Trésors d'archives : Patrimoine religieux sommaire

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Église paroissiale de Saint-Guinal

La reconstruction du clocher de l’église Saint-Guinal, par Bernez Rouz, Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric, septembre 2007
L'église Saint-Guinal au XVIIe , par Norbert Bernard, Keleier Arkae n° 16, janvier 2002
Inhumation foraine en 1729 (H. Chauveur - P.-Y. Castel), Keleier Arkae n° 23, novembre 2002, et Keleier n° 30, octobre 2003
J'ai été sonneuse de glas, par Marie Salaün, Keleier Arkae n° 45, juillet 2006


Chapelle de Kerdevot

Bibliographie générale sur Kerdevot, par Bernez Rouz
Index Général du livre Kerdevot, Cathédrale de campagne, par Bernez Rouz
Les statues du calvaire de Kerdevot, par Jean Guéguen et François Ac’h, Keleier Arkae n° 51, juin 2007
Le pélerinage des marins de Dugay-Trouin à Kerdévot en 1712, par François Ac'h, Keleier Arkae n° 81, janvier 2013
Fric-Frac à Kerdévot en 1773, par Jean-François Douguet, Keleier Arkae n° 73, avril 2012.
Quand le vieux cantique de Kerdévot servait à la propagande royaliste, par Bernez Rouz, Keleier Arkae n° 84, octobre 2014
En revenant de Kerdévot, Texte de Léon Le Berre (Abalor) extrait de Fleurs de Basse-Bretagne, 1901.

Chapelle de Saint-Guénolé

La chapelle Saint-Guénolé, par Bernez Rouz, Keleier Arkae n° 4, juillet 2000
Restauration de la chapelle Saint-Guénolé, Gaëlle Martin, Keleier Arkae n° 4, juillet 2000
Saint-Guénolé : une restauration qui ne restera pas sans suite. Interview de P. Le Bihan, Keleier Arkae n° 8, décembre 2000
Les statues restaurées de Saint-Guénolé

Chapelle de Saint-André

Renaissance des Amis de Saint-André, Keleier Arkae n° 5, septembre 2000


Petit patrimoine religieux

Notes sur les chapelles par A. Le Braz
La croix de Kergaradec
Les deux enclos paroissiaux d'Ergué-Gabéric
La petite Vierge de Kroaz ar Gac
Ar Groaz Verr
Recteurs d'Ergué-Gabéric au XXe siècle, par Marie-Annick Lemoine, archives personnelles, non daté

 


La maladie des pommes de terre

La maladie des pommes de terre (1845-1850)

 

Dans ses Mémoires, Jean-Marie Déguignet prend prétexte de la maladie des pommes de terres en 1845-1850 pour raconter des légendes, notamment la légende du chat noir (Histoire de ma vie, éd. An Here, 2001, p. 72 à 76). 

Mais les archives, elles, nous en donnent un aperçu plus terre à terre, plus concret. Plusieurs épidémies de mildiou se succèdent entre 1845 et 1849. Leurs conséquences économiques et sociales se font vivement ressentir à Ergué-Gabéric. Le nombre de mendiants et d'indigents s’accroît de 29, en 1836, soit 1,43% de la population de la commune, à 198, en 1846, soit 6,08 % des Gabéricois ! Le nombre de décès qui, dans les années 1840-1845, varie entre 45 et 50 décès par an grimpe à 107 décès en 1849.

Au milieu du XIXe siècle, au pays de Quimper, la consommation de pommes de terre se répartit comme suit : 4/8e pour les hommes, 3/8e pour les les porcs, 1/8e pour les chevaux et bovins. Déguignet précise dans Histoire de ma vie que les « pommes de terre rouges, grosses et très productives, étaient alors la principale nourriture des pauvres et des pourceaux ». Plus loin, au Huelgoat, on précise qu'elles sont consommées par les indigents et quelques journaliers. On notera que les mendiants et indigents gabéricois appartiennent essentiellement à des familles de journaliers. En effet, parmi les chefs de famille dont les professions sont connues, on a : en 1846, 18 journaliers sur 21 chez les indigents (soit 85,71 %) et 9 sur 11 chez les mendiants (soit 81,82 %) .

Dans un premier temps, les habitants les plus aisés d’Ergué-Gabéric trouvent à fournir des moyens de subsistance à leurs concitoyens. Dans le compte-rendu du conseil municipal d'EG du 27 mai 1846, on compte sur la bienveillance des nobles et sur les chefs d’exploitation pour employer ceux-ci. La papeterie d’Odet, de son côté, emploie ainsi 20 personnes par jour (mais s'agit-ils de 20 mêmes journaliers réembauchés chaque jour ?). Des emplois qui participent sans doute à leur tour à la création d'autres emplois : On se souviendra que, vers 1842-1843, le père de Jean-Marie travaillait déjà pour les employés de la papeterie.
 
Le 10 janvier 1847, la municipalité décide de participer à l'effort général à hauteur de 90 francs. Mais la situation se prolonge. Suivant les directives administratives de la préfecture, la municipalité parvient tant bien que mal à employer des indigents aux travaux de voirie. Nicolas Le Marié, propriétaire de la papeterie, apporte aussi une aide financière pour des travaux sur la route entre Ergué-Gabéric et Briec.
 
