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Les laitiers d'Ergué-Gabéric, fournisseur de lait à Quimper

René Danion 

 

François Ac'h : Cet article de René Danion nous présente un métier disparu, qu’il appelle « laitier de proximité ».

Il désigne par là les agriculteurs d’Ergué-Gabéric qui vendaient directement leur production de lait à Quimper, la livrant eux-mêmes surtout dans les épiceries, accessoirement dans les crêperies et pâtisseries. Il a lui-même pratiqué ce métier. Il n’ignore pas que dans la même période il y avait aussi des « laitiers » proches du Bourg ou de Lestonan qui vendaient directement de la ferme à leurs clients et voisins.

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Localisation

Géographiquement, les « laitiers » qui vendaient directement leur production à Quimper avaient, du moins avant la guerre,  leur ferme au plus près de la ville, c’est-à-dire au confluent de l’Odet et du Jet, ce qui diminuait le temps de trajet pour la livraison. La proximité de ces deux rivières faisait qu’ils disposaient de prairies naturelles très prisées à cette époque.
Généralement, les autres agriculteurs de la commune qui n’étaient pas « laitiers » étaient « beurriers » : la production laitière servait chez ceux-ci à la fabrication du beurre, qu’ils livraient à Quimper une ou deux fois par semaine.     
Etre ou ne pas être « laitier » relevait souvent d’une tradition familiale : on naissait « laitier » ;  c’était une vocation. Mme Le Menn, de Stang Quéau, m’a confirmé qu’à son mariage en 1945, elle avait refusé de continuer à « faire du lait » comme ses beaux-parents. Elle venait de Kerdudal, où on « faisait du beurre ».

 

Transport

Les « laitiers » étaient tenus d’effectuer une livraison quotidienne, le plus tôt possible le matin. Ils avaient à transporter en ville de 30 à 120 litres de lait, suivant l’importance de leur clientèle. Les deux fermes les plus proches de Quimper, Le Cleuyou et Kerampensal, ont toujours livré en charrette à bras, mais elles n’allaient que jusqu’à chez Zita (Poupon), à l’Eau Blanche. Les deux livreurs les plus éloignés, Lezouanac’h et Kerdilès, n’ont toujours livré (ils n’ont livré qu’après guerre) qu’en voiture l’un, et qu’en tricycle à moteur l’autre. Madame Lozachmeur, dite « Malouch Kerrous » a toujours été fidèle à son char à bancs, et « Bichette » sa jument demi-sang était bien connue à l’Eau Blanche.
La plupart des livreurs ont eu une automobile un peu avant la guerre, mais durant les 5 ans du conflit, ils ont dû revenir au char à bancs classique.

Le char à bancs avait un avantage sur la charrette : sa légèreté et la flexibilité de ses brancards permettaient le trot et donc de gagner du temps. Le cheval était souvent un demi-sang, qui se devait d’être très docile, obéissant et patient lors des arrêts prolongés. La marche sur les pavés provoquait l’usure rapide des ferrures ; les fers auraient pu tenir un mois, mais on préférait les remplacer toutes les 3 à 4 semaines, car la perte d’un fer durant la livraison pouvait abîmer la sole du sabot. Ce cheval ne participait pas aux autres travaux de l’exploitation et était pansé tous les jours.

Avant guerre puis dans l’immédiat après-guerre, ce fut de plus en plus la voiture familiale qui fit la livraison. Les pots étaient disposés dans une caisse aménagée. Ces voitures avaient une odeur particulière, car il pouvait y avoir du lait de renversé. L’auto, comme le char à bancs, ne devait pas être sale, car le client jugeait de la propreté du lait suivant celle du véhicule et aussi suivant celle de la personne qui livrait.

Avantages

Les exploitations vouées à la production et à la livraison du lait en ville y trouvaient des avantages : livrer du lait en vrac et en bidon payait beaucoup mieux que de « faire du beurre ». Et le lait était payé toutes les semaines, ce qui permettait d’anticiper sur les dépenses à venir. L’aisance financière que procurait la vente directe du lait a permis aux « laitiers » d’assurer avant les autres des investissements lourds pour l’époque : faucheuse, lieuse, batteuse…

De plus, cette situation permettait la commercialisation en parallèle de produits annexes : fruits, légumes, pommes de terre, balle d’avoine pour les berceaux. Elle donnait l’occasion de prendre des commandes de bois, de cidre : la plupart des laitiers se trouvaient sur un terroir favorable à la production cidricole, et entre eux régnait une saine émulation pour la qualité de leur production.

Par ailleurs, dans les épiceries, crêperies et pâtisseries dont nous étions les fournisseurs, nous étions aussi des clients obligés. Ce qui faisait qu’on achetait un peu de superflu, qui améliorait l’ordinaire.

Arkae > Archives > Patrimoine rural> Laitiers d'Ergué-Gabéric > Comice agricole à Ergué-Gabéric - 1953Contraintes

Ces avantages avaient leur contrepartie : disposer d’une main-d’œuvre relativement importante, qui était soumise à des horaires de travail contraignants, à une sorte d’esclavage (volontaire) : il fallait commencer sa journée à 6 heures, pour pouvoir livrer le plus tôt possible le lait du matin, dit « lait chaud ».
Cette traite, il fallait la faire tous les jours, matin et soir, même si on était légèrement malade, et cela 365 jours par an, sans un seul jour de repos, toujours suivant les mêmes horaires. Le personnel était libéré à tour de rôle le dimanche après-midi.

Comice agricole à Ergué-Gabéric vers 1953. Jean Le Menn, maire,  tient la vache.

Dans le Sud-Finistère en général, et à Ergué-Gabéric en particulier, les hommes, à quelques exceptions près, ne trayaient pas les vaches avant l’arrivée des trayeuses mécaniques. Mais c’étaient les hommes qui attelaient le cheval et chargeaient le lait dans le char à bancs.

Chez tous les laitiers, il y avait une jeune fille de la maison, ou une ou deux bonnes, à qui revenait d’effectuer la traite rapidement. Et comme dans la majorité des cas c’était une femme qui assurait aussi la livraison, elle devait d’abord faire la traite pendant une bonne heure, prendre son  petit déjeuner à la hâte et faire sa toilette avant de partir, vers 7 h 30. La livraison s’effectuait par exemple de 8 h 30 à 10 h 30, ce qui permettait d’être de retour à la ferme autour de midi après avoir fait quelques courses en ville. Si la patronne se réservait la livraison, il fallait qu’une femme reste à la maison pour s’occuper des enfants et préparer le repas de midi.

La livraison devait se faire quel que soit le temps, quels que soient les évènements de la vie : mariage, deuil à la ferme… Par gros gel et verglas, lorsque le cheval risquait la chute, mon père prenait la charrette à bras d’une voisine, mettait de vieilles chaussettes sur ses chaussures et accompagnait ma mère jusqu’au passage à niveau de l’Eau Blanche. Sébastien Coïc et Youenn Quilliec procédaient de même.

Il y avait une obligation de fournir du lait en qualité et en quantité égales toute l’année. Pour cela, il fallait essayer de bien répartir les vêlages. A défaut, on pouvait acheter une vache qui venait de vêler, en état de produire dès son arrivée. Ce marché existait au foirail du samedi à Quimper.

Il n’y avait pas trop de problèmes de qualité du lait : la plupart des laitiers avaient des vaches bretonnes Pie-Noir, au lait très riche en matières grasses, qualité recherchée à l’époque. Mais il y avait une exigence de propreté : le lait était déversé dans une passoire à trois filtres métalliques ; entre les deux derniers était disposé une rondelle ouatée. Dans toutes les fermes, après usage, cette rondelle était jetée au chat, toujours fidèle à ce rendez-vous. Inutile de dire qu’après un transit intestinal, l’expulsion pouvait en être laborieuse…
En été, et surtout les jours orageux, il fallait refroidir le lait du soir pour qu’il ne « tourne » pas. Chacun avait sa méthode : on le mettait à passer la nuit dans une fontaine, un lavoir, une rivière, mais gare aux pluies subites en cas d’orage. Il revenait souvent aux femmes d’effectuer ces déplacements du lait vers des bas-fonds à l’accès difficile, quand, en plein été, les hommes étaient encore aux champs. Mais le matin, c’étaient les hommes qui le ramenaient. Ces mesures de rafraîchissement étaient indispensables, car le client en ville n’avait pas de réfrigérateur.

La guerre

Beaucoup de choses ont changé pendant la guerre.
La première conséquence fut le retour au char à bancs pour tous, car il n’y avait plus d’essence pour circuler.
La deuxième fut qu’on avait obligation de continuer à livrer à un prix fixé à un niveau très bas. A vrai dire, à cette époque il eût été beaucoup plus intéressant de « faire du beurre » : le prix de vente du beurre par le producteur avait grimpé, et il pouvait servir de monnaie d’échange pour obtenir de la quincaillerie, pneus de vélo, ficelle pour lieuses, etc. De plus, le « beurrier » disposait du lait écrémé et pouvait donc élever des porcs. Ce qui était juteux.
Mais les « laitiers » d’Ergué-Gabéric ont tous été solidaires avec leur clientèle, qui manquait de tout. Je me rappelle avoir vu les clients avec leurs tickets, mais c’était l’épicière qui faisait la loi : un quart de litre pour un couple seul, et après, c’était selon le nombre d’enfants.

Déclin

Arkae > Archives > Patrimoine rural > Laitiers Ergue Gaberic - Coucours agricole 1930Vers 1960 la réglementation sanitaire s’est mise en place. Il fallait des bacs réfrigérés et on demandait de mettre le lait en sachets plastiques, ce qui était un travail supplémentaire à une époque où la main-d’œuvre se raréfiait.

Les petites épiceries fermaient, remplacées par des supérettes qui se faisaient livrer par des laiteries auparavant inexistantes. De plus, le stationnement devenait un problème. Il n’y eut plus que Jean Le Roux à continuer, mais il ne livrait plus que les crêperies et l’hôpital Gourmelen. Parvenu à la retraite, il aidait son fils Jean à la ferme de Lezouanac’h pour les livraisons de lait. Il est décédé à 85 ans, après avoir livré le lait le jour même de sa mort, le 1er juin 2008.

Je suis le dernier survivant de cette corporation. Beaucoup de bons souvenirs font que je ne regrette pas d’y avoir consacré une douzaine d’années. Mais les difficultés allant crescendo font que je ne regrette pas d’y avoir renoncé.

Photos : Concours agricole années 30.

René Danion.

La salle de traite ambulante de Kerhamus

Cette salle de traite mobile était en service à Kerhamus, installée pendant 5 mois de l’année dans la stabulation, et les 7 autres mois dans les pâtures. Elle comportait 4 stalles. On peut remarquer la propreté des vaches, importante pour la propreté du lait.
Les vaches venaient d’elles-mêmes se faire traire, car à l’intérieur elles trouvaient un aliment à base de mélasse très appétant (et bon marché).
Cette installation avait l’avantage de ne pas faire emprunter la route par le troupeau et ainsi de ne pas gêner la circulation.
La salle de traite de Kerhamus a fini sa carrière au Centre de formation des vachers à Saint-Ségal.
 
 
René Danion.

