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Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Couverture des Mémoires de Duguay Trouin
Un soldat de Quimper, nommé Deschamps,
En visitant Kerdevot, le dernier carême,
A dit au fabricien qu’il a été secouru
Par Marie, dans sa campagne, pendant l’hiver passé.
 
Les soldats qui avaient été avec M. Duguay
Ne pouvaient plus retrouver leur route pour revenir à la maison.
En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse.
Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse.
 
Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; 
Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet,
Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe.
Soutenez-les encore, ô Vierge, dans leurs combats.
 
 
Ce sont là les strophes 30, 31 et 32 de l’« Ancien cantique de Kerdévot », tel qu’il nous est communiqué par l’Abbé Favé, vicaire à Ergué-Gabéric de 1888 à 18971. Elles évoquent « la mise à sac de Rio de Janeiro » en 1711 par le corsaire Duguay-Trouin, et le pèlerinage qui s’en suivit, à Kerdévot, au pardon du 11 septembre 1712, de soldats rescapés de cette expédition qui fit sensation. Nous nous référons ici à la relation faite de ce coup de main plein de panache et d’aventures dans les Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin2 lui-même. Nous voulons ici comprendre la démarche de ces soldats pèlerins d’un jour, qui ont dû impressionner les habitués de Kerdévot.
 
Le long règne de Louis XIV3  fut une succession de guerres menées par lui contre les Etats européens. Sa politique de domination avait mobilisé toutes les ressources de la  Bretagne, imposé de nouveaux impôts4, rompu tout commerce de la province avec l’Angleterre et, du fait du blocus anglais, mis fin aux relations maritimes avec ses autres partenaires habituels. D’où un marasme économique persistant. L’activité des armateurs français qui était, en temps de paix, le transport maritime, devenait, en temps de guerre, la protection des navires français et l’attaque des bateaux ennemis, isolés ou en convois.  Ils armaient pour la « course ». Le « corsaire » fournissait le navire et prenait en charge les frais d’armement. Il se payait en s’appropriant marchandises et bateau. Il agissait sous couvert du roi (sur « lettre de marque »), ce qui lui donnait un statut de combattant, bénéficiant ainsi des règles du droit de la guerre et lui interdisant, par contre, de sortir du cadre défini.

 
Le projet de Duguay-Trouin
Duguay-Trouin, né d’une famille d’armateurs malouins, était un « corsaire » particulièrement audacieux ; en 1708, il comptait à son actif 16 captures de navires de guerre et plus de 300 de marchands. Il est anobli par le roi. Il forme alors un projet important : « une entreprise sur la colonie de Rio de Janeiro, l’une des plus riches et des plus puissantes du Brésil5 », qui est alors possession portugaise. Le Portugal est allié à l’Angleterre contre la France dans le cadre de la Guerre de Succession d’Espagne. Cette opération est menée avec des armateurs amis, qui la montent et la financent. Le roi donne son aval ; par convention, il fournit une douzaine de navires, avec leurs équipages (officiers, marins et soldats), contre versement d’un cinquième du revenu des prises. En somme, un accord de partenariat entre forces militaires du roi et armements privés. L’expédition se donne également pour objectif de délivrer les 600 Français retenus prisonniers à Rio  à la suite de l’échec, l’année précédente, d’une tentative semblable. 

 
La prise de Rio et les périls de la mer
 
Plan de la baie de Rio de Janeiro Mémoires de Duguay Trouin
Le départ de Brest a lieu le 2 juin 1711, après deux mois de préparatifs menés dans la plus grande discrétion. Le 12 septembre, au matin, l’escadre française composée de 18 vaisseaux et frégates, transportant 2000 marins et 4000 soldats, se présente à l’entrée de la baie de Rio de Janeiro. L’assaut final de la ville est donné le 21 septembre : c’est la débandade pour les 12 000 hommes de la garnison portugaise, dont le gouverneur accepte le versement d’une rançon très importante, en argent et marchandises, afin d'éviter la destruction de la ville elle-même après son pillage. 
Le 13 novembre, l’escadre reprend la mer avec le butin (plus d’1,3 tonne d’or, des navires marchands chargés du pillage des entrepôts). Mais le voyage de retour se révèle très périlleux : une forte tempête envoie par le fond deux navires avec leur équipage (1 200 hommes noyés) et une partie du butin accumulé à bord. Les premiers bateaux pénètrent dans la rade de Brest le 2 février 1712. Duguay-Trouin fait le bilan financier de l’expédition, côté armateurs : « les retours des deux vaisseaux que j’avais envoyés à la mer du Sud6, joints à l’or et aux autres effets apportés de Rio de Janeiro payèrent la dépense de mon armement, et donnèrent 92% de profit à ceux qui s’y étaient intéressés…7 ».

 
Le soldat Deschamps et les autres
C’est un des sept mercredis du Carême de 1712, entre le 10 février et le 23 mars, qu’un soldat de Quimper, nommé Deschamps, rentré sain et sauf de l’expédition de Rio, a annoncé au fabricien de Kerdévot la participation au prochain pardon, le 11 septembre, d’un groupe de soldats rescapés, pour exécuter le vœu qu’ils avaient fait à la Vierge au cours de la tempête essuyée au large des Açores. Certaines éditions des Mémoires de Duguay-Trouin donnent pour chaque vaisseau ou frégate de l’escadre de Rio l’état de ses effectifs au moment de l’armement, avec l’indication des commandements attribués. Ainsi la frégate L’Argonaute8, commandée par le chevalier du Bois-de-la-Motte, avait pour second enseigne un dénommé Droualin. Il s’agit de Benjamin Droualin9, un Bigouden, présenté comme faisant partie « de la Compagnie de Dernaud ». Lazare Darnaud apparaît, lui, sur les registres de St-Mathieu de Quimper : il est mort le 11 juillet 1721 à l’âge de 65 ans et est désigné à cette date comme « lieutenant de vaisseau et capitaine d’une compagnie franche de marine10 ». Quant au « soldat Deschamps », il s’agirait de François Deschamps, qui figure sur les registres de Quimper St-Mathieu pour son mariage le 15 octobre 1703 avec Anne Kerbaoul. Il y est effectivement présenté comme « soldat, dit "Belle Rose", dans la Compagnie de Monsieur Darnaud ». Le Cantique de Kerdevot n’indique pas le nombre de ces rescapés de l’escadre de Rio qui ont assisté au pardon du 11 septembre 1712. Nous pouvons cependant déduire qu’il s’agissait d’une partie des soldats de la Compagnie du Capitaine Darnaud, qui comptait des Cornouaillais dans ses rangs et naviguait sur la frégate L'Argonaute.

 
Les compagnies au XVIIIe siècle

Equipage de lArgonaute
Les compagnies franches de Marine sont les ancêtres de nos troupes de Marine actuelles. Elles avaient leurs bases dans les grands ports militaires français (Brest, Rochefort, Toulon et Port-Louis). Dans les années 1710, elles comptaient sur le sol français environ 10 000  soldats, à savoir 100 compagnies de 100 hommes chacune, et dans les colonies environ 5000 soldats. 
Ces soldats sont bien des fantassins formés au maniement du mousquet, au combat à l’épée, aux manœuvres d’attaque et de défense, aux patrouilles, aux parades, mais aussi à l’abordage et à l’attaque à la grenade, au débarquement en terrain hostile. Plusieurs avaient une formation de canonnier. En outre, ces soldats étaient accoutumés à la vie à bord, tout comme aux latitudes tropicales. Les hommes de troupe étaient recrutés en grande partie aux abords des grands ports, mais pas uniquement. L’engagement se durait de 6 à 8 ans. Beaucoup prenaient une identité d’emprunt : « La Fleur », « Boit-sans-soif », « Joli-Cœur », « Brin d’avoine »… ou encore « Belle-Rose », comme Deschamps.

 
« Une espèce de miracle »
 
La rafale The gust 1680 W. v. VeldeLes Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin font un récit intéressant du retour à Brest. « Le 20 décembre, après avoir essuyé bien des vents contraires, nous passâmes la ligne équinoxiale, et le 29 janvier, nous nous trouvâmes à la hauteur des Açores. Jusque-là, toute l’escadre s’était conservée11 ; mais nous fûmes pris sur ces parages de trois coups de vent consécutifs, et si violents qu’ils nous séparèrent tous les uns des autres. Les gros vaisseaux furent dans un danger évident de périr ; Le Lys, que je montais, quoique l’un des meilleurs de l’escadre, ne pouvait gouverner par l’impétuosité du vent ; et je fus obligé de me tenir en personne au gouvernail pendant plus de six heures, et d’être continuellement attentif à prévenir toutes les vagues qui pourraient faire venir le vaisseau en travers. Mon attention n’empêcha pas que toutes mes voiles ne fussent emportées, que toutes mes chaînes de haubans ne fussent rompues les unes après les autres, et que mon grand mât ne rompît entre les deux ponts ; nous faisions d’ailleurs de l’eau à trois pompes, et ma situation devint si pressante au milieu de la nuit, que je me trouvais dans le cas d’avoir recours aux signaux d’incommodité, en tirant des coups de canon, et mettant des feux à mes haubans. Mais tous les vaisseaux de mon escadre, étant pour le moins aussi maltraités que le mien, ne purent me conserver, et je me trouvais avec la seule frégate "l’Argonaute", montée par le chevalier du Bois-de-la-Mothe, qui dans cette occasion voulut bien s’exposer à périr, pour se tenir à portée de me donner du secours.
Cette tempête dura pendant deux jours avec la même violence, et mon vaisseau fut sur le point d’en être abîmé12, en faisant un effort pour joindre trois de mes camarades, que je découvrais sous le vent13. En effet, ayant voulu faire vent arrière sur eux avec les fonds de ma misaine seulement14, une grosse vague vint de l’arrière qui éleva ma poupe en l’air et dans le même instant il en vint une autre encore plus grosse, de l’avant, qui passant par-dessus mon beaupré15 et ma hune de misaine16, engloutit tout le devant de mon vaisseau jusqu’à son grand mât. L’effort qu’il fit pour déplacer cette épouvantable colonne d’eau dont il était affaissé17 nous fit dresser les cheveux, et envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer. La secousse des mâts et de toutes les parties du vaisseau fut si grande que c’est une espèce de miracle que nous n’y ayons pas péri, et je ne le comprends pas encore…18 » Six vaisseaux purent se regrouper à l’issue de la tempête et rejoindre Brest. Deux autres y arrivèrent deux jours après. D’autres purent atteindre La Corogne ou Cayenne. Mais deux autres ne réapparurent jamais : Le Fidèle et, hélas ! Le Magnanime. Ce dernier était commandé par le chevalier de Couerserac, qui fut l’autre grand héros de l’expédition, « mon compagnon fidèle », écrit Duguay-Trouin, « qui dans plusieurs de mes expéditions m’avait secondé avec une valeur peu commune [...] ma confiance en lui était si grande que j’avais fait charger sur le "Magnanime", qu’il montait, plus de six cent mille livres en or et en argent. Ce vaisseau était en outre rempli d’une grande quantité de marchandises ; il est vrai que c’était le plus grand de l’escadre, et le plus capable, en apparence, de résister aux efforts de la tempête, et à ceux des ennemis. Presque toutes nos richesses étaient embarquées sur ce vaisseau, et sur celui que je montais19 ». Image ci contre : La Rafale, W. v. Velde, 1680. Navire en haute mer, pris dans une bourrasque comparable à celle que l'expédition de Duguay-Trouin a pu vivre.