D’aucuns accueilleront des enfants de l’hospice et profiteront d'aides conséquentes. On recense ainsi 16 enfants d’hospice dans la commune en 1851, puis 77 en 1856. En 1847, une mendiante est hospitalisée au frais de la commune d’Ergué-Gabéric, mais il n'est pas certain qu'elle ait été malade de la consommation de pommes de terres avariées.

En 1901, une nouvelle épidémie se déclare. À ce sujet, on peut se demander s’il y a un rapport chronologique avec la rédaction du chapitre sur la maladie des pommes de terres dans Histoire de ma vie.
 

Norbert Bernard - Keleier n°3, juin 2000, complété par des recherches inédites


Trésors d'archives > Géographie > Les mines d'antimoine

Les mines d'antimoine d'Ergué-Gabéric

 
Kerdévot est le site d’une belle et riche chapelle du XVe siècle, lieu paisible de visite, et qui s’anime plus particulièrement le deuxième dimanche de septembre, jour du pardon de Notre Dame.
Ce que l’on sait moins, c’est que Kerdévot fut le site d’une mine d’antimoine, en exploitation au début du XXe siècle de 1913 à 1916, puis de 1924 à 1928.
Dans les années 70-80 des travaux de recherches furent même entrepris sur la commune d’Ergué Gabéric afin d’essayer de faire revivre ce passé minier. Aujourd’hui la mine est abandonnée, et il ne subsiste que l’entrée barricadée, les principales galeries étant remplies d’eau et par endroits effondrées.
 
Situation des travaux mimiers, puits et galeries, à la fermeture de la amine en 1916La Société des Mines de la Lucette commença les travaux de recherches au printemps de 1913, à trois cents mètres au sud-est de la chapelle, sous la direction de son ingénieur, M. Ebrard, assisté de trois contremaîtres ainsi que de quatre mineurs espagnols venus du Genest en Mayenne (siège de la mine d’or et d’Antimoine de la Lucette, ainsi que d’une usine de traitement métallurgique).
Entre 1913 et 1915, 3 puits, 1 kilomètre de galeries et 3 niveaux d’exploitation (à des profondeurs de 25, 38, et 50m) furent établis sur les terres de Niverrot.
Situation dse travaux miniers, puits et galeries, à la fermeture de la mine en 1916.

Une trentaine d’ouvriers au début de l’exploitation, 54 en 1915 (37 ouvriers au fond, 17 de jour) furent engagés dans la région (ce qui ne se fit pas sans causer localement des problèmes, ainsi que le rapporte le compte rendu du conseil municipal d’Ergué Gabéric du 28 mars 1915) :
Le Maire donne ensuite connaissance au Conseil des plaintes qui lui viennent de tous côtés, plaintes émanant de cultivateurs, propriétaires et fermiers de la commune, qui demandent qu'on leur vienne en aide en empêchant s'il est possible les domestiques de ferme et ouvriers agricoles d'abandonner les travaux des champs pour se faire embaucher à la mine d'Antimoine.
Le Conseil Municipal reconnaissant l'exactitude des faits qui lui sont signalés et au vu  de la situation critique que traverse l'agriculture par suite du manque de bras et de la chute de la main-d'œuvre, situation qui ne fera qu'empirer du fait des mobilisations futures,
Considérant que la réouverture de la mine d'Antimoine de Kerdévot aggravera encore d'une façon très regrettable la situation en attirant par des salaires assez élevés tout ce qui reste d'hommes valides dans le pays, émet le vœu suivant :
Que Mr le Préfet du Finistère fasse ce qui est en son pouvoir pour décider les ingénieurs qui dirigent les travaux d'exploitation de cette mine, à ne prendre dans son personnel aucun ouvrier agricole.
( Délibération du conseil municipal d'Ergué-Gabéric, 28 mars 1915).
 
Antimoine à Kerdévot : Mineurs 1915
Groupe de mineurs en 1915.
 
Le minerai était extrait, lavé, trié, mis en sac, puis expédié par train de Quimper à la fonderie du Genest. Durant la période allant de 1913 à 1915 (interrompue par la mobilisation en août 1914, les travaux avaient repris le 1er mars 1915), 2 000 à 2 500 tonnes de minerai, à une teneur moyenne de 35% en stibine, furent extraites. Mais en 1916, la Société de Lucette arrêta l’exploitation et entreprit le démontage des installations.
 
En 1927 la Société des Mines de la Lucette reprit des recherches en contrebas de Niverrot, à la limite du placître de la chapelle dans un périmètre auparavant interdit à la prospection, là où Jean Mahé, agriculteur à Kerdevot, avait en 1914 mis à jour du minerai à seulement 2 mètres en dessous de la surface du sol. Les premiers résultats furent excellents, mais le gîte fut très vite épuisé, et le 1er novembre 1928 les travaux furent définitivement arrêtes. On n’avait extrait que 61 tonnes de minerai à une teneur moyenne de 25% en stibine. La fin de la mine fut ainsi rapportée dans le Kannadig de novembre 1928 :
Le dernier filon est exploité, et toutes les nouvelles fouilles n’ont donné aucun résultat sérieux. C’est donc le départ définitif des mineurs.
La semaine dernière, M. Bideau, le sympathique et distingué ingénieur de la mine, nous a quitté pour la Lucette. Respecté et aimé de ses ouvriers, M. Bideau avait su se créer de nombreuses et profondes amitiés au Grand-Ergué, et son départ sera universellement regretté. Les regrets accompagneront aussi Mme Bideau, si généreuse, si charitable à l’égard de toutes les misères. On se rappellera longtemps sa patience, sa délicatesse envers une pauvre mère qui venait de perdre son unique enfant. Que Dieu leur rende en bénédictions tout le bien qu’ils ont fait parmi nous.
(Kannadig Intron Varia Kerzevot, 1928).
 
