Bretonnismes et français de Quimper

V’la bien trois s’maines passées maint’nant qu’Hervé Lossec, un gars du Nord (non pas un ch’ti, du Nord-Finistère, du Léon quoi) est venu au Grand-Ergué « conférencer » sur comment qu’on cause ! À l’entendre, on voyait bien que çui-là faisait un peu la moque à nous. Pourtant ici on cause comme ça depuis longtemps, sans faire plus de chichi que ça.

Le français de Quimper, Léon Le BerreLes françismes avant les bretonnismes ?
En 1913 Louis Flatrès, Mellenig parti enseigner au Cloître-Saint-Thégonnec, écrit un petit opuscule Contribution aux efforts d’amélioration de l’enseignement du français et en particulier de la composition française dans les écoles rurales bretonnes, publié en 1920. Véritable hussard de la République, il se fait le défenseur intransigeant de la langue de la République : « Quiconque pénètre sur le territoire de l’école doit laisser la breton à la porte ». Cependant, c’est aussi un bretonnant et fin observateur, qui ne manque pas, avec beaucoup de tendresse et d’humour, de constater les limites de cette affirmation : « Il arrive que le seuil de la porte tranche une phrase en deux tronçons : la tête est bretonne, la queue française… Bien entendu, le français qui se parle dans la cour n’a que de lointain rapports avec la langue de Voltaire. Chaque école a son jargon comme chaque commune son breton et son costume ». Mais il nous fait aussi découvrir que bien souvent, notamment dans les campagnes, c’est le français qui avait d’abord pénétré le breton. Ce qui se traduisait par un langage bien particulier, un françisisme tout aussi original, savoureux et cocasse que le futur bretonnisme: « en sus du breton du pays, fort correct, totalement incompréhensible aux galloued, il y a le breton cuisiné à la française, breton intermédiaire de haute fantaisie, accessible aux non-celtisants : « Ar chef de gare a oa absent pa oa survent an accident gant an train marchandis – An offiçour a deuz punisset ar zoudard evit e fusul mal astiket – Ar répartitourien a zo convoket d’ar mairie vit receo an déclaration var sujet ar mutationou.  » Les deux langues se pénètrent, non sans se déformer mutuellement. Certains mots en sortent curieusement estropiés : ficelle devient sifel et biscuit guispi. Mais, évidemment, le bretonnisme n’est déjà plus très loin. Et il multiplie les exemples de conversation avec ses interlocuteurs locaux: « Oui, oui, je comprends le français. C’est l’habitude que je n’ai pas. Je ne sais pas le disscliper bien. J’ai pas été soldat. Alors j’ai pas fait grand’chose avec mon français. Pourtant j’étais bon à l’école. J’ai été chercher mon certificat. »

Histoire de prononciation, de syntaxe et de vocabulaire…
Mais déjà l’inverse avait aussi commencé, la pénétration du français par le breton. En 1854, Jean-Marie Déguignet arrivant à Lorient pour s’engager dans le 37e régiment d’infanterie, ne comprend rien de ce que lui dit le planton : «Tonnerre, pensai-je, alors le français n’est donc pas partout le même? Car là-bas à Quimper je comprenais beaucoup de mots, tandis qu’ici je ne comprends pas un seul. » Quant au sergent-major, « il parlait un autre langage que le planton, quoique avec un accent qui n’était pas celui des Français de Quimper ».
Quel est donc ce langage si particulier à Quimper ? En 1909 une première étude est publiée par Henri Kervarec, professeur au lycée La Tour-d’Auvergne à Quimper, dans Les Annales de Bretagne, "Le parler français de Quimper" : « Ce parler présente, au point de vue de la prononciation, du vocabulaire, de la syntaxe des caractères qu’il n’est peut-être pas sans intérêt de noter ». Puis il propose un petit dictionnaire des principaux mots et expressions usités dans notre région. Sa carrière le mène ensuite à Marseille, où il n’a semble-t-il pas continué à étudier les parlers locaux. Quel dommage, oh ! peuchère.
L’année suivante, dans la même revue, le Quimpérois Charles Armand Picquenard, médecin de son état, reprend les mêmes théories de Kervarec, y ajoutant, en tant qu’autochtone, un certain attachement : « C’est une langue rude, parfois un peu verte ; les commères qui en font le véhicule de leur éloquence naturelle ont parfois l’air drolatique ; mais à tout prendre ce parler populaire a de la saveur, de la vie, et sa rudesse apparente ne nuit en rien à sa plasticité ». Puis il explique que « le parler populaire de Quimper n’a aucune littérature traditionnelle; aucune grammaire, aucun dictionnaire spécial ne lui ont assigné des règles ou des formes bien définies ; chaque jour, il est exposé à varier selon le caprice, la tournure d’esprit de chacune des individualités qui en font usage ». Qui n’a pas rêvé d’une telle langue, sans erreur de grammaire, sans faute d’orthographe…
C’est dans la continuité de leurs travaux, qu’Hervé Lossec a publié, avec le succès que l’on sait, ses Bretonnismes… cent ans plus tard. Avant le siècle, c’est pas le siècle!

Le quimpertin
Mais au diable les linguistes, grammairiens et autres technocrates de la langue. Quelques hommes de lettres allaient donner à ce parler local la tradition littéraire qu’il n’avait pas. Dès 1913, Léon Le Berre, Abalor de son nom de barde, natif du P’tit-Ergué écrit, avec son complice Daniel Bernard, Paôtr-ar-c’hap, un gars du Cap (non pas Horn, mais Sizun), une comédie en trois actes dans cet idiome local, Français de Quimpertin – Galleg Kemper. L’extension -tin, diminutif de Corentin, allait donner un nom à ce parler local, le Quimpertin, plus tard, beaucoup plus tard, traduit en breton Kempertin. Dans sa préface, Anatole Le Braz, Quimpérois de 1886 à 1901, est plein de commisération pour ce petit peuple condamné « par une pédagogie absurde à pratiquer […] le mélange adultère, la contamination réciproque des deux langues ». Puis il s’étend sur « la misère linguistique d’un peuple qui, ayant à sa disposition deux beaux idiomes, n’a réussi, par la faute de ses éducateurs, qu’à les amalgamer au moyen d’une affreuse cuisine verbale, dans le plus hétéroclite et le plus burlesque des jargons ».
Replacée dans le contexte de l’époque, cette comédie a pour objet de ridiculiser ces Bretons pédants, qui s’essaient au français pour faire chic, mais se ridiculisent dans un baragouinage approximatif au grand plaisir des citadins. Ainsi Le Balc’h, l’un des personnages de la pièce qui « pour quelques vocables de pacotille, glanés sur les pas de ses bœufs, à courir les exhibitions agricoles de Paris ou d’ailleurs, s’estime un grand clerc. Fi du brezonek natal ! Baragouin de barbares, patois informe d’arriérés, demandez plutôt aux civilisés de la ville. Comme eux, il prétend être un civilisé, lui. Témoin, le poireau qui orne la boutonnière de sa veste. Il ne se doute pas, le pauvre Le Balc’h, que le poireau par essence, c’est lui, car il est l’homme qui a perdu sa langue ; et qui perd sa langue perd du même coup sa cervelle ». Et Le Braz tire de cette pièce, « un peu de la famille des Précieuses ridicules », une leçon: « Bretons, ne singeons pas les Français: nous ne ferions rien avec grâce. Soyons simplement, bravement, délibérément nous-mêmes ». Avant de conclure: « On dit qu’en France le ridicule tue; il serait à souhaiter qu’il en fût de même en Bretagne et que cette satire vengeresse dégoûtât pour jamais d’un langage qui n’a de nom dans aucune langue, non seulement les Le Balc’h, mais encore les Jennie et les Julien de l’avenir ».

Un langage bâtard
A la suite de Le Braz, les auteurs avertissent que l’intérêt de leur comédie : 
« ne réside ni dans l’intrigue ni dans le choc des passions. Elle n’a d’autre but que de peindre au vrai, la vie populaire et citadine d’un coin de notre Basse-Bretagne moderne, en lui empruntant ses formes de langage […] Puissent les ridicules que nous faisons ressortir, contribuer, du moins, à remettre nos compatriotes sur le droit chemin du Progrès intellectuel, dans la Tradition bretonne. On rougit trop souvent, hélas d’être breton, et cette mauvaise honte a envahi les campagnes avoisinant les villes. Ce qui se passe à Quimpertin, se passe aussi à Quemper-Guezennec, à Morlaix, à Lannion, à Lorient… Changez quelques expressions, modifiez un peu l’accent, et d’un bout à l’autre du pays, vous retrouverez la Pensée bretonne empêtrée dans des oripeaux mal taillés, ce même langage bâtard qui n’est ni le breton, ni le français, bien qu’on le désigne, avec une sincérité grotesquement touchante, sous ce dernier terme. L’Ecole pourrait beaucoup, si elle voulait sérieusement enrayer les progrès de ce jargon. Nous le disons avec regret : elle en est, malgré elle, la principale instigatrice. Tant que dans les hautes sphères de l’Instruction Publique, en Bretagne, on s’obstinera à écarter le système bilingue en honneur chez nos frères de Galles, tant qu’on négligera la grammaire comparée, l’enseignement du français chez les enfants du Peuple, citadins ou ruraux, sera un enseignement boiteux et inutile. Nos compatriotes ne sauront jamais le français, tout en s‘imaginant le posséder à fond. Loin de nous, de suggérer que ce langage, très spécial, n’ait un grand nombre de mots et d’expressions qui ont acquis le droit de cité dans nos villes bretonnes. Certes, les commères qui virent pendre Marion du Faouët ou qui, pour les 14-Juillet, bourouettaient en compagnie des dames de la noblesse et de la bourgeoisie, les matériaux du tertre où officierait Gomaire, durent en beurdasser et en flepper tout leur saoul ! Nous accorderons même que le Quimpérois possède un certain charme de terroir, mais nous ne croyons pas qu’il faille en tolérer l’accroissement quotidien. Komzomp brezoneg hag eur brezoneg iac’h ha difazi. Brezoneg eo Ene, kig ha mell-kein hon Broadelez-ni, met pa gomzer e galleg, iez, an oll Fransizien, diskouezomp da bep Gall, n’euz par d’eur Breizad, evit gallegât a zoare ! [Parlons breton et un breton sain et sans faute. La langue bretonne est l’âme, la substance et la moelle épinière de notre nationalité, mais quand nous parlons français, la langue de l’ensemble des français, montrons à chaque français qu’il n’y a pas meilleur qu’un breton pour parler un français de qualité !] »

Et de débuter la pièce :

SCENE I, ACTE I

- JENNIE : Mon Dieu, aussi donc ! C’est ici que c’est qu’y a du bec’h, aujourd’hui enfin!
- JULIEN : Gast ! Oueï alors ! Capable assez tout le monde aller à être fou avec !
- JENNIE : Me’nant, c’est faut que tu vas à renvoyer la bidon de pétrole chez la marquiss’ ! Reste pas à faire ton jouass, car y a la presse!
- JULIEN : La marquiss’ c’est, tu dis? Çall’ là qu’all est pisse! eune sacrée Marie Skrangn ; qu’all’ est pas seu’ment, pour donner deux sous de pratiques, quand c’est qu’on va lui envoyer des commissions!
- JENNIE : Sur vat ! pour rôder, çall’-là, all’sait, mais y faudrait la hijer pour qu’all’ ouvre sa porte-monnaie.
…/…

« Moi, au moins, je parle français un petit peu ! »
Mais si la dérision peut s’appliquer à cette époque à ces précieux ridicules, il ne peut en être de même pour tous ces braves gens du peuple pour qui l’expression en français devient au fil des années de plus en plus indispensable et qui en éprouve mille difficultés. A l’image de Julig, dont Pierre-Jakès Hélias relate, dans Le cheval d’orgueil, la peine à s’exprimer en français, mais fier malgré tout, avec son quimpertin, de pouvoir se faire comprendre, se plaignant d’un individu qui se moque de lui : « Celui-là se moque de moi en plein milieu de ma figure parce qu’il y a du mauvais français avec moi sur ma langue. Mais moi, au moins, je parle français un petit peu. Et même je vois que les gens me comprennent à peu près puisqu’ils me répondent de retour. Et lui, il n’entend ni la queue ni la tête quand je parle en breton, il n’est capable de dire yehed mad ni brao an amzer. Lequel est plus bête de nous deux ? Il dit aussi que j’ai un accent drôle, moi. J’ai l’accent que j’ai, quoi. Pour vous dire, j’ai entendu des fois, à la télévision, des étrangers, quoi. Des Allemands, des Américains, des grosses têtes de la politique, des savants et tout, est-ce que je sais, moi ! Ils parlaient français avec une cravate autour du cou et des chemises qui dépassaient leurs manches. Et beaucoup de ceux-là, presque tous pour dire, ils avaient un accent, terrible que c’était. Et moi, je comprenais quand même à peu près tout avec eux, même que je voyais qu’ils faisaient des fautes. Est-ce qu’on se moque de ceux-là ? Il n’y a plus de conscience dans le monde parmi les gens. »
L’époque est donc aux moqueries. Les citadins se moquent des paysans, qui le leur rendent bien, ainsi que s’en fait l’écho l’auteur du Cheval d’orgueil : « Au lycée de Quimper, les petits bretonnants que nous sommes seront moqués par les externes de la ville, qui parlent un affreux quimpertin et transforment tous les r en a : feame la poate donc ! Meade aloa ! Nous parlons tout de même aussi bien que ceux-là gast ! » Mais on va de moins en moins se moquer, car ce langage va de plus en plus se généraliser. Et il va même acquérir une certaine noblesse dans les lettres !

Le temps des poètes
Max Jacob, qui ne parlait pas breton, se repaissait de ce langage, tant des expressions que de sa sonorité. Et Pierre-Jakez Hélias pense d’ailleurs qu’il est à l’origine des propres langages du poète, comme de ses styles, déconcertant pour tout autre qu’un bretonnant de naissance. Lorsqu’il revenait à Quimper, le poète adorait se rendre dans quelques boutiques uniquement pour entendre les conversations des mégères quimpéroises. Sur ses vieux jours l’écrivain bigouden partit sur les traces de Max le Quimpérois. Dans Le piéton de Quimper, il évoque abondamment l’influence du quimpertin sur le poète : «Toujours il sera friand de ce parler populaire dont la lettre lui échappera, mais non l’esprit. C’est ainsi qu’il se plaira beaucoup à suivre, entre les deux guerres, l’envahissement progressif du breton par le français, source de bien des faux sens hilarants, mais aussi de précieuses révélations sur le génie de la première langue et l’état d’esprit de ses pratiquants, sur une psychologie naïve au premier abord, mais quelquefois très ouverte sur les mystères de la création et les problèmes de la créature. Monsieur Max va collecter avec soin ces faux sens apparents, quitte à s’en amuser d’abord avant d’en faire l’objet de ses plus profondes méditations ». 
Et encore : « Plus excitantes, plus bénéfiques encore, sont les conversations échangées, dans les rues populaires du centre, en français de Quimper que l’on appelle quimpertin. Voilà près d’un demi-siècle que le petit peuple de la ville-capitale, venu des bourgs et des hameaux bretonnants de la Cornouaille du Sud, pour occuper des emplois de services ou tenir des commerces de détail dans les proches faubourgs, s’initie péniblement à la langue bourgeoise. C’est aussi difficile pour ces gens-là que pour les bourgeois francisants d’apprendre le breton. Ce sont les mêmes fautes qui se commettent dans les deux sens, de l’une à l’autre langue ou de l’autre à l’une. Il y a des ordres de mots dans la phrase, des accents, des respirations même qui sont rebelles à la transplantation, parce que les racines linguistiques sont invétérées. Max Jacob, depuis qu’il était enfant, s’est réjoui de ce phénomène, parfois générateur de contresens hilarants, avant d’y reconnaître une preuve d’authenticité, un signe d’originalité native et sans apprêt. Bien sûr, il s’est amusé à pasticher, à parodier même le quimpertin, il est allé jusqu’à l’enrichir sur sa lancée, mais il a su également s’en servir adroitement pour faire parler à certains de ses personnages le langage qui était le leur et qui serrait du plus près possible leur vérité ».

De Jeanne Le Lorit à Marie Le Bolloch
Dès son premier recueil de poèmes, La côte, publié en 1911, Max Jacob distille quelques vers typiquement locaux. Ainsi dans sa fausse gwerz, Jeanne Le Lorit : « Jeanne Le Lorit n’a écouté que la chaleur de la nature. Maintenant Jeanne Le Lorit a tout lieu de se repentir. Un enfant elle a eu, son enfant elle a tué. Maintenant Jeanne Le Lorit est en prison à se ronger les ongles ». Et dans Les Korrigans : «Quand je suis revenu de la foire de Morlaix, j’ai passé près du fossé du château, le trou du diable. Comme de soleil il n’y avait plus au ciel ni sur terre je faisais le signe de la croix et je disais des avé». Il parsème à nouveau de quelques vers de quimpertin son recueil de Poèmes de Morven le Gaëlique, en 1926:

Le conscrit de Landudec

Un beau cheval que j’aurais, oui, que j’aurais
si officier je devenais
à l’armée, à l’armée
à l’armée donc
Toutes les filles avec des bouquets, oui, des bouquets
à tous les balcons sur le quai
à l’armée, à l’armée
à l’armée donc
Laouïk vous viderez le baquet, oui, le baquet
des épluchures vous tirerez
à l’armée, à l’armée
à l’armée donc
…/…

 

Enterrement en Bretagne

Beaucoup de chagrin pour la mort
de votre mari vous n’avez pas encor
Voilà huit jours que la maison est pleine
et les bols de café sont pleins également.
Du temps vous n’avez pas eu pour pleurer
le soir de la mort les voitures sont arrivées
…/ …

Mais le summum de sa poésie quimpertinoise se trouve dans Cinematoma, ouvrage publié en 1929, dans lequel il relate, entre autres, les aventures de Marie Le Bolloc’h , de Saint-Oâ, Celle qui a trouvé un mari, qui, après avoir fauté avec Corentin Leborgne, tue son enfant, l’enterre, se fait arrêter, émeut le président du tribunal qui la libère, et qui, dans l’affaire, trouvera un mari :
…/… « Corentin! Regardez le ventre que j’ai pris avec vous ! »…
…« Mon Dieu, que je dis après, cet enfant là sera mieux dans la terre du cimetière que je dis. Me voilà partie avec le petit dans mon tablier, tout droit au cimetière, alors donc »…
… « Qui qui aurait eu l’idée d’aller le chercher, le pauvre petit mignon ! Corentin, vous savez, c’est rapport à vous s’il est arrivé un malheur!» que je lui dis. Mais Corentin n’a rien dit. Ah ! ça c’est vrai qu’il n’y a rien de bon à gagner autour des hommes ! »

Heureusement l’avocat, « joli garçon tout à fait. Celui-là n’aurait pas été comme Corentin à me laisser faire cet enfant-là toute seule », plaide bien: « De sa faute il n’y a pas ! qu’il disait. Non : de ma faute il n’y a pas que je disais… Allez à la maison de retour, dit le président ». Et Corentin s’étant fait pardonner, « honte que j’ai eu », Marie est ravie de constater : « Si le malheur ne serait pas arrivé, Corentin ne se serait pas marié avec moi ». Et ce, malgré la réprobation de sœur Euphrasie : 
« - Marie Le Bolloch, vous êtes dans le péché pour toujours. 
- Dans le péché, je ne dis pas, sœur Euphrasie, mais mariée pour sûr, par exemple ! »

Le 25 mars 1936, Max Jacob écrit à une amie quimpéroise une lettre en quimpertin, parodiant Marie Le Bolloc’h :
« Ma chère commère
De l’eau, il y aura encore pour sûr avant les chaleurs. Mais s’il n’y aurait pas, les fleurs il n’y aurait pas non plus, n’est-ce pas ! Alors, bien obligé ! mais quand même que la rivière irait par-dessus bord dans le café Le Theuff, content je serais toujours d’aller au pays. On aime toujours son pays, n’est-ce pas ? Chacun, n’est-ce pas ? Je pense aller de retour dans une quinzaine travailler là-bas… ici il n’y a pas moyen de rien faire avec le "reuss" » qu’il y a. Et patati et patata et ça et ça et tout le monde à virer de côté et d’autre. Alors j’avais eu l’intention d’aller là-bas de retour mais voilà que j’ai une affaire ici encore pour une quinzaine. Les "Noctambules" comme on dit : un théâtre quoi ! Alors, je vais là tous les soirs réciter… oui… réciter ; alors, là j’aurai des sous et après alors, j’irai du côté de Douarnenez-Ploaré ; dans la maison de Monsieur Colle j’irai. » 

Bernez Rouz


Rapide présentation de la chapelle de Kerdévot

Ce texte est issu du dépliant disponible lors des visites guidées de l'été à la chapelle. Il a été établi sous le contrôle de Gaëlle Martin, adjointe au patrimoine d'Ergué-Gabéric, et traduit en plusieurs langues.

 

Kerdévot Photo Clélia Steczuk 2018Arrivant par une route sinueuse de campagne, on remarque la gracieuse flèche de la chapelle de Kerdévot, entre les frondaisons. Sur le placître, abrité par deux chênes séculaires, sont groupés la chapelle, le calvaire et la sacristie. A 300 mètres, dans le champ voisin, la fontaine. En entrant dans le porche sud, on est surpris par l’ampleur de l’édifice : 13 m de hauteur, 30 m de long. L’ensemble est harmonieux. Le plan est un simple rectangle, mais la séparation entre le chœur et la nef est soulignée par un puissant arc-diaphragme et autrefois par un jubé dont il reste un accès dans le mur. Le chevet est plat et percé d’une large baie axiale. Cette formule, très souvent utilisée en Bretagne, est d’origine anglaise. La chapelle est lambrissée. Comme fréquemment en Bretagne, on a utilisé le savoir-faire des charpentiers de marine. Libéré du problème de la poussée d’une voûte, on a pu hausser et ouvrir largement les arches des travées.

Un peu de chronologie
De style gothique flamboyant, la chapelle fut commencée par le chœur vers 1470 et achevée par la nef au début du XVIe. Le chœur est donc contemporain de la progression de la cathédrale et sous l’influence architecturale de ce chantier. Peut-être les maîtres d’œuvre ont-ils travaillé sur les deux chantiers en même temps ? Le clocher, écroulé le 2 février 1701, fut reconstruit l’année suivante. Le maître d’œuvre respecta le style gothique et ajouta des éléments de décoration classique (XVIIe). En réussissant le rapprochement de styles si différents, il fit preuve d’une parfaite maîtrise de son art. Par contre, la sacristie, datée 1705, est clairement du XVIIIe. La toiture à l’impériale, en forme de carène de navire renversée, est une belle réussite. C’est une forme savante héritée des modèles de la Renaissance française, introduite ici en milieu rural. Le calvaire (XVIe) est un des sept calvaires aux Apôtres du Finistère, mais il est très incomplet. Les statues des Apôtres n’ont peut-être jamais occupé leurs niches et le registre supérieur est vide des groupes sculptés qui devaient l’orner.

Pourquoi cette chapelle de campagne présente-t-elle une telle ampleur, une telle richesse ?
La tradition orale veut que la chapelle fut construite pour remercier la Vierge d’avoir arrêté, à la frontière des deux communes, la terrible épidémie de peste qui ravageait Elliant et menaçait Ergué-Gabéric. La « peste d’Elliant » a tellement frappé l’imagination populaire que son histoire est arrivée jusqu’à nous dans de multiples versions, dont une recueillie par Th. Hersart de la Villemarqué dans son livre le Barzaz Breiz, publié en 1839. Dans la réalité, il pourrait s’agir de l’épidémie de 1450, parmi les nombreuses autres épidémies de peste. 
Mais il faut aussi remarquer la grande abondance des armoiries et blasons (vitraux, façades). La noblesse locale s’est fait largement représenter pour ses dons. En effet, à la fin du XVe, cette classe sociale veut témoigner de son ascension dans un contexte politique favorable qui est celui du puissant Etat breton, créé par les ducs dans le courant du siècle. Les ducs eux-mêmes favorisent ce mouvement de rénovation du paysage architectural par une politique de mécénat. L’intérêt du pouvoir ducal pour la construction de Kerdévot se remarque ainsi sur la façade (hermine passante, bannière ducale) et sous le lambris (écu plein de Bretagne).

Les pièces du mobilier : retables et statues
pardon Kerdevot 2014 samedi 13 Benoît BondetLa fabrique de Kerdévot était donc assez riche pour s’offrir une belle construction et, par la suite, de belles pièces de mobilier pour en orner l’intérieur. Le retable flamand est en bois (chêne) polychrome et doré. Il raconte la vie de la Vierge en bas : la Nativité, la Dormition, les Funérailles. En haut, l’Adoration des mages, le Couronnement, la Présentation au temple. Il devait aussi comporter des volets peints. Les trois panneaux du bas et le panneau du couronnement ont été réalisés vers 1500 dans les ateliers d’Anvers. Au XVIIe siècle, un artiste breton a sculpté les deux panneaux du haut, à droite et à gauche. Connaissant l’importance des relations commerciales maritimes entre la Bretagne et les Flandres, on peut supposer qu’il est venu par mer. Mais quand ? Nous n’avons aucune information sur ce sujet. Ce retable a malheureusement été victime d’un vol en 1973. De nombreuses statuettes ont été dérobées. Aujourd’hui sa protection est assurée.
A gauche, la Vierge de Kerdévot est assise sur un trône imposant. Cette Vierge à l’Enfant affirme le triomphe de la maternité. Etant donnés le style et le décor Renaissance, c’est peut-être une œuvre fin XVe, importée d’Italie ou d’influence italienne. On possède peu d’informations sur cette statue remarquable. A droite, une Vierge de la Victoire foule le démon de son pied gauche et présente son enfant de front. Elle peut dater du début XVIIIe.
Quant aux retables des bas-côtés : à droite, celui de la Déploration serait peut-être de la fin XVe et de style hispanisant ; à gauche, le baptême du Christ a été volé en 1973. Il est remplacé par une Epiphanie, peut-être réalisée par un artisan local vers la fin du XVIe. L’encadrement est du XVIIIe.
Une statue de Saint Thélo, chevauchant un cerf, doit être du début du XVIIe. La crucufixion, au nord, est une œuvre composite difficile à dater.


Carte des constructions Bolloré à Odet

Cliquez sur les noms pour ouvrir les articles.Carte patrimoine Bolloré à Odet

Ancienne usine Bolloré Bolloré Technologie Ancienne cité ouvrière de Keranna Chapelle de l'usine Écoles privées Chapelle de Keranna Canal Terrain de Sport


Le Keleier est notre bulletin de liaison. Ce terme breton, au pluriel, veut tout simplement dire "informations". Depuis sa création en avril 2000, le Keleier compte plus de 100 exemplaires, riches de l'activité et des recherches de l'association. Il est aujourd'hui distribué aux adhérents, au rythme de quatre à cinq numéros par an. Études historiques, dossiers spéciaux, documents d'archive, agenda... les bulletin d'Arkae constituent un support de collecte de souvenirs et d'informations entre les adhérents de l'association Arkae. Si vous n'êtes pas adhérent, vous pouvez vous procurer le keleier pour 2 euros (4,50 euros pour les 16 pages) au local d'Arkae ou nous en faire la demande par mail et voie postale. Nous disposons de tous les numéros, version imprimée ou numérique. Les études contenues dans nos keleiers sont progressivement mises en ligne, après épuisement des versions imprimées.