 
Un « magnifique » chapelet remis en ex-voto à Kerdévot
 
"La flotte de Duguay Trouin à l'attaque de Rio" par F. Perrot, 1844
Nous savons ainsi que L’Argonaute, le vaisseau sur lequel était embarquée la Compagnie de Darnaud, a subi les mêmes tourments que ceux supportés par Duguay-Trouin sur Le Lys. Chacun des hommes qui étaient à son bord a pu « envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer ». D’où cet appel au secours, lancé à la Vierge : « En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse. Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse », dit le Cantique. Comme par mouvement d’instinct, ils ont décidé d’aller trouver la Vierge, en reconnaissance, dans l'un de ses sanctuaires connus. Ce serait à Kerdévot. Et c’est le « soldat Deschamps » qui effectua, peu après l’arrivée des navires à Brest, la prise de contact pour préparer la démarche. Ce choix tient certainement à la notoriété de Kerdévot dans une population qui n’est pas celle des campagnes cornouaillaises, mais celle des villes, des milieux des Armées et de la Marine royale : « Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet, Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe ». L’usage est que le pèlerin laisse sur place un « ex-voto », témoin dans le temps de sa reconnaissance pour le secours apporté, terme de l’échange entre protecteur et protégé. L’ex-voto peut être un calvaire érigé après une épidémie de peste (Plougastel-Daoulas), les béquilles de l’estropié guéri, la médaille militaire du soldat rentré au foyer, le tableau représentant l’accident qui « par miracle » n’a pas fait de victime… Dans le cas présent, on ne serait pas étonné de trouver une maquette de la frégate L’Argonaute ou une peinture du bateau dans la tempête. On s’étonne plutôt de trouver un chapelet, objet qui n’est pas spécialement lié à l’image du soudard. On s’étonnera moins, cependant, si le chapelet est en or et en argent, et si on se reporte au récit de Duguay-Trouin : « En entrant dans cette ville abandonnée, je fus surpris de trouver d’abord sur ma route les prisonniers qui étaient restés de la défaite de M. Du Clerc20. Ils avaient, dans la confusion, brisé les portes de leurs prisons, et s’étaient répandus de tous côtés de la ville, pour piller les endroits les plus riches. Cet objet excita l’avidité de nos soldats, et en porta quelques-uns à se débander ; j’en fis faire, sur-le-champ même, un châtiment sévère qui les arrêta ; et j’ordonnai que tous ces prisonniers fussent conduits et consignés dans le fort des bénédictins21. » « Dès le premier jour que j’étais entré dans la ville, j’avais eu un très grand soin de faire rassembler tous les vases sacrés, l’argenterie et les ornements d’église, et je les avais fait mettre, par nos aumôniers, dans de grands coffres, après avoir fait punir de mort tous les soldats ou matelots qui avaient eu l’impiété de les profaner, et qui s’en étaient trouvés saisis. Lorsque je fus sur le point de partir, je confiai ce dépôt aux Jésuites, comme aux seuls ecclésiastiques de ce pays-là qui m’avaient paru dignes de ma confiance ; et je les chargeai de le remettre à l’évêque du lieu22. » Nous pouvons émettre l'hypothèse que les soldats de la Compagnie de Darnaud ont commis eux aussi des actes de pillage, au domicile de riches particuliers ou dans des églises, et ce malgré les mesures dont tient à faire état Duguay-Trouin. Un chapelet en or et argent est relativement facile à dissimuler. Mais quand la tempête se déchaîne sur plusieurs jours et qu’on pense que tout ce qui survient est voulu par la puissance divine, alors les éléments en furie crient au sacrilège et l’esprit est assailli par le remords devant l’impiété reconnue. Le soldat se rend alors à l’évidence : le chapelet est voué à la Vierge, la grande Protectrice ; il faut se rendre à son sanctuaire pour le lui remettre. Si nous nous en sortons, c’est qu’elle y consent. Une hypothèse qui expliquerait un « blanchiment » de chapelet par les compagnons de « Belle-Rose », qui assurément n'étaient pas des « enfants de chœur » !
 
François Ac’h
 
Notes
 
1. Texte en breton et en français (56 strophes) dans BSAF 1891, pages 170 et sv., sous le titre « L’ancien cantique de Kerdevot ».
2. Nous avons consulté le texte des Editions France-Empire, mars 1991, avec présentation par Philippe Clouet.
3. Louis XIV est mort en 1715. Il prit réellement le pouvoir à la mort de Mazarin, en 1661.
4. D’où la Révolte dite des Bonnets rouges, en 1675.
5. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p.128.
6. Ainsi était appelée, en particulier par les pirates, corsaires et armateurs, la partie de l’Océan Pacifique baignant l’Amérique du Sud. C’est dans cette partie de l’empire espagnol (mines du Pérou et de Potosi), plutôt qu’en France, que Duguay-Trouin pouvait vendre certaines marchandises saisies à Rio, par exemple le sucre (pages 155-156).
7. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 163.
8. Frégate munie de 46 canons, avec 287 hommes à bord, dont 51 officiers et mariniers, 97 matelots et 106 soldats.
9. Le grand-père de Benjamin Droualin avait été sénéchal du baron du Pont (Pont-l’Abbé) ; il avait restauré le manoir de Lestrémec, en Tréméoc, pour en faire le berceau d’une famille qui ne cessera de fournir des officiers aux armées et à la Marine. Un frère de Benjamin a été tué au siège de Lille en 1708.
10. A la suite d’un second mariage, il est le père de Jean-Charles Darnaud, « écuyer », qui se marie à Quimper en 1704.
11. Terme de marine : « naviguer sans se perdre de vue ».
12. Sens ancien : « tombé dans un abîme »
13. « dans la direction opposée à celle du vent (d’où vient le vent) »
14. « en faisant gonfler la voile basse du mât d’avant »
15. « mât couché sur l’éperon à la proue d’un vaisseau »
16. « Hune de misaine » : petite plate-forme de bois placée au sommet du mât de misaine
17. « qui l’avait fait tomber à un niveau inférieur sous son poids »
18. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 160-161.
19. Ibid., p. 162.
20. L’hiver 1711, une précédente expédition, conduite par le capitaine Duclerc, avec cinq vaisseaux et un millier de soldats, avait mis le cap sur Rio afin de se saisir à son point de départ de la flotte portugaise transportant vers Lisbonne l’or recueilli au Brésil. Ce fut un échec : 600 hommes restèrent prisonniers à Rio.
21. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 150.
22 Ibid., p. 156.

Dossier réalisé par François Ac'h - Keleier 81 - janvier 2014


Trésors d'archives > Patrimoine religieux > En revenant de Kerdévot par Léon Le Berre

En revenant de Kerdévot, par Léon Le Berre (Abalor)

Ce texte est tiré d’une nouvelle intitulée « En revenant de Kerdévot », dans le recueil Fleurs de Basse-Bretagne écrit par Léon Le Berre. Léon Le Berre, alias Abalor, est né à Kervao à Ergué-Armel le 30 septembre 1874 et décédé à Rennes en 1946. Il fait des études de lettres et de droit à Rennes. Il commence sa carrière de journaliste à l’Ouest-Eclair et est intronisé barde en 1901, sous le nom d’Abalor (le fils de St Alor, patron d’Ergué-Armel). Successivement, il dirigea les revues L’Arvor, Le Courrier Morbihannais, et l’Union maritime et agricole. Il finit sa carrière comme chroniqueur judiciaire à l’Ouest-Eclair. Il a écrit une dizaine d’ouvrages en breton et en français. 
 