 

Le lait entier pendant la guerre : un produit rationné et taxé

Arkae > Trésors d'archives > Patrimoine rural > Le lait entier pendant la guerre : un produit rationné et taxéDès l’automne 1940, il a fallu faire face en France à une forte pénurie de matières grasses, conséquence de l’état de guerre (cheptel réduit, usines dévastées, blocus anglais interdisant l’importation d’oléagineux des colonies…).

C’est surtout le beurre qui fait défaut : il faut donc un contrôle strict des quantités de beurre produites, et une organisation unique de son ramassage et de sa mise en vente.
Il y aura beaucoup de problèmes dans le Finistère pour faire entrer toute la production de beurre dans le circuit unique de commercialisation créé sous l’égide du Groupement Interprofessionnel Laitier.
Ce G.I.L. doit organiser la répartition entre la population finistérienne, mais doit aussi fournir aux troupes d’occupation les quantités exigées, et trouver quelques excédents à destiner aux autres départements français sous-producteurs.

La tension sera moindre en ce qui concerne le lait entier (non écrémé), qui est rationné et taxé comme le beurre.
Le lait écrémé, lui, restera en vente libre, à condition qu’il ait été écrémé à la machine et non à la cuiller. Ainsi les consommateurs qui n’ont pas droit au lait entier peuvent cependant être servis en lait écrémé, qui est taxé mais ne fait pas l’objet de rationnement.

Le rationnement du lait entier est imposé dans le pays par décret du 17 septembre 1940, applicable à partir du 1er novembre suivant. Cela veut dire que chaque consommateur n’a droit qu’à une quantité limitée, et  que seuls les consommateurs munis de cartes spéciales peuvent être servis en lait entier jusqu’à concurrence de la quantité spécifiée sur les cartes. De leur côté, les producteurs de lait fournissant des villes agglomérées de plus de 2000 habitants doivent demander une carte professionnelle qui leur est délivrée par le G.I.L., dont le siège est à l’office central de Landerneau ; cette carte les autorise à vendre le lait entier dans le cadre du rationnement. Le 10 de chaque mois suivant chaque trimestre, ils adressent au G.I.L. les fiches et talons des cartes de lait du trimestre précédent
De leur côté, les commerçants détaillants aussi ont à présenter une carte professionnelle « Catégorie F1 » et à assurer les mêmes déclarations trimestrielles.

La taxation du lait entier a pour objet de fixer une fourchette de prix pour la vente (un prix minimum et un prix maximum) du producteur au détaillant, comme du détaillant au consommateur, et donc de déterminer la marge autorisée. Ces prix sont fixés par un Comité local interprofessionnel (ainsi, en novembre 1940, le producteur vend le litre de lait écrémé 1,10 francs et le litre de lait entier 2 francs).

Cette réglementation concernant le lait entier ne fut que faiblement respectée. A preuve cette lettre du 30 juin 1943 relative au « Ravitaillement en lait de la population civile » adressée par le Feldkommandant Dr. Vischer au Préfet du Finistère (ADF 200W20) :

« Conformément aux règlements, le lait entier ne doit être délivré qu’à certains groupes de consommateurs contre remise de tickets. Or il est constaté que notamment dans les petites localités, la distribution du lait s’effectue sans contrôle et surtout soit que les Maires ne délivrent pas de cartes de lait, ou qu’ils ne se conforment pas aux prescriptions du règlement n°4. En conséquence, je vous demande :

  • de faire vérifier dans toutes les communes si les règlements relatifs à la délivrance des cartes de lait sont respectés.
  • de prendre les mesures nécessaires pour que les propriétaires de vaches laitières, autorisés à vendre du lait entier, ne délivrent du lait entier que contre remise de la carte de lait et qu’ils rendent compte mensuellement au Groupement Laitier en lui faisant parvenir les cartes reçues. La négligence apportée dans le Département du Finistère à l’observation de ces prescriptions ne saurait être tolérée plus longtemps.

Il serait d’ailleurs souhaitable que l’Administration française sauvegarde son crédit sans l’intervention des Forces d’Occupation et qu’elle fasse elle-même respecter les lois françaises ».

Ouest-Eclair a fait état de nombreuses condamnations pour non respect de la réglementation :
« Une ménagère de Quimper est poursuivie pour avoir acheté du lait sans remettre de tickets, et une commerçante pour lui avoir livré ce lait. Toutes deux ont été condamnées à 16 francs d’amende avec sursis. »
« Trois cultivateurs de Ploaré et Kerlaz sont prévenus d’avoir livré du lait entier à leurs clients sans leur demander les tickets correspondant à la quantité de lait livré. Leur avocat, Maître Le Coz fait remarquer qu’il ne s’agit pas de vente de lait sans tickets, mais uniquement de transport sans tickets. En effet, le supplément de lait pour lequel ils n’étaient pas en possession de tickets devait être livré à des clients occasionnels contre remise de tickets. Après déposition de l’inspecteur du contrôle qui dressa procès-verbal, les trois cultivateurs sont condamnés chacun à 16 francs d’amende ».
(Journal daté du 26 février 1941).

François Ac'h.

 

Dossier réalisé par René Danion et François Ac'h - Keleier 72 - mars 2012

 

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Eté 1944 : Deux vols de tabacs à Ergué-Gabéric

François Ac'h 

 

Que reste t-il, dans notre mémoire collective, des évènements vécus dans notre commune pendant la Seconde Guerre Mondiale ? Pas grand chose sans doute, une fois évoquée la participation de quatre jeunes gens du Bourg au "coup du S.T.O." à Quimper. Restent heureusement quelques documents d'archives, qui peuvent parfois réveiller de vieux souvenirs...

 

L’été 1944 a été appelé par un historien « l’été des hold-up1».
Les réquisitions en vagues successives adressées aux jeunes gens, à partir de février 1943, dans le but de les expédier vers les usines allemandes dans le cadre du Service du Travail Obligatoire, ou en France sur les chantiers de la TODT, ont poussé vers une vie clandestine, marginale, des individus et des groupes de plus en plus nombreux. Une petite proportion de ces réfractaires au STO, estimée à environ 10% seulement2, a en fait rejoint un maquis organisé.

A l’approche du Débarquement, puis pendant l’avancée des armées alliées, l’existence d’un maquis supposait de disposer d’un budget énorme, du fait de l’afflux des volontaires, de la charge que représentaient leur ravitaillement, leur habillement, leur équipement militaire et leur solde. Faute de pouvoir compter sur le parachutage des fonds nécessaires en espèces, ou souscrire des emprunts sur place, les responsables des maquis se sont résolus à recourir à des moyens plus expéditifs : « vivre sur le pays » en quelque sorte, mais de préférence en faisant payer les « collabos » avérés, par exemple en attaquant de nuit une ferme qui venait de vendre du bétail à la troupe allemande, par exemple en « taxant » les trafiquants, les délateurs. C’est surtout vers l’administration de Vichy, les secrétariats de mairies, les perceptions, les bureaux de poste, les succursales ou les transports de fonds de la Banque de France que les résistants se sont tournés pour se fournir en espèces, mais aussi en stocks de cartes d’alimentation.

Les rapports de gendarmerie ont souvent mis ces actions au compte de « terroristes » ou de « gangsters », qui n’étaient que très rarement identifiés. Il s’agissait souvent de maquisards. Ceux-ci avaient en principe pour règle de fournir un signe d’identification, voire de remettre un reçu ou même de payer comptant. Mais il est arrivé bien des fois que des initiatives soient prises par des individus qui, du fait du contexte général, s’étaient établis dans la clandestinité, avaient éventuellement un rapport avec un groupe de résistants, mais agissaient en réalité pour leur compte personnel tout en arborant les signes distinctifs du maquis et en adoptant leur comportement.
Le tabac n’était peut-être pas, pendant l’Occupation, un produit de première nécessité, mais il est devenu rapidement un produit très recherché. Devenu rare du fait de la baisse de la production nationale3, son rationnement fut organisé à partir du 31 juillet 1941, huit mois après l’instauration des cartes d’alimentation : inscription obligatoire des hommes de plus de 18 ans dans un unique débit de tabacs, attribution d’une carte individuelle, distribution par lots correspondant à une certaine quantité de tabac, et par décade, soit au rythme de deux, trois ou quatre fois par mois, pour une ration mensuelle oscillant entre 80 et 120 grammes.

En ces années de guerre, le tabac fut l’objet d’un « marché noir » très actif. La demande ne pouvait qu’être forte en cette période de stress collectif, marquée par un besoin d’affirmation individuelle.
Dans les maquis, la fourniture en tabac pouvait compter pour le bon moral des combattants. Ceux-ci avaient perdu, du fait de leur passage à la clandestinité, le bénéfice de leur attribution mensuelle en tabac. Comment restaurer cette normalité perdue ?

Dans les Côtes-du-Nord, 183 bureaux de tabac furent attaqués au cours du seul mois de juin 1944, ce qui constitue une moyenne de 7 par jour4. Pour ce qui concerne le Finistère, nous disposons d’états mensuels des « Attentats terroristes », établis au Cabinet du Préfet. Ainsi, pour le mois de juin 1944, se trouvent recensés en 14 feuillets5 quelques 190 assassinats, attaques à main armée, sabotages et autres vols. Dans cet ensemble, qui ne nous parait guère exhaustif, nous relevons pour le Sud-Finistère 57 coups de main ayant pour objet des vols de tabac.  
Ainsi :
- Le 24 juin, une attaque à main armée à l'entrepôt de tabac de Quimper : « une douzaine d’individus, après avoir immobilisé le personnel sous la menace de leurs armes, chargent 700 kg de tabac dans une camionnette qu’ils avaient emmenée.6»
- Des attaques contre les véhicules transportant le tabac pour en faire livraison aux buralistes (le 1 juin à Trégunc, le 13 à Saint-Evarzec, le 16 à Melgven, le 24 sur la route de Pont-Croix, le 27 à Douarnenez…).
- Des interventions dans les bureaux de tabac par des « individus armés » qui se font remettre la réserve de tabac, souvent en le payant immédiatement (noté 13 fois), parfois en versant un simple acompte (noté 5 fois) ou en laissant un reçu en vue d’un paiement ultérieur (noté 5 fois).

Pour ce qui concerne la commune d’Ergué-Gabéric, nous avons connaissance de deux vols de tabac, l’un le 27 mai, l’autre le 22 juin 1944.

 

Extrait des Mémoires de Lestonan 1910-1950, cahier d'Arkae n° 7, 2007

Texte de Jean et Lisette Hascoët : « le bar-tabac Joncourt », p. 34.

Pendant la guerre tout était sous contrôle. La préfecture ou la mairie délivraient des tickets pour le vin, le tabac, le lait, le sucre, pour toute l'alimentation.
La vente du tabac avait lieu deux fois par mois : deux jours très attendus par les fumeurs. Un cultivateur de Briec se déplaçait à Quimper avec cheval et charrette, prendre livraison du tabac (au dépôt de la route de Douarnenez), de l'épicerie (Avenue de la Gare, chez Piffart – Le Teunff), du vin (« Jolival » chez Darnajou).
Le soir même, il y avait distribution de tabac : un paquet de gris et deux paquets de cigarrettes. Tous les fumeurs étaient présents. La distribution se prolongeait tard dans la soirée. Un soir, les gendarmes sont venus à l'heure de la fermeture. Mais au vu du nombre de clients, ils ont laissé se terminer la distribution.
 