Tous nos keleiers

  1. Avril 2000. Naissance du « Keleier » et origine d’Arkae / Le chantier de la chapelle Saint-Guénolé / Création du Centre de Recherche et de Documentation J.-M. Déguignet
  2. Mai 2000. Le chantier de la chapelle Saint-Guénolé / Toponymie : Balannou
  3. Juin 2000. Pascal Rode met en musique les Mémoires de J.M. Déguignet / Toponymie : Beg ar Menez
  4. Juillet 2000. Spécial Saint-Guénolé + supplément.
  5. Septembre 2000. La Vierge de Croas ar gac / L’Association « Les amis de Saint-André »
  6. Octobre 2000. Août 1944 : souvenirs d’un gamin, réfugié lorientais, au Bourg / Toponymie : noms de lieu en -koad
  7. Novembre 2000. Les vergers de Pennarun /Toponymie : noms de lieu en -kili
  8. Décembre 2000. La chapelle Saint-Guénolé / Ergué par les plantes / La famille Péron de Kernoas
  9. Janvier 2001. Des inondations / Ergué par les plantes
  10. Février 2001. Recensement chez les chauves-souris / La religion dans les noms de lieu (Loqueltas…)
  11. Mars 2001. La chanson du Stangala / Toponymie : Locqueltas (suite)
  12. Avril 2001. Morceaux choisis de « Barz Kerdevot » /Toponymie : Tréodet
  13. Octobre 2001. Poèmes des CM2 de St Joseph / Toponymie : Bodenn
  14. Novembre 2001. Exposition « Les mille ans d’Ergué-Gabéric » / Guillaume Kergourlay, les mémoires d'un Elliantais
  15. Décembre 2001. Le trésor du Seigneur de Pennarun
  16. Janvier 2002. Visite de l’église Saint-Guinal
  17. Février 2002. La croix de Tréodet ou de Kerrous – la fontaine
  18. Mars 2002. Alain Conan, cantonnier du Bourg (années 1940)
  19. Avril 2002. Toponymie : Croas Spern
  20. Mai 2002. Histoire du patronage d’Odet
  21. Septembre 2002. Deux stagiaires pendant l’été
  22. Octobre 2002. Inventaire archéologique
  23. Novembre 2002. Le suicide d’un sonneur en pleines noces (1728)
  24. Décembre 2002. Le suicide d’un sonneur (suite et fin)
  25. Janvier 2003. La ferme de Lanig Chiquet à Guilly vian
  26. Février 2003. Lost ar guillec
  27. Mars 2003. L’orgue Dallam
  28. Avril 2003. Notes d’Anatole Le Braz sur le patrimoine gabéricois
  29. Septembre 2003. Souvenirs de Marie Anne Coatalem, de Stang ven
  30. Octobre 2003. Les inhumations foraines
  31. Novembre 2003. Le métier d’archiviste : Nathalie Calvez
  32. Décembre 2003. Histoire de l’octroi à Ergué-Gabéric
  33. Février 2004. Le placître de Kerdévot
  34. Mars 2004. Le « Grand Terrier » de la carte de Cassini
  35. Septembre 2004. L’orgue Dallam en concerts
  36. Octobre 2004. Témoignages sur des faits de résistance (« Coup du S.T.O. »)
  37. Janvier 2005. Souvenirs d’une écolière (Marie Gourmelen, 1917-1922)
  38. Mars 2005. 1939-1945 : les 23 « Morts pour la France » d’Ergué-Gabéric
  39. Juin 2005. Des prisonniers de guerre allemands dans les fermes d’Ergué-Gabéric / Expressions gabéricoises
  40. Septembre 2005. 1939-1945 : les Morts pour la guerre de 1939-1945 (suite) / Recensement de 1790 – Le Bourg d’Ergué / Exposition Gaby Pelleter, Helmut Homilius / Alain Quelven
  41. Novembre 2005. Norbert Bernard / Les anciens moulins d’Ergué-Gabéric
  42. Janvier 2006. Cloches d’Ergué-Gabéric : Saint-André et Kerdévot
  43. Février 2006. Signalisation bilingue / Helmut Homilius
  44. Mai 2006. La vie politique à Ergué-Gabéric sous la Ve République / Le camp de prisonniers de Lanniron
  45. Juillet 2006. Deux enclos paroissiaux à Ergué-Gabéric / Marie Salaün, sonneuse de glas
  46. Septembre 2006. Jean-Louis Morvan, recteur de 1969 à 1981 / Lettre d’un « poilu » (Pot Bihan Bouden)
  47. Octobre 2006. L’Abbé Gustave Guéguen, au sujet du chemin de « Carn ar Gosquer »
  48. Janvier 2007. En 1956, on a vendangé le muscadet à Keranguéo / 1839-1844 : alcoolisme et prohibition à Ergué-Gabéric
  49. Mars 2007. Diaporama du Centenaire / La mine d’antimoine de Kerdévot-Niverrot / L'interdit du breton
  50. Mai 2007. Jean Bernard, de Garsalec, artisan menuisier / Marcel Flochlay, un champion cycliste
  51. Juin 2007. Le calvaire de Kerdévot / Le recteur, son jardinier et les deux visiteurs
  52. Octobre 2007. De l’argile et des potiers à Ergué-Gabéric
  53. Décembre 2007. La saga Bolloré : entre histoire et légende / Les « lessiveuses » d’autrefois
  54. Février 2008. Les pavés de Saint-Chéron / Les élections municipales du 4 juin 1893
  55. Mai 2008. « La Croix Saint-André », un carrefour de vies
  56. Février 2009. Jean-Marie Déguignet et la Justice / Guerre 14-18 : tous mobilisés
  57. Mai 2009. La rénovation du four à pain de Kerfrès / « An tri-uguent », Les trois frères Huguen / Le Jeudi Saint
  58. Juillet 2009. Jean René Even : témoignage sur la mine d’antimoine / Jean Bernard, une fine gaule
  59. Octobre 2009. Le tremblement de terre de 1959 / Les cahiers des doléances de 1789 / Un règlement d’eau de 1835
  60. Novembre 2009. « Chas ar vorc’h », les gamins du Bourg / « Va buhez », chanson de Jos ar Saoz
  61. Janvier 2010. Construire au Bourg en 1722 / Aménagement du Bourg en 1936-1939
  62. Mars 2010. Naissance du « Grand Quimper » en 1960 / « Plas an Itron », une ferme au Bourg
  63. Juin 2010. Poème du Stangala / Le quartier de Tréodet autrefois / Ergué-Gabéric, terre de « Bonnets rouges »
  64. Septembre 2010. Des Gabéricois à la guerre de 1870 / Un pèlerinage à Kerdévot le 20 mars 1871 / Le saccage du retable de Kerdevot en 1973
  65. Octobre 2010. Marjan Mao et Jos ar Saoz, chanteurs traditionnels
  66. Janvier 2011. 1811, mort d’Alain Dumoulin / 1911, le clocher de St-Guénolé abattu par la foudre / 1941, arrivée du recteur Gustave Guéguen à Ergué
  67. Mars 2011. Fours à pain en granit / Boulangers et boulangeries à Ergué-Gabéric
  68. Juin 2011. Les municipalités d’Ergué-gabéric sous la Révolution
  69. Septembre 2011. Un entretien avec Gwenn-Aël Bolloré en 2001
  70. Novembre 2011. Deux vols de tabac à rgué-Gabéric en 1944
  71. Janvier 2012. Les Résistants de Lestonan : Jeanne Lazou, Mathias Le Louët…
  72. Mars 2012. Les laitiers d’Ergué-Gabéric, livreurs de lait à Quimper
  73. Avril 2012. Fric-Frac à Kerdevot en 1773 / Les bretonnismes de J.M. Déguignet
  74. Juin 2012. Deux manifestations à Kerdévot : celle pro-pétainiste du 15 août 1942 et celle de l’armistice le 7 mai 1945
  75. Septembre 2012. L’école publique de Lestonan, de 1967 à 1975
  76. Décembre 2012. Pierre Nédélec, guérisseur de la rage / Attention, chiens enragés
  77. Février 2013. Le comité de tir d’Ergué-Gabéric de 1909 à 1814
  78. Mars 2013. 1909-1913 : ça a changé au presbytère (contexte de la création du patronage)
  79. Juillet 2013. Gabéricois titulaires de la médaile de Sainte-Hélène / Le transfert du retable de Kerdevot en 1944
  80. Septembre 2013. La Constellation de l'Hermine / Un retour de la moule perlière d’eau douce ? / Le retable de Kerdevot raconté par Jean Guéguen / Le dossier belge d'Arkae : retable et guerre 14
  81. Janvier 2013. "En revenant de Kerdevot" par Léon Le Berre / La commune aux 77 vallées / Un pèlerinage à Kerdevot sous Louis XIV
  82. Mars 2014. Le "coup du STO" le 14 janvier 1944 / Le Stangala inattendu d'André Guilcher
  83. Juillet-août 2014. La Libération d’Ergué-Gabéric (3-10 août 1944)
  84. Octobre 2014. Des femmes dans la vie politique gabéricoise / Les maires d'Ergué-Gabéric / Le cantique de Kerdevot utilisé par la propagande royaliste
  85. Décembre 2014. La mort d’un jeune réfugié lorientais fin juin 1944 / Yves Le Gars, itinéraire d’un Gabéricois en 14-18 / Errata
  86. Janvier 2015. La JAC à Ergué-Gabéric dans les années 30 / Portraits 14-18 : Alain Henry et Pierre Clère
  87. Mars 2015. Les patronymes Glever et Le Jour / Le foot à Ergué de 1940 à 1945 / An nec'h : le "haut" en breton
  88. Juillet 2015. Histoire de l’électrification d’Ergué-Gabéric
  89. Octobre 2015. La statue de N-D de Kerdévot s'est déplacée / Meo et mezvez : "saoûl" en breton
  90. Décembre 2015. 1956 : une mairie neuve à Ergué / 14-18 : Corentin et Catherine Calvez / Ar vourc'h : "le bourg" en breton
  91. Février 2016 La translation du bourg d'Ergué-Gabéric / Le nom de lieu Penn Karront Lestonan
  92. Avril 2016. Spécial Crêpes : L'histoire d'une transmission / Différentes sortes de crêpes / Le poêle à crêpes / Crêperies et crêpes à emporter / Krampouz : "crêpe" en breton
  93. Mai 2016. Hommage à Jean Le Corre / Le Bourg dans les années 1930 par Jean Thomas
  94. Décembre 2016. Le cidre A.O.C de Cornouaille / Réflexions sur l'évolution de l'A.O.C / A.O.P / La confrérie des Maîtres-Cidriers de Bretagne / Le cidre au bourg d'Elliant / Le vocabulaire breton du cidre
  95. Février 2017. Origine des bannières paroissiales / Le patrimoine religieux d'Ergué-Gabéric / Présentation de trois bannières locales / Le cidre à Kerhamus
  96. Mars 2017. La race bovine Bretonne Pie-Noir / Les éleveurs sélectionneurs de Bretonne Pie-Noir à Ergué-Gabéric / Histoire de la lecture à Ergué-Gabéric
  97. Octobre 2017. Kerrous, fin de 53 ans d'activité / Un mois à Kerdevot... / Jean Louet
  98. Décembre 2017. Premiers résultats des fouilles de Park al Lann / Le tumulus de Saint André / Fouilles de la Salverte et du Melenec
  99. Février 2018. Quand Louis Le Guennec se promène à Ergué-Gabéric / Sur les pas de Louis Le Guennec
  100. Avril 2018. Numéro spécial 100e Keleier / Ergué-Gabéric en photos
  101. Septembre 2018. Le canal de la Papeterie d'Odet / Le sommaire des 100 premiers numéros du Keleier
  102. Novembre 2018. F. M. Moullec, victime de la "dernière patrouille" / J.-L. Huguen, la Grande Guerre puis la guerre du Levant
  103. Janvier 2019. Les pardons à Ergué-Gabéric
  104. Avril 2019. Vers un nouvel aménagement du bourg / Ar Groaz Ver / Stangala, vallée de poètes / Appel à témoins de la cinémathèque / Les salaisons Gouiffès.
  105. Juin 2019. La conscription sous la Seconde République / Un retable flamand ignoré : la mise au tombeau de Rosporden
  106. Octobre 2019. 1904-1905, années troubles : un "reuz" à Saint-André ou Le sourire de Jean Balès
  107. Décembre 2019. 1909, "un souffle d'enfer passa sur la paroisse"
  108. Février 2020. Fêtes et bals dans l'entre-deux-guerres
  109. Juillet 2020. Kerdévot : le temps des miracles
  110. Septembre 2020. Juin 1940 : Lanig Chiquet raconte... / Occupation et libération : enquête de 1949 à Ergué / 1942, l'électricité à Lost ar Guillec / Merci Marie-Annick Lemoine
  111. Octobre 2020 : 1894-1897 : La Caisse rurale de crédit d'Ergué-Gabéric
  112. Mars 2021. 1939-1945 : Le maire, le corps municipal et le syndic / 1940-1945 : Le maire face aux réquisitions / 1943 : Des réquisitions d’écoles. Supplément : Mois du breton : les Koñchennoù à l’honneur dans une nouvelle édition en ligne.
  113. Juin 2021. 1939-1945 : Réquisitions et ravitaillement, du champ de blé au pain sur la table.
  114. Ce numéro est joint au précédent. Le numéro 113-114 compte le double de pages (16 pages sur "Réquisitions et ravitaillement").
  115. Février 2022. Se marier pendant la guerre : "Un mariage en 1941 (Jeannette Heussaf et Guillaume Guenno)", "Un double mariage à Lenhesq en 1943 (Perrine Quénéhervé et Pierre Hostiou)", "Une noce qui finit mal, l’affaire de Moncouar en mai 1944 (Marie-Anne Cosmao et Hervé Le Bihan)" / Un poème inédit de Déguignet.
  116. Mai 2022. Le hameau de Menez Kerdévot : le quartier, la famille Letty, le mécanicien Jean Daniel
  117. Septembre 2022. Jean Istin, les pierres dessinées / Moulins de Cornouaille illustrés par Jean Istin / Quand le conseil municipal s’amuse (extrait des délibérations du conseil municipal d'Ergué, en 1892, sur le refus de payer une indemnité pour dégradation sur chemins vicinaux à La Forêt-Fouesnant)
  118. Décembre 2022. Les terres du Cleuyou / Les richesses minières au Cleuyou / Réédition du livre de Jean Le Corre.
  119. Mars 2023. Les traces d’habitation au Stangala, par J-F Douguet / René Danion nous quitte, par Pierre Faucher
  120. Septembre 2023. Souvenirs de Ty Nevez ar Cleuyou, par Yves Ascoët

Enquête sur le canal

Article en construction.


La chapelle Saint-René à Odet

Dédiée à Notre-Dame d’Odet, mais souvent appelée « Saint-René », la chapelle se situe dans l’enceinte des papeteries d’Odet, à Ergué-Gabéric. Propriété privée de la famille Bolloré, la chapelle Saint-René est invisible depuis la route qui va de Lestonan à Briec. Ouvriers, employés et cadres de l’usine ont assisté à des cérémonies religieuses dans ce bâtiment, d’une date incertaine au xixe siècle jusqu’aux années 1960, lorsque sera élevée la chapelle de Keranna.

 

Chapelle Saint Rene Odet par Louis Le GuennecOrigine

L’édifice actuel, refait en 1921-1922, est l’œuvre de l’architecte René Ménard. Il a remplacé une chapelle plus étroite, probablement construite au xixe siècle, tandis que l’activité des usines se développait. Ce premier bâtiment est mentionné par le livre d’or des papeteries en 1930[1] et par des témoignages. Ci contre : la chapelle Saint-René dessinée par Louis Le Guennec.

 

Constructeurs

Si les travaux d’agrandissement ont été ordonnés et financés par René Bolloré II (1885-1935), ils ont été conduits sur les plans de René Ménard (Nantes, 1876 - Nantes, 1958) et sans doute été exécutés par l’entreprise Thomas. Précédemment, René Bolloré avait confié à l’architecte nantais les travaux d'extension de son manoir d'Odet (1911) et la construction de la cité ouvrière de Keranna (1919). Les plans de la chapelle, conservés aux Archives départementales de Loire-Atlantique, ont été publiés par le site Grand Terrier[2]. Ils montrent notamment qu’en 1921, Ménard avait proposé plusieurs options au maître d’œuvre.

 

Situation

80 ans Mme Bolloré 9

La chapelle est, dès l’origine, mitoyenne d’un magasin, à l’est. L’ensemble a été élevé à flanc de colline, sur un dénivelé mesurant, au plus haut, c’est-à-dire au niveau du magasin, 1,20 mètre. Ce dénivelé est particulièrement visible sur une photo de 1927, à l’occasion des 80 ans de Léonie Bolloré (voir ci-contre). La chapelle d’origine, plus modeste, n'était pas orientée à l’est ; la chapelle agrandie ne le sera pas non plus. Or, dans la plupart des églises chrétiennes, depuis le xve siècle, le chœur se trouve à l’orient, tourné vers la Ville Sainte. À Saint-René, le chœur est situé à l’ouest et donne au nord-ouest sur la résidence Bolloré. L’entrée des fidèles se fait par le nord : avant l’office, les hommes s’engagent dans l’édifice « par une élégante porte sculptée[3] », tandis que les femmes pénètrent par une porte secondaire, à gauche. Gwenn-Aël Bolloré indique l’existence de deux autres portes donnant sur le parc du manoir (les deux premières donnant dans l’enceinte de l’usine)[4].

 

Extérieur

Chapelle Saint René chevet à pignonsLouis Le Guennec est le premier à donner de la chapelle Saint-René une description relativement fournie, puisqu’elle court sur deux pages. Ce texte figure dans un ouvrage posthume : Le Finistère monumental, tome III, p. 506-507, publié en 1984. Un dessin complète cette description.  Sur l’aspect général, Le Guennec note le « style gothique[5] » de la chapelle. Dans toutes ses constructions pour René Bolloré, René Ménard puisera en effet dans les traditions régionales, c’est-à-dire le gothique breton des xve et xvie siècles. La chapelle se distingue par son « clocheton plat qui découpe parmi les branches d’arbres son pignon à dentelures et ses trois chambres de cloches […] Sur la toiture chevauche un campanile-horloge revêtu d'épaisses ardoises imbriquées en écailles de poisson. » En outre, « un chevet à trois pans, percés de fenêtres flamboyantes, décore le grand pignon auquel s'appuie la sacristie ». Ce chevet à plusieurs pignons est inspiré, d’après Philippe Bonnet[6], des réalisations de l’atelier morlaisien des Beaumanoir (xve siècle). Cette abside à noues multiples est en effet l’une des caractéristiques du « style Beaumanoir ». René Ménard a pu se souvenir, par exemple, du chevet de l’église Saint-Gildas à Carnoët, construite par Philippe de Beaumanoir vers 1500. Grâce à ses trois faces, le chœur de Saint-René est éclairé de manière optimale, ce qui compense les dimensions modestes du bâtiment. Ci-contre : la chapelle d'Odet et son chevet. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

               

Intérieur

Chapelle Odet Saint René2Grâce à ce chœur éclairé de vitraux, l’intérieur se révèle, selon Louis Le Guennec, « large, clair, admirablement entretenu ». La nef « s'égaie de la lumière colorée et chatoyante des beaux vitraux placés dans les fenêtres du chœur ». En termes de capacité d’accueil, on peut déduire d’après les plans de René Ménard et les photographies du centenaire de 1922 que la chapelle, rectangle d’environ 10 mètres sur 17, ne recevait pas tous les ouvriers d’Odet lors d’un même office. En 1912, le recteur Lein soulignait déjà l’étroitesse de la chapelle, comme nous l’expliquons ci-après. Gwenn-Aël Bolloré donne quelques indications sur la répartition des places à l’intérieur de la chapelle. On y retrouve la hiérarchie de la papeterie, des âges, des sexes et de la géographie : « Nous voici tous à nos places. Au premier rang, à droite du chœur, chacun de nos prénoms est inscrit sur les prie-Dieu. Le protocole est rigoureusement respecté. De gauche à droite, mon père, ma mère et nous les enfants, par rang d’âge. Derrière, le personnel de maison. Au troisième rang, les employés et ouvriers de l’usine, par rang d’importance, et ensuite les enfants des écoles des Frères, puis la foule des hommes d’Ergué-Gabéric. Côté gauche, ma grand-mère a droit à un prie-Dieu capitonné. Elle a déjà près de soixante-dix ans [vers 1916]. Ses filles et leurs enfants derrière, les filles des écoles des Sœurs, puis la foule des femmes d’Ergué-Gabéric. […] Le prêtre officiant est un chapelain, […] payé et logé par mon père. […] Sept ou huit choristes, vêtus de soutanes rouges, l’assistent[7]. » Gwenn-Aël précise encore que, comme dans d’autres églises, les messes se disent en latin, tandis que les chants et le prêche sont en breton. L’enfant, élevé en pays gallo, ne comprend pas le breton ; et l’on ne sait pas dans quelle mesure son père entendait le breton et s’il comprenait le prêche du prêtre. Ci-contre : la chapelle de Keranna, du côté des entrées. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

 

Vitraux

Les vitraux présents dans le chœur représentent les saints René (Renatus), Michel (Michael), Guinal, Jacques (Jacobus), Madeleine, Jehanne d'Arc. Ce sont ces verrières que Louis Le Guennec a vues et décrites dès les années 1920 : « Ces vitraux, timbrés aux hermines de Bretagne et aux armoiries des principales villes de notre province, témoignent du patriotisme breton et de l'esprit de foi des fondateurs de la chapelle, qui y ont fait peindre les images de leurs saints patrons et protecteurs[8]. » Des blasons portés par des anges renvoient en effet aux lieux chers à la famille Bolloré (Quimper, Nantes, Saint-Malo sont reconnaissables). À l’image des seigneurs commanditaires des églises médiévales, les Bolloré sont aussi présents, sous la forme de leurs saints patrons, dans les vitraux de leur chapelle :
Renatus correspond à : Jean-René, l’arrière-grand-père né 1818 ; René I, le grand-père né en 1847, René II, le père né en 1885, et René-Guillaume III, l’aîné des enfants né en 1912 ;
Notre-Dame : Marie Thubé, épouse de René Bolloré, née en 1889 ;
Jacobus à Jacqueline, la cadette née en 1914 ;
Michael à Michel, le cadet né en 1922 ;
Guinal à Gwenaël, le benjamin né en 1925, trois ans après la construction de la chapelle. Saint Guinal est aussi le patron de l’église d’Ergué-Gabéric. 
On peine, en revanche, à déceler la signature du maître verrier dans ces six vitraux.

L’entrée de la chapelle est encadrée par deux verrières de facture moins classique. Ces vitraux de saint Léon/saint Gwenolé et saint Corantin/saint Yves portent la signature d’Yves Dehais, maître verrier né en 1924, deux ans après la construction de la chapelle Saint-René. Les deux verrières en question seraient donc plus tardives que l’édifice. Formé aux Beaux-Arts de Nantes, Yves Dehais a complété sa formation au vitrail à Quimper, au sein de l’atelier Le Bihan-Saluden[9], dans les années 1940. Sur le vitrail « Saint-Corantin », on distingue un cartouche figurant un poisson, un « B » et un « S ». On peut attribuer ce « logo » à l’atelier quimpérois Le Bihan-Saluden, le B désignant Bihan et le S Saluden[10]. Un vitrail de l’église de La Lorette à Plogonnec porte le même cachet, la mention de « Quimper 1946 », ainsi que les noms d’Yves Dehais et Pierre Toulhoat, qui y ont travaillé. On reconnaît par ailleurs dans ces quatre verrières colorées l’expressivité des artistes, comme Yves Dehais, qui ont fait la grande période Keraluc à Locmaria. Ci-dessous, en haut : les verrières décrites par Louis Le Guennec ; en bas : les vitraux côté entrée. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

Vitraux ND dOdet Saint René

 

Statuaire

Lors de sa visite, Louis Le Guennec a aussi décrit les statues visibles dans la chapelle. Il les date du xvie siècle. « Au bas de la nef, il y a trois statues curieuses du xvie siècle dont chacune porte sur son socle le nom de son donateur. Les deux premières devaient faire partie d'une série de douze apôtres comme il en existe au porche de nombreuses églises.
1. Saint Pierre, sans tiare ni autre coiffure, barbe et cheveux longs, robe à collet, manteau, banderole qui devait porter, inscrit en couleur un verset du Credo, tenant clef et livre fermé. Sur le socle : P. Guiriec.
2. Saint Jean, tête nue, cheveux bouclés, robe à collet rabattu, tenant une coupe de laquelle sort un crapaud, banderole pour verset du Credo, nom : Y. Musellec.
3. Saint Guillaume, en Kersanton, coiffé d'une mître et couvert d'une armure complète soigneusement exécutée, manteau sur les épaules bénissant de la main droite. L'inscription est en caractères gothiques, sauf la date. Nom : G. Saulx, Not(aire), l'an 1557.
Au dehors près d'un escalier, il y a un autre saint de pierre, moins bien conservé, portant livre et bâton[11]. »
Le Guennec ne donne pas l’origine des statues. Nous savons néanmoins, d’après la biographie de Gwenn-Aël Bolloré, que René Bolloré récupérait, au détour de visites, de voyages ou d’enchères, des objets de patrimoine breton, parfois à l’abandon, pour les introduire à Odet[12]. Ces quatre statues en font vraisemblablement partie. Ci-dessous, de gauche à droite : statues de saint Pierre et de saint Guillaume. Photo : Gaëlle Martin, 2000.

Statue saint Pierre Notre Dame dOdet photo Gaëlle Martin 2000

Saint Guillaume Notre Dame dOdet G. Martin 2000

 


L’administration de la chapelle dans les années 1910 et 1920

Mgr Duparc Villard 1900 recadréSur son site Grand Terrier, Jean Cognard présente quatre lettres du recteur d’Ergué-Gabéric, le père Louis Lein, à Monseigneur Duparc (ci-contre : portrait par Joseph Villard), l’évêque de Quimper et Léon[13]. Le recteur y évoque les problèmes liés à la chapelle Saint-René. Jusqu’en 1912, une messe est donnée tous les dimanches et jours de fête par un vicaire. Or le patron des papeteries souhaite développer l’activité religieuse de la chapelle, en demandant une messe supplémentaire, tous les premiers vendredis du mois, et des confessions, tous les samedis ou tous les quinze jours. C’est alors que le recteur expose les problèmes créés par cette chapelle privée au sein de sa paroisse. Il signale notamment à son supérieur : 1. La difficulté de mener à bien des offices et des confessions à Odet, en même temps qu’à l’église saint-Guinal et dans deux autres chapelles.
2. La « fuite » de fidèles qui, ayant suivi la messe à Odet, risquent d’abandonner l’église paroissiale. À l’instar de la famille Bolloré, ils ne mettraient plus les pieds à Saint-Guinal.
3. La création, avec l’agrandissement futur de la chapelle, d’une paroisse officieuse dans la paroisse officielle d’Ergué.
4. La petite taille de la chapelle qui, en 1912, pose déjà problème. Et inversement, puisque même l’agrandissement serait un problème : « Cependant la chapelle est beaucoup trop petite. Et si elle était agrandie (ce qui va arriver dans quelques temps), les difficultés deviendraient encore plus fortes[14]»
5. Du fait de cette petite taille, la sélection/discrimination à opérer parmi les fidèles : qui est autorisé à assister à tel office, à se confesser à tel endroit ?
6. Sa position délicate d’intermédiaire entre l’industriel et les autorités religieuses.
Lorsque la direction des papeteries décidera d’instaurer les dimanches travaillés, les messes à Saint-René seront dites à deux heures différentes, à 8 h et 10 h, ou 8 h et 12 h, afin que les ouvriers de faction le dimanche puissent y assister.