Le spectacle était vraiment imposant sur le placis. A la lueur des lanternes ou des cierges que tenaient les pèlerins, Mariannik et sa compagne purent voir une multitude de gens, de tous les costumes. Ici, une gracieuse fille de Scaër considérait d’un œil un peu moqueur le lourd costume des femmes de Pont-l’Abbé aux mîtres orientales. Là des « Glaziks » et des Elliantais aux broderies jaunes différents d’habits, mais unis dans les mêmes invocations à la Vierge puissante de Kerdévot, oubliant d’ailleurs pour un moment les disputes de clans, se pressaient pour entrer dans l’église. Et près de la porte, c’était comme un moutonnement de têtes d’hommes et de coiffes blanches, où scintillaient les lueurs vacillantes des cierges, allant tomber comme des gouttes de feu dans l’océan de lumières qui inondaient la chapelle.
Un moment la veuve craignit pour son corsage noir les tâches de cire ! « Restons ici dehors, à l’entrée, dit-elle.
— Point ! fit Mariannik, allons là-bas tout au haut ! »
Et en franchissant le seuil elles se frayèrent un passage, écartant de la main les cierges dont les gouttes odorantes menaçaient leurs vêtements, et par des prodiges de stratégie elles arrivèrent, dépassant l’endroit réservé aux femmes, à l’entrée du chœur.
Elles restèrent bien une grande heure en prière sans que le sommeil les prît, sans que les allées et venues de la foule leur fissent faire un mouvement. Que disait Mariannik à la mère du Christ ?
Elle lui disait son amour sans espoir, elle la conjurait par les Sept Douleurs d’avoir pitié d’elle. Elle la priait par l’affection maternelle qu’elle avait pour le « mabik Jésus » de mettre un peu d’affection pour elle au cœur de Fanch, de ne pas la laisser ainsi méconnue et oubliée de celui qu’elle aimait.
Et comme elle regardait le riche retable en sa vitrine de verre, elle crut voir sur la figure de la Madone un sourire de pitié et de miséricorde. Le reflet des cierges inondait de clarté le visage divin, et Mariannik y vit l’espérance d’un avenir meilleur.
Rapidement, elle se signa et fit signe à Katell. Toutes deux s’étant levées, mirent au plat de cuivre une pièce de monnaie, et se frayant à nouveau un chemin à travers les pèlerins, elle sortirent du saint lieu.
La lune brillait dans un ciel nuageux ; la jeune fille entraîna sa compagne à travers champs jusqu’à la fontaine sacrée, quelque peu éloignée du placis. Elle voulait, en laissant tomber dans l’eau limpide l’épingle de sa coiffe, connaître enfin son sort, selon une touchante coutume bretonne qui attache à la manière dont descend l’épingle une importance capitale pour le mariage.
En arrivant dans la prairie, où jaillit l’antique fontaine, reste vénérable d’un culte disparu que le christianisme sut conserver chez les peuples celtiques, les deux femmes virent un rassemblement de jeunes hommes se passant de main en main l’écuelle remplie d’eau. La lumière falote de la lune éclairait ce poétique tableau, blanchissant la niche de granit, plaquant des reflets d’argent dans l’onde de la piscine, que troublait seule parfois le puisage de l’eau dans les écuelles et les bols des vieilles femmes.
Au moment où Mariannik et Katell s’approchaient du groupe, l’un des hommes se retourna et, les ayant reconnues, s’en vint vers elles, un peu gauche et gêné : 
« Ah ! vous voilà, dit-il. Ma Doué ! je disais comme ça aussi, que...». Il bredouilla et ne put continuer. Katell eut un petit rire moqueur, vite réprimé, et lui dit : 
— Certainement, nous voilà ! Mais qu’est-ce que cela peut vous faire, puisque les femmes vous importent peu ?
— Ca c’est vrai, dit-il bêtement. Avec un air de chien qu’on fouette, il s’éloigna avec ses compagnons qui n’avaient rien vu de la scène et les deux femmes achevèrent tranquillement leurs dévotions...
 
Ci contre : Léon Le Berre et couverture de Fleurs de Basse-Bretagne, par Léon Le Berre, publié en 1901 à Rennes.
 
 

 

Dossier (textes et photos) réalisé par Bernez Rouz - Keleier 81 - janvier 2014

 

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Trésors d'archives > Quartiers > Le comité de tir d'Ergué-Gabéric 1909 - 1914

Présentation
 
2013 sera marquée par le centenaire des Paotred Dispount, le célèbre club de football de Lestonan. Une bonne occasion de s’interroger sur les débuts de la pratique sportive à Ergué-Gabéric.

Certes les fêtes de village se terminaient souvent par des joutes de baz-youd, de sevel ar berchenn, de teurel ar maen-pouezh, ces jeux traditionnels bretons spontanés tout comme la lutte (gouren). Des sports où il s’agissait de montrer sa force. Quant à la soule (Mellad) ancêtre du rugby, elle n’était plus guère jouée que dans quelques communes du Morbihan au début du XXe siècle. Elle a été vite détrônée par le fooball baptisé mell-droad en breton, c’est à dire balle au pied.
Il faut attendre le début du XXe siècle pour voir s’organiser la pratique sportive. Le football est né cinquante ans auparavant en Angleterre mais ne perce vraiment en France qu’après 1900.

Dans les villages, c’est le tir et la gymnastique qui sont à l’honneur. Ergué n’échappe pas à ce mouvement.
L’enquête de François Ac’h nous révèle la lente gestation d’un mouvement sportif organisé dans notre commune.

Bernez Rouz
 
 

Le comité de tir d'Ergué-Gabéric 1909 - 1914

 
La défaite de la France par les Prussiens et leurs alliés en 1870 a été vécue comme un énorme cataclysme. Il fallait s’expliquer pourquoi les soldats français s’étaient montrés moins valeureux, ou moins bien commandés, ou bien moins préparés.
De là est née une réflexion collective qui a concerné le service militaire lui-même, et l’instruction des réservistes, et la préparation militaire, et jusqu’à l’école publique, rendue obligatoire et désormais chargée de former à la gymnastique et de développer un esprit patriotique.
 

Service militaire et préparation militaire

Il fallait mieux former les futurs combattants, si on voulait reconquérir l’Alsace et la Lorraine.
D’où plusieurs décisions successives de réorganiser le service militaire (1872, 1889). En 1905, la loi du 21 mars le ramena de 3 à 2 ans, mais excluait cette fois toute dispense, ce qui fit cependant augmenter les effectifs de la conscription (environ 200.000 conscrits dans la classe d’âge de 1903, et 260.000 dans celle de 1906).

De plus, divers systèmes de préparation militaire, qu’ils soient scolaires (par exemple les « bataillons scolaires »), parascolaires ou post-scolaires, furent essayés. Puis des initiatives privées organisèrent des compagnies d’instruction et de préparation militaires pour des jeunes gens à partir de 17 ans : l’éducation physique devait être la base de cette préparation militaire ; les principales disciplines enseignées étaient la gymnastique, le tir, la marche, le maniement des armes.
Certaines sociétés avaient la gymnastique comme sport de référence, d’autres le tir, mais toutes associaient plusieurs disciplines dans la perspective d’une préparation au combat. Ces sociétés s’organisèrent en fédérations nationales et départementales en fonction de l’approche qui était la leur.
La loi (1885, 1892) vint encadrer l’intervention de ces différentes sociétés créées et organiser la « préparation militaire » : elle définit un unique programme de formation pour l’obtention d’un « brevet militaire » (1903).

En 1905, autre étape, la préparation militaire acquit une importance encore plus grande : elle fut confiée ou à l’Etat, dans ses établissements d’enseignement (Sociétés Scolaires ou S.S.), ou à des Sociétés « agréées par le ministre de la guerre » (S.A.G.), ou à des associations non agréées mais souscrivant un contrat d’association.
Diverses instructions ministérielles précisèrent dès lors ce qui concerne les programmes, les tenues, les moyens (formateurs, stands, matériel de tir, locaux, diplômes…), et des financements furent prévus.
 

Des sociétés laïques de gymnastique, de sports, de tir et préparation militaire à Quimper

En 1895, le Préfet du Finistère recense les « sociétés de gymna-stique, de tir et d’instruction militaire » existant dans le département.
Il cite « la Quimpéroise » (gymnastique, exercices et tir), « La Brestoise », (gymnastique et tir), « la Morlaisienne » (gymnastique), une autre morlaisienne appelée « la Société mixte de tir » et « la Landernéenne » (tir) (ADF 4 M 409).

« La Quimpéroise » a été fondée fin 1887 à la Mairie de Quimper à l’initiative de la société civile, plus exactement des premiers républicains de la ville : son président est Adolphe Porquier, le faïencier, qui sera maire de Quimper de 1896 à 1909.
Elle a comme buts :
  • de développer les forces physiques et morales des jeunes gens par l’emploi rationnel et hygiénique de la gymnastique et des sports en général.
  • d’accroître les forces défensives du pays par la vulgarisation des exercices militaires et des marches (ADF. 4M 422 - 2 février 1912).
Elle obtint après 22 ans de fonctionnement l’agrément du Ministre de la Guerre (S.A.G.) le 23 avril 1909 pour contribuer, dans le cadre officiellement défini, à la préparation militaire de la jeunesse, et accéder ainsi à divers avantages (subventions, prix et diplômes, fournitures en matériel de tir...).
Un rapport préfectoral du 22 février 1912 la présentait ainsi : « La Quimpéroise » est rattachée à l’Union des Sociétés de Gymnastique de France, déclarée d’utilité publique. Elle donne l’éducation physique conformément aux instructions ministérielles de l’Instruction publique et de l’armée… elle a organisé un cours spécial préparatoire au brevet militaire. Son enseignement pratique est complété par des causeries et des conférences sur des sujets comme l’anatomie et la physiologie élémentaires, l’hygiène, les principes sommaires de la morale, les droits et devoirs civiques, l’anti-alcoolisme. La société compte actuellement 102 gymnastes de 13 à 20 ans, dont 40 sont élèves dans les écoles publiques. Il faut y ajouter 25 « scolaires » formant une section de fifres. Il ressort de là que « la Quimpéroise », prenant les jeunes gens dès l’école, les retient à leur sortie pour les conduire jusqu’à l’heure de la conscription. (ADF. 4M 422).

« La Cornouaille » est une autre société quimpéroise, spécialement consacrée au tir, « société mixte » (réunissant des militaires et des civils), fondée en 1897 « avec le concours du 86ème Régiment territorial d’Infanterie ». « La Cornouaille » a intégré la Fédération des sociétés de tir du Finistère, et à travers celle-ci la Fédération nationale correspondante. Elle a pour devise « Si tu veux la paix, prépare la guerre » (Statuts, art.1) et pour but statutaire « d’accroître les forces défensives du pays, en développant le goût et la pratique du tir » (art.2). « Elle n’a aucun caractère politique. Toute discussion politique et religieuse est formellement interdite dans les réunions de la Société » (art.3). Les membres élèves son âgés d’au moins 16 ans (Statuts. ADF 4M 422).