Le 15 octobre 1927, le journal Le Finistère signalait quelques difficultés d'exploitation :

Un lock-out* à Kerdévot

Mardi dernier, les quarante ouvriers de la mine d'antimoine de Kerdévot, en Ergué-Gabéric, ont menacés de faire grève si leurs salaires n'étaient pas relevés.
Les mineurs ont demandé 36 francs par jours, au lieu de 22 francs et les manœuvres, 25 francs, au lieu de 18 francs.
Le chef d’exploitation a aussitôt soumis par télégramme ces revendications au directeur de la mine, qui a répondu par la même voie, de suspendre les travaux.
On dit que le travail serait repris dans un mois environ, lorsque l’installation de machines, actuellement en cours, sera complètement terminée.
Le personnel de la mine est fort heureusement composé, en majeure partie, d’ouvriers agricoles et de carriers qui, souhaitons-le pourront trouver du travail dans la région. L’ordre n’a pas été jusqu’ici troublé.

* Fermeture provisoire d’entreprise en situation de grève.

 
Le 30 mai 1936, la Société des Mines de la Lucette renonçait définitivement à son droit exclusif de recherches.
 
De 1971 à 1979, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) reprenait, sur la commune d’Ergué Gabéric et ses environs, un programme d’exploration basé sur des travaux de géochimie, suivi de tranchées et de forages, et localement de travaux miniers.
 
En 1971 et 1972, puis de 1975 à 1977, une prospection géochimique fut réalisée à différentes échelles suivant une bande de 4 * 25 km² comprise entre Elliant à l’est et le Steir à l’ouest. Six secteurs anomaux en Antimoine furent mis en évidence, Kerdévot, Mez en Lez, Kerveady et Menez-Kerveady sur la commune d’Ergué Gabéric, Ty Gardien et Gourleo sur Quimper. Ces secteurs, hormis Kerdévot déjà bien connu, devaient par la suite faire l’objet de travaux complémentaires.
 
Mezanlez - Ergué-Gabéric : le secteur fut reconnu par tranchées et sondages. Plusieurs lentilles minéralisées furent observées en surface, mais disparaissaient rapidement en profondeur. Seules les minéralisations observées au Bois de Kergamen pouvaient présenter quelque intérêt, bien qu’il s’agisse d’une lentille presque totalement érodée.
Kerveady - Ergué-Gabéric : les phases de recherches comportaient des tranchées, des sondages et des travaux miniers par descenderie. En surface la structure est reconnue sur 160m, mais avec une minéralisation très irrégulière. En profondeur (niveau -40m) la structure est également très irrégulière et très faiblement minéralisée. On note sur ce secteur la présence d’or observé dans un sondage.
Menez Kerveady - Ergué-Gabéric : les travaux de tranchées et de sondages ont mis en évidence un faisceau filonien formé de plusieurs branches de faible puissance et à faible teneur en stibine.
Ty Gardien - Quimper : les minéralisations ont été reconnues par tranchées, sondages et travaux miniers. On y a observé localement de fortes teneurs en stibine, mais là aussi discontinues et de faible extension.
Gourleo - Quimper : les travaux par tranchées ont montré une minéralisation sous forme de filons quartzeux de faible puissance et à faible teneur.
 
En conclusion, les travaux réalisés par le BRGM de 1971 à 1979 ont pu définir des minéralisations à Antimoine, mais d’extension limitée et à teneur faible, les gisements non économiques ne permettant pas un renouveau de l’activité minière à Ergué Gabéric.
 
 
Calcination solaire de l'antimoineLa découverte, toute fortuite, des filons d’Antimoine de Kerdevot tient quelque peu du conte populaire. Au printemps de 1911, alors que les hommes de Niverrot faisaient une « grande journée » de défrichage, l’un de se trouva devant un bloc de pierre, qui a priori ne se distinguait en rien des autres, mais qu’il fut incapable de soulever de même qu’aucun de ses compagnons. Il fallut deux hommes pour le porter sur une charrette, dont le chargement fut déversé en bordure de route. Au moment des prestations, corvée d’entretien des chemins, le patron de Niverrot, Jean Louis Huitric, décida de faire un sort à la fameuse pierre. Celle-ci fut brisée en fragments bleuâtres constellés d’éclats métalliques. Un morceau fut envoyé à fin d’examen à l’abbé Favé, aumônier à Quimper, qui constata la présence d’Antimoine. Fernand Kerforne, professeur de géologie à la faculté des Sciences de Rennes, confirma la présence à Kerdevot de blocs de quartz contenant de la stibine et des oxydes d’Antimoine. Par la suite il céda ses droits de découverte à la Société Nouvelle des Mines de la Lucette, qui en 1913 présenta une demande de concession d’une superficie de 120 hectares sur les communes d’Ergué-Gabéric et Elliant. Voila comment une vulgaire pierre, objet de curiosité, conduisit à ouvrir une exploitation minière sur notre commune.
Gravure de Abraham Bosse La calcination Solaire de l'antimoine - copyright © Adam McLean 2003
 