 

Le catholicisme social de René Bolloré

Image pieuse René Bolloré II 1949 v3La construction de cette chapelle répond au catholicisme social de René Bolloré. Le directeur des usines d’Odet a sans doute été influencé par l’encyclique du pape Léon XIII (1891), comme le suppose le bulletin paroissial d’Ergué-Gabéric. Un article du Kannadig établit ce lien en 1928 : « Animé d’une foi vive et agissante, M. Bolloré s’occupe d’une façon toute particulière des intérêts religieux et moraux de ses ouvriers. Il a doté son usine d’Odet d’une belle chapelle, l’un des plus jolis édifices religieux du pays de QSuimper. On y dit la messe quatre fois par semaine, et toutes les ouvrières y assistent avec une grande dévotion. Le dimanche soir, une nombreuse assistance assiste à la bénédiction du Saint-Sacrement. […] le patron […] a dû méditer longuement l’Encyclique de Léon XIII sur la condition des ouvriers[15]. » Un rapport de la DRAC sur la vie dans les papeteries d’Odet rappelle aussi qu’ « à Annonay (dont l’usine s’appelle Vidalon), la grande fête annuelle était dédiée à Notre-Dame de Vidalon, mêlant dans une même envolée Dieu, les ouvriers papetiers et les patrons Montgolfier[16] ». Un fait que l’on peut mettre en parallèle avec une note du Kannadig d’Ergué-Gabéric précisant que l’on surnommait Mme Bolloré, la mère du directeur, « Notre-Dame d’Odet[17] ».

 

Synthèse effectuée par Marilyne Cotten

 

Notes

[1] Livre d’or des papeteries d’Odet, Paris, impr. Crété, 1930. Consultable au local d’Arkae.

[2] http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=1910-1928_-_Les_plans_gab%C3%A9ricois_de_l%27architecte_Ren%C3%A9_M%C3%A9nard_pour_l%27industriel_Ren%C3%A9_Bollor%C3%A9

[3] Louis Le Guennec, Le Finistère monumental, tome III : Quimper Corentin et son canton, Quimper, Les Amis de Louis Le Guennec, 1984, p. 506-507.

[4] Gwenn-Aël Bolloré, Né gosse de riche, Rennes, éd. Ouest-France, coll. Latitude ouest, p. 44.

[5] Louis Le Guennec, op. cit., p. 506.

[6] Philippe Bonnet, Églises du xxe siècle en Bretagne, de la loi de séparation à Vatican II, Paris, Bibliothèque de l’École des chartes, t. 163, 2005, p. 107.

[7] Voir Gwenn-Aël Bolloré, op. cit., p. 43

[8] Louis Le Guennec, op. cit., p. 507.

[9] Source : Jean-Yves Cordier sur http://tableauxdeyvesdehais.e-monsite.com/ et https://www.lavieb-aile.com/article-la-chapelle-de-la-lorette-a-plogonnec-109127377.html Yves Dehais est né en 1924 à Nantes et y est mort en 2013. En 1946, il ouvre son propre atelier à Nantes. Il collabore aux débuts de la manufacture de faïence Keraluc, de 1945 à 1948.

[10] En 1908, Auguste et Anna Saluden avaient un atelier à Brest. Après la Première Guerre mondiale et la destruction de la cité portuaire, ils s’installent à Quimper dans un atelier qui sera repris par le gendre d’Anna Saluden, Yves Le Bihan. Jusqu’en 1952, les ateliers signent donc leurs vitraux Le Bihan-Saluden.

[11] Louis Le Guennec, op. cit., p. 507.

[12] Voir Gwenn-Aël Bolloré, op. cit., p. 43 : « À La Trinité-Surzur, il y a une très belle fontaine en granit sculpté. Mon père, qui a la passion des monuments bretons, s’arrête un jour et demande à qui elle appartient. À la mairie, lui répond-on. [Le maire] commence par refuser de vendre sa fontaine, puis cède devant le montant du chèque. [Mais le curé intervient] : "Vous n’allez pas nous enlever la seule jolie chose qu’il nous reste !" [Mon] père, après avoir haussé les épaules, lui donne la fontaine et s’en va en bougonnant. »

[13] Archives diocésaines de Quimper, série P, paroisse d’Ergué-Gabéric, lettres du 22 août, du 1er octobre 1912 et du 29 janvier 1913 de L. M. Lein à Mgr A. Duparc. Reprises in extenso et analysées en contexte sur le site Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=1912-1913_-_La_question_de_la_r%C3%A9organisation_du_service_paroissial_%C3%A0_la_papeterie_d%27Odet

[14] Idem.

[15] Kannadig Ergué-Gabéric, « Œuvres sociales et morales », 1928. Archive Arkae.

[16] La vie dans les papeteries d’Odet au XIXe et XXe siècle, rapport de la DRAC, ca 2004. Archive Arkae.

[17] Kannadig Ergué-Gabéric, « Monsieur René Bolloré », 1933. Archive Arkae.


Les écoles Bolloré : introduction

Dans les années 1920, René Bolloré II fait construire des écoles privées pour les enfants de ses ouvriers. L'histoire des écoles de Lestonan a été étudiée en détail par François Ac'h et Roger Rault en 2010 dans le cahier n°13 d'Arkae, Les écoles publiques de Lestonan, 1880-1930 : Bolloré et les écoles de Lestonan.

Ecole Sainte-Marie à Lestonan, 1928Précisons d'abord qu'une école publique existait déjà à Lestonan, depuis 1885. Cette école avait été agrandie en 1923, lorsque le nombre d'élèves est monté à 105. D'autres projets d'agrandissement ont été étudiés par la municipalité ensuite.

Vers 1927, René Bolloré fait construire à Lestonan une école privée pour les filles. L'école Sainte-Marie ouvre en 1928. L'année suivante, le patron des papeteries ouvre une école privée, Saint-Joseph, pour les garçons. La même année, il a le projet d'ouvrir une école publique dans le quartier de Saint-André.

Il souhaitera aussi transformer l'école publique de Lestonan en asile pour vieillards, mais le projet n'aboutira pas.

Construction de l'école Saint Joseph à Lestonan en 1929

Ecole Ste Marie à Odet

Ecole Saint-Joseph à Lestonan

De haut en bas : l'école Sainte-Marie en 1928 ; la construction de l'école Saint-Joseph en 1929 ;
les filles de l'école Sainte-Marie, s.d. ; les garçons de l'école Saint-Joseph, s. d.

 


Le travail à la papeterie d'Odet par Jean Le Berre

Le témoignage suivant est extrait de Moulins à papier de Bretagne, par Yann-Ber Kemener, publié aux éditions Skol Vreizh en 1989. Il figure en fin de l'ouvrage, après un témoignage de Marjan Mao sur le travail à la chiffonerie. Jean Le Berre, qui était contremaître à Odet, retrace ici tout le processus de fabrication du papier à Odet dans les années 1930-1940.

 

Quand j'ai commencé à travailler chez Bolloré en 1935, nous étions 300 à 400 ouvriers et le travail se faisait à la main. Une vingtaine de femmes triaient les chiffons, qui venaient de l'étranger par wagons entiers, et les coupaient à l'aide de lames de faux plantées dans une table. De plus, elles coupaient les cordes en utilisant une hache sur un billot de bois. Une fois les chiffons coupés en petits morceaux, les femmes les chargeaient dans un lessiveur pour bien les nettoyer à la chaux et à la vapeur. Le lessiveur était une grosse boule actionnée par un homme qui y mettait les produits chimiques, ainsi que la vapeur sous pression. Tout était étagé. La chiffonnerie se trouvait en haut et les chiffons arrivaient par une trappe dans les réserves.

 

Pile raffineuse et calandre à Odet_Réalités, 1949

Pile raffineuse et calandre aux papeteries Bolloré. Photographie parue dans le magazine Réalités en 1949.

 

Une fois lessivés, les chiffons descendaient dans les défileuses, qui étaient munies d'un tambour laveur et d'un tambour défibreur. Après cela, il fallait blanchir les fibres brutes dans une autre pile hollandaise avec du chlore. Une fois la pâte défilée, celle-ci descendait dans un réservoir, passait sur un presse-pâte, pour en extraire l'eau, et était stockée dans des wagonnets, avant de monter au troisième étage par un monte-charge. Là, elle était blanchie dans des piles, puis on ouvrait la vanne de vidange et la pâte arrivait dans des caisses d'égouttage, où elle restait plusieurs jours. Le fond des caisses était fait de carreaux perforés qui retenaient la pâte, tandis que l'eau s'en allait. Une fois blanchie, la pâte était transportée dans des wagonnets jusqu'aux piles raffineuses où elle était finement broyée, avant de descendre dans une grande réserve de 200 à 300 litres, qui était toujours pleine et récupérait également le trop-plein de pâte de la machine à papier. Celle-ci était alimentée en permanence. La pâte se déversait alors par des canalisations sur une grande toile métallique qui tournait. Des caisses aspirantes enlevaient l'eau et la fibre se maintenait à la surface de la toile. La pâte à papier restait donc sur la machine et passait par différentes presses pour y être séchée. Suivant le papier à fabriquer, il fallait régler le débit de pâte. Une fois le papier séché, il était enroulé et passait à l'atelier de bobinage ou de découpage, où l'on faisait de petites bobines de papier à cigarettes de 28 à 30 mnm de large et de 5 à 6000 mètres de long. Le filigranage du papier était effectué soit à sec, soit humide. Le filigranage à sec était réalisé par une filigraneuse composée de presses cylindriques qui imprimaient le filigrane dans le papier. Le filigranage humide était effectué pendant la fabrication du papier. Lorsque le papier était gommé, il devait, de plus, encore passer dans une machine appelée "gommeuse".


Historique de la papeterie d'Odet, par Caroline Leroy-Déniel

En 2015, dans le cadre d'un inventaire du patrimoine papetier en Bretagne, Caroline Leroy-Déniel, alors directrice de l'association Au fil du Quéffleuth et de la Penzé, a établi un descriptif du patrimoine de la papeterie d'Odet, ainsi qu'un historique, que nous reproduisons ici. Ce rapport est disponible sur le site de Bretania.

 

Le site actuel

Le site historique de la papeterie d'Odet est composé de bâtiments dont certains avaient une fonction industrielle et d'autres une fonction d'habitation : un manoir construit en 1912, ses jardins et dépendances, un calvaire reconstitué au milieu des années 1920 à partir d'une ruine de Scrignac, une chapelle réédifiée par René Ménard en 1921-1922. Une grande partie des bâtiments de l'usine ont été détruits en 1987, suite à la fermeture de l'usine. Certains bâtiments sont datés (1936). L'ancien canal qui desservait la papeterie est toujours visible, mais il est asséché. Le moulin à papier d'Odet est bâti en 1822, sur l'Odet, à la sortie de Lestonan, en amont de la ville d'Ergué-Gabéric.

 

Papeterie dOdet usine actuelle

L'usine d'Odet vers 2015. Photo : Caroline Leroy-Déniel.

 

L'histoire de la papeterie

Nicolas Le Marié, fils d’un manufacturier des tabacs à La Ferté-Macé puis à Morlaix, décide de miser sur la « houille blanche » comme énergie industrielle pour fabriquer du papier. Il choisit un vallon isolé au bord de l’Odet, site sauvage, sans végétation ni habitation, à environ 9 km de Quimper. A l’inauguration de cette « manufacture de papier-cylindre », le 18 février 1822, son beau-frère, Jean Guillaume Bolloré, l’accompagne. Celui-ci est directeur d’une fabrique de chapeaux, à Locmaria. C’est son petit-fils, René Guillaume, qui sera, quelques décennies plus tard, le développeur de l’entreprise entre 1881 et 1904.

C’est la troisième usine de ce type établie en Bretagne. Un bief de 1600 mètres détourne l’Odet permettant de créer une chute d’eau suffisante pour produire la force motrice nécessaire pour actionner les machines. A cette époque, 7 200 rames y sont fabriquées par 31 ouvriers. En 1828, l'usine est équipée de deux cuves à papier blanc et d’une cuve à papier gris. En 1834, Nicolas Le Marié remplace le travail aux cuves et le séchage aux perches par les premières machines. Celui-ci devient également maire d'Ergué-Gabéric de février à octobre 1832. Armand du Châtellier dit, dans ses Recherches statistiques sur le Finistère, qu’en 1837, "toutes les papeteries végétent, sauf Odet, Quimperlé et Glaslan". En 1838, ce sont 25 tonnes de papier de bureau et d’impression, 50 tonnes de papier à la jacquard et 55 tonnes de papier de tenture qui y sont fabriquées. Cette production est expédiée dans les différentes villes de Bretagne, à Paris et aux États-Unis. Puis viennent les difficultés pour se procurer le chiffon à bon marché, le papier subit des hausses de prix. Malgré tout, la demande reste importante, et l'activité prospère. En 1849, 35 hommes et 37 femmes y travaillent.

En 1850, avec 21 hommes et 35 femmes, le préfet écrit au ministre de l'Agriculture et du Commerce (lettres n°11.226 et 12.283) que "cette papeterie ne s'est jamais trouvée dans une situation aussi florissante". En 1856, Justin Laboureau est le contremaître, 85 à 95 ouvriers y sont employés, en 1857, ils sont 105. Nicolas Le Marié, après 40 ans de labeur, est victime d'une chute, sa santé décline, et il décède en 1870.

Son neveu, Jean-René Bolloré, né en 1818, à Douarnenez, ancien médecin et chirurgien-major dela Marine nationale, prend en 1861 la direction de l’usine. Le nom de Bolloré est ainsi lié à l'entreprise. Celle-ci emploie en 1873 50 hommes, 54 femmes et 3 enfants ; en 1884, 37 hommes, 48 femmes et 10 enfants ; en 1885, 35 hommes, 33 femmes et 29 enfants qui produisent 480 tonnes de papier par an. Jean-René Bolloré est considéré comme le second fondateur d’Odet. C’est lui qui débute la fabrication du papier fin. Dès 1861, il est secondé par Jean-Marie Le Lous, natif de Garlan, qui débute en qualité de commis, puis devient teneur de livres, puis comptable. Jean-Pierre Rolland et Jean-Marie Le Bras, anciens cultivateurs, entrent comme journaliers papetiers à Odet. Jean-Pierre Rolland et Marie-Anne Peton, leurs enfants, auront ensuite une place importante dans la vie de la société. Jean-René Bolloré devient également conseiller général du Finistère de 1871 à 1877.

Dès 1872, il associe à la direction de son usine son fils aîné, René-Guillaume. De 1879 à 1886, Charles Pierre Bolloré, second fils de Jean-René, participe également à la direction. En 1881, Jean-René Bolloré disparaît après une longue maladie. Odet ne produit plus, à cette époque, que 336 tonnes de papier par an. René-Guillaume prend alors la direction de l’usine. Proche de ses collaborateurs, René-Guillaume remarque un ouvrier compétent et entreprenant, Jean-Pierre Rolland, entré jeune, à 17 ans, dans l’usine. Il en fait en 1890 son contremaître, surveillant de fabrication à Odet, puis lui confie la direction technique de Cascadec, à Scaër. Lorsqu'il loue cette ancienne papeterie en 1893, pour y fabriquer du papier à lettre, puis du papier à cigarettes, René-Guillaume confie à Yves Charuel du Guérand, ingénieur de Centrale, chimiste, la mise en route de la nouvelle usine. Celui-ci deviendra son gendre en 1896, épousant sa fille aînée issue de son second mariage, Magdeleine Léonie. La famille Rolland, le couple et ses huit filles, s’installe à Scaër dans une maison construite par les Bolloré. Jean-Pierre Rolland fait un incessant va-et-vient entre les deux usines dont il contrôle le fonctionnement. Il décède en 1914, victime de l’emballement du cheval qui conduit son char à bancs. A partir de 1881, René-Guillaume innove avec de nouvelles méthodes de collaboration. Il ajoute aussi la vapeur comme nouvelle énergie. René-Guillaume met au point un système de comptabilité performant et des comptables sont embauchés.

Au décès de René Guillaume en 1904, c’est son fils, René Joseph, qui n’a pas encore 19 ans, qui lui succède. Il se forme à tous les postes de travail et suscite l’admiration de tous ses ouvriers. Léopold Desmarest, ingénieur, intègre l'équipe de direction. René Joseph épouse, en 1911, Marie Amélie Thubé, fille d’un armateur nantais. Celui-ci a d’importantes relations qu’il met au service de l’entreprise, lui offrant des débouchés en Angleterre et en Amérique. Avant la Première Guerre mondiale, une nouvelle machine à papier est mise en activité. Le personnel passe de 200 ouvriers avant la guerre à 1 200 dans les années 1920, en comptant les papeteries de Troyes, dans lesquelles des parts ont peut-être été prises à cette époque. En 1917, le moulin à papier de Cascadec, à Scaër, qui est loué depuis 1893, est également acheté et une usine hydroélectrique y est construite. Le papier à cigarettes, qui y est alors fabriqué, est expédié aux États-Unis. La marque de papier à cigarettes OCB (Odet-Cascadec-Bolloré) est fondée en 1918. En 1917, René Joseph Bolloré décide de construire, à 800 mètres de la papeterie d'Odet, la cité ouvrière de Ker-Anna avec 19 logements. Il institue des caisses de retraite, des allocations pour les malades et met en place un club sportif avec terrain et vestiaires. De 1926 à 1930, il crée un patronage et ouvre une garderie et deux écoles libres, gratuites pour les enfants des ouvriers. Pendant la guerre, les femmes y travaillent douze heures par jour, l’horaire est revenu à huit heures en 1922. Vers 1920, 54 femmes travaillent à la chiffonnerie. Les chiffons viennent de l’étranger, de Russie par exemple, et sont encore découpés sur le banc traditionnel, à savoir une table munie d’une faux. Les filets de pêche, les ficelles et les cordes sont mises en pièces à la hache sur un billot de bois. René Joseph décède en 1935, à l'âge de 49 ans.

C’est Gaston Thubé, son beau-frère, qui assure la direction avec René Guillaume, fils aîné de René Joseph. Gaston garde la coresponsabilité de l'entreprise jusqu'en 1946. C’est en 1936 qu’est installée une machine à couper les chiffons. Ceux-ci sont nettoyés dans des lessiveuses à l’aide d’acide et de chaux. L'énergie nécessaire à l'usine est produite à partir du charbon gallois qu’un bateau, Le Domino, va chercher à Cardiff. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’usine s’arrête par manque de matières premières. René (1911-1999), fils de René Joseph et Marie Amélie Thubé, est le président directeur général de la papeterie de 1946 à 1974. La production reprend, en 1947, avec des chaudières à charbon, puis à fuel, produisant 1 800 tonnes de papier dès 1948. En 1950, Bolloré achète les Papeteries de Champagne à Troyes. Le chiffon est alors remplacé, à Odet, par de l’étoupe de lin et de chanvre, des linters de coton (duvet de fibres très courtes) et de la pâte de bois. En 1954, les papeteries Bolloré prennent des parts dans la papeterie Mauduit. En 1960-1962, il est produit du papier condensateur, qui sera vite remplacé par la technique nouvelle du film polypropylène : un nouveau bâtiment est construit pour accueillir la machine adéquate. En 1972, une nouvelle usine tournée vers la fabrication de film en polypropylène pour condensateurs est construite à 200 mètres de la papeterie. Trois machines continuent à produire du papier (papier carbone, sachets à thé, papier bible pour la collection de livres « La Pléiade »).

Michel, fils de René Joseph, devient président des papeteries en 1975. Il fait appel au groupe Edmond de Rothschild. Les maisons de Ker-Anna sont vendues, le patronage, le terrain de sport et les écoles sont cédées. Le groupe Kimberly Clark qui est entré dans le capital de l'entreprise, se retire. Michel et ses deux frères décident de quitter l'affaire en 1981. La papeterie d'Odet s'arrête définitivement, en juillet 1983, et est partiellement détruite, en 1987.


Directeurs et hommes influents des papeteries Bolloré

Si le fondateur des papeteries, Nicolas Le Marié, et les Bolloré, qui se sont succédé à la tête de l’usine depuis sa mort, ont le rôle principal dans l’orientation et le fonctionnement de l’entreprise, d’autres personnes ont influencé la vie de l’usine à différents moments de son histoire.

 

De 1822 à 1935

Ce sont les directeurs qui assurent l’organisation du travail et veillent à ce que chaque ouvrier ou employé réalise les tâches prévues. Leur responsabilité est importante. Nous savons par les témoignages qu’ils réunissaient chaque matin les chefs de service et les informaient. Ces derniers, à leur tour, rassemblent les chefs d’équipe, à qui il revient de faire respecter les ordres. Aussi René Bolloré I (1881-1905) recevait-il tous les jours un rapport sur la marche de l’usine rédigé par le directeur.

 

À partir de 1935

Après le décès de René Bolloré II, le pouvoir des directeurs semble s’accroître. Il faut dire que le groupe s’est déjà étendu, les frères Bolloré gèrent d’autres activités et ne peuvent suivre la papeterie d’aussi près que leurs prédécesseurs. Lorsque la responsabilité des usines Bolloré échoit à Gaston Thubé, les directeurs sont donc appelés à jouer un plus grand rôle et à prendre davantage d’autonomie. Il en est ainsi de la direction de Louis Garin père, directeur de 1935 à 1940, de Frédéric Ferronière (de 1945 à la fin des années 1960), de M. Callec, de Louis Garin fils et Henri Bernet. Ce dernier cèdera le contrôle de la SAFIDIEP à Shell en 1979. Ils dirigeront les usines d’Odet et de Casacadec, logeront dans une belle demeure gabéricoise, entourée d’un parc, à l’entrée de Stang-Ven, à l’écart de l’usine, mais aussi de la propriété familiale des Bolloré. Notons qu’en 1970, Louis Garin fils jouera un rôle déterminant dans l’histoire de l’entreprise, en choisissant le site d’implantation de l’usine de films propylènes à Ty Coat. Cette usine devient la SAFIDIEP, puis le siège social du groupe Bolloré.

 

Les dirigeants des papeteries Bolloré Revue Réalités sept 1959

Photographie des dirigeants des papeteries Bolloré dans la revue Réalités, parue en septembre 1959. 
Les personnes sont identifiées en légende, à l'intérieur de l'image. 

 

Quelques figures notables

D’autres hommes ont eu une place particulière dans la vie et le fonctionnement de la papeterie. Elle fut même parfois prépondérante. À l’exemple de :
- Jean-Marie Le Pontois, frère de Marie Le Pontois, épouse de Nicolas Le Marié. Il fait partie de la direction. Recensé en 1836 à Odet, aux côtés des Le Marié, il est surnommé « Jean du Moulin ».
- Léon Bolloré, le frère de René I. Il a joué un rôle essentiel dans la production d’un papier mince tout particulier, celui à cigarette, qui participera à la renommée de l’entreprise. Ce nouveau produit fut si difficile à mettre au point que l’usine ne fabriqua pas de papiers minces pendant deux ans.
- Jean-Pierre Rolland (1855-1914), « vieux loup de papeterie », contremaître qui mit en route l’usine de Cascadec après avoir été surveillant de fabrication à Odet. René Bolloré II lui rendra hommage lors du centenaire des papeteries (1922).
- Jean-René Rannou, né en 1866 à Keranguéo, en Ergué-Gabéric. Il faut contremaître de fabrication à Odet.
- Yves Charuel du Guérand, ingénieur des Arts et manufactures, marié à la sœur de René Bolloré II, Marie Madeleine Léonie, née en 1878. Il travaille comme ingénnieur à la papeterie d’Odet et sera conseiller municipal d’Ergué-Gabéric de 1906 à 1925. De son mariage est issue France du Guérand, qui a écrit un livre de souvenirs intitulé Il était une fois, édité en 1980 (en consultation au local d’Arkae).

 

Directeurs papeterie 1911

Hommes et femme influents des papeteries en 1911. Photo prise lors du mariage de René Bolloré II.
Tout à fait à droite, debout : Mme Liliac, secrétaire. Au premier rang, de gauche à droite : René Rannou, contremaître de fabrication à Cascadec, Yves Charuel du Guérand, chef de laboratoire, René Émile Bolloré, Jean-Pierre Rolland, contremaître de fabrication à Odet, Louis Garin, directeur à Odet, Yves Le Galles, chef de la chiffonnerie. Au second rang, de gauche à droite : Laurent Le Gall, comptable, Abel Briand, chef électricien, Hervé Quitin, directeur à Cascadec, Yves Provost, comptable.

 

Enfin, Gaston Thubé lui-même : voir sa biographie ici.


Dans les années 1960-1970, des hommes influents comme Jean Espern, homme de confiance des directeurs, et Jean Lassal, directeur de la Safidiep et « homme des films polypropylènes », auront aussi une place déterminante.

 

Synthèse effectuée par Pierre Faucher.


Les calvaires de René Bolloré

Nous n’avons pas de trace de patrimoine religieux dans le village d'Odet avant le XXe siècle. Les deux calvaires que l'on y trouve actuellement ont été importés sur les lieux. Celui du manoir d'Odet provient, suite à un achat de René Bolloré, de la commune de Scrignac. Pour celui de l'écluse, l'origine est plus incertaine. Les deux ont été reconstruits par des employés de la papeterie d'Odet, sous la direction de René Bolloré II.

 

Activisme religieux de René Bolloré

De 1905 à 1935, René Bolloré II (1885-1935) intervient fortement dans le domaine religieux :

  • En 1907, il finance le Likès.
  • En 1922, à Odet, il fait construire par l’architecte René Ménard une chapelle qu’il dédie à saint René. Il y fait dire des messes quotidiennes et récupère des œuvres d’art religieuses pour l’intérieur, dont une pieta.
  • En 1926, il fait reconstruire à Cascadec, en Scaër, une chapelle qu’il dédie à sainte Thérèse-de-l’Enfant-Jésus.
  • Il fait construire deux écoles chrétiennes à Lestonan en 1928 et 1929.
  • De 1927 à 1929, il envoie en plusieurs fois un don de 7 millions de francs à la sœur Yvonne-Aimée de Malestroit pour la construction d’une clinique attachée au monastère de Malestroit.
  • Lors de sa direction, il célèbre annuellement au manoir certaines fêtes du calendrier chrétien, dont la Fête-Dieu.

L’ensemble du bâti religieux lié aux papeteries Bolloré a donc fait l’objet d’une réappropriation personnelle.

 

Réaction au déplacement des pierres

Calvaire dOdet par Louis le Guennec Finistère Monumental IIILe calvaire d’Odet provient, avec certitude, de l’acquisition d’une ruine à Scrignac, « de ces contrées de la montagne où l’on pouvait, sans vergogne, se servir[1] » ; quant au calvaire de l’écluse, on suppose qu’il est originaire de la même commune. La vente de ces ruines aurait fait l’objet, selon Louis Le Guennec, de « commentaires émus[2] » dans la presse de 1925. On retrouvera ces articles de l’Ouest-Éclair et de l’Illustration sur le site Grand Terrier.