Dès avril 1898, « La Cornouaille » compte 146 adhérents (ADF 4M 409). En mai 1913, le Préfet constate : « Cette société, la plus importante de l’arrondissement de Quimper, compte actuellement 462 membres, dont plusieurs élèves du Lycée de Quimper et les élèves-maîtres de l’Ecole normale. Elle rend les plus grands services au point de vue de l’enseignement du tir et de la préparation au brevet d’aptitude militaire » (ADF 4M 422).
 

Des sociétés de tir communales un peu partout

La loi du 21 mars 1905 portant réduction à deux ans du service militaire et développement des formations pré-militaires conduisit rapidement à créer dans un maximum de communes des sociétés de tir. En témoigne, pour ce qui concerne le Finistère, ce courrier du 20 août 1908 de l’Inspecteur d’Académie au Préfet du Finistère (ADF 4M 409) :
« Le 13 décembre (1907) mon prédécesseur vous adressait un rapport très documenté où il vous faisait savoir que l’enseignement du tir était donné d’une façon méthodique et raisonnée dans 77 écoles de garçons du Finistère.
Ce nombre a certainement augmenté depuis cette époque et je ne doute pas que lorsque je vous adresserai dans quelques mois le rapport annuel prévu par la circulaire ministérielle précitée, je n’aie à enregistrer une notable augmentation du nombre de ces associations (…)
Je vous serais obligé de proposer au Conseil Général, lors de sa prochaine réunion, de vouloir bien voter un crédit de 1000 francs par exemple, destiné à venir en aide aux sociétés existantes et à faciliter la création de nouveaux groupements. »

Effectivement, l’année suivante, le Conseil Général, en sa session d’août 1909, vote un crédit supplémentaire de 1000 francs au bénéfice des sociétés de tir scolaires et post-scolaires.

Dès lors, à Quimper, la Société « La Cornouaille » se montre très active pour obtenir l’implantation, autant que possible dans toutes les communes, d’une société locale de tir dans le réseau des écoles publiques. En effet, depuis plusieurs années, « La Cornouaille » a formé au tir de nombreux élèves-maîtres de l’Ecole Normale, ce qui permet de trouver dans la plupart des écoles un ou deux instituteurs susceptibles de devenir instructeurs à leur tour, tant auprès des élèves que des anciens élèves qui attendent leur départ au service militaire.
Nous pouvons observer avec quel dynamisme un dénommé Georges Koechlin1, qui est lieutenant de réserve du 118ème Régiment d’Infanterie, et par ailleurs vice-président de « La Cornouaille » va implanter des comités de tir dans les communes des environs de Quimper.

D’abord en 1907, fondation d’un comité à Bénodet, avec stand de tir installé à l’école du Perguet (Déclaration au J.O. du 30 juillet et premier concours le 2 septembre). Voici ce que Koechlin fait valoir au préfet, qu’il sollicite pour doter le concours d’une médaille : « Bien que conformément à la circulaire sur les sociétés de tir, il n’est pas question de politique, Bénodet, noyau de républicains, appréciera certainement à sa juste valeur la faveur que vous voudrez bien lui faire » (ADF 4M 409). Trois concours de tir ont lieu chaque année, en avril, août et septembre, avec participation de nombreux Quimpérois et séries réservées aux dames.
« … le but de cette société et celui des concours qu’elle organise chaque année : vulgariser l’étude du tir, l’enseigner à l’école aux enfants de 10 à 14 ans, conserver chez les adultes le goût du tir, c’est-à-dire coopérer à la défense nationale » (Le Finistère du 14 août 1909).

Le journal Le Finistère va annoncer de nouvelles créations de comités de tir de 1907 à 1910 : La Forêt-Fouesnant, Fouesnant, Gouesnach, Briec, Concarneau, Saint-Evarzec, Loctudy, Douarnenez, Plogonnec, Elliant… Il informe des dates de concours, des prix annoncés puis des résultats et performances.

La Société « l’Elliantaise » a son comité directeur composé de trois instituteurs. Elle instruit une cinquantaine d’élèves et également des anciens élèves. Argument avancé par le préfet pour obtenir une subvention du ministère en 1914 : « La Société de tir « l’Elliantaise » rend de grands services dans une commune où la concurrence faite par l’école libre à l’école laïque est particulièrement vive » (ADF. 4M 416 – mai 1914).
 

Le Comité de tir d’Ergué-Gabéric

L’évènement a eu lieu le 4 mai 1909.  Le Finistère2 du 8 mai 1909 l’annonce :
 
Ergué-Gabéric.
Création d’une société de tir. – Une société de tir vient de se fonder à Ergué-Gabéric sous le patronage de l’Union des Sociétés de tir de France. Le comité a été constitué comme suit : président-fondateur, le délégué de l’U.S.T.F. ; président actif, M. Tanguy, instituteur ; vice-président, M. Le Roux, propriétaire ; secrétaire-trésorier, M. Lennon, secrétaire de mairie ; directeur de tir, M. Le Borgne, instituteur-adjoint.
Ont en outre été nommés membres d’honneur : M. Le Roux, maire, et M. l’inspecteur primaire Chanticlair.


Le premier concours de tir organisé par le comité a lieu le 18 juillet. Nous apprenons par Le Finistère (17 juillet 1909) que le comité a essuyé des critiques concernant son obédience politique.

Ergué-Gabéric.
Concours de tir des sociétaires – Dimanche 18 juillet aura lieu le premier concours de la société de tir d’Ergué-Gabéric, sous la présidence de M. Tanguy, instituteur, président de la société.
Grâce au dévouement de ce dernier, qui a eu maintes fois maille à partir avec ses adversaires politiques, la société a pris un essor sur lequel on ne pouvait guère compter au début. Fondée le 4 mai 1909, cette société ne compte pas moins de 65 membres.
Aujourd’hui, ses détracteurs ont reconnu que, suivant les statuts, les questions politiques et religieuses étaient exclues des réunions et le but patriotique a fait triompher le comité.
De nombreux prix sont offerts pour ce concours. Pour y participer, se faire inscrire en arrivant à l’école d’Ergué-Gabéric.
Le coût de la série pour les adultes est de 0 fr. 25 et pour les jeunes gens de 0 fr. 15. La cotisation annuelle est de 1 fr. pour les adultes et de 0 fr. 50 pour les pupilles.

Ces premiers pas difficiles sont confirmés par M. Koechlin dans sa lettre au préfet du 26 octobre 1909 : « De grandes difficultés ont empêché au début les fondateurs de la société d’agrandir le nombre de ses membres. Reconnue par tous d’une utilité incontestable, la société vit normalement des ressources apportées par les cotisations ».
Mais ceci n’empêche pas de solliciter une subvention du Conseil Général (ADF 4M.416). Le Préfet y va de son avis favorable, et intervient également auprès du Ministre de l’Intérieur pour une demande de prix à remettre aux meilleurs tireurs, en recourant à ce seul argument : « les membres dirigeants sont républicains » (lettre du 5 novembre 1909. ADF 4M 416). Comme pour bénéficier d’un tel avantage la société doit avoir reçu l’agrément S.A.G., des renseignements plus précis sont demandés par ce ministère. Le Préfet confirme dans sa réponse du 20 novembre : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que cette société, qui a souscrit la déclaration prévue par l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901, a pour but la vulgarisation du tir. L’attitude politique de ses membres dirigeants est républicaine » (ADF 4M.416).
Le comité forme ses membres au tir à travers des cours théoriques et des exercices pratiques. Les séances de tir ont lieu dans la cour de l’école publique du Bourg. Les sociétaires sont répartis en trois sections : les pupilles (enfants de l’école), les adultes (jeunes gens de 13 à 20 ans) et les vétérans (plus de 20 ans), les cours ayant lieu de mars à août, comme le précise Le Finistère du 25 février 1911.
Ce journal annonce régulièrement les concours de tir organisés à l’école par le comité : concours entre sociétaires et concours ouverts aux membres des comités voisins. Ainsi en 1910, pour le concours des 1er et 8 mai : annonce au journal du 16 avril, information sur les prix à attribuer (23 avril) et résultats (14 mai). Un autre concours a lieu le dimanche 27 juin (annoncé le 25).

A l’occasion d’une nouvelle demande de médaille à attribuer (lettre du 2 mai 1911. ADF 4M 416), nous apprenons que l’effectif est de 62 membres. Trois journées de concours se suivent dans l’année (mai, juillet et août, cette dernière propre aux pupilles). Souvent, une série de tirs est réservée « aux dames ». Un rythme d’activité identique de concours a été suivi de mars à septembre les années 1912, 1913 et 1914. M. Tanguy, le président, a été destinataire d’une lettre de félicitations du ministère, au titre des sociétés de préparation et perfectionnement militaire pour l’année 1912 (Le Finistère du 26 juillet 1913).

La guerre contre l’Allemagne est déclarée le 2 août 1914. Les membres du Comité de tir vont hélas ! devoir tirer à balles réelles sur d’autres hommes.

 

L’apparition des « Paotred Dispount » sur la scène locale

Foot à Ergué-Gabéric - Etienne Le Grand
Photo prise par Etienne Le Grand pendant la Grande Guerre.
Entre deux combats, les soldats se repliaient en arrières des lignes, pour quelques jours de repos. Ici, partie de football, avec les fusils de guerre en faisceau pour spectateurs.
 
 

A partir de la déclaration de guerre, nous n’avons plus aucune information concernant le Comité de tir d’Ergué-Gabéric. Il va subir le même sort que la plupart des autres comités de tir communaux créés depuis 1907 : à la fin de la guerre, ils auront perdu plusieurs de leurs membres, parfois leurs instructeurs ou responsables, et probablement la motivation pour préparer une nouvelle guerre.
Le Président départemental de la F.S.T.F. (c’est Georges Koechlin, depuis 1913) fait savoir le 24 mai 1919 dans le journal Le Finistère aux différents comités du département qu’il « serait heureux de reprendre contact avec les sociétés affiliées à la Fédération afin de savoir si elles sont en état ou non de reprendre leur activité d’avant-guerre » et propose de les aider éventuellement à retrouver le chemin des stands. En réalité, la plupart d’entre elles disparaissent à ce moment..