 

1. Au bourg, au café Troalen, le 27 mai 1944. (ADF 200W75)

Arkae > Tresors archives > Guerres > Café TroalenLa Gendarmerie n’en a été informée que près de deux semaines après les faits : le 10 juin (soit 4 jours après le Débarquement), deux gendarmes transcrivent les déclarations de Madame Troalen, née Perrine Le Roux, 37 ans (connue sous le nom de « Rine Rouz »).


Arkae > Tresors archives > Guerres > Perrine Le Roux" Dans la soirée du samedi 27 mai 1944, je me suis couchée vers 23 h 30, ainsi que ma sœur Mlle Anna Le Roux. Ma sœur et moi sommes seules dans la maison, mon mari étant prisonnier.
Vers 23 h 45 ou minuit, des hommes se sont présentés devant chez moi et ont tapé à la porte à plusieurs reprises. Ils ont appelé en disant : « Ouvrez, Madame ». Je n’ai pas répondu. J’ai cru d’abord avoir affaire à des Allemands. Ils ont insisté tellement que j’ai compris que c’étaient des Français.
Ils ont cassé un carreau sur la fenêtre de la cuisine, fait jouer l’espagnolette et ont pénétré à l’intérieur. Un moment après, je les ai entendus monter l’escalier menant au 1er étage. Prises de peur, ma sœur et moi nous nous sommes sauvées par les escaliers donnant sur l’arrière de la maison. Les individus pouvaient être quatre ou cinq. Le tabac se trouvait dans le débit, dans un placard situé derrière le comptoir. Je n’ai vu aucun des hommes en question.
Une heure après environ, je suis revenue en compagnie des voisins ; les visiteurs nocturnes avaient disparu. Après inventaire, j’ai constaté que toutes les pièces et tous les meubles avaient été fouillés ; aucun argent n’avait été volé ; par contre tout le tabac, quelques articles de fumeurs tels que pipes, briquets, et quelques litres de vin avaient disparu.

Arkae > Tresors archives > Guerres > Deux vols de tabacs à Ergué-Gabéric > Anna Le RouxIl se trouvait chez moi la quantité de tabac suivante : 20 paquets de tabac gris, 6 paquets de tabac bleu, 12 paquets de tabac vert, 40 paquets de gauloises vertes, 10 paquets de gauloises ordinaires, 10 paquets de celtiques et une boite de ninas.
Ni le placard en question ni même aucun meuble n’était fermé à clé.
N’ayant vu aucun des voleurs, je ne puis vous donner aucun renseignement sur ceux-ci. Si je n’ai pas porté plainte avant cette date, c’est que je craignais les représailles.
J’estime le préjudice qui m’est causé à la somme de quatre mille francs environ."

La déclaration faite à la suite par Anna Le Roux, aînée de 3 ans de sa sœur « Rine », n’ajoute rien de particulier. Deux témoins seront encore entendus le 4 juillet : ils regardaient derrière leurs volets.

René Poupon, 22 ans, qui tient le commerce voisin, déclare :
" Le samedi 27 mai 1944, au soir, vers minuit, alors que j’étais au lit, j’ai entendu des bruits de pas venant de l’extérieur.
D’abord j’ai cru qu’il s’agissait d’une patrouille allemande, vu l’heure tardive et le bruit des pas, car les visiteurs nocturnes étaient chaussés de souliers ferrés.
Je me suis mis à la fenêtre et à travers les volets j’ai observé. Le temps était assez sombre, il m’a été assez difficile de bien distinguer. Toujours est-il que j’ai vu cinq individus rôder sur la place, en face du bureau de tabac. Quatre d’entre eux sont entrés à l’intérieur, pendant qu’un faisait le guet dehors. Ce dernier était de forte corpulence. Je ne pourrais vous dire comment ils étaient habillés, n’ayant pu bien distinguer, ni s’ils étaient masqués.
J’ai tout de suite compris qu’ils venaient pour dévaliser le bureau de tabac. Etant seul comme homme dans la maison, je n’ai pas voulu me faire voir ni sortir, car certainement que ces derniers étaient armés. Ils y sont restés trois quart d’heure environ, puis ils sont partis par le bas du Bourg."

Et le secrétaire de mairie, François Lennon, 54 ans, ne dit pas autre chose : "... Je me suis mis à la fenêtre derrière les volets… Je n’ai pas voulu bouger, de peur que ces individus certainement armés me tirent dessus. Je n’ai pas vu autre chose."
Photos : Café Troalen au bourg.
à gauche : Perrine Le Roux "Rine Rouz".
Ici, à droite : Anna Le Roux.
 

2. A Lestonan, au café-tabac Joncour, le 22 juin 1944 (ADF 200W74)

Arkae > Tresors archives > Guerres > Louise RiouC’est Madame Jean Riou, née Louise Joncour, 38 ans, qui tient le café-tabacs de Lestonan. Dès le lendemain des faits, elle informe les gendarmes par téléphone et ceux-ci se rendent sur place le surlendemain 24 juin.

Madame Riou déclare :
" Le 22 juin 1944, vers 16 heures, alors que je me trouvais à la maison avec ma fille Louise, âgée de 13 ans, j’ai vu deux individus armés de pistolets rentrer chez moi. Ces derniers m’ont demandé à boire. Je leur ai servi chacun un verre de cidre. A un moment donné, l’un d’eux m’a demandé si j’étais la patronne, j’ai répondu par l’affirmative. Aussitôt ces hommes m’ont dit qu’ils étaient venus réquisitionner le tabac que j’avais de disponible chez moi. J’ai refusé de leur donner satisfaction sur le champ. A ce moment ces deux individus m’ont dit qu’ils allaient perquisitionner chez moi. Pour éviter des ennuis et des actes de violences, je les ai conduits dans un local contigu à la salle de consommation, où se trouvait le tabac destiné aux consommateurs. Ils ont pris eux-mêmes le tabac, soit 21 paquets de gris, 18 paquets de gauloises vertes, 15 paquets de tabac supérieur et 8 boites d’allumettes, s’élevant à la somme de huit cent quarante francs quatre vingt centimes (840,80). Cette somme m’a été versée intégralement par ces deux individus, qui se sont ensuite dirigés à pied vers la papeterie d’Odet.
Je ne connais aucun de ces hommes, leur signalement est le suivant : le premier, de forte corpulence, mesure 1,70 m environ, cheveux châtain foncé, visage entièrement rasé, vêtu d’un blouson marron, coiffé d’un chapeau mou noir rabattu sur les yeux. Le deuxième, plus petit, d’assez forte corpulence coiffé d’un chapeau mou foncé rabattu sur les yeux, cheveux blonds, vêtu d’un blouson dont je ne me souviens plus de la couleur. J’ai remarqué que le plus grand portait des lunettes de couleur à grosses montures."

Dans cette seconde affaire, il faut également deux témoins : d’abord un retraité de l’Arsenal, 55 ans, Jean Diascorn7, qui habite à Lestonan, et lui aussi à sa fenêtre :
" Le 22 juin 1944, dans l’après-midi sans que je puisse préciser l’heure, j’ai remarqué de ma fenêtre 2 hommes qui s’en allaient à pied vers la papeterie d’Odet. L’un d’eux portait une musette sur le dos.
Ils étaient vêtus tous deux de blousons et étaient coiffés de chapeaux mous rabattus sur les yeux. J’ai vu que l’un d’eux portait des lunettes de couleur. J’ai appris par la suite par Madame Riou, débitante, qui demeure près de chez moi, que son bureau de tabac venait d’être cambriolé par les individus que j’avais vus passer devant ma maison.
Je ne connais aucun de ces hommes."
Puis Thérèse Henry, 15 ans, qui les a également vus passer devant chez elle et fait la même description des deux individus ; mais elle les a vus « se dirigeant vers Quimper ».

Photo : Mme Riou, photo prise vers 1955.

 

3. Quelques commentaires et remarques

Du fait du rationnement du tabac et de l’inscription obligatoire de chaque consommateur auprès d’un buraliste, tout prélèvement anormal hors du circuit officiel devait donner lieu à un dépôt de plainte : en cas de vol, n’ayant pas pu servir ses clients attitrés, le buraliste devait se justifier auprès des autorités, et cela même s’il avait été payé de la valeur de la marchandise volée. Mais c'était peut-être porter plainte contre la Résistance ?

Par delà la peur qui les a fait s’enfuir par une porte dérobée et se réfugier chez leur oncle Hervé Le Roux, Madame Troalen et sa sœur avaient de quoi se poser des questions. Car la Résistance, c’était qui, à Ergué-Gabéric ? C’était avant tout le fils de leur cousine germaine, Fanch Balès, le boulanger du Bourg, qui vivait dans la clandestinité depuis près de 5 mois, depuis le cambriolage des bureaux du S.T.O. à Quimper et la destruction des fichiers des requis dans son four de boulanger. Les deux soeurs pouvaient se demander si les cambrioleurs, qui n'étaient probablement pas des gabéricois, étaient ou non en rapport avec Fanch. Elles pouvaient aussi douter de leur appartenance à la Résistance. Toujours est-il que Fanch aurait été informé par les soins de « Rine Rouz » de ce vol commis au Bourg et devait se renseigner sur ses auteurs8. Mais il est mort fin août. Et les archives n’ont conservé aucune trace d’une suite donnée à cette affaire.

Le procès-verbal dressé à Lestonan fournit un récit simple et clair, avec cependant une contradiction au sujet de la direction prise par les deux individus. Nous disposons d’un autre document d’archives (ADF 200W74 également) qui comporte un élément ne figurant pas dans la déposition de Madame Riou. Dans la transmission qu’il adresse en date du 26 juin aux autorités françaises et allemandes, le Capitaine Le Thomas, commandant la section de gendarmerie de Quimper, résume brièvement : « le 22 juin 1944, vers 16 heures, deux individus armés se sont présentés au bureau de tabacs tenu par Madame Joncour, au hameau de Lestonan en Ergué-Gabéric. Sous la menace de leurs armes, ils ont exigé la remise du tabac détenu, soit 36 paquets de tabac et 18 paquets de cigarettes. Ils ont remis à la tenancière la somme de 840 Francs et un reçu du tabac volé ». Le procès-verbal ne mentionnait pas de remise d'un reçu.

Près de 70 ans après les faits, nous avons, par bonheur, le témoignage oral de Lisette Hascoët, qui était la fille de 13 ans indiquée comme ayant assisté à la scène. Lisette nous dit d’emblée que cela ne s’est pas passé ainsi :
« En réalité, ce jour-là, il n’y avait personne à la maison. Mon père était prisonnier en Allemagne, et nous étions, ma mère et moi, à la prairie que nous avions en location auprès des Bolloré, située au-delà du Bigoudic, à peu près à 1500 m. de la maison. Car en plus du café-tabac, nous avions une vache et un peu de terre. Ce jour-là, nous faisions le foin. Dans l’après-midi, un homme est arrivé, que nous ne connaissions pas.
Il avait trouvé porte close au café, et demandait à ma mère de venir avec lui pour se faire remettre le tabac que les clients attitrés n’avaient pas encore perçu. Ma mère refusa, mais il insista, proposant que « la petite » vienne au moins lui ouvrir la porte. Elle réagit fortement à cette idée, et décida alors de l’accompagner elle-même. Et moi, je suis restée travailler dans la prairie. C’est ainsi que ça s’est passé. Je ne me souviens pas du tout qu’ils étaient à deux. Quand il est venu à la prairie, il était seul.
On a peu reparlé de cette histoire par la suite. Mon frère Jean, qui avait 3 ans de moins que moi, n’en a aucun souvenir. Je ne sais pas si le tabac a été payé ou si un reçu a été remis à ma mère »

Que dire encore ?