Glossaire :

L’Antimoine est connu depuis le 10e millénaire avant J.C., notamment des Babyloniens. Son nom vient du grec anti mos, pas seul, ayant toujours été trouvé avec d’autres métaux. On note également l’utilisation du mot grec stimmi qui désignait un sulfure d’Antimoine de couleur noire, connu maintenant sous le nom de stibine. Sous l’Antiquité les femmes utilisaient ce minerai comme fard à cils. C’est Pline l’Ancien qui aurait dénommé ce minerai du nom latin de stibium, à l’origine du symbole Sb.
Au Moyen Age, on retrouve le nom latin antimonium, l’Antimoine étant alors bien connu des alchimistes Dans le manuscrit Currus Triumphalis Antimonii, le Prieur Basile Valentin y décrit l’Antimoine vers 1450. La légende, qui reste bien une histoire plus ou moins imaginaire, veut que le moine Basile Valentin utilisa de la poudre de minéraux contenant de l'Antimoine comme purgatif, car c'est un des effets de cet élément lorsqu'il est absorbé. Mais le résultat fut un nombre très élevé de décès dans le monastère, d'où le nom par la suite d' "anti-moine" pour l'élément.
La Société des Mines de la Lucette, crée en 1898, a exploité le gisement d’or et d’Antimoine de la Lucette situé sur la commune du Genest Saint Isle, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Laval en Mayenne. L’activité minière s’y est poursuivie jusqu’en 1934, la production totale étant de 42 000 tonnes d’Antimoine et 8 700 kg d’or. La société a également exploité le gisement de Kerdevot ainsi que d’autres gisements d’Antimoine, en particuliers en Algérie jusqu’en 1960. La Société des Mines de la Lucette détient également la fonderie et l’usine de St Genest, dont l’activité de transformation du minerai d’Antimoine se poursuit encore de nos jours.
Anomal : qui s’écarte de la norme, de la règle générale (en géochimie, zone à teneur plus élevée que l’ensemble de la région)
Gîte : masse minérale comportant un ou des métaux susceptibles d’une exploitation.
Lentille : masse de terrain se terminant de toute part en biseau.
Pendage : angle entre une surface, plan de faille, et un plan horizontal.
Stibine : Sulfure d’Antimoine (Sb2S3), une des formes les plus courantes du minerai d’Antimoine.
 

Références :


La mine d’Antimoine de Kerdevot, en Ergué Gabéric. A. Le Grand, (1968) Quimper Corentin en Cornouaille. pp 167-170
Le district antimonifère de Quimper-Kerdévot (Finistère, France). J. Guigues et M. Kerjean, (1982) Chronique de la Recherche Minière. pp 5-41
Etude du district antimonifère de Quimper. J.R. Blaise (1974) Rapport ENSG Nancy.
Pierre-Christian Guiollard, La mine d’or et d’Antimoine de La Lucette (Mayenne), 1996.

 
Jean-René Blaise - mars2007
 

Trésors d'archives > Personnage > Kenavo Norbert

Kenavo Norbert
 

Norbert Bernard nous a quittés lors du week-end du patrimoine, une coïncidence qui nous a tous frappés, terriblement. Depuis presque dix ans, il était en contact étroit avec Arkae, il était devenu impossible de conjuguer l’histoire d’Ergué sans passer par lui et par sa formidable érudition.

Etudiant en histoire à l’Université de Bretagne Occidentale à Brest, c’est en 1996 que Norbert prend contact avec Arkae. Licence en poche il propose au professeur Jean Kerhervé un mémoire de maîtrise sur les chemins et la structuration de l’espace en Cornouaille du V° siècle au XVII° siècle. Norbert trouve dans les archives d’Arkae, patiemment collectées depuis vingt ans, un premier substrat pour donner corps à son étude. Sa remarquable connaissance des écritures anciennes lui facilitera l’accès aux plus vieux parchemins de l’histoire de notre commune. Bien vite, les seigneurs d’Ergué lui deviennent familiers. Et le voilà dans notre vieux cadastre napoléonien traquant les chemins aujourd’hui disparus : les carront, croas-hent, carpont, dro-hent, hent-car, hent-meur, autant de toponymes qui fleurissent dans le dédale de notre bocage. Norbert présente son mémoire en 1997 et se lance tout de suite dans un autre travail de recherche, un D.E.A. (diplôme d’étude approfondie), première étape vers un doctorat.

Cette fois il prend pour étude la seigneurie des Rives de l’Odet (1425-1575). Ce monumental travail de 320 pages dactylographiées est consacré aux manoirs du canton de Briec et de Rosporden. Il le présente en 1999. Il a amassé alors une somme considérable de connaissances sur les familles nobles de Basse-Cornouaille au Moyen-Age.