Que se passe t’il donc désormais à Ergué-Gabéric ? Tentons un balisage rapide.
Rappelons d’abord l’arrivée à la mi-Juillet 1913 au presbytère d’Ergué-Gabéric d’un nouveau vicaire, l’Abbé Louis Le Gall. C’est autour de lui que va s’opérer le rassemblement de jeunes gens qui constituera les « Paotred dispount ».
Après un an de présence, il est mobilisé, à 38 ans, pendant environ 3 années de guerre, servant au front dans un service d’ambulances, puis à l’arrière. « Après avoir été réformé, (il) fut successivement auxiliaire dans les paroisses de Fouesnant, Edern et Morlaix » (extrait du registre-journal de la paroisse).
Un premier repère important apparaît sur le terrain administratif : la parution au « Journal Officiel » du 23 septembre 1919 de la déclaration faite le 5 septembre précédent d’une Société désignée « Les Sans Peur3 », dont l’objet est très brièvement annoncé : « Développer les forces physiques, la pratique du tir » Son siège Social est « au Bourg d’Ergué-Gabéric ». La seule activité précisément indiquée : « la pratique du tir ». Comme si c’était la seule discipline à annoncer explicitement. Il y a un enjeu en effet : tôt ou tard, il va falloir que cette jeune Société obtienne l’agrément S.A.G., qui ouvre la voie aux subventions et à des avantages multiples.

Un match de football a bien eu lieu auparavant, le 9 mars 1919 (Le Finistère des 1, 8 et 15 mars 1919). Le « Stade Quimpérois » joue contre une équipe désignée sous le nom « A.S. d’Ergué-Gabéric » dont le journaliste déclare que « la valeur nous est totalement inconnue, mais qui, composée de jeunes gens de la classe 1920, compte résister au Stade ». Il poursuit : « Après Kerfeunteun, voici Ergué-Gabéric, bientôt Ergué-Armel qui viennent au sport ; le Stade Quimpérois est heureux d’assister à cette éclosion de sociétés voisines et de pouvoir les encourager en les faisant applaudir du public quimpérois ». En effet, le dimanche précédent, le Stade Quimpérois invitait sur son terrain une « Union Sportive Quimpéroise » constituée surtout sur Kerfeunteun, et le match était présenté comme « le premier match sérieux du Stade Quimpérois » (après-guerre), qui allait « mettre sur pied un « onze » de bonne valeur ». Nous ignorons à quoi correspond cette « A.S. d’Ergué-Gabéric » et nous ne la retrouverons plus dans les chroniques sportives. Cette équipe n’a peut-être rien à voir avec les « Paotred » On peut penser que le Stade Quimpérois, qui était en mesure de constituer plusieurs équipes de jeunes joueurs, cherchait dans les communes proches des adversaires à qui les opposer, mais n’y a pas toujours trouvé le répondant recherché.

Voici encore un match de foot contre une équipe du Stade Quimpérois. C’est en 1922 : le dimanche 29 janvier, « la 4ème du Stade a eu raison des Paotred dispount par 13 buts à 0 (Le Finistère du 4 février 1922).

Ce n’est pas le soutien du Stade Quimpérois4 qui va permettre de lancer une société sportive à Ergué-Gabéric : c’est plutôt dans le sillage d’un patronage quimpérois, celui de la paroisse Saint-Corentin, que ce qui va s’appeler définitivement « les Paotred Dispount » va prendre son essor à partir de 1920. Ce patronage quimpérois, c’est « La Phalange d’Arvor », créée en 1904. Il pratique principalement les disciplines de la gymnastique. Sous la forte impulsion de l’Abbé Le Goasguen, vicaire à la Cathédrale, il tient à Quimper la dragée haute à la société laïque « la Quimpéroise ». A partir de 1910 il dispose d’une équipe de football qui va vite progresser ; la « Phalange » organise aussi, bien sûr, des formations de préparation militaire.

L’Abbé Le Goasguen est par ailleurs le secrétaire de l’Union Départementale des Patronages, ce qui lui confère toute l’autorité nécessaire pour développer et orienter le réseau des patronages.
Alors qu’il vient de participer à Paris au Congrès de la F.G.S.P.F. (Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France), il est chargé le 22 novembre 1920, d’en présenter les décisions à Landerneau lors d’une réunion des directeurs de patronages du Finistère : il est décidé de limiter désormais les relations avec les autres fédérations, en particulier laïques, et de renforcer l’organisation des patronages catholiques entre eux. « Il a été adressé aux directeurs de patronage une circulaire recommandant les rencontres interpatronages pendant la saison qui va s’ouvrir. La circulaire insiste sur l’avantage de rencontres amicales entre jeunes gens formés par une même discipline et animés d’un même esprit… » (Le Finistère du 24 septembre 1921).

Ainsi, en football, pour le secteur de Quimper, un challenge regroupant 15 sociétés va se dérouler entre le 1er octobre 1921 et le 15 avril 1922 Désormais, les « Paotred dispount » vont disputer leurs matchs presque exclusivement dans ce cadre du Challenge des Patros de la F.G.S.P.F. de la Cornouaille. (Progrès du Finistère du 15 octobre 1921).

Foot-ball
Challenge départemental de la F.G.S.P.F. - C’est dimanche prochain 16 octobre que commencent les rencontres des équipes affiliées à la F.G.S.P.F. dans le secteur de Quimper qui comprend toute la Cornouaille. Déjà 15 sociétés sont engagées et nous recevons chaque semaine de nouvelles adhésions qui nous permettrons sous peu de constituer un nouveau groupe.
Voici les matchs annoncés pour dimanche : Fleurs d’Ajonc de Pont-Aven reçoit Lions Saint-Marc de Trégunc - Les Mouettes d’Arvor de Lanriec reçoivent Concarneau - La Phalange d’Arvor 1re va contre l’Avant-Garde de Quimperlé - Les Potred-Dispount 1re d’Ergué-Gabéric contre les Jongleurs de N.D. à Quimperlé - Les Potred-Dispount 2e d’Ergué-Gabéric contre Riec - La Jeanne d’Arc Quimper 1re reçoit la Phalange d’Arvor 3e - La Phalange Saint-Joseph de Combrit reçoit la Jeanne d’Arc de Pont-l’Abbé.

De même pour la gymnastique et la clique : les « Paotred » sont invités à se produire à Saint-Denis quand la « Phalange » y organise une journée festive au nouveau Foyer des Familles le 1er mai 1921. De même à la kermesse de la « Phalange » le 12 juin 1921. (Progrès du Finistère du 18 juin 1921).

La Phalange d’Arvor.
Grande Fête à Saint-Denis, 12 juin. - Dès 6 h. ½, les sons joyeux des trompettes (…)
A 2 heures, nous entendons les clairons. C’est la Société des Paotred dispount, conduite par M. l’abbé Le Gall, d’Ergué-Gabéric. Cette jeune Société produit bon effet. J’en juge par les exclamations qui se font entendre à leur entrée : « Oh ! ils sont costauds !! ». Quelques minutes après, les jeunes de la Jeanne-d’Arc font leur entrée  (…)
Puis viennent les exercices en plein air, acrobaties..., ballets des Pierrots.
Un compliment aux Potred dispount pour leur travail aux barres : c’est bien, très bien.
La Jeanne-d’Arc, par ses représentations théâtrales, a fait réellement plaisir.
Les pyramides de la Phalange d’Arvor, comme tout son programme du reste, ont été artistiquement enlevées ( …)

La « Phalange » entraîne les gymnastes des « Paotred » avec elle dans ses déplacements : au Festival de Quimperlé le 26 juin suivant, puis à Brest au concours régional de gymnastique de la Fédération des Patros à la mi-août.

C’est ce même été, le 3 juillet 1921, qu’a lieu l’inauguration du « Patronage du Sacré-Cœur »5 au lieu-dit « l’Hôtel » où les « Paotred » disposent d’une grande salle au rez-de-chaussée d’une maison, et d’un terrain équipé d’une baraque. L’évènement est annoncé par un article du Progrès du Finistère le 2 juillet 1921.

Ergué-Gabéric.
Inauguration du Patronage. - Demain dimanche, 3 juillet, aura lieu l’inauguration du Patronage du Sacré-Cœur par Mgr Duparc, Ergué-Gabéric.
Inauguration du Patronage. - Demain dimanche, 3 juillet, aura lieu l’inauguration du Patronage du Sacré-Cœur par Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon, avec le concours de la « Phalange d’Arvor » et de la « Jeanne-d’Arc » de Quimper.
A 11 heures, messe pour les gymnastes, au bourg, à l’église paroissiale. Allocution de M. Le Goasguen, directeur de la « Phalange ».
Après la messe, départ pour l’Hôtel, dîner. A 2 h, arrivée de Mgr Duparc. A 2 h ½, vêpres dans la baraque, bénédiction de la statue, du drapeau. Allocution de Mgr Duparc. A 4 h, mouvements d’ensemble, exercices aux agrès, ballet des Pierrots.
Rendez-vous dimanche matin, à 11 heures moins quart, dans l’allée de Pennarun.
Le directeur : Le Gall, vicaire

Les « Paotred Dispount » se sont constitués sur le modèle de la « Phalange d’Arvor » : un lieu convenant aux activités, une bonne équipe de gymnastes accompagnée d’une clique ; une équipe de football de bon niveau, et enfin des cours de préparation militaire conduisant à la participation à des concours de tir et à l’examen du Certificat de Préparation au Service Militaire. Ainsi, à l’issue de la 2ème session d’examen sanctionnant la préparation militaire de la classe 22, organisé à Quimper, nous verrons apparaître parmi les candidats à qui est attribué le C.P.S.M. deux sociétaires des « Paotred » : Pierre Quéré et Marcel Le Gallès (Le Finistère du 16 septembre 1922).

Les « Paotred Dispount » sont prêts pour assurer une très belle prestation à Odet à l’occasion des Fêtes du centenaire des Papeteries Bolloré en juin 1922, pour la plus grande satisfaction de René Bolloré, leur président, et de ses invités.