Quelques temps après l'achat et le déplacement, René Bolloré invite Louis Le Guennec, archiviste de la bibliothèque de Quimper, et Henri Waquet, conservateur du Musée des Beaux-Arts, à visiter les monuments restaurés. Louis Le Guennec relate cette visite dans son journal. Le keleier n°99 (décembre 2017) en contient des extraits : « Le matin, M. Bolloré nous invitait tous deux à aller voir la chapelle de Coat-Quéau qu’il fait rebâtir à Cascadec en Scaër […] Le soir, il a renouvelé son invitation, mais à M. Waquet seulement. Serais-je assez sot pour m’en dépiter ? ». Rappelant les articles de presse précédents, Jean-François Douguet décrypte la situation en note : « L’invitation de René Bolloré […] n’était sans doute pas désintéressée car le rachat de la chapelle et du calvaire de Coat-Quéau, en Scrignac, par René Bolloré fit quelques vagues dans les milieux culturels de l’époque et Henri Waquet n’y était pas étranger. En effet, c’est probablement lui qui est à l’origine de la parution d’un article paru dans le célèbre journal L’Illustration du 9 mai 1925 […] Par cette visite, René Bolloré voulait sans doute convaincre le rigoureux archiviste, amoureux des vieilles pierres, en lui montrant la qualité du déménagement et de la restauration des vieux monuments. Ce que, sans doute, Louis Le Guennec ignorait. »

Quoi qu’il en soit, comme le relève Jean Cognard, des articles ultérieurs seront plus en faveur de l’action de René Bolloré : Le Courrier du Finistère, en 1927, et L’Illustration, en 1928[3]. En 1929, René Bolloré a expliqué à Louis Le Guennec les motifs qui l’ont poussé à acquérir ce patrimoine. L’archiviste-historien rapporte ainsi les propos de l’industriel gabéricois dans son Finistère monumental (tome III) : « Tout cela était condamné à bref délai… je ferai le nécessaire pour que l’église subsiste encore à l’état de ruine pittoresque […] J’ai obtenu les autorisations requises du côté de l’évêché[4]. »

 

Le calvaire d’Odet/Coat-Quéau

Calvaire Coatquéau Odet Haut v2Il se trouve dans le parc du manoir Bolloré depuis 1925. Comme on l’a dit, il provient d’une ancienne église devenue chapelle, celle de Notre Dame de Coat-Quéau en Scrignac, qui date du XVIe siècle[5]. René Bolloré a acquis le calvaire et la chapelle en 1925 : la commune de Scrignac avait mis en vente publique leurs ruines pour 10 200 francs. Le tout était, semble-t-il, effondré depuis 20 ans. Après déplacement et reconstruction, la chapelle renaît près de l’usine de Cascadec à Scaër, à 40 km de son lieu d’origine, en 1926.

Quant au déplacement du calvaire, il aurait nécessité, selon Louis Le Guennec, l’intervention d’une équipe de vingt hommes munis de palans différentiels. Il fut ensuite restauré avec l’aide du chanoine Abgrall. Le Guennec décrit l’état des statues avant la restauration : « Le Christ et les deux larrons sont tombés, jetés bas par la tempête ou le vandalisme. M. Bolloré m’en montra les débris, parmi lesquels le torse du Bon Larron, fixé à sa croix par de solides cordes. »

Dans un travail universitaire effectué en 1993, Joëlle Le Saux décrit ainsi le calvaire : « De style Renaissance, ce calvaire élancé du XVIe siècle est composé d'un emmarchement circulaire de cinq degrés, le socle également circulaire supporte le fût bosselé. [...] Sur le socle, on peut voir deux personnages en kersanton, un Ecce Homo et sainte Madeleine agenouillée. Celle-ci, la tête rejetée en arrière, contemple le Christ. Le croisillon portant les trois croix supporte dix personnages en kersanton. Le chapiteau est décoré d'une frise d'oves et porte une inscription MG LE SAUX LORS G. Cette inscription, complétée par la date 1560, se lit Maître Guillaume Le Saux alors gouverneur. Le terme gouverneur peut avoir deux significations : soit il équivaut aux termes fabrique ou fabricien, soit il désigne une chapelle sans fondateur, entretenue par les fidèles. De chaque côté, deux bustes soutiennent la console formée par le croisillon, ces cariatides sculptées stylistiquement sont également en kersanton. Parmi les dix personnages présents, on trouve entre autres les deux larrons sur leurs gibets en forme de T. Les larrons sont attachés par des cordes, selon la règle établie. Le mauvais larron détourne les yeux du Christ, tandis que le bon larron lève le visage vers lui. En signe de pardon, le Christ penche la tête vers le bon larron. Celui-ci a les jambes ramenées et attachées de l'autre côté de la croix, d'une façon particulière. Deux scènes sont représentées sur la console : [d’un côté] une déposition de croix et de l'autre côté trois personnages. La déposition de croix est constituée d'une piéta. La Vierge portant le Christ dans ses bras est ici représentée en Vierge de douleur, des larmes coulent sur son visage grave. La Vierge est accompagnée de saint Jean, selon la tradition, et d'une sainte femme en voile qui se trouve à sa droite. Devant, sous la crucifixion, on peut voir trois personnages. Au centre un moine lisant un livre ; saint Quéau ou Kew, qui est le patron primitif de Coat-Quéau. Une sainte priant, revêtue d'une tunique et d'un voile, et enfin un chevalier, genoux à terre, levant ses yeux vers le Christ et portant sa main droite au cœur. […] Au revers une Vierge Mère à l'enfant repose sur un socle, juste au-dessus de la piéta, il s'agit de Notre Dame de Coat-Quéau. Deux anges ailés recueillent le sang du Christ, ceux-ci ont été sculptés lors de la restauration, ils reposent sur deux socles, visibles à droite et à gauche de la croix du Christ. Le socle de Notre Dame de Coat-Quéau et ceux des anges marquent une séparation, amplifiée par un chapiteau situé au milieu de la croix du Christ. Un écusson sur le chapiteau rappelle l'origine de ce calvaire, on peut voir quatre blasons d'armes seigneuriales, parmi lesquelles on trouve les trois pommes de pin de la famille de Tresiguidy, qui possédait autrefois le manoir de Coat-Quéau. Cette famille a sans doute commandité ou participé au financement du calvaire[6]. »

 

Le calvaire de l’écluse

Calvaire de lécluse entier zoomCe second calvaire, « calvaire de l’écluse » ou « calvaire de Stang Luzigou », se trouve au bord du chemin qui longe le canal menant à l’ancienne écluse. Ce canal avait été construit pour les papeteries et les alimentait. Le lieu en lui-même, Stang Luzigou (28 ha), appartenait à la famille Bolloré, avant de devenir propriété du conseil général et "bois départemental" en 1983. Le village a été habité par des ouvriers de la papeterie.

Réalisé au XIXe siècle, le calvaire provient peut-être de la commune de Scrignac, comme la chapelle de Cascadec en Scaër et le calvaire d'Odet. Ses pierres auraient été déplacées et restaurées par René Bolloré II. Gaëlle Martin note, dans une visite guidée du calvaire, que René Bolloré, grand amateur de patrimoine, était coutumier de ces déplacements. Son fils, Gwenn-Aël, relate dans ses mémoires une anecdote à La Trinité-Surzur : en y passant, René Bolloré aurait voulu acheter la fontaine du village.

Dans un article consacré au calvaire, Jean Cognard, se basant sur l’inscription du fût, émet une autre hypothèse sur l’origine du calvaire : « Le calvaire a été dédié en 1815 à un couple Le Core-Le Guillou de Penhahars, lieu-dit attesté de la commune de Leuhan, et sans doute a été leur propriété. […] Des recherches généalogiques ont permis de retrouver les traces des deux personnes citées qui en l'occurrence étaient mari et femme. Les relevés du Centre genéalogique du Finistère font état des baptêmes et du mariage d'Yves Le Core et de Marie-Isabelle Le Guillou à Leuhan : […] 10/01/1802 (20/Nivo/An10), Leuhan (Pays : Châteauneuf), mariage de LE CORE Yves, fils de Germain Louis et de KERVRAN Marie, et de LE GUILLOU Marie Izabelle, fille de Jean et de LAZ Marguerite. Yves Le Core avait donc 34 ans en 1815, il est bien né à Penhars ou Penhahars, lieu-dit attesté de la commune de Leuhan. Il était probablement tailleur de pierres et aurait dédié cette pierre à son épouse Marie Isabelle Le Guillou[7]. » 

Le fût mesurant environ 1 mètre supporte un groupe de statues compact. Au centre, se détache une croix brisée portant un Christ dont il ne reste plus que le bassin et les jambes. Au revers, trois personnages forment une déposition de croix, on y retrouve toujours une piéta.

La restauration fut réalisée par Jean-Marie Quéré et Jean-Louis Favennec, maçons et salariés de la papeterie. Le haut de la croix garde d’ailleurs les marques d’une restauration : le groupe de statues qui le constitue est aujourd'hui cimenté au fût, sans chapiteau. Joëlle Le Saux, voyant que l’ensemble manquait d’harmonie, pense que les statues de la Vierge et de Saint-Jean avaient dû reposer sur des socles à l’origine. Selon elle, le calvaire aurait aussi perdu un croisillon dans le déplacement. Jean Cognard ajoute que « la texture des pierres de la partie basse du socle semble plus ancienne, ce qui laisse à supposer que le fût et cette partie haute a été adjoint plus tard. De même, la croix et les statues supérieures sont bien antérieures à la date de 1816 ». Composé d'un emmarchement et d'un socle carré, l’assise mesure presque 2 mètres. Elle comporte un banc et un chanfrein. Sur les quatre faces de l’emmarchement, une inscription est gravée en relief : FAIT P/ YVES LE -> CORE DE PENAHARS -> 1816 LE GUIL -> MARIE IZABELLE / LOU 

 

Synthèse réalisée par Marilyne Cotten

 

Notes

[1] Yves-Pierre Castel, « Le comité d’histoire d’Ergué-Gabéric à la recherche des croix et calvaires », Le Progrès de Cornouaille, 6 septembre 1986.

[2] Louis Le Guennec, Le Finistère monumental, tome III, Quimper, Les Amis de Louis Le Guennec, 1984, p. 508.

[3] Jean Cognard, Historial du Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_vente_de_la_chapelle_et_du_calvaire_de_Coat-Qu%C3%A9au%2C_Ouest-Eclair_Illustration_1925 et http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_chapelle_de_Coat-Qu%C3%A9au_transport%C3%A9e_%C3%A0_Cascadec%2C_Courrier_Illustration_1927-28

Extrait de l’article de l’Illustration du 9 mai 1925, intitulé « Un calvaire à l’encan » : « Commencées à la sortie de la messe, au matin, les enchères étaient terminées à dix heures et, pour la somme de 10.200 fr., le calvaire, la chapelle en ruines, le terrain et un second calvaire de moindre valeur était adjugés à un industriel de Quimper. L’acquéreur aurait, croit-on, l’intention de construire une chapelle nouvelle. L’ancienne chapelle possède cependant des vestiges intéressants, notamment des fenêtres ogivales du dix-septième siècle, finement ciselées et intactes. La vente est-elle définitive ? Aujourd’hui, l’administration des Beaux-Arts s’émeut, et, en ce moment M. Waquet, archiviste départemental, poursuit une enquête aux fins de faire classer le calvaire comme monument historique : l’antique lieu de pèlerinage conserverait ainsi ses pieux monuments consacrés par les plus chères traditions. »

[4] Louis Le Guennec, op. cit., p. 508.

[5] La datation est donnée par l’inventaire du patrimoine culturel en Bretagne : http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/hameau-coat-queau-scrignac/38acf4e3-bc67-46d5-8184-2d3939924ab3 En 1937, une autre chapelle est construite à l’emplacement de l’ancienne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_de_Koat-Keo

[6] Joëlle Le Saux, Rapport sur les croix et calvaires à Ergué-Gabéric, 3e trimestre 1993.

[7] Jean Cognard, « Le calvaire de Stang Luzigou », janvier 2009, Historial du Grand Terrier : http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=Le_calvaire_de_Stang-Luzigou


Marianne Saliou parle des papeteries d'Odet

Au début de l'année 1979, la Commission extra-municipale de recherches historiques d'Ergué-Gabéric a aussi recueilli le témoignage de Marianne Saliou sur magnétophone et retranscrit ce récit dans le bulletin municipal de janvier 1981. Née à Stang Venn en 1899, Marianne Niger est entrée adolescente à l'usine Bolloré, en 1915. Ses grands-parents eux-mêmes avaient travaillé à la papeterie du temps de Nicolas Le Marié, c'est-à-dire avant 1860. Ce témoignage, très complet, est donc particulièrement précieux. C'est pourquoi nous le reproduisons en intégralité.

 

Marianne Niger-Saliou, ouvrière de la papeterie d'OdetJe suis née à Ti Ru en 1899. J'avais 5 frères et sœur. Ma sœur Josèphe est née dans la petite maison du bois, là où habitait Lann Niger. La maison était occupée par les familles Rannou, c'est-à-dire ma mère et sa mère qui était veuve.
Mes grands-parents ont travaillé à l'usine Bolloré. Ils n'ont pas fait la fondation, mais presque. C'était du temps de Le Marié. J'ai toujours leurs médaillons de travail et ceux de mes parents.
Mon grand-père est mort à son travail. Il était charretier et envoyait le papier de l'usine à Quimper jusqu'au train. Le charbon et les chiffons venaient de la même façon, dans des petites charrettes. Un jour, sur le chemin du retour, il était fatigué et monta sur la charrette, au lieu de marcher. Il s'est sans doute endormi. Toujours est-il qu'il est passé sous les roues de la charrette et qu'il a été tué. Plus tard, c'est Tanguy qui est venu faire le charroi avec une plus grande charrette.
Du temps de ma mère, les femmes amenaient leurs enfants travailler à l'usine. À la chiffonnerie, ils pouvaient ramasser les chiffons. On gagnait plus ainsi, parce qu'on était payé à la tâche. C'était dur de ce temps-là. À la chiffonnerie, les femmes coupaient la corde avec des hachettes.
À la machine à papier, il n'y avait pas de rouleau sécheur de ce temps-là. Les femmes faisaient sécher le papier qui était épais sur la lande et les branches des arbres. Il fallait le surveiller. Quand il pleuvait, on le ramassait.
Grègor, mon père, était coiffeur-barbier à Ti Ru. Une des filles de M. Bolloré, Mme Belbeoc'h, l'a soigné lorsqu'il a cassé son bras. Cette femme avait un fils qui a été recteur de Sainte-Thérèse. Quand leur père, René Bolloré [René Bolloré I], est mort, elle et sa sœur se sont retirées de la succession de l'usine pour laisser leur demi-frère, René Bolloré [René Bolloré II] aussi, prendre en main l'usine. Elles ne sont jamais revenues à Odet. Seule, une fille de Mme Belbeoc'h est venue me voir un jour pour me parler de mon père.
Quand on était gosses, on allait jouer à la grotte des nains (Loc'h ar c'horiked). Il paraît qu'il y avait des nains et qu'il fallait leur faire à manger au moulin du Moguéric. Tous les jours, on leur faisait une soupe. Mais un jour, on a oublié et les nains sont partis.
Chez nous, on tuait un cochon tous les ans. Le dimanche, on cuisait la soupe, un morceau de lard et un morceau de bœuf qui venait de chez Bernard, avenue de la gare à Quimper. On allait chercher la viande à Ti Ru, où quelqu'un nous l'envoyait. Les autres jours, c'était la bouillie d'avoine et des galettes le vendredi. De temps en temps, Josèphe venait à pied de Tréboul et amenait du poisson dans une petite charrette à bras. Un merluchon assez grand coûtait 22 sous. On en achetait un entre deux familles. Le ragoût, des fois, était bijorig. Il n'y avait pas de viande du tout avec, seulement des patates trempées dans la sauce. Le pain, c'était du pain noir qu'on laissait sur la table, enveloppé dans une nappe. On ne buvait pas de cidre, ou rarement, mais on faisait de la piquette.
À Lestonan, il y avait une boulangerie qui appartenait à un Le Naour du bourg. Celui qui s'occupait du dépôt de Lestonan s'est marié à une fille de Laz. La maison a brûlé. Ensuite, en 1912, est venu Germain Guéguen qui apportait du pain à Ti Ru avec une charrette à bras. Avant, c'était Le Naour qui venait du bourg avec une charrette vers la fin de la semaine.
Chez Marguerite, il y avait un four où on faisait cuire le pain noir. C'est un Hémon de Langolen qui s'occupait du four. Il a été tué à la guerre. Après, ce sont des Rannou qui sont venus. Et ensuite, Per Rospape.
À Ti Ru, il y a eu trois commerçants qui se sont succédés. Au début, une famille avait acheté la boutique qu'ils avaient transformée en mercerie-épicerie. Ils n'ont pas pu tenir. Après, le père d'Armand Gourmelen, Youenn, est venu. La femme de Youenn était très commerçante. Mais ils ont dû partir à cause d'une histoire à l'usine. Les ouvriers avaient demandé de l'augmentation et fait une pétition. Comme peu savaient écrire, ça n'avait pas été difficile de découvrir les noms de ceux qui avaient fait la liste. Et ceux-là ont été punis. Les Gourmelen ont été renvoyés de Ti Ru. Après eux, ce sont des Rannou qui sont venus.
La première maison à être construite à Lestonan, c'est celle de Marianne Huitric, où habitaient des Bertholom ; dans cette maison, il y avait un petit commerce. Chez Joncour, j'ai vu faire la maison ; elle a été construite par un Guéguen. À Kerhuel Vian, où habitaient les Douguet, c'était une petite ferme. À Ti Koat, il y avait aussi un petit commerce où on envoyait à cuire son pain noir toutes les semaines. À l'usine, il y avait la maison de Lann Niger et les vieilles maisons à l'emplacement des garages actuels ; huit ménages habitaient dans deux maisons, chaque famille ayant une seule pièce.
De ce temps-là, c'était la misère. On ne touchait rien de nulle part. Grand-père disait d'envoyer les enfants à l'école, surtout les garçons. Mon frère Pierre, l’aîné, apprenait bien. Il a eu son certificat à Ergué ; après, il a été au Likès, à Quimper. Moi, j'ai été quelque temps à l'école à Lestonan. Ensuite, j'ai été en pension chez les sœurs au bourg.
Avant la guerre, on avait des amusements sains. Nous autres, on était une grande bande. Souvent, on allait faire un tour jusqu'à la route de Coray et quelquefois, en revenant, on s'arrêtait chez Chann Deo, où il y avait un piano mécanique. On dansait. À la fin du compte, on partait souvent pour Briec chez la tante Malouche, où il y avait un autre piano. On faisait la route à pied, bras dessus bras dessous, en chantant.
Le dimanche matin, on allait à la messe à l'usine. La chapelle était plus petite que maintenant. Il fallait être de l'usine pour y aller. Seuls les fermiers qui donnaient leurs terres pour chasser avaient aussi le droit d'y entrer.
J'avais 15 ans, en juin 1915, quand je suis rentrée à l'usine. Lorans (Laurent) Ar Gall m'avait demandé d'aller travailler. Mon père ou ma mère avait dû lui dire que j'aurais été contente d'aller à l'usine. De ce temps-là, c'était facile de rentrer. On avait toujours besoin du monde. Le premier jour, je devais commencer mon travail à minuit et finir à midi. On travaillait 12 heures par jour pendant la guerre. À l'usine, il n'y avait que des femmes, des vieux et des jeunes.
Le premier mois que j'ai touché, ça faisait 75 francs. Ma mère m'avait dit que, pour la première fois, je pouvais garder mes sous. J'ai donc été à Quimper, où j'ai acheté une montre et une chaîne en argent chez Seznec, une paire de souliers, une blouse. J'avais mis presque tous mes 75 francs dans ces achats. J'ai toujours la chaîne et la montre. Douze heures à travailler, c'était long. À la fin, on ne pouvait plus manger. Le sommeil nous prenait. On avait le droit au café. On le buvait dans le pot à café, qu'on chauffait en bain-marie dans un seau d'eau chaude.
Quand je suis entrée à l'usine, on faisait la petite bobine de 1200 mètres. Il fallait transporter les rouleaux pour traverser la cour et monter un escalier en pierre. Les hommes qui travaillaient avec nous essayaient de nous faire travailler plus. Ils avaient deux sous en supplément pour chaque rouleau. Lorans ar Gall, qui n'était pas parti à la guerre, passait chaque matin pour voir si ça allait.
Il n'y avait qu'une seule machine au début, mais la deuxième est venue avant la guerre. Elle a dû tourner en 1912. M. Rolland avait été voir cette machine en Allemagne. Elle a été mise devant le château. La première était plus petite, elle était où est la huit maintenant.
On déposait avec des charrettes les chiffons là où est l'église maintenant. Les bonnes femmes de la chiffonnerie venaient les chercher. Elles les mettaient sur leur dos dans de grandes serpillères. On ne voyait que leurs jambes qui marchaient, tout le reste était caché par les serpillères.
Après la guerre, les hommes sont revenus petit à petit. On ne savait plus où mettre à travailler les bonnes femmes. On nous a envoyées à décharger les chiffons et à faire toutes les corvées, les nettoyages dans l'usine, les carreaux, le ramassage des feuilles mortes, les jardins de Mme Bolloré.
En 1922, on a retravaillé aux bobines parce que le travail des hommes n'était pas aussi soigné. Tin ar Pap était chef chez nous. Pour alors, on ne faisait plus que 8 heures dans la journée. On travaillait de 5 à 15 heures ou de 1 à 9 heures.
J'ai été aussi marquée les caisses de Cascadec qui venaient à la gare de Quimper. On allait là-bas à pied. On mettait les caisses de Cascadec avec celles d'ici pour faire une expédition. C'était du temps où le papier à cigarettes allait en Amérique. Les deux usines travaillaient ensemble pour aller plus vite. Quelquefois, on mettait 40 caisses de Cascadec avec 60 d'Odet pour faire 100.
En 1922, c'était aussi le centenaire. Il y a eu des choses. Ça marchait bien à l'usine. Pendant la guerre, ils avaient trouvé les Américains et ça avait démarré. Ce n'était plus l'usine de l'ancien temps.
Moi, j'étais de noce. On avait envoyé Le Botrel qui avait composé une chanson sur le centenaire. Tout le monde avait mis son plus beau habit. Mail (Marie) Kergoat et Catherine Saliou avaient mis des habits très vieux. Mail Kergoat avait été chercher le sien à Briec. Elle était bien.
C'était quelqu'un de Nantes qui organisait la fête. Il y eu beaucoup de bonshommes saouls. Pendant longtemps après, on a trouvé dans le bois de l'usine des bouteilles vides.
M. Bolloré était assez donnant. Il avait tellement de choses. Après le centenaire, on a fait, tous les ouvriers de l'usine, la descente de l'Odet. On a mangé à Bénodet dans un hôtel. Chaque année, le premier de l'an, on allait souhaiter la bonne année aux Bolloré. On avait droit à une piécette ou le coup de rhum pour les hommes. Une fois, on nous fait voir le petit René-Guillaume Bolloré [René III]. On lui disait "pouffig" parce qu'il était gros comme tout.
Au début de son mariage, René Bolloré est allé habiter où était le concierge et Pierre Eouzan. Le premier fils, René-Guillaume, est né dans cette maison.
M. Bolloré s'est marié en 1911. Il y avait de la neige pour la fête, qui était organisée par les Quelven. Il s'était marié deux ou trois mois avant avec une demoiselle Thubé, de Nantes.
Tout le monde, même ceux de Cascadec, avait pris son char-à-bancs jusqu'à la Croix-Rouge. Ils [les mariés] sont arrivés en voiture découverte. Elle avait un grand chapeau, Mme Bolloré. On les a suivis jusqu'à l'usine. Avant qu'on ait fini le repas, M. Bolloré était porté en triomphe sur les épaules de Lorans ar Gall et de Ren Rannou.
Mr. Bolloré avait dit que ceux qui avaient travaillé cinq ans à l'usine avaient droit au mois double. Certains, les plus anciens, ont eu même trois mois.
Pour le travail, M. Bolloré était dur. Il dormait mal et je me rappelle l'avoir vu à l'usine pendant la nuit secouer les gens et leur dire "toi, tu dormais". Il ne fallait pas répondre. Il aurait dit des sottises, mais il ne restait pas fâché.
M. Bolloré aimait aussi faire des tours. Il allait pêcher Ia nuit avec des lampes et des filets en compagnie du garde, qui faisait tout ce qu'on lui disait de faire. M. Bolloré l'appelait « Kergoat ». Il lui disait des fois de traverser la rivière tout habillé et lui donnait une récompense après.
Quand M. Bolloré était petit, il jouait toujours avec les enfants des ouvriers et des paysans du coin. Un jour, il est venu chez nous, alors qu'on faisait la bouillie d'avoine. Il avait demandé à manger avec les autres ; on ne savait pas quoi lui dire, mais il s'est quand même installé à table.


Marie-Véronique Blanchard, sage-femme des papeteries d'Odet

Marie-Annick Lemoine a recueilli dans Mémoires de Lestonan les témoignages d’habitants qui ont côtoyé, de près ou de loin, la sage-femme des papeteries. À partir de ces informations, elle a pu recomposer la vie et le parcours de Marie-Véronique Blanchard.

 

« Marie-Véronique Blanchard » : dites ce nom aux Gabéricois de souche, nés dans un créneau allant de 1905 à 1955 environ, et vous entendrez fuser ce genre de phrases spontanées : Elle me rappelle les visites médicales, avec ses « cuti » ; Elle m’a assistée, chez moi, pour la naissance de mes enfants ; Je suis un « bébé Blanchard » ; (et peut-être) Ce n’est pas un très bon souvenir pour moi.

 

Généalogie

Qui était donc Madame Blanchard ? Elle est née Marie-Véronique Berthomé, le 6 février 1896, à Anlier, en Belgique, fille de Jean-Jules Berthomé et de Marie-Célestine Guillaume. Ses parents s’étaient mariés à Anlier également, le 5 juillet 1893. Elle avait un frère, Eugène, né en 1894, et deux sœurs, Marie-Lucie et Jeanne-Hélène, nées respectivement en 1899 et 1901. Son père était originaire de Vers, dans les Deux-Sèvres (79). Yves-Marie Blanchard, son mari, est né à Quimper, rue Saint-Mathieu, le 7 août 1894 ; il était le fils de Jean-Marie Blanchard, né à Quimper, cocher, et de Marie-Louise Péron, née à Langolen, ménagère.