Norbert Bernard en compagnie de Linda Asher, la traductrice américaine des Mémoires d'un paysan bas-breton de Jean-Marie DéguignetMais c’est un tout autre travail -son premier travail salarié- qui lui est confié en mars 2000 : le livre de Jean-Marie Déguignet Les Mémoires d’un paysan bas-breton, vient de rentrer dans le cercle restreint des meilleures ventes de librairie en France. L’association Arkae confie à Norbert la valorisation de l’ensemble des écrits de notre compatriote. On ne redira jamais assez l’extraordinaire travail réalisé pendant les cinq années de son contrat d’emploi-jeune au Centre de Recherche et de Documentation Déguignet (13/12/1999-26/12/2005). L’ensemble des écrits de l’enfant de Quélennec est maintenant disponible. Norbert y a ajouté un appareil critique considérable, fruit d’une recherche dans laquelle il excellait. Il a signé aussi une exposition sur Déguignet, et un site Internet, l’un des cinq qu’il faisait vivre.

Car Norbert, hormis son travail de recherche, avait deux passions : l’histoire et l’informatique. Sa générosité est totale, il ne refuse jamais un coup de main à ceux qui sont perdus dans la jungle informatique ou englué dans de vieux grimoires aux graphies incertaines. Il fait vivre bénévolement le site Internet de l’ASPREV, l’association du patrimoine religieux en vie ; il crée un site sur les nobles de Cornouaille, puis un site de généalogie pour présenter son cabinet de recherche nouvellement créé, enfin il collabore à l’encyclopédie en ligne wikipédia.

Au printemps dernier l’aventure Déguignet est terminée, Norbert édite son premier livre Les Voix d’Yves Pennec, récit d’après un procès en sorcellerie contre un habitant d’Ergué. Les projets sont nombreux : guide, conférencier, généalogiste, écrivain, et toujours collaborateur d’Arkae. On lui avait confié un travail de sauvegarde du bulletin paroissial de 1925 à 1939. C’était en mai, et Norbert dut lâcher prise, miné par un mal que les médecins n’arrivaient pas à cerner. La suite, c’est une opération chirurgicale au mois d’août et l’espoir de revenir rapidement à ses passions. Il voulait signer son livre au pardon de Kerdévot, il voulait plus que tout être présent le 18 septembre au café-crèpes de Saint André ou il s’était investi dans le comité de sauvegarde de la chapelle.

Mais Norbert n’était pas là, ce week-end du patrimoine pour lequel il a tant œuvré, il luttait déjà contre les ombres, il est mort dans la nuit.

Norbert s’en est allé avec ses rêves, ses envies de recherches, ses travaux inachevés. C’est une grande perte pour tous ceux qui l’ont connu car ses qualités humaines étaient à l’image de ses qualités professionnelles. Pour l’association, la mémoire de Norbert vivra à jamais : ses travaux sont disponibles dans notre centre de documentation sur l’histoire d’Ergué, ses écrits seront valorisés et tous ceux qui se pencheront sur l’œuvre de Déguignet sauront que le travail d’édition de l’ensemble de son œuvre est signé Norbert Bernard.
Bernez Rouz - Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric - décembre 2005.
 
 

Trésors d'archives > Patrimoine religieux > Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Couverture des Mémoires de Duguay Trouin
Un soldat de Quimper, nommé Deschamps,
En visitant Kerdevot, le dernier carême,
A dit au fabricien qu’il a été secouru
Par Marie, dans sa campagne, pendant l’hiver passé.
 
Les soldats qui avaient été avec M. Duguay
Ne pouvaient plus retrouver leur route pour revenir à la maison.
En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse.
Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse.
 
Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; 
Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet,
Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe.
Soutenez-les encore, ô Vierge, dans leurs combats.
 
 
Ce sont là les strophes 30, 31 et 32 de l’« Ancien cantique de Kerdévot », tel qu’il nous est communiqué par l’Abbé Favé, vicaire à Ergué-Gabéric de 1888 à 18971. Elles évoquent « la mise à sac de Rio de Janeiro » en 1711 par le corsaire Duguay-Trouin, et le pèlerinage qui s’en suivit, à Kerdévot, au pardon du 11 septembre 1712, de soldats rescapés de cette expédition qui fit sensation. Nous nous référons ici à la relation faite de ce coup de main plein de panache et d’aventures dans les Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin2 lui-même. Nous voulons ici comprendre la démarche de ces soldats pèlerins d’un jour, qui ont dû impressionner les habitués de Kerdévot.
 
Le long règne de Louis XIV3  fut une succession de guerres menées par lui contre les Etats européens. Sa politique de domination avait mobilisé toutes les ressources de la  Bretagne, imposé de nouveaux impôts4, rompu tout commerce de la province avec l’Angleterre et, du fait du blocus anglais, mis fin aux relations maritimes avec ses autres partenaires habituels. D’où un marasme économique persistant. L’activité des armateurs français qui était, en temps de paix, le transport maritime, devenait, en temps de guerre, la protection des navires français et l’attaque des bateaux ennemis, isolés ou en convois.  Ils armaient pour la « course ». Le « corsaire » fournissait le navire et prenait en charge les frais d’armement. Il se payait en s’appropriant marchandises et bateau. Il agissait sous couvert du roi (sur « lettre de marque »), ce qui lui donnait un statut de combattant, bénéficiant ainsi des règles du droit de la guerre et lui interdisant, par contre, de sortir du cadre défini.