A suivre…

 
  1. Georges Koechlin, né en 1872, est le fils d’un industriel de Mulhouse fortement engagé dans la guerre de 1870 contre l’occupation allemande. Il se replia en Suisse, puis à Paris et enfin à Bénodet, où il construisit une villa qui devint l’Hôtel Kermor. Le fils partage les idées républicaines et l’esprit de revanche du père. Lieutenant de réserve au 118ème R.I. de Quimper, il habite Quimper. Il est entomologiste de profession.
  2. Journal républicain fondé par Louis Hémon en 1872. Louis Hémon aura été député de Quimper de 1876 à 1885 et de 1889 à 1912, puis sénateur jusqu’à sa mort en 1914. - Le délégué du l’U.S.T.F (Union des Sociétés de tir de France) est M. Georges Koechlin. - M. Le Roux, propriétaire, est probablement Jean-Louis Le Roux, de Lezouanac’h, leader des républicains, conseiller municipal et délégué cantonal auprès des écoles publiques, futur maire de 1925 à 1929.
  3. Cette déclaration officielle semble préférer la traduction en français du véritable nom : « Paotred dispount ».
  4. Le « Stade Quimpérois » a vu le jour sous la forme d’association déclarée en 1905. Des matchs de football se déroulaient dès 1904 entre lycéens sur le plateau de la Déesse, ou au vélodrome du Véloce-Club ou au champ de manœuvre sur le Frugy. Le « Stade Quimpérois » eut d’abord le même président que « la Quimpéroise » un professeur du Lycée, François Parent… Le « Stade Q » dominait avant la guerre de 14-18 le championnat de Basse Bretagne avec l’A.S. Lambézellec. Il doit se reconstruire après la guerre.
  5. Cette appellation est rarement attestée. Les salles de patronage étaient souvent dédiées à un saint, dont elles portaient le nom. Le patronage lui-même prenait ou ne prenait pas le nom de ce saint pour se désigner lui-même.
 
François Ac'h - keleier Arkae 77 - février 2013
 

Trésors d'archives > Géographie > Le Stangala inattendu d'André Guilcher

Le Stangala inattendu d'André Guilcher

 

Stangala Guilcher recto 1Qualifié par Louis Le Guennec de « plus extraordinaire paysage terrien de Cornouaille », le Stangala n’a été étudié par les géographes que relativement récemment. André Guilcher (1913-1993) y a consacré quelques pages dans sa thèse sur Le Relief de la Bretagne méridionale de la baie de Douarnenez à la Vilaine (1948). Ce Sénan, agrégé de géographie, a été professeur au lycée de Brest avant la guerre. Mobilisé, blessé au front près de Sarreguemines en février 1940, il reçoit la Croix de guerre pour son courage. Revenu en Bretagne, il est nommé au lycée de Nantes où il prépare sa thèse de doctorat. C’est ce qui l’amène à visiter notre Stangala, pendant l’été 1941. Passionné par la Bretagne, il écrit son périple en breton dans le journal Arvor. Il publiera en breton un ouvrage de géographie sur les vallées marines et les gouffres de l’océan (Kaniennoù ha traoniennoù mor, 1943). C’est cet écrit rare sur le Stangala que les Brezhonegerien Leston ont traduit ici. Rappelons enfin qu'André Guilcher est l'un des grands spécialistes mondiaux de la morphologie littorale. Outre les écoles citées, il a enseigné dans les universités de Nancy, de la Sorbonne et de Brest.

Ar Stangala d'André Guilcher
Traduction Brezhonegerien Leston, atelier Kontakaoz, janvier 2014.
 
Les balades agréables ne manquent pas aux alentours de Quimper. Nulle part en Bretagne, peut-être, on ne trouve des paysages aussi verdoyants et doux qu’en Cornouaille. L’Odet jusqu’à Combrit, le Steir, le Stangala, constituent autant de vallées boisées où il fait bon se promener les jours d’été. Le trajet de Quimper à Bénodet est renommé à juste titre ; le Stangala est moins connu car moins accessible. Aucune route ne le traverse : il est vrai qu’il est plus silencieux et comme le dirait M. Le Guennec – paix à son âme – grand connaisseur et fan de la Cornouaille, les automobiles ne peuvent y accéder et empester l’air de leurs gaz d’échappement. Pour aller au Stangala, partons ensemble de Quimper de bon matin. Au lieu d’aller directement par Cuzon ou par le terrain de foot de Keruhel, il vaut mieux prendre la route de Landudal. Une balade d’environ 35 km, c’est ce qu’il y a de mieux pour s’aérer les poumons. Passée la voie de chemin de fer de Rosporden, nous montons petit à petit vers Lestonan en traversant des champs fertiles. Les tours de la cathédrale et les hauteurs du Frugy s’estompent dans les brumes matinales, déjà à moitié dispersées dans les vallées du Jet et de l’Odet. On arrive rapidement sur un plateau à environ 115 m d’altitude, qui s’élève doucement vers Coray et Briec.Nous ne sommes plus très loin de la vallée du Stangala, pourtant nous ne l’apercevons pas encore. Voilà une descente : là se trouve la vallée de l’Odet et nous y accédons par un vieux pont couvert de verdure. Terminé pour nous le chemin facile : nous allons retourner sur Quimper à travers prairies et champs. Ici la vallée de l’Odet est attachante et paisible. Sur le côté gauche de la butte il y a un « tertre », sorte de pente escarpée et boisée. Sur le côté droit, nous distinguons petit à petit des collines en direction du Nord. Un peu après nous sommes sous la voûte sombre d’un bois de sapins. Sous les arbres une charmante petite route longe le canal qui conduit l’eau de l’Odet à la grande papeterie Bolloré, où l’on fabrique le papier à cigarette bien connu de tous. L’usine est nichée au fin fond de la vallée, entourée de verdure ; et jamais la nature n’a été aussi peu polluée par le travail de l’homme. La rive gauche devient de plus en plus escarpée à Griffonès. L’Odet, qui coulait jusqu’ici vers l’ouest, se dirige brusquement vers le sud. Des hauteurs, à 80 m au-dessus de l’eau, c’est un spectacle sans égal de voir la rivière faire un méandre et sauter par-dessus les rochers. À Griffonès, nous atteignons le grand Stangala. Désormais, les deux rives ont la même hauteur. Jusqu’au moulin de Penn-C’hoad, la rivière chute de l’altitude de 41 m à pas plus de 10 m sur une distance d’environ 3 km (¾ de lieue). Cela fait quelques années, les ingénieurs avaient pensé faire un grand barrage à côté du moulin de Penn-C'hoad. Il y aurait eu un lac là où se situe aujourd’hui le Stangala, comme celui qui est à Guerlédan sur le Blavet. On aurait eu de l'électricité en abondance pour Quimper et la totalité de la Basse-Cornouaille. Pourtant cette idée-là n’a pas été menée à son terme, je ne sais pour quelle raison. Le Stangala est toujours le Stangala, une rivière rapide et bouillonnante. Tout d’abord, le Grand Stangala, plus majestueux et plus sauvage ; ensuite le Petit Stangala avec ses petits bois et ses petits sentiers, où les Quimpérois vont marcher et entendre, durant l’été, les rires des enfants jouant à cache-cache : les deux Stangala étant remplis de truites et fréquentés par les pêcheurs spécialistes du « lancer léger ». Entre les hauteurs de Beg-ar-Menez et la chapelle Saint-Guenolé, en vérité, le Stangala est un paradis inattendu. Notre randonnée se termine au moulin de Penn-C’hoad. Du côté de Quimper, la vallée est bien plus large. Sans tarder nous sommes dans la plaine de Kerhuel. Ici se trouve le confluent de l’Odet et du Jet. En fait, la plaine de Kerhuel n’est que la continuité de la vallée du Jet, si droite depuis Saint-Yvi. 
 
Stangala Guilcher verso
Si vous êtes un peu curieux, vous demanderez après cette randonnée : pourquoi cette vallée de l’Odet n’a-t-elle pas toujours la même allure de Landudal à Quimper ? Pourquoi y-a-t’il au début une différence de hauteur entre les deux rives ? Pourquoi ensuite la rivière court-elle dans le passage étroit des hautes collines du Stangala ? Pourquoi aussi l’eau va-t-elle si vite entre les rochers du Stangala ? Enfin pourquoi la vallée est-elle si large et la rivière si calme après le moulin de Penn-C’hoad ? Il y a de bonnes raisons à cela. À l’origine, l’Odet coulait sur les plateaux de Beg-ar-Menez, Saint-Guénolé, Lestonan, bien plus haut que maintenant ; peu à peu, à force de grignotage, l’érosion leur a fait perdre de l’altitude. La roche, bien sûr, n’était pas aussi dure partout. Avant Griffonès, on trouve du granit sur le côté gauche, c’est une roche dure et résistante. Sur la droite, au contraire, on trouve surtout du schiste, beaucoup plus tendre. Pour cette raison, la rive droite a été érodée plus vite que la gauche. Entre Grifonnès et le moulin de Penn-C’hoad, on trouve du granit des deux côtés, ce n’est pas étonnant de voir des reliefs élevés des deux côtés et tant de rochers qui barrent le courant. Près de Quimper, enfin, nous retrouvons l’Odet dans le schiste, comme le Jet depuis Saint-Yvi ; de la roche tendre à nouveau et à nouveau une large vallée. 
 
Les balades seraient beaucoup plus agréables si on pouvait toujours savoir pourquoi les choses sont comme elles sont. Voir de beaux paysages, c’est bien. Les comprendre c’est mieux. Si vous êtes de Quimper, allez donc jusqu’au Stangala. Regardez autour de vous et cherchez à comprendre. Vous n’aurez pas perdu votre temps.
 