 

Mariage, enfants et installation à Ergué-Gabéric

Famille de Marie-Véronique Blanchard_Fonds MA LemoineYves-Marie Blanchard et Marie-Véronique Berthomé se marient à Namur en Belgique, le 28 août 1920 ; ils se sont connus pendant la guerre 1914-1918 : lui, a été blessé et soigné à Charleroi, où elle était infirmière, semble-t-il. De leur union naîtront à Ergué-Gabéric : Yvette en 1921, Denise en 1924, et Albert en 1929. Yvette est décédée jeune (à 16 ans) à Ergué-Gabéric, en mars 1937. Denise vivait à Saint-Brieuc et est décédée en mars 2006. Albert vit à Quimper et fréquente toujours Ergué-Gabéric, où on peut le voir régulièrement soutenir les « Paotred Dispount ». Personne ne nous a indiqué le moment exact de son installation : sans doute assez vite après son mariage, puisque les trois enfants sont nés à Ergué-gabéric. Monsieur et Madame Blanchard ont habité dans une maison de la cité de Keranna, autour du puits. [Ci contre : Marie-Véronique Blanchard en famille, 1re à gauche, assise]

 

Embauche à la papeterie d’Odet

MV Blanchard cadrage Fonds MA Lemoine2Yves-Marie Blanchard travaillait à l’usine Bolloré à Odet. C’est René Bolloré qui demanda à Madame Blanchard de s’installer à Ergué-Gabéric comme sage-femme et « conseillère » en prévention infantile : René Bolloré avait constaté que des ouvrières ou des femmes d’ouvriers de l’usine mouraient jeunes et en couches. Madame Blanchard était salariée de la papeterie et donc payée par l’usine. Madame Blanchard pratiquait des accouchements pour les femmes travaillant à l’usine et les épouses des ouvriers. Elle assurait aussi le suivi après l’accouchement. [Ci-contre : Marie-Véronique Blanchard]

 

Avant l’accouchement

Les soins avant accouchement ne se pratiquaient pas encore. Les examens prénataux actuels n’existaient pas, et il y avait parfois des surprises, par exemple des jumeaux absolument pas attendus. Ainsi ces jumeaux, garçon et fille, pour lesquels on n’avait pas pensé aux prénoms : ils ont eu les prénoms des deux enfants de la sage-femme.

 

 

Pendant l’accouchement

Pendant quelque temps, Mme Blanchard se rendait chez les patientes à pied ou en char à bancs. Quand la voiture automobile apparaît, elle est la première femme d’Ergué-Gabéric à détenir un permis de conduire, et sa première voiture sera une « Rosengard », bien connue de tout le monde : tous s’empressaient de dégager la route dès qu’elle se pointait à l’horizon. Car c’était toujours urgent quand elle arrivait ! Son secteur était assez étendu : Ergué-Gabéric bien sûr, mais aussi Elliant, Briec, Coray… Outre les femmes de l’usine, Madame Blanchard a en effet accouché et soigné des femmes de la campagne, sur Ergué-Gabéric et Briec, et dans les communes avoisinantes. Elle était souvent payée dans ce cas en nature : en pommes de terre ou autres produits agricoles. Nous n’avons pas eu beaucoup de renseignements à ce sujet.
L’accouchement ne se passait pas toujours bien ; il pouvait y avoir du retard pour venir sur les lieux, ou pour prendre les bonnes décisions, ou encore des gestes malencontreux ; la responsabilité de la sage-femme était grande, et quand ça se présentait mal, on demandait au médecin de venir à la rescousse. Ainsi les docteurs Cottin, Maloisel (célèbre pour sa pipe et son abaisse-langue), Bourlès, Cornic, Renaut, Guivarch, et Piriou de Quimper, les docteurs Favennec et Kergoat de Briec…
Les bébés qui ont été mis au monde par Madame Blanchard sont, paraît-t-il, facilement reconnaissables, car elle leur faisait un joli « skloum », et ils ont de jolis nombrils !!!

 

Après l’accouchement

Nous avons interrogé des femmes qu’elle a accouchées et avons ainsi appris que : d’une part il n’y avait pas beaucoup de soins avant l’accouchement, et d’autre part, quand l’enfant était né, les mères devaient rester couchées pendant huit jours : elles étaient « coucounées » pendant ce temps-là. Madame Blanchard prenait soin du bébé, tandis que d’autres femmes venaient aider les mamans qui venaient d’accoucher. Les femmes qui travaillaient à l’usine récupéraient un grand morceau de tissu de feutre, très doux et résistant, dans lequel elles découpaient des langes pour les bébés.
Quand les mamans reprenaient le travail après l’arrêt nécessaire, les bébés étaient envoyés à l’usine, à heures régulières. De ce point de vue, « Briec était arriéré par rapport à Ergué-Gabéric », nous dit une de ces mamans.

 

Candidature aux élections de 1945

Madame Blanchard assurait un important rôle social, par les soins qu’elle donnait. Elle s’est aussi présentée aux suffrages des électeurs le 13 mai 1945. C’était l’élection du premier conseil municipal au suffrage universel, puisque c’était la première fois que les femmes votaient. La liste sur laquelle elle était inscrite n’a pas eu grand succès, et elle n’a pas été élue. Elle habitait Tréodet à ce moment-là.

 

Retraite

Elle a exercé son métier de sage-femme pendant près de 50 ans. Son dernier accouchement aurait eu lieu vers 1956. Elle s’est retirée à Saint-Brieuc, près de sa fille, et c’est là qu’elle est décédée, vers l’âge de 80 ans.

 

Marie-Annick Lemoine


Marjan Mao, délisseuse à la papeterie d'Odet

Dans Moulins à papier de Bretagne, édité par Skol Vreizh en 1989, Marjan Mao a laissé un témoignage précieux sur le travail des femmes à la papeterie Bolloré. Elle retrace non seulement les étapes de la transformation du chiffon en papier au début du XXe siècle, mais aussi les conditions de sa vie d'ouvrière. Le témoignage avait été recueilli en breton et traduit partiellement en français. Bernez Rouz l'a retraduit ici dans son intégralité.

Marjan Mao pel Lourdes 1928Labourat 'm eus e ti Bolloré abaoe 41 bloaz, etre 1920 ha 1961. Ganet on e 1902. Pa oan aet e 1920, e oamp 54 maoues er "chiffonnerie". Bez e oa bet daw lakaad niverennoù ewid liñserioù peb heni peogwir e oamp ken niverus! Eus ar Russi eoa al lien o tont : chaossoneier d'ar voussed, loereier... trist gweled aneho, traou lor! Ar pilhoù-se a veze memestra desinfektet en araog. Ewid troc'hañ ar pilhoù e tammoù bihan e oa un daolig goad vihan. C'hwi 'oa asezet er penn all o rampañ hag ur falz 'oa plantet gant an tu lemm en tu all. Goudese e oa ur gasset vihan ewid lakaad ar pezh 'poa gwraet. Ma oa traou lovr e oa ur "grille" e-kichen ewid tenn ar poucher kuit eos ousto. Peb sort traou a oa toud : stoup, fissel, kerden ha ne oant ket mad, ur bern traou lovr! Da gentañ e oa gwraet tammoù hir gant ae pilhoù paket en ho torn er mod-se, un tu en ho torn, an heni all o pegañ e-barzh an tamm pilhoù. Pa poa gwraet un dornad mad, c'hwi a bassee aneho e mod-se ewid ober tammoù bihan. Gwraet e oa tammoù e-gis palv ma dorn ase a oa mad. Med an tammoù-se ne oa ket toud heñvel neuse, lod aneho ne oant nemed tammoù lass. Da gentañ toud e veze labouret gant ar vouc'hal, ar falz... Ar vouc'hal-se a oa bihan, ur vouc'halig lemm a oa gant daou benn ewid troc'hañ kerden, fissel, rouedoù. Peb heni a oa red dehañ mont da ger'had ur pakad pilhoù 200 livr war e gein. Daw e oa bannañ kuit toud ar pezh na oa ket mad... Lakaet e oa toud ar boutonioù e-barzh ar "poucher". A re vad a oa daspugnet ha kasset d'ar gêr hag ar re all a oa lakaet e-touesk ar poucher dindan ar "grille". Ha goudese pa oa ur bern, e oamp o kass anehañ e-barzh ur sac'h war hor c'hein d'un tu bennag e-barzh ar c'hoad. An dra-se a rae deomp ur bourmenadenn - kuit da chom e-barzh an usin e-touesk ar poucher - war vord ar stêr pe e Keranna.

Eizh eurwezh bemdez e veze labouret e-barzh ar "chiffonerie" epad an deiz. Ha da greisteiz e oa red redeg ewid mont d'ar gêr d'ober merenn. Leun a boultr e oa toud ar pilhoù-se hag e oan o poussañ epad an nos. Daw e oa din asezañ e-barzh ma gwele kemendall a boucher a oa ganin... Hag hon dilhad deomp pegen lor e oant! Soñj 'm eus, forzh pelec'h ez aemp e oa c'hwes ar pilhoù ganeomp. Ar re-gozh ne faote ke deho e veze lakaet un "aspirateur" ewid tennañ ar poucher kuit. Bet'oa deuet ur mare hag a oa bet deuet ur sort "ventilateur". Hennezh a veze gwraet ar "moulut" anehañ. Hennezh a droe e mod-se hag ar poultr a yae er maes. Goudese e oa deuet ur mekanik da droc'hañ aneho ha ne oa d'ar mare-se nemed triañ aneho ha ne oa ket daw chom da droc'hañ aneho bihan er mod-se. Deuet e oa ar mekanik-se araog ar bresel, er bloawezh 1935-36.

Goudese e oa "la lessive" e-barzh ur pezh mell childourenn. Reoù hir a oa da gentañ pa oan aet ha goudese e oa gwraet daou newez, re ront ha bras. Bez e oa unan o vont e-barzh al "lessiveur" da flastrañ ar pilhoù memes ma n'en doa ket droed d'henn ober ewid fourañ ar pilhoù gant ur vazh koad. Dont a rae ar pilhoù gwalc'het eus ar chidourenn-se. Paet e oamp herwez ar bailhoù (lessiveurs) gwraet ganeomp. A-wechoù e oa daou d'ober, a-wechoù tri pe pewar. Start e oa al labour. Er bloawezh 1924, pa 'm boa dimezet, em boa gwraet 800 lur en ur mis hag am boa paeet toud ma frejoù dimeziñ ganto. Goudese e veze lakaet ar pilhoù e-barzh ar "piloù" ewid bezañ dineudet ha gwennet ha 'benn ar fin e oa toas kros. Tennet e oa an toas-se gant ur vac'h ha lakaet anehañ en ur "pil" all da dorriñ anehañ finnoc'h. Red e oa d'an toas bezañ fin tre ewid ober paper.

 

J’ai travaillé chez Bolloré pendant 41 ans, de 1920 à 1961. Je suis née en 1902. Quand j’ai commencé, en 1920, on était 54 femmes à la chiffonnerie. On devait mettre des numéros sur les draps qu'on remplissait de chiffons, car on était très nombreuses. Les chiffons venaient de Russie : c’étaient des chaussons d’enfant, des chaussettes... C’était triste de les voir, tellement ils étaient sales. Ces chiffons étaient quand même désinfectés avant le découpage. Pour les couper en petits morceaux, on avait une petite table. Vous étiez assis d’un côté, les jambes écartées ; et une faux aiguisée était plantée de l’autre côté. On avait une petite caisse pour mettre ce qu’on avait découpé. Si c’était trop sale, on se servait d’une grille pour enlever la poussière. On voyait de tout : de l’étoupe, de la ficelle, des cordes qui n’étaient pas bonnes, beaucoup de saletés. Dans un premier temps, on découpait des pièces en longueur, en tenant le chiffon d’un bout à l’autre. Quand vous aviez fait un beau tas, vous repassiez les chiffons sur la faux pour en faire de petits bouts de la taille d’une paume. Mais les morceaux n’étaient pas identiques, certains ressemblaient à des ficelles. Il fallait travailler avec la hache, une petite hache à deux tranchants, aiguisée pour les cordes, les filets et les ficelles. Chacune d’entre nous devait aller chercher son paquet de chiffons (100 kilos) et le porter sur le dos. Il fallait jeter tout ce qui n’était pas bon. Les boutons, on les jetait dans la poussière. On ramenait les bons à la maison, les autres étaient mis sous grille. Quand on avait formé un bon tas, on le mettait dans un sac, sur notre dos, et on l’amenait dans le bois. Ça nous faisait une promenade au bord de la rivière ou à Keranna, ça nous sortait de la poussière de l’usine.

On travaillait 8 heures par jour à la chiffonnerie. A midi, on courrait à la maison préparer le déjeuner. Tous ces chiffons étaient remplis de poussière et on toussait pendant la nuit. Il fallait que je dorme assise, tellement j'avalais de poussière. Et nos habits, qu’ils étaient sales ! Partout où on allait, on sentait la poussière. Les anciens ne voulaient pas qu’on prenne un aspirateur. Mais ensuite, on nous a mis un ventilateur. On l’appelait le « moulut ». Il tournait en permanence et propulsait la poussière dehors. Puis on nous a installé une machine à déchirer les chiffons. On n’avait plus qu’à les trier et les couper en petits morceaux. Cette machine est arrivée en 1935-36, avant la guerre.

Dans un second temps, on lessivait les chiffons dans une grande marmite. Au début, la marmite était de forme allongée, puis elle a été remplacée par deux lessiveuses, de forme ronde. L’une d’entre nous allait dans la marmite pour tasser les chiffons avec un morceau de bois, même si elle n’en avait pas le droit. On ressortait ensuite les chiffons des lessiveuses. On était payées au nombre de lessives par jour : parfois deux, jusqu’à quatre. Le travail était dur. Quand je me suis mariée, en 1924, j’avais gagné 800 francs dans le mois : avec ça, j’ai payé tous les frais de la noce. Enfin, les chiffons étaient mis dans une deuxième pile pour casser les fibres, les blanchir et en faire une pâte grossière. Après ça, on enlevait la pâte avec un croc et on la transvasait dans une autre pile, où la pâte était encore affinée. La pâte devait être très fine pour faire du papier.

Photographie : Marjan Mao lors d'un pélerinage à Lourdes en 1928.


Les fêtes et loisirs, par Pierre Faucher

Au début du XXe siècle naît en Europe une société de loisir. À l'instar de leurs contemporains, les Bolloré organisent des évènements festifs et favorisent les sports dans leur communauté. Dans son étude de la papeterie d'Odet, Pierre Faucher a réalisé une synthèse sur cet aspect de la vie des papetiers.

Vincent Bolloré dit volontiers que son grand-père, René II, aimait que l'on organise des fêtes, des loisirs, des manifestations religieuses... Lui-même souhaite que l'on saisisse les occasions qui se présentent pour se retrouver dans un environnement différent des préoccupations habituelles de l'entreprise.

Depuis le décès de Gwenn-Aël Bolloré, en 2011, la société Bolloré a rénové le manoir et son cadre agreste : il y a là, en effet, un parc et quelques éléments notables, dont un séquoïa californien (hypérion cornouaillais planté au début du XXe siècle et classé par Mikaël Jézégou parmi les Arbres remarquables du Finistère). La famille y accueille non seulement ceux qui particpent aux activités Bolloré, mais aussi des personnalités politiques. Ce fut le cas en 2014 avec la venue de François Hollande, président de la République, et en 2016, avec celle de Manuel Valls, premier ministre.

Lorsqu'il dirigeait les papeteries (1905-1935), René Bolloré II organisait de grandes rencontres, "team buildings" avant l'heure, pour induire de la cohésion dans l'entreprise. Plusieurs d'elles sont restées dans la mémoire collective : le mariage de René Bolloré et Marie Thubé en 1911, la fête du centenaire en 1922, les anniversaires et les multiples remises de médailles du travail... Très intuitif dans le domaine, René Bolloré II a pratiqué à fortes doses cette manière de management. Vincent Bolloré perpétue cette volonté de graver son passage dans la chronologie de la société Bolloré.

On peut classer en trois catégories les fêtes et loisirs à Odet :

 

Les fêtes religieuses

La religion tient une place conséquente dans la vie de la famille Bolloré. Dans l'entre-deux-guerres, une messe est donnée chaque jour à la chapelle Saint-René. À cette époque, certaines dates religieuses sont célébrées tous les ans à Odet, telle la Fête-Dieu, qui a lieu en mai-juin, le dimanche après la Pentecôte. À cette occasion, les fidèles défilent en des processions très fleuries dans le parc autour du manoir. La plus prestigieuse de ces célébrations fut celle de 1918 (voir ci-dessous).

La fête Dieu au manoir dOdet

 

Les fêtes d'entreprise

Ces évènements qui réunissent tout le personnel ont lieu à des moments importants de la vie des papeteries et de leurs responsables. La plus importante de ces manifestations fut la fête du centenaire, en juin 1922. Elle dura une semaine et les participants en gardèrent un vif souvenir. D'autres fêtes auront encore lieu. En 1927, le premier dimanche de mai, l'entreprise célèbre les 80 ans de madame Bolloré mère. Mille deux cents convives descendent l'Odet pour festoyer à Bénodet. En 1929, René Bolloré II fête ses 25 ans de patronat, un dimanche 15 septembre. Cette fois, 1400 personnes sont conviées à un banquet installé sous une vaste tente, à Keranna et dans la prairie de Meilh Mogueric. Là aussi, les invités descendent à Bénodet et aux Glénan.

 

1929 25 ans de patronat de René Bolloré

Banquet aux 25 ans de patronat de René Bolloré, 1929. © Étienne Le Grand.

 

80 ans de Mme Bolloré remise de médailles

Remise de médailles du travail aux 80 ans de Mme Bolloré, 1927. René Bolloré II se trouve au premier plan. On aperçoit le photographe (studios Le Grand) et la chapelle Saint-René à l'arrière-plan. © Étienne Le Grand.

 

Les évènements sportifs et le patronage d'Odet

Dès 1928, René Bolloré met à la disposition des Paotred Dispount, l'équipe de football gabéricoise, des terrains à Keranna, en face de la cité ouvrière et en contrebas des jardins ouvriers. Un terrain de sport en bonne et due forme est aménagé, favorisant les activités de la société de gymnastique, puis celles du club de football. Vers 1930, le patronage d'Odet est construit sous la forme d'une salle multi-fonctions. Il sera inauguré le 6 septembre 1931, comme le relate Jean Guéguen dans son histoire du patronage d'Odet. Les Paotred Dispount célèbrent en 2013 leurs cent ans d'existence. A cette occcasion, ils éditent un DVD, ainsi qu'un livre-souvenir richement illustré : Les cent ans des Paotred Dispount (1913-2013). Ces deux documents sont consultables chez Arkae. Pour plus d'informations, on pourra aussi visiter le site des Paotred, où figure une chronologie détaillée.

 Les Paotred Dispount posent devant le patronage

Les Paotred Dispount posent devant le patronage.

 

Pierre Faucher


La chapelle de Keranna, visite guidée

Chapelle de Keranna

Le texte qui suit présente la chapelle sous l'angle d'une visite.
Il a constitué un support pour des guides.

La chapelle des ouvriers

Bâtie sur d'anciens jardins ouvriers, jouxtant le terrain de sport des Paotred Dispount (équipe sportive d'Ergué-Gabéric, fondée vers 1920), ainsi que la salle des fêtes de Keranna - autrefois patronage de Keranna- et la cité ouvrière (de l'autre côté de la route, construite par Bolloré en 1918), la chapelle de Keranna est indissociable de l'univers des papeteries Bolloré, en même temps qu'elle marque un tournant dans leur histoire. Avant la construction de Keranna, le lieu de culte le plus proche était la chapelle privée de la famille Bolloré, Saint-René, située dans l'enceinte de l'usine. Keranna fut inaugurée en juillet 1968, et l'on planta les arbres qui composent aujourd'hui son écrin de verdure. Ci-dessous, chapelle de Keranna en juin 2002 photographiée par Gaëlle Martin.

Les religieux

L'édification de Keranna répondait, pour celui qui en fut l'instigateur, à savoir l'Abbé Jean-Marie Breton, dernier aumônier attaché à l'usine Bolloré, à la nécessité de donner aux habitants de ce quartier de Lestonan un lieu de culte indépendant de l'usine. Ceci lui valut de perdre le logement qu'il occupait en tant qu'aumônier, et selon la tradition chez Bolloré, à la papeterie... En 1967-1968, Ergué 67, nouveau bulletin paroissial, raconte dans ses deux premiers numéros la conception et construction de la chapelle (voir le numéro 2, illustré par le visuel ci-dessous). Les Frères de Lammenais et les Filles du Saint-Esprit en animaient le culte. René Bolloré II avait demandé l'installation de ces congrégations religieuses à Lestonan pour diriger les écoles privées qu'il y avait fait construire en 1927 et 28, pour les enfants de ses ouvriers. Les frères et sœurs attachés à Keranna célèbraient l'office du matin dans une petite chapelle au sous-sol (entrée par l'extérieur sur le côté). De nos jours, les offices ont lieu chaque samedi soir à 18h30 et pour une messe est donnée à Noël.

 Chapelle à Keranna article Ergué 67 150 px

Les constructeurs

L'architecte Brunerie, de Quimperlé, en dressa les plans. Les habitants furent impliqués dans les travaux. Des ouvriers spécialisés de l'usine (de l'électricien au mécanicien, en passant par le maçon et le menuisier) venaient après leur journée de travail et se consacraient au chantier.

Un bel exemple d'architecture religieuse au XXe siècle

La visite de la chapelle de Keranna peut nous aider à comprendre comment l'architecture religieuse d'après guerre articule plans, formes et matériaux nouveaux pour une symbolique revivifiée. Les constructeurs n'ont pas retenu l'orientation traditionnelle. Le chœur se trouve au sud et le fond de la chapelle, c'est-à-dire l'entrée principale, est au nord. La façade triangulaire de l'édifice qui consiste en un volume pyramidal se veut un rappel de la Trinité. Elle est formée d'une immense baie favorisant l'entrée de la lumière dans la nef, comme autrefois les rosaces du gothique. La structure même de Keranna reprend des principes de construction archaïques : la hauteur sous la voûte va décroissant jusqu'au chevet, juqu'au crucifix. On progressait de cette façon vers la chambre du mort dans les premiers tombeaux de l'humanité. Le chœur de la chapelle, image du tombeau du Christ, fait face à la grande baie de l'entrée principale, par où le jour pénètre largement dans l'édifice, image de la lumière de la Résurrection. 

Un culte recentré sur les valeurs fondamentales

Cet effet architectural, ainsi que le strict dénuement à l'intérieur de la chapelle, conduisent tout naturellement le regard vers le chœur. La nouvelle doctrine de l'Église étant alors de recentrer le culte vers les valeurs clés du christianisme (sacrifice du Christ, rachat de l'humanité), le chœur se vide de tout image autre que celle de la crucifiction et du tabernacle.

 

Modernité, dépouillement et lumière

Chapelle de Keranna Intérieur Chœur

Le mur aveugle du chœur est le seul utilisant la pierre de taille (carrière de granit d'Edern). La croix de l'imposant crucifix, aux formes étirées, émaciées, a été réalisée par un Gabéricois, M. Nicot. Le tout surplombe le tabernacle, rendu incandescent par un éclairage intérieur. Un remarquable décor de fer forgé, au motif de flammes, sertit le tabernacle, symbole de la foi qui seule permet au chrétien de pénétrer le mystère de l'Eucharistie. Le ciment constitue la matière de l'autel. Les constructeurs ont ainsi voulu faire entrer ce matériau contemporain dans le registre des matériaux classiques d'une architecture religieuse en accord avec son temps. On retrouve encore dans les murs les jambes de force soutenant la voûte, la porte du tabernacle, comme substitut du plomb dans les vitraux.
Seules deux statues complètent l'ornement du chœur. Une statue ancienne en bois plychrome représente un saint non identifié. Il porte la tonsure monastique et un manteau long. Il provient sans doute d'une autre chapelle d'Ergué-Gabéric. À droite de l'autel, se tient un ex-voto en bois de la Vierge et Sainte-Anne. Pour les vitraux, simples baies rectangulaires, les maîtres-verriers ont eu recours à de volumineux cristaux colorés, de toutes formes, caractérisés par un léger relief par rapport au plan de la composition. On remarque qu'un choix de couleurs a été effectué : couleurs froides (dominantes vertes et bleues) à l'est, couleurs chaudes (jaune, orange et rouge) à l'ouest. Ces cristaux ne forment pas de motifs figuratifs : remarquons seulement une ébauche de la croix dans la grande baie et des petits crucifix rouges dans les baies du chœur à l'ouest. Les verrières ont été réalisées par l'atelier de Tristan Rulhmann, maître-verrier renommé, spécialiste des vitraux en dalle de verre, installé à Schweighouse (Bas-Rhin).
Le confessionnal se trouve engagé dans le mur, sous la tribune. La tribune constitue un autre élément d'architecture religieuse traditionnelle. À leur entrée dans le confessionnal, le fidèle et le prêtre font ainsi partie intégrante de l'édifice, c'est-à-dire, symboliquement, de l'Église. Keranna possède une sacristie résolument moderne et fonctionnelle avec un système de chauffage moderne, ce que la chapelle privée de Bolloré était seule à posséder jusque-là. Ci-contre, intérieur de la chapelle de Keranna photographiée par Gaëlle Martin en juin 2002.

 

Marilyne Cotten, d'après une synthèse de Gaëlle Martin

Pour aller plus loin : article sur les chapelles d'Ergué.


Histoire des femmes aux papeteries d'Odet

Plus de la moitié du personnel d'Odet est composé de femmes. Leur travail, leur salaire, leur place à l'usine sont bien différents de ceux des hommes. Leur histoire, aussi, est différente, riche en développements, en évolutions et en revirements, c'est pourquoi nous avons choisi de consacrer un plein article aux papetières.

 

Les femmes aux chiffons

Chiffonière au triage

Génralement, les ouvrières sont orientées vers les travaux de triage, de préparation et de découpe des chiffons. Du travail des chiffonières, il nous reste plusieurs témoignages, dont celui de Pierre Eouzan, dans le bulletin municipal d'Ergué-Gabéric en 1997. Pierre est né en 1913 "dans la cour même de l'usine". Il a travaillé à la papeterie jusqu'en 1977, au même poste que son père : chef de fabrication. Peut-être est-il à la papeterie un "chef des femmes", puisqu'il nous dit qu'il "surveillait tout depuis l'arrivée des chiffons jusqu'à la fabrication de la pâte". Avec, néanmoins, une compréhension peu commune pour leurs conditions de travail.

Aussi souligne-t-il que les chiffonières effectuent le travail "le plus pénible de l'usine". Leur emploi suppose force (porter les "lourds ballots de chiffons"), précision ("les débarraser de leurs boutons et agrafes", les couper en fines lamelles) et endurance. De fait, jusqu'en 1936, date d'arrivée au pouvoir du Front populaire, les femmes travaillent parfois jusqu'à "12 heures d'affilée dans une atmosphère remplie de poussière". Atmosphère dont Marjan Mao, délisseuse à Odet, nous dit qu'elle imprègne les vêtements (Moulins à papier de Bretagne, Yann-Ber Kemener, Skol Vreizh, 1989, p. 76-77). Une photographie extraite de la revue Micherioù koz (n°30, 2012) en rend compte.

Ajoutons à la peine : aux chiffons, il est admis qu'on fait un travail de second ordre, par rapport à celui des factionnaires. Les enfants et les apprentis ne travaillent-ils pas là aussi ? Sans surprise, l'usine reflète, dans sa structure hiérarchique, une société paternaliste.

 

Un salaire inférieur

Comme dans la plupart des manufactures du XIXe et du début du XXe siècle, les femmes reçoivent un salaire inférieur à celui des hommes (de moitié) : 2,25 F pour eux, contre 1,25 F pour elles au début de l'activité du moulin. Cette proportion a peu évolué au XIXe, mais dans les années 1930, le catholicisme social pousse les Bolloré vers une plus grande égalité des salaires.

 

Des conditions qui s'améliorent lentement

Ce n'est qu'entre 1936 et 1940, nous dit Pierre Eouzan, "qu'une machine à découper les chiffons et un aspirateur à poussière viennent améliorer les conditions" de travail des chiffonières. Il faut dire que l'aspirateur, inventé aux États-Unis en 1860, ne se démocratise vraiment qu'après la Seconde Guerre mondiale. Marjan Mao mentionne également l'arrivée d'un ventilateur parmi les améliorations notables.