  • Les gendarmes ont opté dans les deux procès-verbaux pour un récit simple, schématisé, dépouillé de détails sans importance pour l’enquête, quitte à travestir certaines données. Il leur aurait paru inutile de raconter le détour par la prairie.
  • Remarquons qu’ils n’utilisent plus ici comme ils le faisaient quelques semaines ou mois auparavant, les termes « terroristes9 » ou « bandits », mais se contentent de parler de « visiteurs nocturnes » ou d’« individus » ou de « ces hommes ». Le ton aurait donc changé vers plus de neutralité. Rappelons que le Débarquement venait d'avoir lieu.
  • En ce qui concerne le vol commis à Lestonan, qui se déroule en plein jour, une indication est donnée par le procès-verbal des gendarmes, qui signalent un paiement au comptant, puis par leur Commandant, qui ajoute la mention d’un reçu : si les « individus » n’ont pas indiqué à Madame Riou leur appartenance à la Résistance, les gendarmes ont peut-être retenu le paiement comme valant une quasi-signature de la Résistance, et leur Commandant aurait ajouté dans le même sens la mention d’un reçu.
  • Les familles Riou et Troalen n’ont jamais su qui étaient les auteurs de ces vols. Quand la Police de la République a remplacé celle de l'Etat Français, elle a eu à élucider bien d'autres affaires, d'une toute autre importance. Et ce qui aurait été délictueux avant la Libération ne l'était sans doute plus tout à fait après. S'il est vrai qu'à l'époque la volonté d'identifier les « voleurs » n'a pas été plus forte, il n'y a pas de raison aujourd'hui de prétendre connaître les auteurs des vols.Mais ces affaires, dont nous devons accepter de ne pas tout savoir, nous donnent une idée de la complexité des situations à cette époque, comme de la difficulté de connaître la réalité, même rapportée par procès-verbal.

François Ac'h.

 

Arkae > Tresors archives > Guerres > Carte de tabac
 
 
 
Cette photo représente une carte de tabac attribuée à une femme pour le 2ème semestre 1947.
 
Pendant la guerre, le tabac a été rationné dans le sens où seuls les hommes de plus de 18 ans avaient le droit d'en acheter une quantité limitée.
A partir de décembre 1945, le droit d'acheter du tabac a été accordé aux femmes, mais à partir de 21 ans seulement. En effet, il a été considéré qu'il y avait en France autant de jeunes filles de plus de 21 ans que de jeunes hommes de plus de 18 ans : voilà le genre de parité qui était respectée !
Par ailleurs, les femmes avaient une dotation mensuelle de 40 grammes quand les hommes en avaient une de 160 grammes en 1946 et de 280 grammes en 1947.
« Où est l'égalité des sexes dans tout ça ? », lit-on dans l'Humanité du 27 juin 1946. Cf. Eric Godeau, ouvrage cité, page 37).

Ainsi, on pourrait considérer que les femmes ont obtenu dans le même temps l'accès au tabac et l'accès au bulletin de vote !

 

Dossier réalisé par François Ac'h - Keleier 70 - novembre 2011

 

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Arkae > Trésors d'archives > Politique > Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution

Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution

Jean-François Douguet 

 

Arkae > Tresors archives > Politique > Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution > ArretéBernez Rouz : " Avec Jean-François Douguet, on y voit plus clair sur la mise en place de l’institution communale pendant la Révolution.
La rareté des archives, la briéveté des mandats électifs, la complexité des structures mises en place compliquent le travail de l’historien. Quelques noms au hasard de l’état civil nous renseignent sur la qualité de nos compatriotes engagés dans la lente construction de la démocratie locale.  

Heureusement d’autres communes ont gardé plus d’archives. On sait donc comment la Révolution a bouleversé les institutions locales, et on peut en tirer des conclusions pour Ergué, faire se rejoindre les bribes éparses de notre mémoire collective.

Loin de la fureur des sans-culottes, des luttes fratricides entre Girondins et Jacobins et des épisodes de la chouannerie, la Révolution s’est semble-t-il passée sans heurts sur les terres gabéricoises. Reste à glaner cette étrange moisson d’archives nouvelles dans un calendrier républicain déroutant.

Le travail de Jean-François Douguet y participe et complète le livre sur Alain Dumoulin, un recteur breton dans la tourmente révolutionnaire, disponible cet été. "

 

Photo : Municipalité an III : Arrêté des représentants du peuple Faure et Tréhouart donnant la liste des membres du conseil municipal d’Ergué-Gabéric, en date du 26 pluviôse an III (14 février 1795).

 

Les nouvelles institutions

Le 16 novembre 1789 l’Assemblée constituante, après avoir créé les départements et les districts, décide de les subdiviser en cantons et communes. La loi du 14 décembre suivant précise les modalités d’administration et d’élections des nouvelles organisations municipales.

Chaque commune doit être dirigée par un corps municipal, composé d’officiers municipaux, d’un nombre variable selon sa taille, d’un procureur et d’un maire. Ce corps municipal appartient à un conseil général composé d’un nombre de notables double de celui du corps municipal. Chaque fonction donne lieu à une élection séparée. Le maire et le procureur sont élus pour deux ans, rééligibles qu’après un délai de deux ans sans mandat. Les officiers municipaux et les notables, élus aussi pour deux ans, sont renouvelables par moitié chaque année.

Les attributions des nouvelles municipalités sont considérables : gestion des biens communs, budget, travaux publics, voirie, répartition des impôts, mais aussi un pouvoir réglementaire, notamment dans le domaine économique (droit de taxe) et de police (droit de requérir la force publique). Le maire peut aussi proclamer la loi martiale en arborant un drapeau rouge sur la façade de la mairie, mais il ne peut quitter le territoire de la commune sans autorisation. Quant au procureur, il représente à la fois le gouvernement et la population. Il est tantôt avocat, tantôt accusateur public, et il a voix consultative dans toutes les affaires. C’est un préfet communal avant la lettre, ce qui lui donne un pouvoir considérable… et il peut circuler librement.

Pour être électeur il faut être citoyen actif, c’est-à-dire être de nationalité française, avoir plus de vingt cinq ans, être domicilié dans la commune depuis au moins un an, ne pas être en état de domesticité, ni en situation de faillite et payer un impôt au moins égal à trois jours de salaire d’un ouvrier. En 1790 cette contribution est fixée à quinze sols la journée. Pour être éligible il faut réunir les mêmes conditions, mais l’impôt est fixé à dix jours de travail. Et seuls les hommes ont droit de vote.

Jérôme Kgourlai, premier maire… de la paroisse

Arkae > Tresors archives > Politique > Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution > Acte baptemeCent trente-et-un Gabéricois, soit un peu plus de 8% de la population, sont appelés à voter début 1790 pour élire cinq officiers municipaux (pour les communes ayant entre 500 et 3000 habitants) et dix notables, plus le maire et le procureur.
Les procès-verbaux de ces premières élections ont malheureusement disparu. C’est l’état civil qui permet d’identifier les premiers élus. Ainsi le baptême de René Le Pétillon, de La Salleverte, le 16 juin 1790, révèle que son père, aussi prénommé René, est le procureur de la commune. Deux mois plus tard, le 12 août, c’est l’acte de baptême de Françoise Credou, de Khaut, qui indique que le parrain, Jérôme Kgourlay1 est le « maire de cette paroisse »2.
Un autre acte de baptême précise que René Le Pétillon est aussi administrateur du district de Quimper. A défaut de tornade révolutionnaire, c’est un vent nouveau qui souffle sur la nouvelle commune d’Ergué-Gabéric, car aucun de ces deux hommes n’était signataire des cahiers de doléances rédigés quelques mois plus tôt.

Photo : Cohabitation à Ergué-Gabéric où le recteur Dumoulin mentionne sur l’acte de baptême de Marie Le Dore,
le 15 août 1790, les nouvelles fonctions du parrain, Jérôme Kergourlay maire de cette paroisse (sic).


Le 9 juin suivant décède René Le Pétillon, « ancien électeur de la commune ». Sans doute a-t-il démissionné pour raisons de santé de ses fonctions de procureur. Son successeur à cette fonction, Augustin Géllard, de Congallic, assiste à son enterrement en compagnie du maire.

Cependant c’est la polémique sur le découpage des cantons qui permet d’identifier l’intégralité de la première municipalité d’Ergué-Gabéric.
Dès 1790 la nouvelle commune est rattachée au canton de Rosporden avec celles d’Elliant, Saint-Yvi, Locmaria-Hent3, et Tourc’h. Fureur des Elliantais, vexés qu’une de leurs anciennes trêves obtienne la prééminence dans les nouvelles institutions. Ils font intervenir leur recteur l’abbé Guino, alors député du Clergé à l’Assemblée constituante qui, le 30 mai 1791, sollicite l’appui des plus hautes autorités locales : François-Jérôme Le Déan, maire de Quimper, Louis Alexandre Expilly, le nouvel évêque, et Augustin Le Goazre de Kervélégant, député du Tiers-Etat qui appuie la pétition d’un commentaire personnel : « il ne me paraît point raisonnable d’obliger les habitants de la paroisse4 d’Ergué-Gabéric de traverser celle d’Elliant pour celle de Rosporden ».
« Nous préférons le canton de Quimper à celui d’Elliant, et celui d’Elliant à celui de Rosporden… »
Mais cela ne convient pas non plus aux Gabéricois qui le font savoir par une requête adressée aux administrateurs du directoire départemental. Si la municipalité appuie les pétitions d’Elliant pour que le chef-lieu de canton soit au bourg de cette commune, plus proche, elle ne manque pas de faire observer aussi qu’elle préférerait être rattachée au canton de Quimper :
« Ce jour 28 novembre 1790 le conseil général de la paroisse, assemblé dans la personne de Jérôme Kgourlai maire, de René Le Gouerou, de Hervé Lizien, d’Allain Rannou, de Jean Gourmelen officiers municipaux, de Jean Lozac’h, Guénolé Laurent, François Le Poupon, Louis Le Naour, Hervé Le Pétillon, Louis Le Bihan, tous notables5. Présent Augustin Gélard procureur de la commune… a arrêté de suplié messieurs les administrateurs du département de finistère et messieurs les administrateurs du district de fixer irrévocablement le chef lieu du canton au bourg d’elliant [qui] est plus au centre du canton que Rosporden…
... Le conseil général de la commune a aussi arrêté de supplier messieurs les administrateurs du département et du district de Quimper de réunir la paroisse d'Ergué-Gabéric au canton de Quimper dont elle est beaucoup plus près que d'Elliant ; les villages d'Ergué les plus voisins du bourg d'Elliant en sont distants de cinq quarts de lieue, et les plus éloignés à trois fortes lieues, ajoutez les mauvais chemins de cette paroisse à Elliant ; au lieu que plusieurs villages d'Ergué-Gabéric ne sont qu'à une demie lieue de Quimper, et nos villages les plus éloignés de Quimper n'en sont distants que de deux lieues au plus. Nous avons tout à gagner si nous étions réunis au canton de Quimper; nous préférons donc le canton de Quimper à celui d'Elliant, et celui d'Elliant à celui de Rosporden ».