Lan Devenneg (André Guilcher) 
 
 
Notes
- « StankAla » ou actuellement Stangala : non loin de l’usine Bolloré se trouve une fontaine dédiée à Saint Ala ou Alar. En fait, elle se situe un tout petit peu plus vers l’est. « Stank » ou « stankenn » est utilisé dans le sens de vallée profonde en Cornouaille.
- D’après ce que dit un conte fantastique, un griffon y vivait autrefois, une espèce d’énorme dragon terrifiant qui avalait les jeunes filles.
 
 
articlestangalavu
 
Le Stangala, un accident intéressant
Bernez Rouz
Si l'on jette un oeil attentif aux cours d’eaux gabéricois, on s’aperçoit qu’ils sont tous orientés Est-Ouest vers le creux de Quimper. C’est le cas du Jet, de son affluent le ruisseau de Keringard et de l’Odet sur la partie nord de la commune. Pourquoi donc l’Odet pique-t-il brusquement vers le sud à Beg ar Menez ? Dans sa thèse Le relief de la Bretagne méridionale de la Baie de Douarnenez à la Vilaine, André Guilcher explique ce phénomène par une rupture de pente tecnico-structurale. Ergué-Gabéric se trouve en effet dans une zone de failles importantes, dans laquelle se sont produits des soulèvement de plaques géologiques. C'est pourquoi les rivières coulant sur des parties de plateaux surélevées ont dû se frayer des chemins dans des roches dures pour rejoindre le creux de Quimper, zone de confluences des cours d’eau de la région. On voit ainsi l’Odet, comme le Jet à Elliant, mais aussi d’autres petits ruisseaux, basculer vers le sud. Jean François Douguet a repris l’essentiel des explications d’André Guilcher dans son livre Le Stangala (Cahier n°1 d'Arkae), pages 55-59.

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L'école publique de Lestonan de 1967 à 1975

 

Ces pages font suite, d’une certaine manière, au travail de recherche effectué par François Ac’h et Roger Rault sur la période 1880-1930 concernant les écoles publiques de Lestonan.
Nous nous intéresserons ici à la période s’étendant de 1967 à 1975. Notre témoignage se limitera à un récit parfois anecdotique décrivant l’état matériel et administratif de l’Ecole et restituant les divers aspects des conditions de notre fonction d’instituteurs- directeurs d’écoles primaires’’ durant ces années.

Survol préalable des années 1932 à 1967

En 1932, après les créations en 1928 et 29 des "Ecoles de la Papeterie", comme les désigne lui-même M. René Bolloré, écoles privées "gratuites et obligatoires" au confort exceptionnel (électricité et chauffage central), les Ecoles Publiques de Lestonan sont au bord de la disparition avec chacune une classe (44 élèves pour l’école des garçons et 35 pour celle des filles contre un effectif total évalué entre 200 et 250 élèves pour 6 enseignants quelques années auparavant).
En 1932, les deux écoles publiques sont dirigées par M. et Mme Lazou qui ont profondément marqué la vie du quartier.
La création de ces deux écoles privées met fin aux tergiversations, aux promesses non tenues, aux nombreux revirements, aux coups bas des diverses municipalités, de la famille Bolloré, de l’Inspection Académique qui n’ont jamais pu se mettre d’accord sur le développement de l’Ecole de Lestonan. Toujours est-il qu’avec 3 locaux pour deux classes, 3 logements, un terrain acquis en 1926, l’espace est alors plus que suffisant. Les classes seront géminées en 1933. L’Ecole dite de garçons et l’Ecole dite de filles subsistent administrativement de façon distincte,mais chacune des classes accueille garçons et filles à partir de cette date.
En 1967, quand nous arrivons à Lestonan, la situation administrative est toujours la même, mais avec une école de garçons à deux classes et une école de filles à deux classes. De 1932 à 1967 très peu d’évolution en ce qui concerne la disposition des locaux (voir les 2 plans) et les effectifs (108 élèves au total, c’est à dire une augmentation d’à peine 30 élèves pour ces 35 dernières années).

Notre arrivée à Lestonan

En 1967, après 6 années passées à Edern dans l’école du hameau retiré de Gulvain, école classée déshéritée par l’Education Nationale, nous souhaitons nous rapprocher de la ville. A l’école de Lestonan, M. et Mme Imprez désirant se fixer à Quimper portent leurs deux postes susceptibles d’être vacants. Nous les sollicitons et les obtenons pour la rentrée de septembre.
Dans le petit monde de l’Education, Lestonan est peu connu, mais pour moi (Maryse), c’est un lieu familier. Il faut rappeler que mes racines sont gabéricoises depuis des générations et qu’en 1967 mes grands-parents paternels (Marie-Anne et Louis Barré de Penn ar Garn) ainsi que la majorité de ma famille y vivent encore.
En juin de cette année-là, quand nous recevons notre nomination officielle, nous prenons contact avec nos prédécesseurs afin de visiter les lieux et de prendre tous les renseignements utiles. L’accueil est très cordial mais peu encourageant : toutes les difficultés nous sont exposées et, en particulier, le surcroît de travail occasionné par la gestion de la cantine. Qu’importe! Nous avons obtenu ce que nous avions demandé, et la cantine, nous nous en occupions aussi à Gulvain!
Début septembre, nous déménageons. Les services d’un déménageur professionnel ne s’imposent pas. Le camion de François Le Berre (Fanch a Bar) fait l’affaire. L’installation du chauffage central est en cours. Les ouvriers de Roger Coathalem s’activent. Ouf ! Il n’y aura pas à allumer les poêles chaque matin dans les classes. Cette rentrée se présente bien.

Etat des lieux en 1967

Les locaux. Entre 1930 et la période qui nous intéresse, peu de choses ont changé (voir plans). Le corps des bâtiments comprend :
en façade nord, deux logements donnant sur la rue.
Celui qui s’ouvre sur la cour des filles est occupé par la famille Le Lec jusqu’en 1970 puis par la famille Corlosquet pendant de nombreuses années. Ce logement, froid et humide, se compose de 2 pièces au rez-de-chaussée et 2 pièces à l’étage. Absence de sanitaires.
Celui qui s’ouvre sur la cour des garçons est inoccupé. Après avoir abrité un réfectoire très exigu, il sert de réserve pour la cantine.

Les classes, au nombre de 3. L’une donne sur la cour Ouest, les deux autres sur la cour Est. Elles sont grandes et claires, mais relativement humides. Elles ont besoin d’un entretien sérieux. Les murs sont défraîchis et les planchers en mauvais état.
Au fond de la cour des garçons, le logement du directeur. Au rez-de-chaussée, 2 pièces ; à l’étage 2 chambres et un petit réduit doté d’un lavabo et d’une douche qui n’a jamais fonctionné, faute d’alimentation en eau chaude. Pas de WC dans le logement.

Les cours. Le portail de l’école jouxte le commerce Bouedec et donne sur la cour des garçons où se trouvent un garage, des cabinets « à la turque », des urinoirs, un préau (disons plutôt un abri d’à peine 20 m2) avec accès au jardin.
La cour des filles a la même configuration. Dans le préau une porte donne accès à la cantine.
Les cabinets des deux cours (qu’on ne peut qualifier de sanitaires) sont d’origine et datent donc de la fin du 19e siècle. Leur remplacement par des sanitaires décents fait l’objet d’échanges mémorables avec Tinig Signour lors d’une visite de la commission des écoles. Tinig les trouve encore fort convenables et ne juge pas nécessaire d’en construire d’autres.

La cantine. Dans les années 1950, la municipalité a fait construire un bâtiment à usage de cantine : une entrée avec lavabos, un réfectoire, une cuisine.
L’équipement de la cuisine est des plus sommaires : des placards, une table, un évier, et, pour la cuisson, deux trépieds alimentés au gaz (trépieds à lessiveuse).
Le réfectoire est meublé de quelques tables recouvertes de lino, de bancs et d’une longue table sur tréteaux (dont on reparle plus bas).

Le jardin. Dans le prolongement de la cantine, un "préfabriqué", a été installé à la rentrée 1966 pour abriter une classe enfantine qui est la deuxième classe de l’école des filles.
En 1967, il reste donc environ la moitié du jardin d’origine, un bel espace tout de même.
Au pignon du logement du directeur, exposée au sud, une petite parcelle permet d’obtenir quelques légumes et des pommes de terre (vers le 1er mai ?). Une glycine assez envahissante grimpe sur ce mur. Un muret de pierres sèches recouvert de vigne vierge subsiste près de la cantine et délimite la cour des petits.
Le reste du jardin donne sur le quartier du Champ et on y trouve des pommiers, un prunier, des groseilliers, des lilas et un majestueux camélia qui fut planté par M. Lazou dans les années 30.

Le fonctionnement de l’école

Les classes, leurs effectifs. Comme déjà dit, à notre arrivée en 1967 l’école comprend 4 classes pour 108 élèves (effectif au 10 décembre 1967).
La classe enfantine ( Marie-France Le Beul) : une trentaine d’élèves.
Le CP ( Hélène Le Lec).
Le CE1- CE2 (Maryse Le Berre).
Le CM1-CM2 - Fin d’études (Jean Le Berre).
Les 2 écoles sont géminées et les classes sont mixtes ; la classe enfantine et le CE1-CE2 forment l’école de filles (école B) ; le CP et le CM1-CM2-FE forment l’école de garçons (école A). Aux yeux de tous, il y a « l’Ecole Publique de Lestonan » car les subtilités de l’Administration ne sont pas connues.
A cette date encore beaucoup d’enfants d’ouvriers papetiers fréquentent les écoles privées. Quelques-uns cependant viennent à l’école publique, ainsi que des enfants de commerçants et d’artisans de Lestonan, d’agriculteurs et de familles habitant la zone rurale Est de la commune. De plus en plus de familles travaillant à Quimper dans différents services administratifs ou de santé s’installent dans le quartier, et le nombre d’élèves croît régulièrement (voir graphique).