Jusqu'en 1936, les ouvrières ont découpé les chiffons au dérompoir, un table munie d'une lame de faux, et les cordes à la hache, sur un billot. La coupeuse mécanique de chiffons existait pourtant depuis le milieu du XIXe siècle. On trouve ainsi, vers 1860, une coupeuse en Bretagne dans la papeterie Vallée à Belle-Isle-en-Terre (cf. Moulins à papier de Bretagne). Mais il faut dire qu'elle exécute moins bien sa tâche que l'humain, si l'on en croit le Dictionnaire des arts et manufactures de 1847, qui décrit les alternatives mécaniques au billot : le hache-paille et les cylindres à cisailles, qui sont conseillés seulement pour les chiffons à fortes fibres (ibid., p. 2868). Bien plus tard, en 1902, une publicité d'Everling dans une revue destinée aux papetiers vante les mérites d'une machine à couper les chiffons et les cordes, sans doute perfectionnée. Mais l'acquisition de cette machine aurait-elle impliqué une perte d'emplois ? Vraisemblablement. On ajoutera un argument financier : est-il intéressant d'investir dans une machine quand le coût du travail des ouvrières est si bas ? 

Les merveilles de lindustrie 1873 Coupeuse mécanique des chiffons . 4727165110Coupeuse mécanique de chiffons (Les merveilles de l'industrie, 1873).

hache paille Périgord papeterie de VauxHache-paille dans la papeterie de Vaux (Périgord), fermée en 1968 et transformée en musée.

Coupeuse mécanique du Fonds ValléeCoupeuse de chiffons de la papeterie Vallée (Côtes-d'Armor), 1850-1870.

Notons que le travail des chiffonnières n'est pas sans danger. À l'atelier des chiffons, elles œuvrent avec des lames, bien sûr, mais elles respirent aussi les produits chimiques : chlore, phosphates, carbonate de chaux, acides et autres substances. Encore s'en sortent-elles avec chance, puisque selon Pierre Eouzan, une seule fuite de chlore fut à déplorer pendant sa carrière. 

 

La garde des enfants

Au travail à l'usine succède le travail à la maison. Quand les deux ne sont pas simultanés. Ainsi, l'enfant allaité est amené à l'usine pour la têtée. Par ailleurs, lorsque l'ouvrière a un ou des enfant(s), une "petite jeune fille" est "prise pour s'en occuper", nous dit Pierre Eouzan. On pourrait dire que le travail des femmes pour l'usine commence dès cet âge où elles gardent les plus jeunes. 

 

La Première Guerre mondiale : les femmes aux machines

La Première Guerre est un tournant. Pendant le conflit, la fabrique s'appuie entièrement sur la force de travail des femmes. Jean-François Douguet a développé cet aspect de l'histoire des papeteries dans Ergué-Gabéric dans la Grande Guerre (éd. Arkae, 2015, p. 76). En 1911, les femmes sont 68 sur 135 employés, soit 51 % du personnel. En 1914, elles vont remplacer les hommes aux machines. Associée à la signature de contrats juteux avec l'étranger, cette main-d'œuvre féminine permet un "formidable développement". Mais au retour des hommes, les ouvrières sont écartées des machines et reviennent aux tâches subalternes : les chiffons, encore et toujours, mais aussi le nettoyage des carreaux et le ramassage des feuilles mortes dans les jardins de Mme Bolloré.

 

Les années 1920 : retour en force

Après 1921, l'usine aura encore besoin d'elles. Lorsque le nombre d'employés double à l'usine Bolloré, les femmes reviennent un peu plus nombreuses, occupant 55 % des emplois, ce qui correspond à 135 personnes. Selon Marjan Mao, 54 femmes (soit 40 % des emplois féminins) travaillent aux chiffons chez Bolloré au début des années 1920. Les 91 restantes occupent donc d'autres postes. Certaines intègrent en effet des emplois plus valorisants. Les femmes sont notamment rappelées au bobinage où, pendant la guerre, elles ont été jugées plus soigneuses que les hommes, nous dit Marianne Saliou (bulletin municipal de 1981). Dans les années 1920, plusieurs ouvrières entrent donc dans le cercle des factionnaires, effectuant les 3 x 8 à raison de 48 h/semaine. Mais ces factionnaires féminines restent dirigées par un "chef des femmes" : André Marc, qui a exercé ce travail ("poste enviable, n'est-ce pas ?" commente-t-il dans le bulletin municipal de 1997) ou "Tin Ar Pap", cité par Marianne Saliou. Quelques femmes, enfin, accèdent à de nouveaux métiers : des sténo-dactylos, dont au moins une fut aussi traductrice, et une comptable (madame Gallès, succédant à son mari). Notons cependant qu'une autre comptable, Madame Liliac, apparaît dès 1911 aux côtés des directeurs de la papeterie sur une photographie prise pendant le mariage de René Bolloré I.

Ouvrières papeterie fin XIXe

Les ouvrières de la papeterie d'Odet vers 1900.
 
Mise en cahiers de lOCB par ouvrieres Photo Christine Le Portal Armen

Ouvrières des papeteries Bolloré vers 1930. Photo : Armen n°30/1991, Christine Le Portal.

Synthèse réalisée par Marilyne Cotten.


La fête du centenaire de 1922 en photos

Ce diaporama a été réalisé fin 2006 à partir d’une interview d’Henri Le Gars et Jean Guéguen par Jean Cognard dans le cadre de recherches pour l’association Arkae. Le document présente et commente les 55 cartes postales éditées par Joseph-Marie Villard en 1922 à l'occasion du centenaire des papeteries Bolloré. Il a été projeté le samedi 20 janvier 2007, lors d’une assemblée générale d’Arkae, et commenté par Henri Le Gars.

Ces cartes sont, à notre connaissance, le seul support imprimé communiquant sur l’évènement. L’un des défis que posent ces photographies, près de 95 ans plus tard, est d’identifier les personnes représentées. C’est ici qu’ont été précieuses les mémoires de Jean Guéguen et Henri Le Gars. Ce dernier a vécu dans la cité de Keranna pendant près de 45 ans et fait toute sa carrière dans les papeteries Bolloré. Né quelques années après, il a néanmoins pu reconnaître une partie des personnes photographiées. Il raconte que ce centenaire avait donné lieu à une semaine de festivités gratuites qui marquèrent les mémoires des habitants de Lestonan.

Visionnez et/ou téléchargez le diaporama « Fête du centenaire de la papeterie Bolloré à Odet en 1922 ».


La papeterie d'Odet et la religion

Dans son étude/inventaire sur la papeterie d'odet (classeur à consulter à Arkae), Pierre Faucher a retracé la vie de la papeterie sous l'angle de la religion, de 1822 à 1968. Précisons que nous disposons sur ce sujet de sources très subjectives, dont la fiabilité reste à établir.

 

Nicolas Le Marié

Le portrait brossé par l'abbé Fouët, dans son [discours du centenaire], est dithyrambique. Citons-le, néanmoins : "[Nicolas Le Marié est un] chrétien austère vis-à-vis de lui-même [...] le jeûne entier du carême, dit-il, au repas unique comme on l'entendait alors, était un jeu pour cette nature robuste. Il recueillait sous son toit les déshérités de la famille et était bon pour les pauvres, c'était la providence d'Ergué-Gabéric et de la région de Quimper". Notons cependant que Marie-Eugénie, la fille de Nicolas Le Marié, seule survivante de la famille, se fera religieuse. Elle donnera également 800 F à la paroisse de Pleuven en 1868, à charge de faire dire à perpétuité une messe basse par mois pour sa famille.

 

Jean-René Bolloré

Après avoir soigné les pauvres de Kerfeuntun en tant que médecin, il entamme une carrière de directeur à la papeterie d'Odet. Son épouse, Eliza, qui gèrera le service administratif de la papeterie après le décès de son mari, aura aussi une correspondance régulière avec l'évêque de Quimper pendant une dizaine d'années. Un exemplaire de ses lettres a été conservé.

 

René Bolloré II

Image pieuse mort Bolloré fils 1949Dans la période d'opulence que connaît la papeterie, il intervient fortement dans tout ce qui touche au domaine religieux. Il achète le Likès, le lycée de Quimper, tenu par les frères des Écoles chrétiennes en 1907, et loue à l'évêché pour l'installation du petit séminaire. Il construit des écoles "libres" chrétiennes à Lestonan en 1928 et 1929. Nous renvoyons ici au cahier d'Arkae sur les [écoles Bolloré].
L'engagement de René II dans l'enseignement catholique est conséquent dans cette période qui fait suite à la séparation de l'Église et de l'État (1905). Plus tard, avec la construction de la chapelle Saint-René à Odet en 1922 (et la construction de celle de Cascadec en 1925), des messes sont dites régulièrement "pour la prospérité de l'usine et le bien des ouvriers". Un prêtre résidera à Odet dans "la maison du curé" de 1929 à 1968, au bord de la route de Briec.
Quatre prêtres ont été nommés par l'évêque "vicaires à Odet" de 1929 à 1968 : Auguste Hanras (1929-1931), Yves Le Goff (1931-1939), Jean Corre (1955-1960) et Jean-Marie Breton (1960-1968). L'abbé Louis Le Gall, vicaire de 1913 à 1927, qui résidait au presbytère du bourg d'Ergué-Gabéric, jette les bases des Paotred Dispount et des activités autour du patronage et du terrain de sport de Keranna.
Cette période du XXe siècle à la papeterie est marquée par un catholicisme social. La volonté d'assurer au mieux la vie sociale des ouvriers est contrebalancée par un certain autoritarisme dans le cadre du travail en usine. Par ailleurs, la politique salariale de Bolloré elle-même est placée sous le signe des garanties sociales (caisse de retraite, égalité salariale hommes-femmes...).
Cependant, même si aucun document ne l'atteste, mais on peut imaginer que ce cadre moral ait pesé sur les employés et ouvriers, notamment en ce qui concerne la pratique religieuse et le placement des enfants dans les écoles. On pourra évoquer une polémique entre les ouvriers et la famille Bolloré, dont on perçoit les échos dans la revue ArMen en 1990 (Michel Bolloré défendant son père sur le sujet de la liberté religieuse).
En janvier 1935, l'inhumation de René Bolloré a lieu à Ergué-Gabéric, en présence de nombreux évêques et prêtres (selon "Une histoire de famille" de Jean Bothorel). Les usines seraient restées fermées du jour de sa mort jusqu'à son enterrement auquel assiste une grande foule, composée des employés.

 

Gaston Thubé

Après le décès de René II et avec l'avènement du Front populaire, le prêche de l'évêque de Quimper (qui se dit basé sur "la justice, la solidarité et la collaboration des classes") ne peut être que favorablement entendu par Gaston Thubé et son adjoint, René III. Mais pour eux, comme pour l'évêque, les notions de "lutte des classes", d'"expropriation capitaliste", de "grêve générale", d'"action directe" sont en opposition avec la morale chrétienne, et même la morale tout court. Selon Jean Bothorel, la Confédération française des travailleurs chrétiens fait recette aux usines d'Odet et de Cascadec.

 

Les années 1960

Cette décennie voit aboutir la dissociation travail/religion à Odet. Une page importante est tournée : la population ouvrière demande que la pratique religieuse soit dissociée du lieu de travail et réalisée en dehors du périmètre de la papeterie. C'est ainsi qu'est construite la chapelle de Keranna, sur un terrain donné par la famille Bolloré à la paroisse d'Ergué-Gabéric. La chapelle ouvre en 1968. Contrairement à la chapelle Saint-René, elle se situe en dehors de l'enceinte de l'usine et jouxte le terrain de sport des Paotred et la cité ouvrière. Les frères Lamenais et les filles du Saint-Esprit, installées à l'origine par René Bolloré pour diriger ses écoles, animent le culte à Keranna.


Paroles de chansons de Marjan Mao

Ci-dessous, un petit inventaire des paroles de chansons disponibles sur notre site :

La chanson du papetier/Kan ar paperer
- La couturière, en français et en breton : ici
Ici, dans une présentation en breton : Me oa kaset da studi... ; Pa oan paseal ar c’hoajoù glas ; Al lez-vamm ; La jeune barbière ; Merc’hed Langolen ; Chañson ar mezvier mechant ; Ar pilhaouer ; Arru eo ar momant ma merc’h da zimeziñ  ; Selaouit holl tud yaouank ; Kaeraat ra ar maezioù ; Barzh en tu all da Bariz ; Ar gemenerez ; Deomp da laka bep a chik ; Ar meliner ; Intañv al lochenn ; Ar plac’h yaouank kozh ; Nouel ; ; Marie Louise ; Al labousig ar c’hoad ; Pa oan tisken da vontroulez.

 

Marjan Mao à Lourdes 1928


Marjan Mao : des enregistrements et une partition

Connaissez vous Marjan Mao ? Cette ouvrière papetière décédée en 1988 à l’âge de 86 ans est devenue une véritable vedette des médias dans les années 80. Pourtant sa première apparition sur les écrans date de 1922 : elle a été filmée dans une course à pieds lors du centenaire de la papeterie Bolloré. En 1979 une équipe de collecteurs de Daspugnerien Bro C’hlazig enregistre une quinzaine de chansons et de complaintes apprises auprès de sa mère et de sa tante. L’exceptionnelle qualité de ce répertoire, ainsi que sa propre vie d’ouvrière, attire les équipes de France 3 qui tournent un film en 1981 [Ur Vuhez a vicherourez (Une vie de travailleuse)] à Stang Odet et à la papeterie juste avant qu’elle ferme. Ce film donnera lieu à une mémorable avant-première chez Quéré. Il est conservé aujourd’hui à l'Institut national de l'audiovisuel. Marjan Mao fera l’objet de plusieurs articles dans la presse locale ainsi qu’une émission radio sur Radio France Bretagne Ouest.

Pour écouter les enregistrements des chansons de Marjan, nous vous donnons rendez-vous sur le site de Dastum (Dastumédia). Notez que pour accéder aux fichiers audio accrochés aux notices "Archives sonores", vous devez créer votre compte sur le site. Voici la page consacrée à Marjan : http://www.dastumedia.bzh/dyn/portal/index.seam?fonds=&req=18&page=listalo&va_0=marjan+mao

À l'occasion d'un spectacle sur Marjan prévu en 2020, Pascal Rode, professeur de bombarde au conservatoire de Quimper et membre du groupe Lirzhin, a transcrit les partitions de "La jeune barbière" d'après les enregistrements de Daspugnerien bro c'hlazig : 

Partition Jeune barbière 1 transcription Pascal Rode

Partition Jeune barbière 2 transcription Pascal RodePartition Jeune barbière 3 transcription Pascal Rode


Les papetiers et le conseil municipal d’Ergué-Gabéric

De 1822 à l'entre-deux-guerres, ce sont généralement les dirigeants de la papeterie qui sont représentés au conseil municipal, parfois à des postes de responsabilité importants. Puis, avec la démocratisation progressive de la vie politique, les employés et les ouvriers prennent part au conseil. Pierre Faucher a réuni les éléments d'information disponibles sur les rapports d'Odet à la politique.

 

Des origines à l'entre-deux-guerres

Nicolas Le Marié fut longtemps conseiller municipal. Il a été choisi par le conseil et nomminé maire par le préfet de février à octobre 1832. Depuis 1790, il revient en effet au préfet de désigner un homme (laïc) parmi les membres du conseil (c'est-à-dire les contribuables les plus imposés de la commune) pour assurer les fonctions de maire. Mais Le Marié refuse très vite le poste car "la fabrique nouvelle que j'ai créée et qui exige tous mes soins par l'extension que je lui donne en ce moment ne me laisse pas le temps nécessaire". Il reste néanmoins au conseil municipal. Il est à l'origine d'une demande de translation du bourg vers Lestonan. Il proposera même de participer à la souscription pour le déplacement du bourg. Mais l'opposition s'élève contre ce projet.
De 1862 à 1905, les Bolloré furent régulièrement élus membres du conseil municipal, parfois adjoints au maire. Ils seront actifs auprès du préfet et attentifs à l'entretiendes voies communales. René Bolloré II ne sera pas membre du conseil. Mais son beau-frère, Yves Charruel du Guérand, ingénieur à la papeterie, le représentera à travers ses fonctions de secrétaire de séance, de 1906 à) 1925.

 

Pendant la Seconde Guerre mondiale

Anne Ferronnière, née Grignon du Moulin, épouse de Frédéric Ferronière, ingénieur chimiste à la papeterie et directeur après 1945, sera nommée par le préfet membre du conseil municipal de 1941 à 1945, au titre des "œuvres privées d'assistance et de bienfaisance". Voir l'article du Keleier n°84, octobre 2014.

 

De 1945 à aujourd'hui

Un fort pourcentage d'ouvriers et d'employés de l'usine résident sur le territoire communal, et en particulier dans le quartier de Lestonan, qui s'agrandit fortement. Les papetiers sont donc représentés dans le conseil municipal. En 1945, madame Blanchard, la sage-femme de Keranna, n'est pas élue, mais plusieurs papetiers deviennent conseillers municipaux. Depuis 1947, deux à quatre papetiers deviennent membres du conseil. En 1959, Jean Le Gall, de Keranna/Stang Venn, est élu premier adjoint au maire. En 1971, Alain Le Bihan, de Pen ar Garn, est à son tour élu premier adjoint. En 1983, Jean Hascoët, de Menez Groas, devient, quant à lui, deuxième adjoint, chargé des affaire sociales.

 

Pierre Faucher

 

Pour aller plus loin, lisez notre article sur les municipalités d'Ergué-Gabéric.


Les œuvres sociales à la papeterie Bolloré

Lorsque René Bolloré III prend la direction de l'usine en 1904, c'est un catholicisme social qui est l'œuvre à Odet. Il se manifeste sous plusieurs aspects, que nous listons ici. Nous renvoyons aux différentes publications, qui ont déjà largement couvert ces sujets, ainsi qu'à notre dossier en ligne sur la saga Bolloré.

 

Le logement

La cité ouvrière de Keranna est relatée dans Mémoires de Lestonan, p. 42 à 50. Ses premiers occupants ont été décrits par Jean Cognard, dans le n°23 des Chroniques du Grand Terrier. Dans le même numéro, il est question de René Ménard, architecte de la cité. Le Champ a fait l'objet de témoignages dans Mémoires de Lestonan, p. 57-58. La rue "Ar Ster" également (p. 59-61).

 

Les jardins ouvriers

Parmi eux, comptons l'entrée de Stang Venn et Ty Coat, la place du lotissement de "l'Orée du bois", l'espace entre le Bigoudic et la rue Ar Ster, l'emplacement de la chapelle et du parking de Keranna. Ces jardins étaient la propriété de l'usine. Ils étaient mis à la disposition des ouvriers pour la culture de légumes.

 

La sage-femme, Véronique Blanchard

On en retrouve l'évocation dans Mémoires de Lestonan, p. 64-67.

 

Les transports

Mathias Le Mevellec, de Stang Venn, assurait cette opération. Nous renvoyons une nouvelle fois à Mémoires de Lestonan, p. 48.

 

Pierre Faucher


La vie ouvrière dans les années 1960-80

Plusieurs aspects de la vie des papetiers dans les décennies qui précèdent la fermeture de l'usine ont été rapportés par les anciens et documentés ici par Pierre Faucher.

 

Horaires

Les horaires de travail du personnel dans les années 1960-80 varient selon les postes :
- personnel administratif : 8 h 30 à 12 h et 13 h 30 à 18 h
- entretien : mécaniciens, électriciens, peintres, couvreurs, menuisiers, manœuvres de cour : 8 h 30 à 12 h et 13 h 30 à 17 h 30
- personnel de fabrication :
chiffonnerie : 8 h à 12 h et 13 h 30 à 17 h 30
lessivage : même horaires (sauf parfois suivant la demande de fabrication)
raffineurs, blanchiseurs, machines à papier : avant 1940, les ouvriers fonctionnent en horaires 3 x 8 h ; après 1940 en 4 x 8 h
façonnage, bobinage : 2 x 8 h
expédition : horaires de jour, variables selon la demande.

 

Médailles de travail

Chaque année, vers le 1er mai, les personnels qui avaient de l'ancienneté se voyaient remettre une médaille de travail par le directeur général ou le président directeur général.


Les ouvriers à Odet de 1822 à 1960

Sur le travail des ouvriers, depuis l'ouverture jusqu'à la fermeture des papeteries, nous disposons de quelques sources. Nous présentons ici celles qui nous semblent les plus pertinentes.

 

Le rapport de la DRAC

Un rapport sur La vie dans les papeteries d'Odet au XIXe et au début du XXe a été produit vers 2004 par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et classé à Rennes. Il analyse les conditions de vie des ouvriers, le rapport entre le monde ouvrier et le patronat, ainsi que l'importance de la religion dans l'environnement particulier qu'était l'usine Bolloré. Ce texte de la DRAC établit notamment des comparaisons avec des papeteries du même type en France, telle celle des Montgolfier à Annonay dans l'Ardèche. Les fêtes ayant eu une part non négligeable dans la vie des papetiers sous la direction de René Bolloré II, le rapport se termine sur une série de cartes postales émises par Villard pour le centenaire de l'usine en 1922. Certaines d'entre elles figurent sur notre site. Nous avons choisi de conserver les légendes du rapport, qui apportent des compléments d'analyse et d'information.

Pour télécharger le PDF du rapport, cliquez ici.

 

L'étude de Moulins à papier et familles papetières de Bretagne

Dans leur ouvrage paru en 2015, le Centre généalogique de France et l'association Au fil du Quéffleuth et de la Penzé complètent avantageusement notre connaissance de la vie des ouvriers à Odet au XIXe et au début du XXe siècle, en dépliant, notamment, les descendances généalogiques et les états-civils. Suit ici une synthèse des informations apportées par ce livre.

 

Qui étaient les premiers ouvriers

On apprend ainsi que parmi les salariés des premières décennies, l'usine employait un certain Jean Poiriel, menuisier-charron, mais aussi Guillaume Thaboré, Pierre Grill, Alain Daniélou, Jean Quéré et Louis Cariouo, anciens cultivateurs recrutés localement. Des papetiers issus des familles des premiers moulins à papier, ayant une expérience précédente dans le métier, ont sans doute été les formateurs des nouveaux arrivants dans l'usine. La liste des employés mentionnés dans les actes est publiée sur le site Grand Terrier. Les recensements de 1836 à 1911 figurent sur le site des Archives départementales du Finistère. Les familles papetières sont aussi citées dans Moulins à papier de Bretagne, p. 167.

 

Ouvriers de la papeterie Bolloré vers 1900

 Ouvriers de la papeterie Bolloré vers 1900

 

L'évolution technique du métier

En 1828, la manufacture de papier à cylindre est équipée d'une cuve à papier blanc et d'une cuve à papier gris. En 1834, le travail aux cuves et le séchage aux perches sont remplacés par les premières machines. Avant la Première Guerre mondiale, une nouvelle machine à papier est mise en activité, ce qui fait passer le nombre de salariés à 1200 (papeteries de Troyes comprises). Après un arrêt pendant la Seconde Guerre mondiale, faute de matière première, la production reprend en 1947 avec des chaudières à charbon, puis à fuel.
Le chiffon restera la matière première travaillée par les ouvriers pendant plus d'un siècle. En 1920, on le découpe toujours sur un banc traditionnel, une table munie d'une lame de faux. Filets, ficelles, cordes sont mis en pièces sur ce billot de bois. En 1936, une machine à découper les chiffons est installée. Enfin, le chiffon est remplacé en 1950 par de l'étoupe de lin et de chanvre, des linters de coton (duvet de fibres très courtes) et de la pâte à bois.

 

Grande production, petit salaire

Au début de l'activité, le salaire des 31 ouvriers est inférieur à celui des autres moulins : 2,25 F pour les hommes, 1,25 F pour les femmes. Ils travaillent 295 jours par an et transforment 90 tonnes de drilles. En 1838, les ouvriers fabriquent 130 tonnes de papier : 25 tonnes de papier de bureau, 50 tonnes de papier à la jacquard, 55 tonnes de papier de tenture. En 1885, les effectifs et la production augmentent à 95 personnes pour 410 tonnes de papier par an. En 1948, ce sont 1800 tonnes qui seront produites grâce au charbon et au fuel.

 

Les horaires

Une ouvrière d'Odet (Marianne Saliou) évoque les 12 heures de travail par jour effectuées par les femmes pendant la Première Guerre. L'horaire revient à 8 heures par jour en 1922.

 

Quelques montées en grade

Le changement de métier intervient souvent dès l'entrée en papeterie, puisque de nombreux ouvriers sont d'anciens cultivateurs recrutés aux alentours. Mais certains évolueront dans l'entreprise elle-même.
Dans les années 1860, Jean-Marie Le Lous, natif de Garlan, débute en qualité de commis, puis devient teneur de livres, et comptable.
Dans les années 1880, Jean-Pierre Rolland entre à Odet. Il a 17 ans. René-Guillaume Bolloré remarque cet ouvrier compétent et entreprenant, et en fait son contremaître/surveillant de fabrication. Par la suite, le patron lui confie la direction technique de l'usine de Cascadec à Scaër. Jean-Pierre Rolland s'installe alors à Scaër avec sa famille dans une maison construite par les Bolloré, et fait un va-et-vient incessant entre les deux usines. Il décède en 1914, victime de l'emballement du cheval qui conduit son char-à-bancs.
Dans les années 1890, Pierre Le Dé, ouvrier papetier, époux de Marie-Renée Bonjour, maîtresse de salle, devient conducteur de machines.

 

Le travail des femmes

Comme dans la plupart des manufactures du XIXe et du début du XXe siècle, les femmes reçoivent un salaire inférieur à celui des hommes. Les ouvrières sont orientées vers les travaux de triage, de préparation et de découpe des chiffons. Dans cet atelier, les conditions de travail sont particulièrement difficiles. Ce n'est qu'après la Première Guerre mondiale que leur situation s'améliore. Nous vous renvoyons ici vers l'article dédié aux ouvrières de la papeterie.

 

La présence des enfants

Les enfants forment une partie non négligeable du personnel, jusqu'au début du XXe siècle. On dispose de quelques chiffres : 3 enfants en 1873, 10 en 1884, 29 en 1885. Comme dit précédemment, ils aident à la découpe des chiffons. L'encyclopédie Diderot-D'Alembert mentionne dès 1751 ces "petits garçons" des anciennes papeteries qui transportaient déjà les chiffons "du pourrissoir au dérompoir".

 

Les garanties sociales

Dans les années 1920, René Bolloré II construit une cité ouvrière de 19 logements à 800 mètres de la papeterie. Il met en place un club sportif, avec terrain et vestiaires. De 1936 à 1930, il crée uun patronage, deux écoles "libres", gratuites pour les enfants des ouvriers. Une messe hebdomadaire, destinée au personnel de l'usine, est donnée à la chapelle Saint-René. 
Les syndicats apparaissent après 1936. Avant cette date, il n'y a pas de véritables corporations de papetiers, métier très conservateur et influencé par les compagnons, mais "de nombreuses associations d'ouvriers existent", selon Moulins à papier en Bretagne (p. 19). 