 
Le projet de Duguay-Trouin
Duguay-Trouin, né d’une famille d’armateurs malouins, était un « corsaire » particulièrement audacieux ; en 1708, il comptait à son actif 16 captures de navires de guerre et plus de 300 de marchands. Il est anobli par le roi. Il forme alors un projet important : « une entreprise sur la colonie de Rio de Janeiro, l’une des plus riches et des plus puissantes du Brésil5 », qui est alors possession portugaise. Le Portugal est allié à l’Angleterre contre la France dans le cadre de la Guerre de Succession d’Espagne. Cette opération est menée avec des armateurs amis, qui la montent et la financent. Le roi donne son aval ; par convention, il fournit une douzaine de navires, avec leurs équipages (officiers, marins et soldats), contre versement d’un cinquième du revenu des prises. En somme, un accord de partenariat entre forces militaires du roi et armements privés. L’expédition se donne également pour objectif de délivrer les 600 Français retenus prisonniers à Rio  à la suite de l’échec, l’année précédente, d’une tentative semblable. 

 
La prise de Rio et les périls de la mer
 
Plan de la baie de Rio de Janeiro Mémoires de Duguay Trouin
Le départ de Brest a lieu le 2 juin 1711, après deux mois de préparatifs menés dans la plus grande discrétion. Le 12 septembre, au matin, l’escadre française composée de 18 vaisseaux et frégates, transportant 2000 marins et 4000 soldats, se présente à l’entrée de la baie de Rio de Janeiro. L’assaut final de la ville est donné le 21 septembre : c’est la débandade pour les 12 000 hommes de la garnison portugaise, dont le gouverneur accepte le versement d’une rançon très importante, en argent et marchandises, afin d'éviter la destruction de la ville elle-même après son pillage. 
Le 13 novembre, l’escadre reprend la mer avec le butin (plus d’1,3 tonne d’or, des navires marchands chargés du pillage des entrepôts). Mais le voyage de retour se révèle très périlleux : une forte tempête envoie par le fond deux navires avec leur équipage (1 200 hommes noyés) et une partie du butin accumulé à bord. Les premiers bateaux pénètrent dans la rade de Brest le 2 février 1712. Duguay-Trouin fait le bilan financier de l’expédition, côté armateurs : « les retours des deux vaisseaux que j’avais envoyés à la mer du Sud6, joints à l’or et aux autres effets apportés de Rio de Janeiro payèrent la dépense de mon armement, et donnèrent 92% de profit à ceux qui s’y étaient intéressés…7 ».

 
Le soldat Deschamps et les autres
C’est un des sept mercredis du Carême de 1712, entre le 10 février et le 23 mars, qu’un soldat de Quimper, nommé Deschamps, rentré sain et sauf de l’expédition de Rio, a annoncé au fabricien de Kerdévot la participation au prochain pardon, le 11 septembre, d’un groupe de soldats rescapés, pour exécuter le vœu qu’ils avaient fait à la Vierge au cours de la tempête essuyée au large des Açores. Certaines éditions des Mémoires de Duguay-Trouin donnent pour chaque vaisseau ou frégate de l’escadre de Rio l’état de ses effectifs au moment de l’armement, avec l’indication des commandements attribués. Ainsi la frégate L’Argonaute8, commandée par le chevalier du Bois-de-la-Motte, avait pour second enseigne un dénommé Droualin. Il s’agit de Benjamin Droualin9, un Bigouden, présenté comme faisant partie « de la Compagnie de Dernaud ». Lazare Darnaud apparaît, lui, sur les registres de St-Mathieu de Quimper : il est mort le 11 juillet 1721 à l’âge de 65 ans et est désigné à cette date comme « lieutenant de vaisseau et capitaine d’une compagnie franche de marine10 ». Quant au « soldat Deschamps », il s’agirait de François Deschamps, qui figure sur les registres de Quimper St-Mathieu pour son mariage le 15 octobre 1703 avec Anne Kerbaoul. Il y est effectivement présenté comme « soldat, dit "Belle Rose", dans la Compagnie de Monsieur Darnaud ». Le Cantique de Kerdevot n’indique pas le nombre de ces rescapés de l’escadre de Rio qui ont assisté au pardon du 11 septembre 1712. Nous pouvons cependant déduire qu’il s’agissait d’une partie des soldats de la Compagnie du Capitaine Darnaud, qui comptait des Cornouaillais dans ses rangs et naviguait sur la frégate L'Argonaute.

 
Les compagnies au XVIIIe siècle

Equipage de lArgonaute
Les compagnies franches de Marine sont les ancêtres de nos troupes de Marine actuelles. Elles avaient leurs bases dans les grands ports militaires français (Brest, Rochefort, Toulon et Port-Louis). Dans les années 1710, elles comptaient sur le sol français environ 10 000  soldats, à savoir 100 compagnies de 100 hommes chacune, et dans les colonies environ 5000 soldats. 
Ces soldats sont bien des fantassins formés au maniement du mousquet, au combat à l’épée, aux manœuvres d’attaque et de défense, aux patrouilles, aux parades, mais aussi à l’abordage et à l’attaque à la grenade, au débarquement en terrain hostile. Plusieurs avaient une formation de canonnier. En outre, ces soldats étaient accoutumés à la vie à bord, tout comme aux latitudes tropicales. Les hommes de troupe étaient recrutés en grande partie aux abords des grands ports, mais pas uniquement. L’engagement se durait de 6 à 8 ans. Beaucoup prenaient une identité d’emprunt : « La Fleur », « Boit-sans-soif », « Joli-Cœur », « Brin d’avoine »… ou encore « Belle-Rose », comme Deschamps.

