ma connaissance, puis ça nous arrive souvent . N’oublie pas de rendre le bonjour à Jean Péron et de lui faire part de ma misère. Je ne lui souhaite pas d’y aller, pas plus qu’à François, car ils n’auront pas la bonne place ici. Mathias doit combattre maintenant comme moi, mais je ne le dit pas à ma sœur. Nous ne sommes pas malheureux. Moi, je passe la moitié de mon temps dans les tranchées, comme je suis à l’instant. Le jour, nous sommes assez tranquille, la nuit nous sommes tous debout, prêt à recevoir les attaques. Les boches sont à environ 500 m. de nous. Quand on montre la tête, tout de suite ils tirent. Nous de notre côté, nous faisons pareil. Ainsi, on attend la mort à toute heure. Nous sommes assez bien nourri, c’est du froid qu’on souffre des fois. Tu souhaiteras aussi le bonjour à Anna : est-ce qu’elle grossit toujours ? Les jeunes filles doivent pleurer maintenant de voir tuer tant de jeunes hommes. La mienne me rend heureux, elle me reste fidèle, et très souvent je reçois de ses nouvelles.

Dimanche, Louis Barré a été me voir. Lui est aussi au 3° dragon, il est éclaireur avec un régiment de territorial. Il m’avait dit que le 3° dragon, l’active, a été écrasé du côté de Bismuthe. Ainsi, je suis inquiet avec la situation de mon cher Louis. Nous avons tant rigolé ensemble, tous les trois, mais hélas, ces beaux jours, je ne l’ai verrai plus. Puis ça me fait penser aussi quand viendra mon tour. Je me demande comment que je suis encore en vie ; plusieurs fois, je me suis pourtant dit que c’était fini. A la première bataille en Belgique, à Amis sur Sambre, le soir, je rassemble la compagnie : d’abord nous n’étions que 29 sur 264 que nous étions le matin, mais quelques jours après, lorsque nous fûmes tous rassemblés, nous nous retrouvions à 140, ça n’empêche, ça commençait bien. Huit jours après le 29 à Saint-Richemon, la bataille n’avait pas duré plus de une heure, puis nous ne restions que 80 sur les 140, et pas d’autre chef plus ancien que moi : pendant 5 jours, je suis resté seul avec ses 8O poilus, sans argent : le sergent-major fut tué, il avait 1900f. sur lui, le boni de la compagnie, tout était resté. Alors, voyez notre misère après : on ne touchait presque rien, et nous vivions avec des patates qu’on arrachaient dans les champs et qu’on cuisaient avec de l’eau sans sel. Quand on pouvait, on prenait les poules et les lapins dans les fermes abandonnées. Jamais, je n’ai vu un pays aussi beau que la Belgique, ni des gens aussi aimables. Donnez-vous une idée maintenant de ce que c’est, les fermes toutes brulées, et pas un seul animal ne reste. Ici, au Nord de la France, c’est pareil, et beaucoup de ces fermières-là ne sont pas excentes de perdre leurs maris n’on plus, alors vous voyez quel avenir pour elles. Considérez-vous heureux dans votre chère Bretagne ; je suis heureux de savoir que les miens ne souffre pas de trop de la guerre.
Enfin, ma Chère Catherine, je crois que c’est assez pour une fois. Donc je te quitte en serrant cordialement les extrémités des cinq phalanges, ainsi qu’au vieux François, veinard que tu es, et à vos enfants. Ah ! quel plaisir si j’aurai encore le plaisir d’aller vous voir. Bons baisers à tous.  Votre cousin « pot bihan Bouden » qui vous aime. A revoir et à bientôt. Je suis fatigué à écrire sur mon jenou, c’est mon bureau maintenant.  »