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Anne Ferronière, 1ere conseillère municipale d’Ergué-Gabéric (1941-1945)


signature FerronièreLe 13 décembre 1940, le gouvernement de Vichy promulgue une loi de réorganisation municipale. Si les élections sont maintenues dans les communes de moins de 2 000 habitants, il n’en est pas de même pour les communes plus importantes. Ergué-Gabéric, forte de ses 2 600 habitants, est dans la catégorie des communes de 2 000 à 10 000 habitants. Le maire et le conseil municipal sont nommés par le préfet. 
 
Ainsi, le 29 mars 1941, Pierre Tanguy, agriculteur de Kerellou, maire sortant, est maintenu dans ses fonctions. Il présente au préfet une liste de candidats, double des sièges à pourvoir. Le premier critère est d’avoir 25 ans. Les hommes et les femmes peuvent être nommés. La loi oblige le préfet à nommer un père de famille nombreuse, un représentant des groupements professionnels des travailleurs, une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres privées d’assistance et de bienfaisance.
Le 9 avril 1941, le corps municipal est nommé. A Ergué, c’est le service minimum pour les femmes, mais comme le prévoit la loi, Madame Ferronière, née Grignon du Moulin, présidente de l’ « Ouvroir de l’Odet », c’est-à-dire du bureau des œuvres sociales des papeteries Bolloré, est nommée conseillère municipale.
Anne, née le 23 février 1905 à Nantes, épouse le 26 avril 1926 Frédéric Ferronière, né le 2 mars 1902. Le mariage entre deux grandes familles bourgeoises nantaises fait grand bruit à l’époque. Ingénieur chimiste après des études à Strasbourg, Frédéric Ferronière et sa femme s’installent dès leur mariage à Quimper, puis à Ergué. Ils auront deux filles : Anne, née à Quimper en 1927, et Jacqueline, née à Quimper en 1930. Les deux filles se marient à Ergué-Gabéric,  respectivement en  1949 et en 1954.  Frédéric Ferronière devient directeur du site d’Odet après la guerre. Anne Ferronnière participe aux fêtes de la bonne société quimpéroise. La presse relate sa présence en 1939 au gala de la Légion d’honneur, où elle joue une scénette de théâtre avec sa fille aînée. 
Dans les registres des délibérations du corps municipal pendant la guerre, Mme Ferronière apparaît comme très présente. Elle n’est absente que six fois entre avril 1941 et le 15 mars 1945, dernière séance où elle assure le secrétariat. A plusieurs reprises Mme Ferronière sera élue secrétaire de séance. Elle fait partie de la commission du cimetière et, sans surprise, de la commission du bureau de bienfaisance. Le 1er mars 1942, elle représente la municipalité au conseil d’administration de la Caisse des écoles privées mais aussi à la Caisse des écoles publiques. Ces caisses étaient chargées de récompenser les élèves assidus et de secourir les indigents.
Frédéric Ferronière devient directeur de l’usine à son redémarrage en 1945. Le couple et ses deux enfant vivent dans une maison à Stang Venn, en face de la nouvelle usine d’Odet. M. Ferronière reste à la tête de l’usine jusqu’à la fin des années 60. On le retrouve comme visiteur au Scientific Control Laboratories de Liverpool, un laboratoire du British American Tobacco, qui teste les tabacs, mais aussi les papiers à cigarette du monde entier. Il terminera sa carrière au siège du groupe, à Paris, avant de se retirer au Cabellou à Concarneau.
Frédéric Ferronière décède le 13 novembre 1986 à Concarneau où il repose avec sa femme, décédée deux ans après.
 
Voir aussi : Politique > Les femmes en politique à Ergué
 

Dossier réalisé par Bernez Rouz - Keleier 84 - octobre 2014

 

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La saga Bolloré, entre histoire et légende

La saga Bolloré, entre histoire et légende

 

Voici quelques remarques rédigées à la suite de la lecture de la 1ère partie du livre de Jean Bothorel, paru cet été 2007 : Vincent Bolloré, une histoire de famille. Ces 60 premières pages portent sur la période 1822-1981 (soit 160 années) et ont pour sous-titre « Les racines et la dynastie » : elles traitent donc de la période historique qui intéresse Arkae. Une 2e partie prend 110 pages pour couvrir les 25 années de l’histoire du groupe sous la direction de Vincent Bolloré, et une 3e (5 pages) annonce le second centenaire, qui sera fêté dans 15 ans. La première partie, celle dont il est ici question, me semble se situer à mi-chemin entre ce qui se prétend un travail d’histoire et ce qui serait en fait une hagiographie à la façon de Joinville travaillant pour son roi Saint Louis. Je veux dire que ce n’est pas un travail d’histoire tel que nous l’entendons à Arkae.

 

Le piano mécanique

Le travers qui apparaît rapidement, c’est celui d’attribuer nécessairement à la famille Bolloré tout ce qui se faisait à Lestonan, et d’ignorer que la population de Lestonan, ou celle d’Ergué-Gabéric a habituellement su se ménager un certain espace hors de l’emprise Bolloré. Exemple plutôt comique : le bilan de Bolloré II, mort en 1935 (pages 47-48) : « Il avait pris le temps avant de disparaître de bâtir de nouvelles écoles privées, d’aider au lancement d’une deuxième cité ouvrière, Le Champ, qui fut construite à grande vitesse et baptisée la Cité Champignon. Il encouragea la construction d’un patronage, les Paotred Dispount, littéralement « les gars sans peur », qui formèrent une troupe de théâtre et une clique avec ses fifres, clairons et tambours. Enfin un piano mécanique fut installé chez Chan Deo, où les jeunes se réunissaient les dimanches après-midi… » Est-il raisonnable de penser que ce serait Bolloré qui aurait contribué à équiper le café de Chan Deo d’un piano mécanique et ainsi à sponsoriser ce qui était dénoncé par le clergé comme un lieu de perdition et de débauche en plein cœur de Lestonan ?