L’urbanisation du Rouillen amène une forte hausse des effectifs dans les années 70-75, ce qui nous vaut des ouvertures de classes dans l’urgence, avec des structures légères vite montées :
En 1970 : ouverture d’une classe primaire à l’école de garçons (arrivée d’Andrée Canévet).
En 1970 également : ouverture d’une classe enfantine à l’école des filles (arrivée de Mme Faruel, remplacée par Marie Louise Léon en 1971).
En 1973 : ouverture d’une classe primaire à l’école de garçons (arrivée de Mme Morel).
En 1973 il y a donc 7 classes pour 173 élèves. Et l’on reparle (comme dans les années 20) de la nécessité de restructurer l’ensemble du groupe scolaire. De nombreuses questions se posent alors : Faut- il une école maternelle autonome ? et où la construire ? Quant à l’école primaire, faut-il tout reconstruire ou rénover sérieusement la partie ancienne et rajouter des classes en ‘’dur’’?
Et la cantine, n’est- il pas temps de la moderniser et de reconsidérer son fonctionnement ? (voir plus bas, chapitre cantine).
A cette date, le jardin a pratiquement disparu ; les 3 classes implantées en 4 ans ont remplacé les fruitiers, les massifs de fleurs, le muret et ces baraques ne sont qu’un pis-aller. Un certain hiver, pendant les vacances de Noël, l’eau gèle dans les canalisations de chauffage central de la classe enfantine : les radiateurs éclatent, répandant une eau noire sur le parquet. Il faut éponger! Une autre année la grosse chaleur rend suffocante l’atmosphère dans les classes préfabriquées ; on arrose les toitures pour essayer de les refroidir.
Des questions primordiales se posent donc dès cette époque mais les solutions ne seront pas immédiates car au Bourg, des besoins se font également sentir et le quartier du Rouillen est en pleine expansion.
De nombreux équipements scolaires et sportifs sont partout nécessaires. A Lestonan, l’Ecole Publique, pratiquement enclavée, ne peut s’étendre que sur des terrains dont le propriétaire ne veut absolument pas se séparer. Commencent alors de laborieuses négociations entre Pierre Quéré d’une part, Jean-Marie Puech, le Maire, et son adjoint Alain Le Bihan d’autre part.
Les discussions souvent au bord de la rupture se termineront favorablement, non sans mal.
Le terrain étant acquis ou en voie de l’être, reste à décider ce qu’on y construira ; une bonne quinzaine d’années sera encore nécessaire pour que l’Ecole Publique trouve sa physionomie actuelle. En 1986, avec ses 10 classes (maternelles et élémentaires totalisant 254 élèves) les effectifs se stabilisent peu ou prou.

Les services municipaux. Une seule personne, Marie-José Pennarun (Le Moigne) est employée communale depuis 1959 et affectée à diverses tâches.
Elle aide l’institutrice de la classe enfantine (le rôle actuel des ATSEM) ; elle accueille le matin les élèves qui arrivent par le car de ramassage scolaire et les reconduit à 16 h 30 ; elle balaie et nettoie les classes le soir.
Elle assume également la corvée d’avant la rentrée : le nettoyage en profondeur des classes. Seule au début, elle est secondée au fil des ans par Jacqueline Le Clech, Henriette Francès, et Anna Cloarec.
Avant la rentrée de septembre chaque classe est nettoyée du sol au plafond ; les tables et les chaises sont lavées et cirées. Pas de consigne particulière de sécurité pour le nettoyage des hautes fenêtres. Les sols sont lavés et enduits d’huile anti-poussière qu’il faut commander et aller chercher à la Droguerie Nationale près de la gare de Quimper.

Les services techniques tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existent pas encore. Seuls les cantonniers interviennent avant la rentrée pour le balayage des cours.
Les travaux d’entretien (essentiellement les peintures des classes) sont confiés aux artisans de la commune. A la dernière minute, on voit arriver les peintres Kernaléguen-Le Corre (bons chanteurs ! très décontractés) et plus tard, Marcel Barré. La chaudière qui alimente toute l'école est révisée par l’entreprise Coathalem mais c’est le directeur qui l’allume et règle la température selon la météo. Quand nous manquons de mobilier, notamment pour la cantine, Jean- Louis Thomas ou Yves Nicot livrent des tables et des bancs de fabrication robuste.
L’équipe municipale de Jean-Marie Puech accorde les crédits nécessaires à l’achat des fournitures scolaires et aux équipements des classes dont les effectifs sont en augmentation continue. Alain Le Bihan et Jean Hascoet, eux-mêmes parents d’élèves, sont nos interlocuteurs.

La cantine. Comme dans la plupart des communes, la gestion de la cantine est laissée aux directeurs d’école. Nous avons en charge l’emploi d’une cantinière et toute l’organisation depuis les commandes des denrées, l’élaboration des menus jusqu’à la comptabilité (collecte des prix des repas, salaire de la cantinière, déclaration URSSAF, etc.).
Madame Guillou (Marjannig Ar Bras ) est en place depuis plusieurs années. Nous lui demandons continuer d’occuper ce poste. Elle a des habitudes et tient à conserver des menus qui se répètent d’une semaine à l’autre, une nourriture simple et saine : de la soupe tous les jours, un plat, et pour terminer, des tartines de confiture que les enfants trouvent sur la grande table à tréteaux qui trône au milieu du réfectoire.
Ce qui nous surprend le plus, c’est que la vaisselle est fournie par les familles. Chaque élève retrouve chaque jour à la place qui lui est dévolue son assiette et son verre que la cantinière reconnaît. Nous remédions dès la rentrée à cet usage datant d’un autre temps en achetant un lot de vaisselle. D’ailleurs, les rationnaires augmentant, cette façon de faire aurait pris trop de temps.
Le prix du repas est de 1 F. La commune verse une subvention qui permet de régler quelques factures d’épicerie.
Le budget est serré. Les familles fournissent avec plaisir les légumes pour la soupe. En alternant chaque mois, nous achetons chez les commerçants de Lestonan l’épicerie (Chez Bouédec et Le Ster), la viande (chez Lauden et Henry), le pain (chez Le Ster, Guéguen, puis Dervoet). Un cahier fait la navette pour les factures en fin de mois. Pour des conditionnements plus adaptés il faut recourir à des fournisseurs spécialisés dans l’approvisionnement des collectivités.
A midi, chaque enfant retrouve sa place. Il y a seulement environ 45 inscrits à cette première rentrée. Les "grands" sont investis du titre de "chefs de table" pour aider les petits et prennent ce rôle très au sérieux. Après un temps d’observation, nous apportons quelques améliorations en variant les menus et en proposant de vrais desserts.
Une anecdote : Mai 1968. C’est la grève générale. Les 4 enseignants sont grévistes. A Quimper un collectif distribue des denrées alimentaires. Nous décidons de nous y approvisionner afin de faire fonctionner un service de cantine gratuite pour les enfants de grévistes.
Nous voyons arriver des élèves de l’école privée voisine dont les parents sont employés à l’usine Bolloré... Ceci n’a duré que quelques jours , mais a marqué les esprits.

En 1970, Madame Guillou, déjà malade sans doute, cesse son activité. Henriette Francès accepte de la remplacer avec un statut pourtant peu alléchant : elle sera payée à l’heure, cinq jours par semaine. Henriette aime cuisiner ; elle est toujours partante pour varier les menus, pour innover. A l’heure de midi, la cantine est une véritable ruche. Chaque adulte prend part au service car le nombre de rationnaires ne cesse d’augmenter (jusqu’à 150). Herveline Le Roux, nommée à Lestonan en 1970, apporte également son aide. Le nombre croissant d’enfants et une légère augmentation du prix du repas permettent d’équilibrer un budget encore serré et aussi de moderniser l’équipement de la cuisine en achetant un frigo, une gazinière, une plonge et une friteuse, matériels "pro" fabriqués par les établissements Capic et pour lesquels la Mairie octroie des crédits couvrant 50% du prix (seulement pour les deux derniers achats). Le tout est complété par un hachoir professionnel et une éplucheuse de pommes de terre achetée d’occasion à un collège du Nord-Finistère.
Une société de surgelés nous prête un congélateur, merveille qui contient des desserts dont des glaces en petits pots... les instants de silence pendant la dégustation sont impressionnants.
Il est évident que la gestion de cette "entreprise" devient de plus en plus contraignante et des contacts s’engagent avec la municipalité pour que celle-ci prenne en charge les emplois de la cantinière et de son aide, Anna Cloarec, recrutée depuis peu. Démarche commune avec l’école du Bourg qui se trouve dans le même cas. Le Maire n’est pas opposé à une aide supplémentaire mais est assez réticent à la demande de municipalisation des employées.

En 1974-75, la construction des Ecoles du Rouillen se termine. Cet ensemble est doté d’une cuisine centrale qui distribuera les repas dans les écoles et fonctionnera avec du personnel municipal. Les écoles du Bourg et de Lestonan sont alignées sur celles du Rouilllen . Le travail des cantinières sera différent car la préparation ne se fera plus sur place. Mais à qui confier ce nouvel outil : gestion purement municipale ou recours à une de ces sociétés privées qui commencent à s’implanter un peu partout ?
Autre anecdote : Afin de faire un choix dans la production des repas de la future cuisine centrale, la municipalité contacte la société Sodexho qui répond par une invitation à Bordeaux. La délégation gabéricoise comprend le Maire, des élus, le secrétaire de mairie et un représentant de chaque école. Pendant deux jours, nous visitons des cantines, des restaurants d’entreprises et, bien sûr, une cave du Bordelais… Malgré un accord pratiquement conclu , le marché sera confié non pas à Sodexho, mais à un de ses collaborateurs qui monte sa propre société (Restaurel). Bravo M. Tartu ! Rassurons-nous, la gestion de tout cela deviendra rapidement municipale.
D’une cuisine familiale on passe en 1975 à une cuisine de collectivité. Fin d’une époque. Pour les directeurs d’école, c’est un fardeau en moins d’autant plus qu’il ne faut pas perdre de vue que leur fonction première est d’enseigner, de s’occuper en classe des élèves dont ils ont la charge. Ils continueront à assurer la surveillance du réfectoire et après des années de bénévolat, ils seront indemnisés pour ce travail qu’ils partageront avec les adjoints volontaires.

 

Conclusion.

Le récit de cette petite tranche de vie va peut-être susciter l’étonnement des plus jeunes.
En parlant de l’école publique de Lestonan, nous relatons des situations ordinaires, vécues également par nos homologues exerçant dans la plupart des communes rurales à cette même époque.
La fonction des directeurs d’école a beaucoup évolué au cours des dernières décennies, les libérant de nombreuses charges matérielles mais leur imposant sans doute d’autres contraintes.

Gwechall e oa !

 Maryse et Jean Le Berre

 

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