Quelques mois plus tard la municipalité demande à « Mr l’abbé Guino recteur d’Elliant et député aux Etats généraux de représenter aux augustes membres des dits Etats que plusieurs quartiers de cette paroisse étant au moins éloignés de Rosporden de quatre lieues, outre les difficultés des chemins, nous désirerions tous dans cette commune de voir fixer irrévocablement le chef lieu du canton au susdit bourg d’Elliant. Tels sont les vœux ardents des citoyens actifs de la commune d’Ergué-Gabéric ».

Cette nouvelle requête est signée Jérôme Kgourlay maire, Alain Rannou et Hervé Lizien, officiers municipaux, Jérôme Credou, René Seznec, François Laurans, Pierre Jean Credou et François Le Poupon, notables, et René Le Pétillon, administrateur du district de Quimper.
Quatre nouveaux noms apparaissent, sans doute élus lors de l’élection partielle de décembre 1790.

La mairie siège à la sacristie…

Dans un premier temps Elliant croit avoir obtenu gain de cause car le directoire du district de Quimper se prononce en sa faveur le 14 juin 1791, mais dans sa séance du 18 juin le directoire départemental arrête que la commune d'Ergué-Gabéric est rattachée au canton de Quimper.
De ce fait Elliant n'est plus le point central du nouveau canton et « considérant qu'il se tient à Rosporden des foires et marchés, dont la privation ajouteroit à la perte de ses octrois et celle de la juridiction qui s'y exerçoit » il arrête aussi que le « chef-lieu demeurera irrévocablement en la ville de Rosporden. »

Entre temps, le 2 février 1791, une autre requête, pour demander le maintien des prêtres réfractaires dans la paroisse « pour n’être pas privés des secours spirituels », complète la liste des élus en 1791: Jérôme Kgourlay, maire, Augustin Gélard, procureur, Jean Gourmelen, Alain Rannou, Yves Le Meur, Hervé Lizien et René Gouerou, officiers municipaux, Jean Le Poupon, François Le Poupon, Jean Lozeac’h, Guennolé Laurent, Hervé Pétillon, Louis Le Naour, Alain Seznec, Charles Le Queneudec notables, Joseph François Mahé, secrétaire-greffier. La réunion s’est tenue «en la sacristie de la dite paroisse où a présidé Jérôme Kgourlay, maire …»

On trouve encore la signature de Jérôme Kgourlay et Alain Rannou le 15 mai 1791 dans la demande d’expulsion de la commune d’une fille de mauvaise vie, atteinte de la vérole qui « se lave dans neuf fontaines dans la persuasion de se guérir … Les habitants, qui ne peuvent avoir de l’eau potable que de ces fontaines, sont dans la plus grande gêne et souffrent d’être obligés de boire de ces fontaines… »

Troubles et incertitudes…

Arkae > Tresors archives > Politique > Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution > Jean Le JourNous n’avons nulle trace des élections de décembre 1791. Seul, le 30 mars 1792, l’acte de baptême de Barbe Le Jour, de Boden, mentionne que son père, Jean Le Jour, est le procureur de la commune. Ce qui indiquerait qu’il y a bien eu des élections avec, outre la moitié du conseil général de la commune (les notables), et du corps municipal (les officiers municipaux) à renouveler, un autre procureur et, normalement, un nouveau maire. Mais nous ne connaissons pas avec certitude son identité.

L’une des dernières mesures prises par l’Assemblée Législative est, par les décrets des 20 et 25 septembre 1792, la création de l’état civil. Confié au conseil général de la commune, celui-ci doit choisir en son sein la personne la plus compétente, à laquelle on donne le titre d’officier public, pour enregistrer les actes. Ainsi, le 26 janvier 1793, Jean Le Jour inscrit dans le premier registre de l’état civil que, « membre du conseil général de la commune d’Ergué-Gabéric, district de Quimper, département du Finistère », il a été « élu le neuf décembre dernier [1792] pour rédiger les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès des citoyens… ».
A partir du 17 avril il mentionne son nouveau titre d’officier public, qu’il peut cumuler avec sa fonction de procureur. Le 19 août, venu déclarer la naissance de sa fille Marie Magdeleine, il charge « Jean Nicolas, membre du conseil général de la commune d’Ergué-Gabéric, qui fait fonction d’officier public », de rédiger l’acte de naissance.

Le 21 mars 1793, le procès-verbal de la levée d’un contingent de douze hommes d’Ergué-Gabéric, dans le cadre de la levée de 300 000 hommes décrétée par la Convention, est contresigné par Yves Le Meur, procureur de la commune, François Laurant, maire, et Jean Lejour, officier municipal6. François Laurent, de Squividan, est-il maire depuis décembre 1791, date à laquelle il aurait dû y avoir, constitutionnellement, un renouvellement ou, plus probablement, depuis le 9 décembre précédent. Dans plusieurs communes environnantes il y a également eu un changement de maire à cette époque7.

L’an I de la République

Arkae > Tresors archives > Politique > Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution > DeliberationPar l’acte constitutionnel du 24 juin 1793 la Convention apporte deux modifications importantes à la loi électorale. La majorité est ramenée de vingt-cinq à vingt-et-un an et le suffrage universel est instauré pour les hommes, sauf les domestiques, le pouvoir se méfiant de leur dépendance vis-à-vis de leurs « maîtres ». Le 4 décembre suivant une autre modification d’importance est adoptée en créant les agents nationaux à la place des procureurs, et en étendant leurs attributions, déjà importantes. Bien qu’élus par le peuple, ils représentent le gouvernement. Ils exercent leur contrôle sur les particuliers comme sur les autorités constituées (et donc le maire). Ils doivent prévenir le comité de sûreté générale de la tranquillité intérieure et des conspirations contre l’égalité et la liberté. Ils ont le droit de décerner des mandats d’arrêt, de mettre en liberté, de poser et lever des scellés. Ils doivent surveiller la stricte application des lois et sont tenus d’envoyer des rapports tous les dix jours à l’administration du district. De fait, ils ont plus de pouvoir que les maires.

Photo : Délibération de la municipalité d'Ergué-Gabéric.

Ces nouvelles mesures sont appliquées lors des élections du 9 février 1794 (elles auraient dû se dérouler en décembre 1793), dont nous ne retrouvons qu’une seule évocation, dans l’état civil, à l’occasion du changement d’officier public, Jean Le Jour, laissant la place à Rolland Coatmen, curé constitutionnel, «membre du conseil général de la commune, élu le 24 du présent mois de pluviôse (9 février 1794) pour rédiger les actes destinés à constater les décès… ». Cette élection devait aussi donner lieu à l’élection d’un nouveau maire (sauf si François Laurent a été élu en décembre 1792), tout comme le nouvel homme fort de la commune, l’agent national. Quant à Jean Le Jour on le retrouve comme officier municipal lors de l’estimation de la vente de la chapelle de Kerdévot comme bien national le 1er novembre 1794.

Enfin, après plus de trois ans d’incertitude, durant la période la plus trouble de la Révolution, un arrêté du 26 pluviôse an III (14 février 1795) des représentants du Peuple «prez les porte et côtes de Brest et de l’Orien », Tréhouart et Faure, nous renseignent à nouveau sur la composition du conseil municipal, probablement élu quelques jours plus tôt8: Jean Riou, de Tréodet, maire – René Le Guenno, de Sulvintin, Jean Le Gouzien, de Niverrot, René Gouerou, de Lec, Jean Jaouen (dont le nom est ajouté à la place de celui de Jean Le Jour qui est rayé), Allain Rannou, de Kourvois, officiers municipaux – Jean Credou, de Créac’h Ergué, agent national – Jean Le Signour, Denis Huitric, Joseph Le Roux, Pierre Lozach, Louis Le Naour, Louis Maugen, Guénolé Laurent, René Le Maguer, Jean Knevez, Louis Michelet, de Knogen, notables – Yves Kgourlai, secrétaire-greffier. Allain Rannou est aussi l’officier public.

D’anciens personnages de premier plan, comme Jérôme Kergourlai, Jean Le Jour, Augustin Géllart, sans doute contraints de se retirer par le renouvellement imposé par la constitution, et peut-être aussi « victimes » d’une épuration locale à la suite de la chute de Robespierre (27 juillet 1794), ne font plus partie du conseil général de la commune. Par contre les nouvelles lois électorales de 1793 ont permis l’élection comme officier municipal de Jean Gouzien, qui n’était pas citoyen actif en 1790. Joseph Le Roux et Louis Maugen quant à eux n’étaient pas recensés sur la commune.

Les municipalités cantonales

A leurs débuts ces réformes municipales sont accueillies avec satisfaction, mais les gouvernements se trouvent très vite confrontés à plusieurs problèmes. Dans les villes, la plupart des municipalités, imbues de leurs nouveaux pouvoirs, veulent affirmer leur indépendance vis-à-vis des autres administrations de districts et départementales. Dans les campagnes, le renouvellement exigé par la loi, la compétence et parfois la motivation des élus posent d’autres problèmes9.

Ainsi dès le 17 avril 1795 la Convention supprime les agents nationaux, puis, le 22 août suivant, les municipalités dans les communes de moins de 5 000 habitants. Dorénavant elles ont à leur tête un agent municipal et un adjoint élus par l’assemblée communale, de nouveau censitaire, pour deux ans. Les élections doivent avoir lieu à date fixe, le 1er germinal (22 ou 23 mars). L’ensemble des agents municipaux, et leurs adjoints, des communes d’un canton forme la municipalité cantonale dirigée par un président. Ergué-Gabéric, avec Kerfeunteun et Penhars, est rattaché au canton d’Ergué-Armel.

C’est au travers d’archives éparses que l’on retrouve les élus gabéricois. Ainsi le 23 février 1796 Jean Le Jour, agent municipal d’Ergué-Gabéric, et Jean Lozac’h, son adjoint, ainsi que l’ensemble du personnel cantonal sont invités à Ergué-Armel pour assister à « la fête commémorative de la mort du dernier des tyrans », et à prêter le serment « qu’ils sont sincèrement attachés à la république et qu’ils vouent une haine éternelle à la royauté ». Jérôme Kergourlay et Augustin Gélart, assesseurs du juge de paix du canton, absents, prêtent à leur tour serment le lendemain.

Lors des élections générales du 21 mars 1797 renouvelant cette assemblée, c’est Jean Nicolas, de Quilly huec, qui est élu agent municipal d’Ergué-Gabéric, et Alain Rannou, de Kourvois, adjoint 10.

Retour des maires… nommés

Il n’y a pas d’élections au printemps 1799, sans doute en raison de l’instabilité politique qui amène la chute du Directoire, et l’instauration du Consulat quelques mois plus tard après le coup d’état de Bonaparte le 18 brumaire (9 novembre).

La constitution de l’an VIII réorganise l’administration du pays. Les communes ont à nouveau un maire à leur tête, entouré d’un conseil municipal, mais dorénavant tous nommés par le préfet, nouveau personnage installé à la tête des départements. C’est ainsi que le registre des délibérations municipales d’Ergué-Gabéric commence, le 17 juin 1800, par la transcription de la nomination de Jean Le Jour aux fonctions de maire par le préfet du Finistère Charles Didelot. Il remplit aussi les fonctions d’officier public de l’état civil. Suit la nomination de son adjoint, François Mahé ? (le patronyme est malheureusement illisible), qui n’apparaît pas dans les délibérations suivantes11.