 
« Une espèce de miracle »
 
La rafale The gust 1680 W. v. VeldeLes Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin font un récit intéressant du retour à Brest. « Le 20 décembre, après avoir essuyé bien des vents contraires, nous passâmes la ligne équinoxiale, et le 29 janvier, nous nous trouvâmes à la hauteur des Açores. Jusque-là, toute l’escadre s’était conservée11 ; mais nous fûmes pris sur ces parages de trois coups de vent consécutifs, et si violents qu’ils nous séparèrent tous les uns des autres. Les gros vaisseaux furent dans un danger évident de périr ; Le Lys, que je montais, quoique l’un des meilleurs de l’escadre, ne pouvait gouverner par l’impétuosité du vent ; et je fus obligé de me tenir en personne au gouvernail pendant plus de six heures, et d’être continuellement attentif à prévenir toutes les vagues qui pourraient faire venir le vaisseau en travers. Mon attention n’empêcha pas que toutes mes voiles ne fussent emportées, que toutes mes chaînes de haubans ne fussent rompues les unes après les autres, et que mon grand mât ne rompît entre les deux ponts ; nous faisions d’ailleurs de l’eau à trois pompes, et ma situation devint si pressante au milieu de la nuit, que je me trouvais dans le cas d’avoir recours aux signaux d’incommodité, en tirant des coups de canon, et mettant des feux à mes haubans. Mais tous les vaisseaux de mon escadre, étant pour le moins aussi maltraités que le mien, ne purent me conserver, et je me trouvais avec la seule frégate "l’Argonaute", montée par le chevalier du Bois-de-la-Mothe, qui dans cette occasion voulut bien s’exposer à périr, pour se tenir à portée de me donner du secours.
Cette tempête dura pendant deux jours avec la même violence, et mon vaisseau fut sur le point d’en être abîmé12, en faisant un effort pour joindre trois de mes camarades, que je découvrais sous le vent13. En effet, ayant voulu faire vent arrière sur eux avec les fonds de ma misaine seulement14, une grosse vague vint de l’arrière qui éleva ma poupe en l’air et dans le même instant il en vint une autre encore plus grosse, de l’avant, qui passant par-dessus mon beaupré15 et ma hune de misaine16, engloutit tout le devant de mon vaisseau jusqu’à son grand mât. L’effort qu’il fit pour déplacer cette épouvantable colonne d’eau dont il était affaissé17 nous fit dresser les cheveux, et envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer. La secousse des mâts et de toutes les parties du vaisseau fut si grande que c’est une espèce de miracle que nous n’y ayons pas péri, et je ne le comprends pas encore…18 » Six vaisseaux purent se regrouper à l’issue de la tempête et rejoindre Brest. Deux autres y arrivèrent deux jours après. D’autres purent atteindre La Corogne ou Cayenne. Mais deux autres ne réapparurent jamais : Le Fidèle et, hélas ! Le Magnanime. Ce dernier était commandé par le chevalier de Couerserac, qui fut l’autre grand héros de l’expédition, « mon compagnon fidèle », écrit Duguay-Trouin, « qui dans plusieurs de mes expéditions m’avait secondé avec une valeur peu commune [...] ma confiance en lui était si grande que j’avais fait charger sur le "Magnanime", qu’il montait, plus de six cent mille livres en or et en argent. Ce vaisseau était en outre rempli d’une grande quantité de marchandises ; il est vrai que c’était le plus grand de l’escadre, et le plus capable, en apparence, de résister aux efforts de la tempête, et à ceux des ennemis. Presque toutes nos richesses étaient embarquées sur ce vaisseau, et sur celui que je montais19 ». Image ci contre : La Rafale, W. v. Velde, 1680. Navire en haute mer, pris dans une bourrasque comparable à celle que l'expédition de Duguay-Trouin a pu vivre.