 

Les articles d'Yves Goulm et Laurent Quévilly

D'après les informations recueillies par Yves Goulm, dans "Les papetiers d'Odet et de Scaër" (Micherioù koz n°30, Rosporden, éditions Kylan's, 2012, p. 25-26), les heures de travail après la Première Guerre mondiale et avant 1936 se répartissent comme suit :
- pour le personnel de jour : 7 h 30 - 11 h 30
- pour les femmes du bobinage : 5 h -13 h et 13 h - 21 h
- pour les hommes de faction : 5 h - 13 h ; 13 h - 21 h ; 21 h - 5 h
Le tout, 6 jours par semaine, soit 48 h/semaine. La fabrication s'arrête le samedi soir à 21 h et reprend le dimanche à la même heure.
Après la loi des 40 heures en 1936 :
- pour les "factionnaires", une quatrième faction est créée.
- pour les autres, le samedi devient une journée libre.
Les déplacements domicile-lieu de travail se font généralement à pied, pour certains quatre fois par jour. 
En juillet 1930, les Assurances sociales (sécurité sociale) voient le jour en France et à Odet. Pour les anciens qui n'ont pas cotisé, il n'y a pas, bien sûr, de retraite. Cependant, la direction de l'usine décide de garder ces personnes aux "Services extérieurs", c'est-à-dire à l'entretien des bois, de l'allée du canal, à la construction de murs, dont celui du stade de Keranna. Ces dernières fournissent un travail à temps plein, pour lequel elles sont rémunérées. Après la cessation définitive du travail, une enveloppe leur est remise mensuellement, lors de la paie des ouvriers.

Dans un article de juin 1983 pour la revue de la Mutuelle familiale Finistère des travailleurs, Laurent Quévilly écrit : "On y travaillait dur autrefois, aux Papeteries : les hommes aux redoutables machines, les femmes, voire parfois les enfants, qui à la chiffonnerie, qui aux bobines, au séchage du papier sur la lande ou encore à la gare de Quimper pour marquer les caisses de papier destinées à Camel aux États-Unis, le gros client. À cette époque [avant 1918], ce n'était pas les 3 x 8. Mais les 2 x 12. Douze heures à travailler c'est long, se souvient un témoin, à la fin on ne pouvait plus manger et le sommeil nous prenait. De pénibles conditions de travail qui paradoxalement et pendant longtemps n'auront pas pour autant suscité un développement du syndicalisme dans l'usine, alors qu'il se développait partout ailleurs dans la région, comme dans les conserveries. Un jour, raconte le même témoin, les ouvriers avaient demandé de l'augmentation et fait une pétition. Comme ils ne savaient pas écrire, ça n'avait pas été difficile de découvrir les noms de ceux qui avaient fait la liste. Et ceux-là ont été punis." Plus loin dans le même article, un ouvrier de la papeterie de Cascadec évoque des conditions encore très difficiles dans les années 1980 : travail dans l'eau, température ambiante de 40 °C, repas pris au pied de la machine, décalages horaires, problèmes psychologiques dus aux mutations...

Synthèse effectuée par Marilyne Cotten


Témoignages de papetiers

À partir des années 1970, sous l'impulsion, notamment, de la Commission extra-municipale de recherches historiques, des ouvriers et des ouvrières ont commencé à relater leur vie à la papeterie dans des revues dédiées à l'histoire locale. Les anciens ouvriers et employés du Veilh Paper ont ainsi raconté leurs souvenirs de travail dans le bulletin municipal d'Ergué-Gabéric en 1997-1998. Cet article est reproduit et augmenté par Jean Cognard sur le site "Grand Terrier". 

 

Ont témoigné pour la revue imprimée, Chroniques du Grand Terrier, dans différents numéros (1, 2, 3, 4, 5, 12, 13, 16, 17) :
- Fanch Le Pape, surveillant de 1962 à 1993
- Hervé Gaonac'h, sécheur de 1966 à 1993
- Louis Bréus, factionnaire à la machine 7 de 1948 à 1983
- Jean Guéguen, laborantin à Odet de 1948 à 1983
- Herni Le Gars, comptable de 1939 à 2001
- Man Kerouadan, conducteur de machines de 1958 à 1983
- Marjan Mao, ouvrière et chanteuse
- Jean-Pierre Rannou, surveillant de fabrication
- Jean Hascoët, travailleur à la paie après la Seconde Guerre mondiale
- Louis" Barreau, ingénieur chimiste de 1925 à 1964
Ces archives sont consultables à la permanence d'Arkae.

Dans Moulins à papier de Bretagne, édité par Skol Vreizh en 1991 : 
- Marjan Mao
- Jean Le Berre

Jean Guéguen a également laissé à Arkae un témoignage-synthèse intitulé "Odet de 1900 à nos jours".


Évolution des effectifs à la papeterie d'Odet

En s'appuyant sur les sources disponibles, Pierre Faucher a retracé l'évolution des effectifs au cours des 161 années de fonctionnement de la papeterie.

1822 : fondation de la papeterie par Nicolas Le Marié
1828 : 31 ouvriers travaillent à Odet, dans un usine équipée de deux cuves à papier blanc et d'une à papier gris. Source : tableaux de fabrication des Papeteries, ADF 6M 1029 et 6M1032.
1849 : 35 hommes et 37 femmes travaillent à Odet. Source : Yann-Ber Kemener, Moulins à papier de Bretagne, une tradition séculaire, Morlaix, Skol Vreizh, juin 1989.
1856 : 95 personnes travaillent à l'usine. Source : Jean Cognard, Chroniques du Grand Terrier, n°9.
1857 : 102 personnes travaillent à l'usine. Source : ADF 6M 1029 et 6M1032.
1859 : 107 personnes travaillent à l'usine. Source : ADF 6M 1029 et 6M1032.
1860 : 110 personnes travaillent à l'usine. Source : ADF 6M 1029 et 6M1032.
1861 : Jean-René Bolloré prend la direction de la papeterie.
1873 : 50 hommes, 54 femmes, 3 enfants.
1881-1905 : René I Bolloré prend la direction de la papeterie.
1884 : 37 hommes, 48 femmes, 10 enfants.
1885 : 39 hommes, 33 femmes, 29 enfants.
1905-1935 : René II Bolloré prend la direction de la papeterie.
1910 : plus de 150 ouvriers travaillent à la papeterie. Source : Yves Goulm, "Les papetiers d'Odet et de Scaër" dans le numéro éponyme de Micherioù Koz, n°30, Rosporden, Kylan's éditions, 2012, p. 14. Ces chiffres figurent dans une présentation de l'usine par "P. R. Bolloré" aux jurés de l'exposition internationale de Bruxelles de 1910.

Photo de groupe ouvriers et employés 1

Deux photos de groupe ont été prises à Odet en 1911, lors des noces de René Bolloré II avec Marie Thubé.
On y voit les ouvriers d'Odet et de Cascadec, ainsi que les enfants.
Le contremaître Jean-Pierre Rolland se trouve sous le 2e arbre à partir de la gauche.


Avant 1914 : 200 personnes travaillent dans les usines d'Odet et de Cascadec.
Années 1920 : entre les usines d'Odet, de Cascadec et de Troyes, on comptera jusqu'à 1200 employés.
1930 : 350 ouvriers travaillent à Odet, d'après le livre d'or de la papeterie.
1941-1947 : arrêt de l'usine d'Odet.
Vers 1950-1955 : Jean Le Gall, responsable de la paie, indique : "On a eu jusqu'à 314 ouvriers après la guerre 1939-45 à Odet, 413 avec les employés". En 1950, le groupe Bolloré emploie en tout 1500 ouvriers.
1983 : fermeture d'Odet. le groupe Bolloré compte encore 800 employés, dont 80 à Odet, qui iront désormais travailler à Cascadec.

Pierre Faucher


Chronologie pour les usines d'Odet

Cet historique des usines d'Odet est établi à partir d’éléments assemblés par Jean Guéguen[1], papetier de 1948 à 1983, laborantin à l’usine vers 2000. Il présente les dates et étapes essentielles du fonctionnement de la papeterie.

 

1821 : Nicolas Le Marié, ingénieur à la Manufacture de tabacs à Morlaix, après avoir visité plusieurs lieux, décide de construire un moulin à papier (une manufacture à papier à cylindre) sur les rives de l’Odet, à deux lieues en amont de Quimper.

1822 : Nicolas Le Marié pose la première pierre de cette manufacture de papiers à cylindre (le 19 février) à Odet, en Ergué-Gabéric. Ainsi est créée le moulin à papier (veilh paper) d’Odet. Il s’agit d’entreprendre la fabrication de gros papiers pour parchemins, emballages, etc. Ce travail se fait à la forme ou à la cuve, puis le papier est séché aux perches ou à même la lande.

1828 : La manufacture est dotée de deux cuves à papier blanc et d’une cuve à papier gris. Une trentaine d’ouvriers assurent la production.

1834 : Acquisition d’une machine à papier venue d’Annonay (Ardèche). Le travail à la cuve et le séchage aux perches sont supprimés. La fabrication s’oriente vers le papier fin : papier mousseline, papier coton pour celluloïd, papier Bible.

1861 : Suite à un accident, une chute qui provoquera un affaiblissement général, N. Le Marié, qui est sans descendance directe, appelle son neveu, Jean-René Bolloré, chirurgien et médecin dans la Marine, à lui succéder à la tête de l’usine. Désormais, le nom de Bolloré restera attaché à l’entreprise.

1865 : Premiers essais de la fabrication de papier à cigarette, spécialité qui devait faire la renommée de la papeterie d’Odet.

1881 : Mort de Jean-René Bolloré. L’aîné de ses trois fils, René, le remplace.

1893 : Les activités de la papeterie d’Odet s’accroissent et vont se développer avec la location du moulin à papier de Cascadec, à Scaër, au bord de la rivière Isole.

1904 : Après le décès de René Bolloré, son fils René, âgé de seulement 19 ans, prend la direction de l’usine.

1910 : Mariage de René Bolloré avec Marie Thubé, fille d’armateur nantais.

1912 : Construction du manoir d’Odet en bordure de rivière et de nouveaux bâtiments de l’usine.

1913 : Acquisition d’une deuxième machine et construction du laboratoire, ainsi que de bureaux administratifs et comptables. Début de la construction de la centrale électrique à vapeur.

1917 : Achat de la papeterie de Cascadec, après 24 ans de location, et construction d’une usine hydroélectrique.

1918 : Construction de la cité ouvrière de Ker-Anna. Aménagement de jardins pour les ouvriers. Dans les années qui suivent, René Bolloré y fait venir une sage-femme et fait ouvrir une garderie pour les enfants, avec des religieuses et une infirmière.

1919 : Création du bâtiment de la chiffonnerie, en bordure de la route de Briec, et de l’atelier de délissage (triage des chiffons).

Création de la société sportive les « Paotred Dsipount »

Organisation de la procession de la Fête-Dieu dans le parc du manoir.

1920 : Prise de participation dans les papeteries de Champagne (Troyes).

1921-1922 : L’ancienne chapelle d’Odet, trop petite, est remplacée par une autre, plus vaste. Elle est dédiée à Notre-Dame, mais est souvent appelée Saint-René.

1922 : Le centenaire de la papeterie d’Odet est célébré avec faste, dans le parc du manoir d’Odet en présence de tous les ouvriers et de nombreuses personnalités.

1925 : René Bolloré se rend acquéreur de la chapelle de Coat-Quéau, en Scrignac, et de son calvaire, mis en vente publique par la commune. Cet achat se fait avec l’autorisation de l’évêque de Quimper. Ces édifices seront reconstruits en 1927 : le calvaire dans le parc du manoir d’Odet et la chapelle à l’entrée de l’usine de Cascadec, en Scaër (ainsi que, peut-être, le calvaire de Stang-Luzigou).

1927 : Le 1er dimanche de mai, pour les 80 ans de sa mère, René Bolloré réunit tout le personnel pour un banquet de plus de 120 convives : descente de l’Odet et repas dans un hôtel à Bénodet.

1928 : Construction de l’école libre des filles à Lestonan (Sainte-Marie).

Arrivée d’une nouvelle machine plus performante (cf. 7), remplaçant la machine 1, plus ancienne.

1929 : Construction et inauguration de l’école libre des garçons (Saint-Joseph) à Lestonan.

1930 : Inauguration du terrain de sports de Ker Anna, puis l’année suivante de la salle de patronage.

1935 : Mort de René Bolloré, le 16 janvier, à la veille de ses 50 ans. C’est Gaston Thubé, son beau-frère, qui assure la direction de l’entreprise, avec René Bolloré, le fils aîné, que rejoindront ultérieurement Michel et Gwen-Aël, ses frères.

1936 : Construction d’un 2e bâtiment de chiffonnerie.

1938 : Démarrage de la 4e machine à Odet (cf. 8)

1941-1946 : Arrêt de l’usine d’Odet pendant la guerre, suite à un manque d’approvisionnement en charbon.

1947 : Redémarrage de l’usine d’Odet avec deux machines :

  • l’une pour le papier à cigarette et le papier Bible
  • l’autre pour la papier carbone écru ou coloré

1950 : Achat des papeteries en Champagne (Troyes)

1952 : Électrification de l’usine d’Odet.

1959 : Arrêt de la fabrication de papier carbone pour être remplacé par la papier condensateur.

Construction d’un nouveau bâtiment pour accueillir une machine à condensateur (machine 9).

1963 : Construction d’un autre bâtiment pour une autre machine pour papier condensateur (cf. 10).

1969 : Arrêt définitif des machines 7 et 2 à Odet.

1972 : Une nouvelle usine de film en propylène pour condensateur est construite à 200 mètres de la papeterie.

1981 : Vincent Bolloré rachète les usines Bolloré (Ty Coat).

1983 : En juillet, arrêt définitif de la papeterie d’Odet, qui sera démolie en grande partie en 1987-88.

 

Jean Guéguen

 

[1] Jean Guéguen : surnommé Georges Briquet au laboratoire d’Odet (cf. Kannadig an Erge-Vras/Chroniques du Grand Terrier n° 2, août 2007). Il fut membre en 1978 de la commission extra-municipale des recherches historiques sur Ergué-Gabéric, devenue en 1990 Arkae, dont Jean Cognard fut membre.


La fabrication du papier à Odet de 1822 à 1983

Pierre Faucher a dressé un historique de la fabrication du papier dans les usines d'Odet. Depuis la papeterie originelle, fondée par Le Marié, jusqu'aux usines de papiers spéciaux dans les années 1980, l'histoire d'Odet nous parle de l'évolution de l'économie et des techniques.

 

Historique des fabrications à Odet de 1822 à 1983

Pile défileuse par Mann KerouedanAu départ, le moulin à papier fabriquait industriellement des papiers « gros » d’emballage et du parchemin. Ce travail se faisait à la forme, à la cuve. Le papier était séché aux perches et parfois même à la lande. Sur la plaque inaugurale (février 1822), il est précisé que la papeterie d’Odet est la troisième manufacture à papier établie en Bretagne. Le cylindre est en l’occurrence un cylindre en fonte placé au fond d’une cuve et muni de lames transversales. Ce système de pile défileuse fut un grand progrès dans la fabrication du papier car il permettait de raffiner le chiffon en une dizaine d’heures, alors que le défibrage à l’aide de la pile à maillets nécessitait 30 à 40 heures. Avec les piles à cylindre, on pouvait produire beaucoup de pâte et donc davantage de papier. En 1834, Nicolas Le Marié acquiert une machine à papier en provenance d’Aumonay (Ardèche), ville des frères Mongolfier. Les cylindres et rouleaux sécheurs seront également intégrés dans les machines à papier plus tard. Ce système de toiles et de rouleaux remplacera le travail à la cuve et le séchage aux perches. La fabrication s’orientera vers le papier fin : papier mousseline, papier coton pour celluloïd, papier Bible.

Ci contre : système de pile hollandaise défileuse
dessiné par Mann Kerouedan,
ancien conducteur de machines à Odet.

 

 

Historique des fabrications à Odet de 1822 à 1983

1822 : Fabrication à la cuve à partir de chiffons. Papiers gros d’emballage et à parchemin.1828 : Deux cuves de papier blanc -> 3456 rames. Une cuve de papier gris -> 4218 rames.
1834 : Acquisition d’une machine à papier venue d’Annonay. Papier mousseline. Papier coton pour celluloïd. Papier Bible.
1838 : Papier de bureau et d’impression : 25 tonnes. Papier à la Jacquard : 50 tonnes. Papier de tenture : 55 tonnes., Développement des exportations.
1861 : 480 tonnes de papier.
1865 : Premiers essais de fabrication de papier à cigarette.
1881 : Mise au point de la production de papiers minces, notamment celui à cigarettes, avec Léon Bolloré (frère de René) pendant deux années.
1929 : 932 000 bobines de papier à cigarette, soit 876 000 kg, sortent des usines d’Odet et de Cascadec.
Années 1930 : OCB, Odet-Cascadec-Bolloré, débute.
1939 : La France fabrique plus de la moitié du papier à cigarette dans le monde, dont plus des ¾ sont exportés aux USA et au Canada.
1947 : Redémarrage de l’usine d’Odet, arrêtée de 1941 à 1946, avec deux machines : l’une pour le papier à cigarette et le papier Bible, l’autre pour le papier carbone, écru ou coloré.
1948 : 1800 tonnes de papier sont produites dans l’année.
1949 : 20 tonnes de papier sont produites par jour. Développement du papier condensateur (3 tonnes par jour) de 7 microns.
1950 : Quatre grandes firmes se partagent le marché français du papier mince.
1959 : Arrêt de la fabrication du papier à cigarette. Amplification de la fabrication du papier support carbone à partir de la pâte de bois écrue, ou plus rarement blanchie (suppression des ateliers de chiffonnerie, de lessivage et de blanchiment des pâtes).
1960 : Huit machines fabriquent du papier condensateur. Développement des sachets à thé.
1961 : Arrêt de la fabrication du papier carbone et progression du papier condensateur.
1969 : Expérimentation de la fabrication des films diélectriques pour condensateurs.
1972 : Nouvelle usine à Ty Coat (à 200 mètres d’Odet) pour la fabrication du film en propylène pour condensateurs.
1983 : Arrêt définitif de la papeterie d’Odet, qui sera démolie en grande partie vers 1987.

 

Les fabrications importantes de la papeterie d’Odet

Le papier à cigarette
La France a acquis une réputation mondiale pour cette sorte de papier et s’est placée au premier rang avec une quarantaine de machines, répartie dans 13 départements, dont le Finistère, avec les papeteries Bolloré. Les 9/10e de la production sont exportés aux USA, en Espagne, en Turquie, en Russie…

Les variétés de papier à cigarette
- Blanc, sans charge, velin ou vergé, de 10 à 14 grammes au mètre carré
- Blanc, chargé de 15 à 25 grammes au mètre carré
- Très combustibles

Caractéristiques
Tous ces papiers doivent présenter, malgré leur légèreté, une bonne résistance à la rupture, à la perforation et aux froissements. Ils doivent avoir de l’opacité, de l’épair (une certaine transparence) et être exempts de piqûres. Suivant les cas, on exige une combustion lente ou rapide.

Composition
- la pâte de chanvre blanchie (déchets de filature, chiffons, cordages, filets, sacs)
- la pâte de lin blanchie (étoupes, rebus de filature, toile et fil de lin)
- les "bulles-durs" (papier grossier) de différentes qualités (contenant coton, lin, chanvre) pouvant former jusqu’à 50 % du mélange
- la pâte de coton (vieux chiffons, déchets de filatures) dont on ne prend généralement qu’une faible quantité
- la pâte au bisulfate blanchie, parfois ajoutée mais en faible proportion (5 à 12 %)

Raffinage
Ces pâtes doivent toujours être au préalable très soigneusement lavées. Le raffinage a une très grande importance pour éviter la formation de « boutons » (agglomération de fibres). On raffine en moyenne de sept à 12 heures suivant la nature du mélange des pâtes. Les constituants sont travaillés séparément et mélangés en dernier lieu.

Charges
On utilise le carbonate de chaux, le carbonate de magnésie, la magnésie, et quelquefois le kaolin. Ces matières ont pour but de communiquer de l’opacité et un toucher onctueux tout en retenant certains produits volatils, malodorants, pouvant résulter de la combustion des fibres organiques. La proportion employée varie de 5 à 30 % selon l’opacité, le poids au m2 etle degré de combustibilité demandé. Le carbonate de chaux est généralement prédominant parce qu’il donne de la porosité et des cendres très blanches. On lui adjoint un peu de sulfate de zinc. Enfin, pour accroître la combustibilité, on ajoute dans la pile hollandaise, vers la fin du raffinage, un peu de nitrate de magnésie, de nitrate de soude ou de chlorate de potasse. Quelquefois, on pulvérise des solutions de ces derniers produits sur la feuille en cours de fabrication sur la machine à papier (en fin de sècherie).
Parfois, on procède à un faux filigranage (marque ou dessin se trouvant dans le corps du papier et que l’on peut voir par transparence) avec des rouleaux graveurs agissant par écrasement des fibres sur la feuille préalablement humidifiée.
Des années 1880 à 1959, la fabrication du papier à cigarette fut importante dans les usines Bolloré, permettant avec cinq machines de produire dans les années 1930 plus de 2500 tonnes de papier correspondant à 50 milliards de cigarettes. Les cahiers OCB ne se fabriquent plus en Bretagne, mais à Angers, avec les cahiers Zig-Zag, tandis que les cahiers Job sont produits à Perpignan.

Le papier condensateur occupe la première place dans les années 1960 avec huit machines de production. Bolloré représente 30 % du marché mondial avec ce papier d’une extrême finesse, qui joue le rôle d’isolant en électricité. Le papier carbone se développe aussi dans les années 1960, avec 80% du marché français (de différentes couleurs) et sera fabriqué à partir de la pâte de bois. Le sachet à thé : Bolloré assure 80 % du marché intérieur français. Ce papier est fabriqué à partir de chanvre de Manille, puis de la fibre longue de la pâte de papier. Le papier Bible sert à l’édition de livres religieux et à celle de la collection littéraire « La Pléiade », en papier fin. Le film polypropylène apparaît dans les années 1970. Ce film plastique est fabriqué à partir de petits granulés blancs, fondus dans une « extrudeuse ». Transformé en une matière visqueuse, le polypropylène retourne à l’état solide sous la forme d’un film plat, après passage dans un cylindre réfrigéré.  Ce film est alors étiré en longueur et en largeur. Cette fabrication a beaucoup évolué avec l’usine de Pen Carn.


Pierre Faucher


La papeterie d'Odet vue par Déguignet

Le texte ci-dessous, relatant des observations de 1897-98, extrait de Histoire de ma vie, le texte intégral des Mémoires d'un paysan bas breton, est une merveille. Après avoir introduit son sujet par une anecdote mettant en scène un milliardaire américain, puis évoqué l'inventeur de l'expression populaire « Tonnerre de Brest » (ce n'est ni Hergé, ni le capitaine Haddock), et enfin glissé un dialogue entre un voisin et un ancien ouvrier de la papeterie, Jean-Marie Déguignet nous présente avec ironie et passion le palais enchanté de la fabrique de papier d'Ergue-Gabéric, avec des machines à couper les bras. [Introduction de Moulins à papier et familles papetières de Bretagne]

 

Machine dans le livre d'or des papeteries Bolloré_1930J'ai lu quelque part que le fameux milliardaire Jay Gould disait un jour à ses ouvriers, qui s'étaient mis en grève une fois, de ne pas recommencer deux fois, car aussitôt il les remplacerait tous par des ouvriers en acier qui ne font jamais grève et travaillent jour et nuit sans jamais se plaindre. Eh bien, Tonnerre de Brest, comme disait Mahurec, il y a ici au fond de la Bretagne un industriel qui tend à réaliser le rêve du milliardaire américain. J'ai déjà parlé de la fabrique de papier d'Ergué-Gabéric, perdue là-bas au fond du Stang-Odet et que j'ai vu fonder. Cette fabrique occupait autrefois tous les ouvriers des environs, mâles et femelles, jeunes et vieux. Eh bien, aujourd'hui, il n'y a presque plus personne, quoiqu'elle fabrique dix fois plus de papier.


Il y a deux ou trois ans, un individu ayant travaillé dans cette fabrique se trouvait chez le perruquier, mon voisin, et disait que la veille on avait encore coupé les bras à dix ouvriers d'un coup !
- Comment, disait un client qui ne saisissait pas bien l'ironie, dix bras ? d'un seul coup ? par la même machine ?
- Oui juste, comme vous dites, par la même machine. Une nouvelle machine arrivée l'autre jour du Creusot et qui fait à elle seule l'ouvrage de dix ouvriers et, par conséquent, le patron a mis douze ouvriers dehors. Et ce n'est pas fini, il en viendra d'autres jusqu'à ce que tous les ouvriers soient remplacés par des machines. Et en effet, cela paraît bien près de se réaliser.


J'ai passé par là depuis et, où je voyais autrefois une véritable fourmilière humaine, je ne voyais plus personne. Si je n'avais pas vu fonder cette fabrique, j'aurais pu me croire en présence d'un de ces palais enchantés des contes orientaux. Je voyais des machines tourner partout, en dehors, en haut, en bas, à droite et à gauche. En haut, je voyais des monceaux de choses informes s'engouffrer dans des auges, où ils étaient broyés et mis en pâte ; de là, ils passaient dans d'autres auges ; puis de là, ces monceaux de pourriture purifiés et devenus pâte claire passaient dans des tuyaux, qui les déversaient sur un plateau de fer chauffé à la vapeur. Là, la pâte claire se transformait immédiatement en papier. Puis ce papier s'enfilait ensuite à travers une quantité de cylindres tournant en sens inverse pour aller sortir à vingt mètres plus loin, où il était repris par d'autres machines qui le découpaient en format voulu. Mais j'avais beau regarder, je ne voyais personne, d'abord parce que la vapeur m'en empêchait. Cependant, quand mes yeux parvinrent à percer la vapeur, j'entrevis trois ou quatre individus, les bras croisés sur la poitrine à la manière des paysans bretons. Ils étaient là comme des fantômes, les yeux fixés sur les machines, ne bougeant, ni parlant. D'abord, pour parler, il est impossible, au milieu de ces machines.


Enfin je sortis de ce vaste palais enchanté, émerveillé du génie de l'homme, mais aussi attristé en considérant que ce génie va à l'encontre du but vers lequel il devrait tendre, c'est-à-dire à égaliser un peu le bonheur en ce monde entre tous les individus, tandis qu'il tend au contraire à accabler de richesses et de bonheur quelques privilégiés seulement, en en éloignant de plus en plus des millions de malheureux déshérités à qui, comme disait cet ouvrier renvoyé de la fabrique, les machines coupent les bras tous les jours, leur seule fortune en ce monde.


Et ces hommes de génie, ces inventeurs de machines à couper les bras, reçoivent des éloges, des encouragements, des félicitations, des brevets, des croix et des pensions, comme en reçoivent ceux qui font les meilleurs écrits mensongers pour rouler, pour berner, pour abrutir, pour consoler et pour calmer les douleurs des malheureux, qui restent impassibles, paisibles, avachis, le ventre vide, en haillons, devant ces machines qui tournent jour et nuit au profit de quelques millionnaires et milliardaires, et semblent rire en leur mouvement perpétuel et se moquer de ces autres pauvres machines en chair et en os qui restent crever de faim en les regardant tourner.


Et cependant on entend tous ces ouvriers crier après ces machines, lesquelles finiront certainement par les mettre tous sur le pavé. On entend même parfois quelques soi-disant économistes, dont toutes les économies viennent de ces machines, dire du fond de leurs cabinets que ces machines pourraient bien à la fin devenir un danger, mais ils répondent de suite qu'on ne peut pas arrêter l'essor du génie sous peine de retomber dans la barbarie.