 

Sources et Bibliographie :

  • Histoire des institutions du droit public français au XIXe siècle 1789 - 1914 – Gabriel Lepointe – Ed. Domat Montchrestien, 1953.
  • Histoire des maires 1789 - 1939 – Jocelyne George – Terres de France, Plon - 1989
  • Archives départementales : séries L et M
  • Archives municipales : Etat-civil, Registre des délibérations municipales.

 

République, Liberté, Egalité?

Lorsque l’on consulte les premiers actes de l’état civil on ne manque pas d’être surpris par les expressions allégoriques des nouvelles années de Liberté, d’Egalité, de République... Il y a parfois de quoi s’y perdre. Ainsi la création d’un nouveau calendrier, révolutionnaire comme il se doit, adopté en novembre 1793, mais démarrant le 22 septembre 1792, date de l’instauration de la République, ne manqua pas de causer quelques tracas à l’officier public. Un petit aperçu nous en est proposé à la lecture de l’état civil, créé à la même époque, dont la rédaction donnait parfois lieu à des calendriers… pas très catholiques. Alors que le maire réunissait son conseil municipal à la sacristie, c’est le curé, constitutionnel, qui rédigeait l’état civil !
Contraint entre la rigueur demandée à la rédaction d’un acte officiel, et le zèle à montrer au nouveau régime, terrorisant, Rolland Coatmen ne sait plus, à défaut de saints, bannis, à quel an se vouer !
Ainsi le 20 septembre 1792 rédige-t-il l’an quatrième de la Liberté et première (sic) de Légalité (sic), puis, le 8 novembre l’an premier de la liberté française, et sur l’acte suivant l’an premier de la République française. Enfin, perdu dans ses calendriers, il choisit, le 25 novembre, de les regrouper, certain ainsi de ne pas se tromper : l’an premier de la Liberté et de la République française !
A moins que, enivré par l’enthousiasme d’une ère nouvelle, il se laisse emporter, comme bien d’autres, par les frissons de l’exaltation ! Ainsi la gazette Le Moniteur universel inscrivait-elle à sa une L’an 1er de la Liberté depuis le 14 juillet 1789 (prise de la Bastille), l’an IV de la Liberté et 1er de l’Egalité, depuis le 10 août 1792 (prise des Tuileries et arrestation de Louis XVI), l’an 1er de la République française, depuis le 21 septembre 1792 (instauration de la République). On peut remarquer que Rolland Coatmen reprend, le 20 septembre 1792, le même libellé que Le Moniteur universel met en exergue depuis le 10 août précédent. Lit-il cette gazette à Ergué-Gabéric, l’a-t-il vue ailleurs, ou respecte-t-il des directives? Quoiqu’il en soit nous sommes au début d’un nouveau calendrier, républicain, qui va durer quatorze ans.
 
A Ergué-Gabéric le 30 prairial An 219
 

Arkae > Tresors archives > Politique > Les municipalités d'Ergué-Gabéric sous la Révolution > tableau des municipalités

 

  1. Dans un souci historique nous transcrivons les noms dans leur graphie originale. Sous l’Ancien régime la lettre K est l’abréviation commune de Ker. Il faut donc lire Kerhaut, pour Khaut, Kergourlay, pour Kgourlay, etc.
  2. Le terme de commune n’est pas encore entré dans le langage courant…
  3. Sous l’Ancien régime la paroisse d’Elliant comprend les trêves de Rosporden, Saint-Yvi et Locmaria-Hent. Toutes ces entités deviennent communes en 1790. La commune de Locmaria-Hent est supprimée en 1792 et rattachée à celle de Saint-Yvi.
  4. Les communes existent déjà depuis un an et demi, mais même les élus ont du mal à intégrer ce nouveau vocabulaire.
  5. D’après la loi il manquerait un officier municipal et deux notables.
  6. Il faut noter que le procureur est mentionné avant le maire, ce qui confirme toute son importance dans les structures municipales de l’époque.
  7. Dans de nombreuses communes les lois électorales ne furent pas respectées, et il n’y eut un changement de maire qu’en décembre 1792, sauf démission.
  8. Il ne peut s’agir du conseil municipal élu en février 1794 puisque Jean Le Jour n’y figure plus.
  9. Aux élections municipales d’Elliant en décembre 1792 il n’y eut que 21 électeurs … pour 20 postes à pourvoir ! A Kernével il n’y avait que trois personnes qui savaient lire et écrire…
  10. Un document du 22 avril 1798 inverse les rôles. Cependant la délibération du conseil municipal du 23 janvier 1801 auquel est convié Jean Nicolas «agent» pour expliquer la situation financière de la commune prouve que c’est bien lui qui était l’agent municipal en 1798.
  11. Dans le recensement de 1790 figurent Joseph François Mahé, cultivateur à Kdévot, 26 ans, citoyen actif, et son frère François, 22 ans. Peut-être pourrait-il s’agir de l’un d’eux.

 

Dossier réalisé par Jean-François Douguet - Keleier 68 - juin 2011

 

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Trésors d'archives > Quartiers > Le comité de tir d'Ergué-Gabéric 1909 - 1914

Présentation
 
2013 sera marquée par le centenaire des Paotred Dispount, le célèbre club de football de Lestonan. Une bonne occasion de s’interroger sur les débuts de la pratique sportive à Ergué-Gabéric.

Certes les fêtes de village se terminaient souvent par des joutes de baz-youd, de sevel ar berchenn, de teurel ar maen-pouezh, ces jeux traditionnels bretons spontanés tout comme la lutte (gouren). Des sports où il s’agissait de montrer sa force. Quant à la soule (Mellad) ancêtre du rugby, elle n’était plus guère jouée que dans quelques communes du Morbihan au début du XXe siècle. Elle a été vite détrônée par le fooball baptisé mell-droad en breton, c’est à dire balle au pied.
Il faut attendre le début du XXe siècle pour voir s’organiser la pratique sportive. Le football est né cinquante ans auparavant en Angleterre mais ne perce vraiment en France qu’après 1900.

Dans les villages, c’est le tir et la gymnastique qui sont à l’honneur. Ergué n’échappe pas à ce mouvement.
L’enquête de François Ac’h nous révèle la lente gestation d’un mouvement sportif organisé dans notre commune.

Bernez Rouz
 
 

Le comité de tir d'Ergué-Gabéric 1909 - 1914

 
La défaite de la France par les Prussiens et leurs alliés en 1870 a été vécue comme un énorme cataclysme. Il fallait s’expliquer pourquoi les soldats français s’étaient montrés moins valeureux, ou moins bien commandés, ou bien moins préparés.
De là est née une réflexion collective qui a concerné le service militaire lui-même, et l’instruction des réservistes, et la préparation militaire, et jusqu’à l’école publique, rendue obligatoire et désormais chargée de former à la gymnastique et de développer un esprit patriotique.
 

Service militaire et préparation militaire

Il fallait mieux former les futurs combattants, si on voulait reconquérir l’Alsace et la Lorraine.
D’où plusieurs décisions successives de réorganiser le service militaire (1872, 1889). En 1905, la loi du 21 mars le ramena de 3 à 2 ans, mais excluait cette fois toute dispense, ce qui fit cependant augmenter les effectifs de la conscription (environ 200.000 conscrits dans la classe d’âge de 1903, et 260.000 dans celle de 1906).

De plus, divers systèmes de préparation militaire, qu’ils soient scolaires (par exemple les « bataillons scolaires »), parascolaires ou post-scolaires, furent essayés. Puis des initiatives privées organisèrent des compagnies d’instruction et de préparation militaires pour des jeunes gens à partir de 17 ans : l’éducation physique devait être la base de cette préparation militaire ; les principales disciplines enseignées étaient la gymnastique, le tir, la marche, le maniement des armes.
Certaines sociétés avaient la gymnastique comme sport de référence, d’autres le tir, mais toutes associaient plusieurs disciplines dans la perspective d’une préparation au combat. Ces sociétés s’organisèrent en fédérations nationales et départementales en fonction de l’approche qui était la leur.
La loi (1885, 1892) vint encadrer l’intervention de ces différentes sociétés créées et organiser la « préparation militaire » : elle définit un unique programme de formation pour l’obtention d’un « brevet militaire » (1903).

En 1905, autre étape, la préparation militaire acquit une importance encore plus grande : elle fut confiée ou à l’Etat, dans ses établissements d’enseignement (Sociétés Scolaires ou S.S.), ou à des Sociétés « agréées par le ministre de la guerre » (S.A.G.), ou à des associations non agréées mais souscrivant un contrat d’association.
Diverses instructions ministérielles précisèrent dès lors ce qui concerne les programmes, les tenues, les moyens (formateurs, stands, matériel de tir, locaux, diplômes…), et des financements furent prévus.
 

Des sociétés laïques de gymnastique, de sports, de tir et préparation militaire à Quimper

En 1895, le Préfet du Finistère recense les « sociétés de gymna-stique, de tir et d’instruction militaire » existant dans le département.
Il cite « la Quimpéroise » (gymnastique, exercices et tir), « La Brestoise », (gymnastique et tir), « la Morlaisienne » (gymnastique), une autre morlaisienne appelée « la Société mixte de tir » et « la Landernéenne » (tir) (ADF 4 M 409).

« La Quimpéroise » a été fondée fin 1887 à la Mairie de Quimper à l’initiative de la société civile, plus exactement des premiers républicains de la ville : son président est Adolphe Porquier, le faïencier, qui sera maire de Quimper de 1896 à 1909.
Elle a comme buts :
  • de développer les forces physiques et morales des jeunes gens par l’emploi rationnel et hygiénique de la gymnastique et des sports en général.
  • d’accroître les forces défensives du pays par la vulgarisation des exercices militaires et des marches (ADF. 4M 422 - 2 février 1912).
Elle obtint après 22 ans de fonctionnement l’agrément du Ministre de la Guerre (S.A.G.) le 23 avril 1909 pour contribuer, dans le cadre officiellement défini, à la préparation militaire de la jeunesse, et accéder ainsi à divers avantages (subventions, prix et diplômes, fournitures en matériel de tir...).
Un rapport préfectoral du 22 février 1912 la présentait ainsi : « La Quimpéroise » est rattachée à l’Union des Sociétés de Gymnastique de France, déclarée d’utilité publique. Elle donne l’éducation physique conformément aux instructions ministérielles de l’Instruction publique et de l’armée… elle a organisé un cours spécial préparatoire au brevet militaire. Son enseignement pratique est complété par des causeries et des conférences sur des sujets comme l’anatomie et la physiologie élémentaires, l’hygiène, les principes sommaires de la morale, les droits et devoirs civiques, l’anti-alcoolisme. La société compte actuellement 102 gymnastes de 13 à 20 ans, dont 40 sont élèves dans les écoles publiques. Il faut y ajouter 25 « scolaires » formant une section de fifres. Il ressort de là que « la Quimpéroise », prenant les jeunes gens dès l’école, les retient à leur sortie pour les conduire jusqu’à l’heure de la conscription. (ADF. 4M 422).