 
Un « magnifique » chapelet remis en ex-voto à Kerdévot
 
"La flotte de Duguay Trouin à l'attaque de Rio" par F. Perrot, 1844
Nous savons ainsi que L’Argonaute, le vaisseau sur lequel était embarquée la Compagnie de Darnaud, a subi les mêmes tourments que ceux supportés par Duguay-Trouin sur Le Lys. Chacun des hommes qui étaient à son bord a pu « envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer ». D’où cet appel au secours, lancé à la Vierge : « En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse. Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse », dit le Cantique. Comme par mouvement d’instinct, ils ont décidé d’aller trouver la Vierge, en reconnaissance, dans l'un de ses sanctuaires connus. Ce serait à Kerdévot. Et c’est le « soldat Deschamps » qui effectua, peu après l’arrivée des navires à Brest, la prise de contact pour préparer la démarche. Ce choix tient certainement à la notoriété de Kerdévot dans une population qui n’est pas celle des campagnes cornouaillaises, mais celle des villes, des milieux des Armées et de la Marine royale : « Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet, Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe ». L’usage est que le pèlerin laisse sur place un « ex-voto », témoin dans le temps de sa reconnaissance pour le secours apporté, terme de l’échange entre protecteur et protégé. L’ex-voto peut être un calvaire érigé après une épidémie de peste (Plougastel-Daoulas), les béquilles de l’estropié guéri, la médaille militaire du soldat rentré au foyer, le tableau représentant l’accident qui « par miracle » n’a pas fait de victime… Dans le cas présent, on ne serait pas étonné de trouver une maquette de la frégate L’Argonaute ou une peinture du bateau dans la tempête. On s’étonne plutôt de trouver un chapelet, objet qui n’est pas spécialement lié à l’image du soudard. On s’étonnera moins, cependant, si le chapelet est en or et en argent, et si on se reporte au récit de Duguay-Trouin : « En entrant dans cette ville abandonnée, je fus surpris de trouver d’abord sur ma route les prisonniers qui étaient restés de la défaite de M. Du Clerc20. Ils avaient, dans la confusion, brisé les portes de leurs prisons, et s’étaient répandus de tous côtés de la ville, pour piller les endroits les plus riches. Cet objet excita l’avidité de nos soldats, et en porta quelques-uns à se débander ; j’en fis faire, sur-le-champ même, un châtiment sévère qui les arrêta ; et j’ordonnai que tous ces prisonniers fussent conduits et consignés dans le fort des bénédictins21. » « Dès le premier jour que j’étais entré dans la ville, j’avais eu un très grand soin de faire rassembler tous les vases sacrés, l’argenterie et les ornements d’église, et je les avais fait mettre, par nos aumôniers, dans de grands coffres, après avoir fait punir de mort tous les soldats ou matelots qui avaient eu l’impiété de les profaner, et qui s’en étaient trouvés saisis. Lorsque je fus sur le point de partir, je confiai ce dépôt aux Jésuites, comme aux seuls ecclésiastiques de ce pays-là qui m’avaient paru dignes de ma confiance ; et je les chargeai de le remettre à l’évêque du lieu22. » Nous pouvons émettre l'hypothèse que les soldats de la Compagnie de Darnaud ont commis eux aussi des actes de pillage, au domicile de riches particuliers ou dans des églises, et ce malgré les mesures dont tient à faire état Duguay-Trouin. Un chapelet en or et argent est relativement facile à dissimuler. Mais quand la tempête se déchaîne sur plusieurs jours et qu’on pense que tout ce qui survient est voulu par la puissance divine, alors les éléments en furie crient au sacrilège et l’esprit est assailli par le remords devant l’impiété reconnue. Le soldat se rend alors à l’évidence : le chapelet est voué à la Vierge, la grande Protectrice ; il faut se rendre à son sanctuaire pour le lui remettre. Si nous nous en sortons, c’est qu’elle y consent. Une hypothèse qui expliquerait un « blanchiment » de chapelet par les compagnons de « Belle-Rose », qui assurément n'étaient pas des « enfants de chœur » !
 
François Ac’h
 
Notes
 
1. Texte en breton et en français (56 strophes) dans BSAF 1891, pages 170 et sv., sous le titre « L’ancien cantique de Kerdevot ».
2. Nous avons consulté le texte des Editions France-Empire, mars 1991, avec présentation par Philippe Clouet.
3. Louis XIV est mort en 1715. Il prit réellement le pouvoir à la mort de Mazarin, en 1661.
4. D’où la Révolte dite des Bonnets rouges, en 1675.
5. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p.128.
6. Ainsi était appelée, en particulier par les pirates, corsaires et armateurs, la partie de l’Océan Pacifique baignant l’Amérique du Sud. C’est dans cette partie de l’empire espagnol (mines du Pérou et de Potosi), plutôt qu’en France, que Duguay-Trouin pouvait vendre certaines marchandises saisies à Rio, par exemple le sucre (pages 155-156).
7. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 163.
8. Frégate munie de 46 canons, avec 287 hommes à bord, dont 51 officiers et mariniers, 97 matelots et 106 soldats.
9. Le grand-père de Benjamin Droualin avait été sénéchal du baron du Pont (Pont-l’Abbé) ; il avait restauré le manoir de Lestrémec, en Tréméoc, pour en faire le berceau d’une famille qui ne cessera de fournir des officiers aux armées et à la Marine. Un frère de Benjamin a été tué au siège de Lille en 1708.
10. A la suite d’un second mariage, il est le père de Jean-Charles Darnaud, « écuyer », qui se marie à Quimper en 1704.
11. Terme de marine : « naviguer sans se perdre de vue ».
12. Sens ancien : « tombé dans un abîme »
13. « dans la direction opposée à celle du vent (d’où vient le vent) »
14. « en faisant gonfler la voile basse du mât d’avant »
15. « mât couché sur l’éperon à la proue d’un vaisseau »
16. « Hune de misaine » : petite plate-forme de bois placée au sommet du mât de misaine
17. « qui l’avait fait tomber à un niveau inférieur sous son poids »
18. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 160-161.
19. Ibid., p. 162.
20. L’hiver 1711, une précédente expédition, conduite par le capitaine Duclerc, avec cinq vaisseaux et un millier de soldats, avait mis le cap sur Rio afin de se saisir à son point de départ de la flotte portugaise transportant vers Lisbonne l’or recueilli au Brésil. Ce fut un échec : 600 hommes restèrent prisonniers à Rio.
21. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 150.
22 Ibid., p. 156.

Dossier réalisé par François Ac'h - Keleier 81 - janvier 2014