 

Extrait de Histoire de ma vie
Texte intégral des Mémoires d'un paysan bas-breton
Jean-Marie Déguignet
Première édition : An Here ; 2001; rééditions : Arkae
Page 405


Papeterie d'Odet : le choix du site

Pourquoi le fondateur des usines d'Odet a-t-il choisi de s'installer à Ergué-Gabéric, dans "un petit vallon à la sortie de Lestonan" ? Pour le comprendre, Pierre Faucher est remonté aux sources de la papeterie, autour de 1822. Nous découvrirons ce qui a poussé Nicolas Le Marié à élire ce site, ce qu'était ce lieu et ce qu'il en a fait.

Vx MoulinAvant 1822, l’emplacement de la papeterie ne devait correspondre qu’aux abords sauvages d’un petit fleuve côtier (l'Odet, allant de Saint-Goazec à Bénodet) avec des terrains en pente rocailleux, incultes, recouverts de ronces et de broussailles, sans beaucoup d’arbres. Le chemin vicinal ordinaire n° 3, qui relie le bourg de cette commune au chemin vicinal de Briec allant aussi au bourg de Briec, arrive vers Odet (Odet était le nom du fleuve, mais ne correspondait pas alors à un lieu-dit, avant la création de la papeterie), après avoir traversé le ruisseau du Bigoudic et le fleuve Odet. Un pont, proche du pont actuel (construit en 1859), enjambe-t-il l’Odet ou celui-ci est-il traversé au gué ? Il ne semble pas qu’il y ait eu de moulin à papier à EG avant cette date. Un moulin exista à Briec à la limite de la commune d’Edern, et d’autres sur le Steïr à Kerfeunteun (Ster ar C’hoat) et à Plogonnec (Meilh Nevet)[1]. Peut-être y a-t-il eu un moulin à céréales sur le Bigoudic, avec une roue à aubes ? Précisons qu’au recensement de 1790, il n’est mentionné aucun meunier à Keranguéo.

Gravure du livre d'or des papeteries (1930) représentant le moulin à papier construit par Nicolas Le Marié.

 

Les origines du choix du site

Discours de labbé André Fouët 1922

Selon l’abbé A. Fouët dans son discours du centenaire des Papeteries d’Odet, prononcé en 1922 : « Que de transformations à Odet depuis ce printemps de l’année 1824 où un cavalier de 24 ans parcourait cette région plus déserte, plus chaotique, plus désolée que le Stangala : du roc, des pierres, et encore des pierres, à peine des ronces et des broussailles, pas un arbre ! Aussi, lorsqu’il voulut s’arrêter, il ne savait pas où attacher la bride de son cheval ! Il dut superposer des pierres pour la fixer. »

Ce cavalier, c’est Nicolas Le Marié à la recherche d’un emplacement pour s’établir. Il est le fils d’un marchand « fayencier » quimpérois, qui exploitait aussi une manufacture de tabacs à Morlaix sous la Révolution. Les circonstances s’opposent doublement à la réalisation d’un projet de papeterie. Premièrement, dans le Nord-Finistère, les moulins à papier commencent à battre de l’aile sur les rivières de Morlaix. Secondement, l'État napoléonien a repris le monopole du tabac et les petites manufactures de tabac ferment.

Face à cette situation, les recherches de Nicolas Le Marié s’orientent, après ses études à Morlaix, vers la Cornouaille. A. Fouët poursuit : « Un petit vallon à la sortie de Lestonan, sur les bords de l’Odet, près de Quimper, le séduit, mais il lui manque une chute d’eau. Qu’à cela ne tienne, il détourne le cours de la rivière sur 1500 mètres, fait sauter des mètres cubes de roche et la crée de toutes pièces. Disposant alors de la force motrice nécessaire, il pose la première pierre des papeteries d’Odet en pleine campagne, loin de tout centre d’échanges et de communications[2]. » Ainsi l’implantation de la papeterie d’Odet fut-elle décidée dans un lieu sauvage, dans un vallon où coule l’Odet, mais sans voisinage habité, sans chemin adapté à cette activité.

Acquisition foncière des terrains d’origine de la papeterie
Le 27 janvier 1822, devant Timothée, Nicolas, François, Marie CHAUVEL et collègues, notaires royaux à la résidence de Quimper :
Présents : Jacques LE FAVENNEC, maçon, et Marie-Jeanne QUENHERVÉ, sa femme, demeurant à Kong Quéau, Ergué-Gabéric ; Nicolas LE MARIÉ, marchand, demeurant à Quimper.
Vente : la moitié du lieu-dit Kong-Quéau[3].
Origine : J. Le Favennec, acquéreur de Jean HERVÉ et Marie-Jeanne ROPARS, sa femme, par contrat d’acquêt du 26 août 1809 (MENIEL, notaire à Quimper), ledit HERVÉ l’ayant recueilli en partie de la succession de père et mère, qui, eux-mêmes, l’avaient acquis par contrat d’adjudication le 25 septembre 1745.
Prix : 1400 francs.
Superficie : d’après le cadastre de 1835, 15 hectares 04 ares 17 centiares.
Jouissance : 29.09.1822.
Hypothèques : n°134 du 11 février 1822.


La ressource en eau de la papeterie

Plan Moulin à papier XIXeL’abbé A. Fouët continue la recherche avec Nicolas Le Marié : « À cette époque, dans nos régions, on utilisait bien peu la houille blanche comme moteur industriel, et le chercheur du site voulut faire coup double en s’en servant pour fonder une papeterie. Une chute d’eau était à créer ; pour l’obtenir, il fallait détourner l’Odet sur une longueur de 1500 mètres. » En effet, les besoins en eau sont conséquents pour le fonctionnement d’une papeterie pour la production d’énergie (hydraulique et vapeur) et pour la fabrication de la pâte à papier. Deux tronçons de cours d’eau peuvent être utilisés pour la création de la papeterie : le ruisseau du Bigoudic, qui prend sa source vers Kervoréden et qui descend se jeter dans l’Odet en remontant un peu vers Stang Luzigou ; le fleuve Odet, qui vient des montagnes Noires (Saint-Goazec) et qui traverse le site intéressant Nicolas Le Marié.

Ces deux cours d’eau sont à maîtriser pour répondre aux besoins en eau de la papeterie. Le Bigoudic a dû être le fournisseur d’eau exclusif à l’origine de la papeterie. Pendant combien d’années ? Quand Nicolas Le Marié a-t-il étudié et décidé de creuser le canal ? Sa réflexion datait peut-être de l’origine de l’implantation de la papeterie d’Odet, mais n’a-t-il pas dû se contenter de l’eau du Bigoudic entre 1822 et les années 1850-1860 ? Il devait rechercher comment établir la jonction entre l’Odet et l’usine afin de satisfaire les besoins en eau pour l’énergie et la fabrication de la pâte à papier. C’est certainement lorsqu’il a étudié la liaison possible depuis le niveau du moulin de Coat-Piriou, distant de 1600 mètres environ de la papeterie, avec une chute d’environ six mètres (selon Mann Kerouédan), qu'il a décidé de creuser ce canal.

À partir de 1852, Nicolas Le Marié fait les acquisitions foncières nécessaires à la construction du canal, en trois fois :
- Acquisition de terres et du moulin à eau broyant des céréales de Coat-Piriou le 23 février 1852 (parcelles de 23 à 30 autour du moulin et près de l’Odet / parcelles 262 à 265 : taillis et garennes)
- Acquisition d’une partie de la parcelle n°906 (à Briec, section I), appartenant à Jean-Louis LE STER et Marie-Anne CARIOU à Gresker, le 17 mars 1852, et de tous les droits sur les eaux courtes ou de la partie fluide de l’Odet, rive droite de cette rivière (contrat de Me PLUNIER, notaire à Briec).
- Acquisition en 1853 des parcelles 249 à 261 le long de l’Odet, entre les terrains acquis en 1822 à Odet et le moulin de Coat Piriou[4], soit environ une dizaine d’hectares de landes provenant de la ferme de Quillihouarn.

 

Le moulin de Coat Piriou

Ce moulin[5] [6], connu depuis 1540, aujourd’hui disparu, dépendait de Kerfors (manoir situé près de Lezergué). À cet endroit, l’Odet vient buter contre le flanc rocheux (rive gauche, côté Ergué-Gabéric), d’où ce virage à angle droit, avec un déversoir naturel de 0,80 à 1 mètre dans le coude de la rivière. Cette différence de niveau fait du lieu l’emplacement idéal pour l’implantation d’un moulin produisant de la farine. On va l’appeler « Meilh Coat Piriou ». Creuser un bief d’une centaine de mètres en aval pour obtenir 1 mètre de chute est suffisant pour faire tourner les roues d’un moulin.

Le moulin à farine de Coat Piriou sera inventorié en 1809 à la demande du préfet aux maires des communes finistériennes (Salomon BRÉHIER est alors maire d’Ergué-Gabéric, de 1808 à 1812). Le moulin de Coat Piriou est en activité avec une roue verticale et une roue horizontale pour une production journalière de quatre quintaux de farine. Il figure comme moulin, avec son bief, sur la carte de tous les chemins ruraux dressés en 1914 (archives municipales).

Meuniers identifiés[7], Nicolas LE BERRE et sa femme, sont qualifiés d’« honorables gens » par les actes ; Corentin COJEAN, recensé en 1790, sa femme, Marie CALVEZ, et leurs deux domestiques (Marie NOUY et Jean LE CLOAREC) sont recensés ; Jean PIRIOU (an 12 ??), Joseph FRAVAL (1809), Yves FRAVAL (1816-1818), Jean-Louis LE GARS (1832-1839), Hervé ILLIOU[8] (1851-1858) apparaissent également.

Extrait d’acte de naissance
Un enfant est né en 1858, le 16 mars, au moulin de Coat Piriou : Marie-Renée HILLIOU, fille de Hervé, âgé de 39 ans, meunier au lieu du moulin de Coat Piriou, et de Anne QUINIOU, son épouse âgée de 34 ans, en présence de Louis HILLIOU, 22 ans, et de Joseph PÉTILLON, 30 ans, meuniers en cette commune.

Achat du moulin de Coat Piriou par Nicolas LE MARIÉ le 23 février 1852 devant Me PLUNIER, notaire à Briec.
Marie-Anne LE BERRE, ménagère, épouse judiciairement séparée de Pierre LOUBOUTIN, demeurant au bourg de Briec, vend :
À Nicolas LE MARIÉ, propriétaire, demeurant à la fabrique de papier au moulin d’Odet : une montagne appelée Menez ou Goaremmou Ty Ouarn et dépendant du village de ce nom ; un moulin à eau, sis sur l’Odet, nommé Meil Coat Piriou : prairies, courtils et toutes dépendances.
M. Le Marié sera propriétaire à dater d’aujourd’hui avec les revenus correspondants du moulin, et à l’expiation du bail qui finit le 29 septembre 1853 pour la montagne de Ty Ouarn.
Prix : 6000 francs
Payés : 600 francs de suite
Et 5400 francs dans les quatre mois
Acte signé à Gougastel

En relevant les hypothèques, le moulin de Coat Piriou est signalé démoli en 1859. Le moulin a dû arrêter ses activités meunières et être démoli en 1858. Le 17 mars 1852, au terme d’un contrat reçu par Me Plunier, notaire à Briec, M. Nicolas Le Marié a acquis une partie de la prairie cadastrée sous le n° 906 (section 1 de Briec) pour la vente de M. Hervé ROLLAND et Mme Marie-Louise PENNARUN, son épouse, cultivateurs, demeurant au Gresquer, commune de Briec, ainsi que tous les droits sur les eaux courantes ou la partie fluide de la rivière de l’Odet (Briec), rive droite de cette rivière, dépendant de la ferme de Gresquer ou des terres appartenant aux vendeurs. Dans cet acte, il est indiqué que M. Le Marié n’élèvera pas de déversoir de son moulin, sis sur la rive gauche de l’Odet en la commune d’Ergué-Gabéric, au-dessus du niveau actuel, qu’il sera tenu de faire incessamment établir et constater à M. le juge de paix du canton de Briec (dans les échanges contentieux de 1923, ayant trait à la surélévation du barrage ; il est fait mention de conventions de 1852).

Moulin de Coat Piriou par Man Kerouedan

Dessin du bief et moulin de Coat Piriou en 1835 par Mann Kerouedan, ancien conducteur
de machines aux papeteries Bolloré : « La maison du moulin est occupée par Monsieur
Jean-Claude Pichavant, note-t-il au-dessus du dessin. Le canal démarre en haut du bief
après destruction de l'ensemble et du pont. Le dénivelé est d'environ 2 mètres. Deux entrées
sur le bief : en été, l'entrée du haut ; en hiver, l'entrée centrale. Sur l'autre rive se trouve
la commune de Briec. » Août 2009.


 

La création du canal

J. Bothorel, dans Vincent Bolloré, une histoire de famille (2007), écrit sur les origines du canal : « On utilisait très peu, dans cette contrée, la ‟houille blanche” comme force motrice, et N. Le Marié n’hésita pas à détourner le cours de l’Odet sur 1600 mètres, à faire sauter des milliers de rochers, à remuer des masses énormes de terre. Des travaux gigantesques à une époque où les explosifs, les outils et le matériel de terrassement étaient tout, sauf performants. En six mois, un canal aux eaux claires et pures, aux berges ombragées, fut creusé. Il alimentera la manufacture de papier construite avec la même détermination et célérité. » Mais on peut s’interroger sur les sources et la véracité de ce texte.

N. Le Marié a certainement appuyé l’aménagement du déversoir et de l’écluse sur la rive droite, en amont du moulin de Coat Piriou. Ce serait pour cela qu’il acquiert une partie de la parcelle 906 et les droits sur les eaux courantes le 17 mars 1852. Quand le canal a-t-il été creusé[9] ? Quelle a été la durée des travaux ? Par qui ont été réalisés ceux-ci ? On peut difficilement le préciser (on ne trouve pas de trace écrite sur le sujet). Cette réalisation s’est certainement déroulée dans la décennie 1850-1860. N. Le Marié était alors au sommet de ses capacités d’entreprendre, soutenu par un développement régulier de la manufacture. Les achats fonciers (moulin de Coat Piriou, parcelle de Gresker 906 pour établir le déversoir ; landes de Quillihouarn le long de l’Odet) en 1852-1853 ont permis de terminer la jonction entre la papeterie et le moulin de Coat Piriou. Et cela semble s’achever par la démolition du moulin (1858). La construction du déversoir a dû être entreprise après 1852, si l'on en croit plusieurs écrits : achat de la parcelle 906, écrit de René Bolloré en 1923 évoquant à deux reprises cet aménagement à partir de 1852.

 

Le déversoir et le canal entre 1852 et 1923

Au déversoir, l’eau de l’Odet se divise selon deux orientations : vers le canal, où l’eau traverse quatre vannes manuelles ; vers le lit de l’Odet, reconstitué en bas du déversoir. Un muret d’une cinquantaine de centimètres de haut sur une trentaine de mètres de long, avant le déversoir, guide la courant de la rivière (l'Odet) sur la rive droite, le long des prairies de M. Le Ster. En principe, le niveau de l’eau dans le fleuve s’élève à 60-70 cm de haut, ce qui correspond au volume habituel qui transite dans l’Odet. Mais ce niveau est irrégulier à l’arrivée aux vannes d’entrée du canal.

Dès la mise en fonctionnement du canal, deux situations vont alterner :

  • En période de fortes pluies, le niveau d’eau monte en amont, car les vannes du canal forment un barrage. L’eau passe au-dessus des berges sur le muret de la rive droite (du côté de Briec) et inonde les prairies Le Ster.
  • En période de sécheresse, c’est l’inverse qui se produit. Il n’y a personne pour baisser les vannes du canal et le muret (de la rive droite en particulier) dirige l’eau vers le canal. L’eau ne passe plus sur le déversoir, l’Odet se trouve alors à sec entre le bas du déversoir dans la rivière et l’usine. Les poissons n’ont plus d’eau pour remonter.

Ces deux situations vont amener les parties concernées par les variations du niveau de l’Odet à récriminer le canal :

  • Le propriétaire des prairies de la rive droite (M. Le Ster, Gresquer, Briec), qui sont régulièrement inondées lors des crues. Cet état de fait nuit à la quantité de fourrage récoltée (herbe ou foin).
  • Les pêcheurs et l’État, responsable du bon fonctionnement des cours d’eau. Dans son rapport de 1923, l’inspecteur des Eaux et Forêts insiste sur l’importance de l’Odet pour la production du saumon et son développement, ce qui nécessite d’adopter des solutions favorables au franchissement du barrage par les poissons migrateurs. 

Or M. René Bolloré demande de surélever son barrage de prise d’eau pour accroître le volume d’eau utilisé par la papeterie. Cette demande avait été esquissée dès 1913-1914, et avec la guerre, elle restera en attente. Mais après 1920, la demande est renouvelée.

 

Le relèvement du barrage et la création de vannes automatiques

Bolloré demande donc la surélévation du barrage de la prise d’eau, et M. Le Ster, propriétaire des prairies riveraines du barrage s’y oppose en raison des inondations et submersions qui en résulteraient. Une enquête publique sur ce projet se déroule du 1er au 15 octobre 1923 dans les communes d’Ergué-Gabéric et de Briec.

  • Le dossier d’Ergué-Gabéric contient deux protestations motivées par les menaces d’inondation de parcelles appartenant à deux agriculteurs propriétaires.
  • Le dossier de Briec contient huit protestations de propriétaires ou fermiers riverains toujours motivées par les submersions et inondations qui en résulteraient et par l’augmentation de l’importance des gelées résultant des inondations. M. le maire de Briec demande qu’il soit tenu compte des observations présentées.

Cette enquête mobilisera les administrations, le préfet en premier lieu, et le dossier établi en archives comptera 89 pièces (récapitulatif du bordereau du 14 février 1925) ! En définitive, M. Bolloré demande un relèvement du déversoir de 55 cm. Après enquête, il en sera accordé 33 cm. Il y eut opposition systématique de M. Le Ster, qui obtenait depuis 1852 une indemnité, qu’il a touchée sans interruption. Il résultera de ces faits de nouveaux ouvrages régulateurs. À la place du simple déversoir existant en 1923 et de l’échelle de poissons à gradins, le barrage devra être doté de :

  • une vanne automatique à poissons de 1 mètre de largeur utile et dont le seuil sera sensiblement à la cote au fond de la rivière.
  • une grande vanne automatique, dont le seuil serait à la cote du fond de 11 mètres de largeur.
  • un déversoir.

La petite vanne sera réglée de manière à s’ouvrir complètement avant que la grande n’entre en action. La grande vanne intervient pour réguler le niveau de l’Odet. Cette vanne se soulève quand le niveau d’eau monte. Les flotteurs montent dans leurs logements respectifs. Quand l’eau descend, c’est l’effet inverse. Le but est d’avoir une hauteur d’eau suffisante dans le canal.

 

La vanne de décharge et l’entretien du canal

Cette vanne de décharge du canal dans l'Odet, avec tunnel, a été bâtie sans béton, entièrement en pierres de taille il y a plus d'un siècle. Pas la moindre herbe ne pousse entre les pierres. Chaque année, pendant l'arrêt de la papeterie au cours de l'été, le canal était vidé, nettoyé et parfois réparé pour colmater les effondrements de murs et les fuites. Il était aussi curé en partie certaines années. Une convention notariée entre M. Bolloré et M. Le Ster sera signée le 3 juin 1925, actant les ouvrages et les indemnités. Ci-dessous : Schéma des vannes de l’écluse du canal, Ti-Ouront, par Mann Kerouedan.

Ty Ouront traité

 

La fermeture de la papeterie en 1983

 Elle entraîne l’abandon de l’utilisation du canal. Et l’équipement en vannes de l’écluse va se détériorer.

 

Le bois de Stang Luzigou et le canal depuis 1980

Le Conseil général du Finistère a acheté les bois du Stang Luzigou en 1981-1982 (28 hectares). L’aménagement de sentiers, d’une aire de jeux et de stationnement, les plantations et coupes de bois seront réalisés régulièrement par le Conseil général, sous la direction de l’ONF (Office national des forêts). En 1994, le Conseil général achète les prairies comprises entre la route et l’écluse (4 hectares 86) et l’Odet. En 1996, la commune d’Ergué-Gabéric achète l’assiette du canal (1 ha 2 a 34 ca), car Bolloré voulait y mettre un droit de réserve pour y puiser de l’eau à des fins industrielles éventuellement[10], et le Conseil général, dans le règlement des acquisitions avec le financement par la taxe sur les espaces verts, ne peut acquérir s'il y a la moindre réserve dans l’acte d’achat, ce qui était le cas. Les praires, le long du canal, et vers l’Odet , ont été aménagées, plantées, avec des sentiers piétonniers. Par contre, aucun projet d’aménagement du canal n’a été réalisé.

L’eau était un élément déterminant dans l’implantation de la papeterie d’Odet, pour la production de l’énergie et la fabrication du papier. Après l’utilisation du Bigoudic, l’acheminement de l’eau de l’Odet par le canal permit de satisfaire la demande de l’usine, qui augmentait avec la forte croissance de la production.

 

La démolition des vannes de Coat Piriou en 2014

On trouve dans un article de Jean Cognard, intitulé "Promenade bucolique près du canal : le chêne à la baignade" et paru dans le Grand Terrier n° 9 (octobre 2009), une description de Coat Piriou, du souvenir qu'a laissé ce lieu : « Ce magnifique chêne se trouve depuis de nombreuses décennies au bord du canal d’Odet, où il déploie ses branches majestueuses au-dessus de l’eau. Plus que centenaire, il était peut-être déjà là avant la construction du canal ? Il est précisément à mi-chemin entre la papeterie et l’écluse, à cet endroit qu’on appelle la baignade, car au moins trois générations de Gabéricois s’y sont baignés, nombreux chaque année de mai à septembre. Et le sport favori des jeunes gens était de plonger dans l’eau froide depuis la branche horizontale principale de l’arbre, tout en éclaboussant allègrement les jeunes filles effarouchées. »

Pierre Faucher

 

Notes

[1] Voir Moulins à papier de Bretagne, Yann-Ber Kemener, Morlaix, Skol Vreizh, 1989.

[2] Livre d’or Bolloré, 1930, p. 2 : « L’initiative prise par Nicolas Le Marié ne manquait pas de hardiesse. Certains l’eurent taxée de témérité. Le lieu dans lequel, au printemps de l’année 1921, il décidait de créer cette manufacture de papier à cylindre, n’offrait d’autre ressource que l’eau de la rivière d’Odet, qui coulait entre les coteaux granitiques, sans végétation, sans village, sans moyen de communication avec la ville de Quimper, sise à plus de 9 kilomètres. »

[3] Kong Quéau : village dénommé le « Quéau », nom qui proviendrait du breton « Keo », c’est-à-dire « grottes ». Keranguéo signifie ainsi « village des petites grottes ». Cf. Bernez Rouz, Les noms de lieux d’Ergué-Gabéric, Arkae, Cahier n°9, 2007.

[4] Le moulin de Coat Piriou est signalé démoli aux hypothèques en 1859.

[5] Appelé parfois Moulin Odet, près de Pont Piriou.

[6] Piriou : nom très ancien. On le trouve dès 1540 sous la forme Peryou. Son origine remonterait au XIe siècle, dans le cartulaire de Quimperlé. Peryou contient la racine per (du gallois pyr), qui signifie « prince ». Soit piriou : princier. Cf. Bernez Rouz, Les noms de lieux d’Ergué-Gabéric, Arkae, Cahier n°9, 2007.

[7] Source : Kannadig du Grand Terrier, n°15, juillet 2011.

[8] Hervé Illiou et Anne Quiniou se sont mariés le 4 février 1849 à Ergué-Gabéric, et le père d’Hervé, Yves Illiou, était meunier.

[9] Suite à la découverte de la carte ci-jointe (carte d’état-major, dite de Capitaine, datant de 1858), trouvée dans le dossier Déguignet, sur laquelle on distingue le canal réalisé, peut-on déduire que le canal a bien été creusé entre 1852 (achat du moulin de Coat Piriou et de terrains à proximité) et 1858 ?

[10] C’était essentiellement Gwen-Aël Bolloré, qui habitait à l’époque au manoir familial d’Odet, qui « rêvait » de remettre en eau le canal, peut-être pour y réaliser une activité piscicole, avec pêche à la ligne !...


L'Actualité du patrimoine

04 août 2017 / 04 a viz Eost2017

Article Ouest-France sur Jean-Marie Déguignet

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Trésor du breton écrit

OUEST-FRANCE.FR / dimanche 30 juillet 2017

Jean-Marie Déguignet écrit en 1904, l'histoire de sa vie : « Mémoires d'un Paysan Bas-Breton ».

 

Quand Déguignet publie les premières pages de ses célèbres « Mémoires d'un Paysan Bas-Breton », il émaille son récit de termes bretons.

Celui qui fut mendiant dans sa jeunesse n'oublie pas, non sans humour, la dure condition des siens : « da lein e vez dec'hwitez, da verenn e vez patatez, da verenn vihan des pommes de terre, ha da goan avaloù-douar » ( Le matin, le midi, à 4heures et le soir, des pommes de terre, encore des pommes de terre, toujours des pommes de terre).

Conteur, il multiplie les dictons populaires qui fleurissent la langue : « Gant fall vez graet, mes heb ket n'eur ket evit ober » (avec du mauvais on fait mais avec rien, on ne peut rien faire). « Ret eo kaout permision an iliz vit lakat ar roched e kichen an hivizh » (Il faut la permission de l'église pour que gars et fille se côtoient). Mais ce qui a fait le succès de Déguignet c'est sa hargne caustique contre les institutions politiques, religieuses, intellectuelles.

Il invoque souvent « Itron Varia ar fripouillez » (Notre Dame des fripouilles) pour tailler des costumes aux représentants de la bonne société : « Jezuz, pegen braz vez, Plijadur an dud-se, Mar c'hellfent kaout toud, Ar c'hreion hag ar youd » ( Jésus, que le plaisir de ces gens-là serait grand, s'ils pouvaient avoir tout, la bouillie et le gratin).

Déguignet a une dent contre Anatole Le Braz à qui il a confié ses manuscrits, il devra attendre huit longues années avant de se voir publier. Il consacre un poème incendiaire à l'écrivain : « Ar Frañs zo d'ar fransijen, Hag an Arvor d'an Arvoyou, D'ar Braz ha d'e eskibien, Da Anatol mestr an Ankou, Ar gernez hag ar vosenn. »(La France aux Français et l'Armor aux armoracailles, à Le Braz et ses évêques, à Anatole, le maître de l'ankou, de la faim et de la peste).

L'écorché vif

Le Braz n'est pas le seul à être voué aux gémonies.Déguignetnous donne une parodie de l'enfer de Dante en breton, un régal : « Toud ar ganailhez-se, friponed ha lubrik, a zo chaofet eno gant an tan elektrik, En-dro dezho a zo kant ha kant mil furi, Gant brochoù houarn ruz evit o zourmantiñ » (Toutes ces canailles, fripons lubriques, sont brûlées par le feu électrique. Autour d'eux, cent mille furies les tourmentent avec des piques de fer rouge).

Degignet signifie l'écorché vif, un nom qui lui va comme un gant.

En 2017 sortira la 21e édition des Mémoires du second best-seller breton de tous les temps après Le Cheval d'Orgueil de P.J. Hélias.

 

Bernez Rouz