« La Cornouaille » est une autre société quimpéroise, spécialement consacrée au tir, « société mixte » (réunissant des militaires et des civils), fondée en 1897 « avec le concours du 86ème Régiment territorial d’Infanterie ». « La Cornouaille » a intégré la Fédération des sociétés de tir du Finistère, et à travers celle-ci la Fédération nationale correspondante. Elle a pour devise « Si tu veux la paix, prépare la guerre » (Statuts, art.1) et pour but statutaire « d’accroître les forces défensives du pays, en développant le goût et la pratique du tir » (art.2). « Elle n’a aucun caractère politique. Toute discussion politique et religieuse est formellement interdite dans les réunions de la Société » (art.3). Les membres élèves son âgés d’au moins 16 ans (Statuts. ADF 4M 422).

Dès avril 1898, « La Cornouaille » compte 146 adhérents (ADF 4M 409). En mai 1913, le Préfet constate : « Cette société, la plus importante de l’arrondissement de Quimper, compte actuellement 462 membres, dont plusieurs élèves du Lycée de Quimper et les élèves-maîtres de l’Ecole normale. Elle rend les plus grands services au point de vue de l’enseignement du tir et de la préparation au brevet d’aptitude militaire » (ADF 4M 422).
 

Des sociétés de tir communales un peu partout

La loi du 21 mars 1905 portant réduction à deux ans du service militaire et développement des formations pré-militaires conduisit rapidement à créer dans un maximum de communes des sociétés de tir. En témoigne, pour ce qui concerne le Finistère, ce courrier du 20 août 1908 de l’Inspecteur d’Académie au Préfet du Finistère (ADF 4M 409) :
« Le 13 décembre (1907) mon prédécesseur vous adressait un rapport très documenté où il vous faisait savoir que l’enseignement du tir était donné d’une façon méthodique et raisonnée dans 77 écoles de garçons du Finistère.
Ce nombre a certainement augmenté depuis cette époque et je ne doute pas que lorsque je vous adresserai dans quelques mois le rapport annuel prévu par la circulaire ministérielle précitée, je n’aie à enregistrer une notable augmentation du nombre de ces associations (…)
Je vous serais obligé de proposer au Conseil Général, lors de sa prochaine réunion, de vouloir bien voter un crédit de 1000 francs par exemple, destiné à venir en aide aux sociétés existantes et à faciliter la création de nouveaux groupements. »

Effectivement, l’année suivante, le Conseil Général, en sa session d’août 1909, vote un crédit supplémentaire de 1000 francs au bénéfice des sociétés de tir scolaires et post-scolaires.

Dès lors, à Quimper, la Société « La Cornouaille » se montre très active pour obtenir l’implantation, autant que possible dans toutes les communes, d’une société locale de tir dans le réseau des écoles publiques. En effet, depuis plusieurs années, « La Cornouaille » a formé au tir de nombreux élèves-maîtres de l’Ecole Normale, ce qui permet de trouver dans la plupart des écoles un ou deux instituteurs susceptibles de devenir instructeurs à leur tour, tant auprès des élèves que des anciens élèves qui attendent leur départ au service militaire.
Nous pouvons observer avec quel dynamisme un dénommé Georges Koechlin1, qui est lieutenant de réserve du 118ème Régiment d’Infanterie, et par ailleurs vice-président de « La Cornouaille » va implanter des comités de tir dans les communes des environs de Quimper.

D’abord en 1907, fondation d’un comité à Bénodet, avec stand de tir installé à l’école du Perguet (Déclaration au J.O. du 30 juillet et premier concours le 2 septembre). Voici ce que Koechlin fait valoir au préfet, qu’il sollicite pour doter le concours d’une médaille : « Bien que conformément à la circulaire sur les sociétés de tir, il n’est pas question de politique, Bénodet, noyau de républicains, appréciera certainement à sa juste valeur la faveur que vous voudrez bien lui faire » (ADF 4M 409). Trois concours de tir ont lieu chaque année, en avril, août et septembre, avec participation de nombreux Quimpérois et séries réservées aux dames.
« … le but de cette société et celui des concours qu’elle organise chaque année : vulgariser l’étude du tir, l’enseigner à l’école aux enfants de 10 à 14 ans, conserver chez les adultes le goût du tir, c’est-à-dire coopérer à la défense nationale » (Le Finistère du 14 août 1909).

Le journal Le Finistère va annoncer de nouvelles créations de comités de tir de 1907 à 1910 : La Forêt-Fouesnant, Fouesnant, Gouesnach, Briec, Concarneau, Saint-Evarzec, Loctudy, Douarnenez, Plogonnec, Elliant… Il informe des dates de concours, des prix annoncés puis des résultats et performances.

La Société « l’Elliantaise » a son comité directeur composé de trois instituteurs. Elle instruit une cinquantaine d’élèves et également des anciens élèves. Argument avancé par le préfet pour obtenir une subvention du ministère en 1914 : « La Société de tir « l’Elliantaise » rend de grands services dans une commune où la concurrence faite par l’école libre à l’école laïque est particulièrement vive » (ADF. 4M 416 – mai 1914).
 

Le Comité de tir d’Ergué-Gabéric

L’évènement a eu lieu le 4 mai 1909.  Le Finistère2 du 8 mai 1909 l’annonce :
 
Ergué-Gabéric.
Création d’une société de tir. – Une société de tir vient de se fonder à Ergué-Gabéric sous le patronage de l’Union des Sociétés de tir de France. Le comité a été constitué comme suit : président-fondateur, le délégué de l’U.S.T.F. ; président actif, M. Tanguy, instituteur ; vice-président, M. Le Roux, propriétaire ; secrétaire-trésorier, M. Lennon, secrétaire de mairie ; directeur de tir, M. Le Borgne, instituteur-adjoint.
Ont en outre été nommés membres d’honneur : M. Le Roux, maire, et M. l’inspecteur primaire Chanticlair.


Le premier concours de tir organisé par le comité a lieu le 18 juillet. Nous apprenons par Le Finistère (17 juillet 1909) que le comité a essuyé des critiques concernant son obédience politique.

Ergué-Gabéric.
Concours de tir des sociétaires – Dimanche 18 juillet aura lieu le premier concours de la société de tir d’Ergué-Gabéric, sous la présidence de M. Tanguy, instituteur, président de la société.
Grâce au dévouement de ce dernier, qui a eu maintes fois maille à partir avec ses adversaires politiques, la société a pris un essor sur lequel on ne pouvait guère compter au début. Fondée le 4 mai 1909, cette société ne compte pas moins de 65 membres.
Aujourd’hui, ses détracteurs ont reconnu que, suivant les statuts, les questions politiques et religieuses étaient exclues des réunions et le but patriotique a fait triompher le comité.
De nombreux prix sont offerts pour ce concours. Pour y participer, se faire inscrire en arrivant à l’école d’Ergué-Gabéric.
Le coût de la série pour les adultes est de 0 fr. 25 et pour les jeunes gens de 0 fr. 15. La cotisation annuelle est de 1 fr. pour les adultes et de 0 fr. 50 pour les pupilles.

Ces premiers pas difficiles sont confirmés par M. Koechlin dans sa lettre au préfet du 26 octobre 1909 : « De grandes difficultés ont empêché au début les fondateurs de la société d’agrandir le nombre de ses membres. Reconnue par tous d’une utilité incontestable, la société vit normalement des ressources apportées par les cotisations ».
Mais ceci n’empêche pas de solliciter une subvention du Conseil Général (ADF 4M.416). Le Préfet y va de son avis favorable, et intervient également auprès du Ministre de l’Intérieur pour une demande de prix à remettre aux meilleurs tireurs, en recourant à ce seul argument : « les membres dirigeants sont républicains » (lettre du 5 novembre 1909. ADF 4M 416). Comme pour bénéficier d’un tel avantage la société doit avoir reçu l’agrément S.A.G., des renseignements plus précis sont demandés par ce ministère. Le Préfet confirme dans sa réponse du 20 novembre : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que cette société, qui a souscrit la déclaration prévue par l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901, a pour but la vulgarisation du tir. L’attitude politique de ses membres dirigeants est républicaine » (ADF 4M.416).
Le comité forme ses membres au tir à travers des cours théoriques et des exercices pratiques. Les séances de tir ont lieu dans la cour de l’école publique du Bourg. Les sociétaires sont répartis en trois sections : les pupilles (enfants de l’école), les adultes (jeunes gens de 13 à 20 ans) et les vétérans (plus de 20 ans), les cours ayant lieu de mars à août, comme le précise Le Finistère du 25 février 1911.
Ce journal annonce régulièrement les concours de tir organisés à l’école par le comité : concours entre sociétaires et concours ouverts aux membres des comités voisins. Ainsi en 1910, pour le concours des 1er et 8 mai : annonce au journal du 16 avril, information sur les prix à attribuer (23 avril) et résultats (14 mai). Un autre concours a lieu le dimanche 27 juin (annoncé le 25).

A l’occasion d’une nouvelle demande de médaille à attribuer (lettre du 2 mai 1911. ADF 4M 416), nous apprenons que l’effectif est de 62 membres. Trois journées de concours se suivent dans l’année (mai, juillet et août, cette dernière propre aux pupilles). Souvent, une série de tirs est réservée « aux dames ». Un rythme d’activité identique de concours a été suivi de mars à septembre les années 1912, 1913 et 1914. M. Tanguy, le président, a été destinataire d’une lettre de félicitations du ministère, au titre des sociétés de préparation et perfectionnement militaire pour l’année 1912 (Le Finistère du 26 juillet 1913).

La guerre contre l’Allemagne est déclarée le 2 août 1914. Les membres du Comité de tir vont hélas ! devoir tirer à balles réelles sur d’autres hommes.

 

L’apparition des « Paotred Dispount » sur la scène locale

Foot à Ergué-Gabéric - Etienne Le Grand
Photo prise par Etienne Le Grand pendant la Grande Guerre.
Entre deux combats, les soldats se repliaient en arrières des lignes, pour quelques jours de repos. Ici, partie de football, avec les fusils de guerre en faisceau pour spectateurs.
 
 

A partir de la déclaration de guerre, nous n’avons plus aucune information concernant le Comité de tir d’Ergué-Gabéric. Il va subir le même sort que la plupart des autres comités de tir communaux créés depuis 1907 : à la fin de la guerre, ils auront perdu plusieurs de leurs membres, parfois leurs instructeurs ou responsables, et probablement la motivation pour préparer une nouvelle guerre.
Le Président départemental de la F.S.T.F. (c’est Georges Koechlin, depuis 1913) fait savoir le 24 mai 1919 dans le journal Le Finistère aux différents comités du département qu’il « serait heureux de reprendre contact avec les sociétés affiliées à la Fédération afin de savoir si elles sont en état ou non de reprendre leur activité d’avant-guerre » et propose de les aider éventuellement à retrouver le chemin des stands. En réalité, la plupart d’entre elles disparaissent à ce moment..

Que se passe t’il donc désormais à Ergué-Gabéric ? Tentons un balisage rapide.
Rappelons d’abord l’arrivée à la mi-Juillet 1913 au presbytère d’Ergué-Gabéric d’un nouveau vicaire, l’Abbé Louis Le Gall. C’est autour de lui que va s’opérer le rassemblement de jeunes gens qui constituera les « Paotred dispount ».
Après un an de présence, il est mobilisé, à 38 ans, pendant environ 3 années de guerre, servant au front dans un service d’ambulances, puis à l’arrière. « Après avoir été réformé, (il) fut successivement auxiliaire dans les paroisses de Fouesnant, Edern et Morlaix » (extrait du registre-journal de la paroisse).
Un premier repère important apparaît sur le terrain administratif : la parution au « Journal Officiel » du 23 septembre 1919 de la déclaration faite le 5 septembre précédent d’une Société désignée « Les Sans Peur3 », dont l’objet est très brièvement annoncé : « Développer les forces physiques, la pratique du tir » Son siège Social est « au Bourg d’Ergué-Gabéric ». La seule activité précisément indiquée : « la pratique du tir ». Comme si c’était la seule discipline à annoncer explicitement. Il y a un enjeu en effet : tôt ou tard, il va falloir que cette jeune Société obtienne l’agrément S.A.G., qui ouvre la voie aux subventions et à des avantages multiples.

Un match de football a bien eu lieu auparavant, le 9 mars 1919 (Le Finistère des 1, 8 et 15 mars 1919). Le « Stade Quimpérois » joue contre une équipe désignée sous le nom « A.S. d’Ergué-Gabéric » dont le journaliste déclare que « la valeur nous est totalement inconnue, mais qui, composée de jeunes gens de la classe 1920, compte résister au Stade ». Il poursuit : « Après Kerfeunteun, voici Ergué-Gabéric, bientôt Ergué-Armel qui viennent au sport ; le Stade Quimpérois est heureux d’assister à cette éclosion de sociétés voisines et de pouvoir les encourager en les faisant applaudir du public quimpérois ». En effet, le dimanche précédent, le Stade Quimpérois invitait sur son terrain une « Union Sportive Quimpéroise » constituée surtout sur Kerfeunteun, et le match était présenté comme « le premier match sérieux du Stade Quimpérois » (après-guerre), qui allait « mettre sur pied un « onze » de bonne valeur ». Nous ignorons à quoi correspond cette « A.S. d’Ergué-Gabéric » et nous ne la retrouverons plus dans les chroniques sportives. Cette équipe n’a peut-être rien à voir avec les « Paotred » On peut penser que le Stade Quimpérois, qui était en mesure de constituer plusieurs équipes de jeunes joueurs, cherchait dans les communes proches des adversaires à qui les opposer, mais n’y a pas toujours trouvé le répondant recherché.

Voici encore un match de foot contre une équipe du Stade Quimpérois. C’est en 1922 : le dimanche 29 janvier, « la 4ème du Stade a eu raison des Paotred dispount par 13 buts à 0 (Le Finistère du 4 février 1922).

Ce n’est pas le soutien du Stade Quimpérois4 qui va permettre de lancer une société sportive à Ergué-Gabéric : c’est plutôt dans le sillage d’un patronage quimpérois, celui de la paroisse Saint-Corentin, que ce qui va s’appeler définitivement « les Paotred Dispount » va prendre son essor à partir de 1920. Ce patronage quimpérois, c’est « La Phalange d’Arvor », créée en 1904. Il pratique principalement les disciplines de la gymnastique. Sous la forte impulsion de l’Abbé Le Goasguen, vicaire à la Cathédrale, il tient à Quimper la dragée haute à la société laïque « la Quimpéroise ». A partir de 1910 il dispose d’une équipe de football qui va vite progresser ; la « Phalange » organise aussi, bien sûr, des formations de préparation militaire.

L’Abbé Le Goasguen est par ailleurs le secrétaire de l’Union Départementale des Patronages, ce qui lui confère toute l’autorité nécessaire pour développer et orienter le réseau des patronages.
Alors qu’il vient de participer à Paris au Congrès de la F.G.S.P.F. (Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France), il est chargé le 22 novembre 1920, d’en présenter les décisions à Landerneau lors d’une réunion des directeurs de patronages du Finistère : il est décidé de limiter désormais les relations avec les autres fédérations, en particulier laïques, et de renforcer l’organisation des patronages catholiques entre eux. « Il a été adressé aux directeurs de patronage une circulaire recommandant les rencontres interpatronages pendant la saison qui va s’ouvrir. La circulaire insiste sur l’avantage de rencontres amicales entre jeunes gens formés par une même discipline et animés d’un même esprit… » (Le Finistère du 24 septembre 1921).

Ainsi, en football, pour le secteur de Quimper, un challenge regroupant 15 sociétés va se dérouler entre le 1er octobre 1921 et le 15 avril 1922 Désormais, les « Paotred dispount » vont disputer leurs matchs presque exclusivement dans ce cadre du Challenge des Patros de la F.G.S.P.F. de la Cornouaille. (Progrès du Finistère du 15 octobre 1921).

Foot-ball
Challenge départemental de la F.G.S.P.F. - C’est dimanche prochain 16 octobre que commencent les rencontres des équipes affiliées à la F.G.S.P.F. dans le secteur de Quimper qui comprend toute la Cornouaille. Déjà 15 sociétés sont engagées et nous recevons chaque semaine de nouvelles adhésions qui nous permettrons sous peu de constituer un nouveau groupe.
Voici les matchs annoncés pour dimanche : Fleurs d’Ajonc de Pont-Aven reçoit Lions Saint-Marc de Trégunc - Les Mouettes d’Arvor de Lanriec reçoivent Concarneau - La Phalange d’Arvor 1re va contre l’Avant-Garde de Quimperlé - Les Potred-Dispount 1re d’Ergué-Gabéric contre les Jongleurs de N.D. à Quimperlé - Les Potred-Dispount 2e d’Ergué-Gabéric contre Riec - La Jeanne d’Arc Quimper 1re reçoit la Phalange d’Arvor 3e - La Phalange Saint-Joseph de Combrit reçoit la Jeanne d’Arc de Pont-l’Abbé.

De même pour la gymnastique et la clique : les « Paotred » sont invités à se produire à Saint-Denis quand la « Phalange » y organise une journée festive au nouveau Foyer des Familles le 1er mai 1921. De même à la kermesse de la « Phalange » le 12 juin 1921. (Progrès du Finistère du 18 juin 1921).

La Phalange d’Arvor.
Grande Fête à Saint-Denis, 12 juin. - Dès 6 h. ½, les sons joyeux des trompettes (…)
A 2 heures, nous entendons les clairons. C’est la Société des Paotred dispount, conduite par M. l’abbé Le Gall, d’Ergué-Gabéric. Cette jeune Société produit bon effet. J’en juge par les exclamations qui se font entendre à leur entrée : « Oh ! ils sont costauds !! ». Quelques minutes après, les jeunes de la Jeanne-d’Arc font leur entrée  (…)
Puis viennent les exercices en plein air, acrobaties..., ballets des Pierrots.
Un compliment aux Potred dispount pour leur travail aux barres : c’est bien, très bien.
La Jeanne-d’Arc, par ses représentations théâtrales, a fait réellement plaisir.
Les pyramides de la Phalange d’Arvor, comme tout son programme du reste, ont été artistiquement enlevées ( …)

La « Phalange » entraîne les gymnastes des « Paotred » avec elle dans ses déplacements : au Festival de Quimperlé le 26 juin suivant, puis à Brest au concours régional de gymnastique de la Fédération des Patros à la mi-août.

C’est ce même été, le 3 juillet 1921, qu’a lieu l’inauguration du « Patronage du Sacré-Cœur »5 au lieu-dit « l’Hôtel » où les « Paotred » disposent d’une grande salle au rez-de-chaussée d’une maison, et d’un terrain équipé d’une baraque. L’évènement est annoncé par un article du Progrès du Finistère le 2 juillet 1921.

Ergué-Gabéric.
Inauguration du Patronage. - Demain dimanche, 3 juillet, aura lieu l’inauguration du Patronage du Sacré-Cœur par Mgr Duparc, Ergué-Gabéric.
Inauguration du Patronage. - Demain dimanche, 3 juillet, aura lieu l’inauguration du Patronage du Sacré-Cœur par Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon, avec le concours de la « Phalange d’Arvor » et de la « Jeanne-d’Arc » de Quimper.
A 11 heures, messe pour les gymnastes, au bourg, à l’église paroissiale. Allocution de M. Le Goasguen, directeur de la « Phalange ».
Après la messe, départ pour l’Hôtel, dîner. A 2 h, arrivée de Mgr Duparc. A 2 h ½, vêpres dans la baraque, bénédiction de la statue, du drapeau. Allocution de Mgr Duparc. A 4 h, mouvements d’ensemble, exercices aux agrès, ballet des Pierrots.
Rendez-vous dimanche matin, à 11 heures moins quart, dans l’allée de Pennarun.
Le directeur : Le Gall, vicaire

Les « Paotred Dispount » se sont constitués sur le modèle de la « Phalange d’Arvor » : un lieu convenant aux activités, une bonne équipe de gymnastes accompagnée d’une clique ; une équipe de football de bon niveau, et enfin des cours de préparation militaire conduisant à la participation à des concours de tir et à l’examen du Certificat de Préparation au Service Militaire. Ainsi, à l’issue de la 2ème session d’examen sanctionnant la préparation militaire de la classe 22, organisé à Quimper, nous verrons apparaître parmi les candidats à qui est attribué le C.P.S.M. deux sociétaires des « Paotred » : Pierre Quéré et Marcel Le Gallès (Le Finistère du 16 septembre 1922).

Les « Paotred Dispount » sont prêts pour assurer une très belle prestation à Odet à l’occasion des Fêtes du centenaire des Papeteries Bolloré en juin 1922, pour la plus grande satisfaction de René Bolloré, leur président, et de ses invités.

A suivre…

 
  1. Georges Koechlin, né en 1872, est le fils d’un industriel de Mulhouse fortement engagé dans la guerre de 1870 contre l’occupation allemande. Il se replia en Suisse, puis à Paris et enfin à Bénodet, où il construisit une villa qui devint l’Hôtel Kermor. Le fils partage les idées républicaines et l’esprit de revanche du père. Lieutenant de réserve au 118ème R.I. de Quimper, il habite Quimper. Il est entomologiste de profession.
  2. Journal républicain fondé par Louis Hémon en 1872. Louis Hémon aura été député de Quimper de 1876 à 1885 et de 1889 à 1912, puis sénateur jusqu’à sa mort en 1914. - Le délégué du l’U.S.T.F (Union des Sociétés de tir de France) est M. Georges Koechlin. - M. Le Roux, propriétaire, est probablement Jean-Louis Le Roux, de Lezouanac’h, leader des républicains, conseiller municipal et délégué cantonal auprès des écoles publiques, futur maire de 1925 à 1929.
  3. Cette déclaration officielle semble préférer la traduction en français du véritable nom : « Paotred dispount ».
  4. Le « Stade Quimpérois » a vu le jour sous la forme d’association déclarée en 1905. Des matchs de football se déroulaient dès 1904 entre lycéens sur le plateau de la Déesse, ou au vélodrome du Véloce-Club ou au champ de manœuvre sur le Frugy. Le « Stade Quimpérois » eut d’abord le même président que « la Quimpéroise » un professeur du Lycée, François Parent… Le « Stade Q » dominait avant la guerre de 14-18 le championnat de Basse Bretagne avec l’A.S. Lambézellec. Il doit se reconstruire après la guerre.
  5. Cette appellation est rarement attestée. Les salles de patronage étaient souvent dédiées à un saint, dont elles portaient le nom. Le patronage lui-même prenait ou ne prenait pas le nom de ce saint pour se désigner lui-même.
 
François Ac'h - keleier Arkae 77 - février 2013
 

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