 

L’école publique

Non seulement les Bolloré auraient financé le piano mécanique, mais ils auraient aussi « créé » l’école qui a été ouverte à Lestonan en 1885. C’est bien une école publique que le Conseil Municipal, à la demande insistante de l’inspecteur d’académie, a décidé en 1882 de construire. Or elle est  présentée par Jean Bothorel, page 32, comme école privée : « adjoint au maire d’Ergué-Gabéric, il (le René Bolloré, qui fut à la tête des Papeteries de 1881 à 1905) ouvrit dans le hameau de Lestonan une école privée pour éviter aux enfants le long trajet jusqu’au bourg ». Cette phrase est directement transcrite (mais l’auteur ne l’indique pas) du discours prononcé à la Fête du Centenaire en 1922 par l’Abbé André-Fouet dans l’éloge qu’il fait de Bolloré I : « il crée l’école de Lestonan pour éviter aux enfants le long trajet jusqu’au bourg ». Où donc Jean Bothorel va chercher que René Bolloré était adjoint au maire ? Jean Mahé avait été élu maire en 1881, avec comme adjoint Hervé Le Roux. A la mort de Jean Mahé en 1882, Hervé Le Roux devient maire, avec René Riou comme adjoint. René Bolloré, pendant ce temps, était l’un des 14 conseillers municipaux. Et pourquoi ajouter qu’il s’agit d’une école privée là où André Fouët indiquait simplement une école, et alors qu’en réalité il s’agissait d’une école publique ?

 

Le rachat du Likès

Un autre épisode longuement raconté par Jean Bothorel, pages 33-34, concerne le Likès à Quimper. L’auteur trouve le moyen de placer dès 1907 « une des premières initiatives » de René Bolloré II, qui venait de prendre la direction des Papeteries en 1905, à 20 ans (à noter que Bothorel préfère dire « à 18 ans » ; or, ce René Bolloré est né le 28 janvier 1885, et son père est mort le 15 février 1905 : le fils venait d’avoir eu 20 ans à la mort du père). Voici le texte de Bothorel. « Le collège Le Likès, célèbre institution de Quimper tenue par la Congrégation des Frères des écoles chrétiennes, tombait sous le coup de la loi anti-congréganiste de juillet 1904. Le 18 mai 1907 se déroula au Palais de Justice de Paris la "vente aux enchères publiques, en un seul lot, d’une grande propriété sise à Quimper (Finistère) rue de Kerfeunteun". Il s’agissait du Likès. La mise à prix était de 60 000 francs, une braderie, puisque la seule chapelle construite huit ans plus tôt avait coûté 15 000 francs. Le jour de la vente, Eugène Bolloré, soutenu par son cousin René Bolloré II, se porta acquéreur. Eugène, grand, de belle allure, la moustache en pointe, était président de l’Amicale des anciens élèves du Likès. Les enchères ne montèrent pas très haut, 63 000 francs. Comme la loi interdisait de réaffecter les locaux à l’enseignement scolaire, Eugène Bolloré trouva un artifice : il loua le Likès à l’évêché de  Quimper qui y installa son Petit séminaire sous le nom de collège Saint-Vincent… ».

Qu’en a-t-il été réellement ? La source (probable) à laquelle Bothorel puise son information (ce serait encore une fois sans le dire) est un ouvrage écrit par le frère Hervé Daniélou en 2001, intitulé Un siècle de vie likésienne (1838-1945). On y fait état (page 51) de la création en 1889 d’une Amicale des anciens élèves, dont le président fut, de 1889 à 1924, M. Eugène Bolloré, mercier au 13 rue de Kéréon à Quimper, et qui était effectivement le cousin de René Bolloré II. Page 56 de ce livre se trouve relatée la vente du Likès : « C’est le 18 mai 1907 que se déroula, devant le Tribunal civil de la Seine, au Palais de Justice de Paris, la "vente aux enchères Publiques, en un seul lot, d’une Grande Propriété, sise à Quimper (Finistère), rue de Kerfeunteun" […]. L’affiche annonçant cette vente publique, comporte […] la mise à prix : 60.000 francs. C’est évidemment une véritable braderie, si on pense que la chapelle seule, terminée huit ans plus tôt, avait coûté 150.000 francs [NB : Bothorel retient un chiffre de 15.000 francs au lieu des 150.000 francs ici indiqués]… Le jour de la vente, parmi les acheteurs éventuels, se présente un homme de haute taille, au regard droit et à la moustache en pointes : il s’agit de M. Eugène Bolloré, président de l’Amicale des anciens élèves, qui, en accord avec les Frères, se porta acquéreur de la propriété mise aux enchères. Celles-ci ne montent pas bien haut et, pour 63.000 francs, Monsieur Bolloré devient propriétaire de l’ensemble des terrains et bâtiments affectés au Likès et au District. On peut évidemment se poser la question de savoir si, en l’occurrence, M. Bolloré utilisa sa fortune personnelle ou si l’argent de l’achat fut avancé par les Frères. Ce qui se passa plus tard, lors de la constitution de la "Société Anonyme Le Likès", qui devint propriétaire légale de l’ensemble de la propriété et des bâtiments, permet de donner la préférence à la seconde hypothèse […]. » Ainsi l’hypothèse plausible, selon la source, est que M. Eugène Bolloré n’aurait été qu’un prête-nom, pour le compte des Frères, et il n’est pas question dans ce récit d’un rôle quelconque en « soutien » de René Bolloré II, le cousin, qui rappelons-le, avait 22 ans à l’époque, et était un ancien élève des Jésuites de Vannes et non du Likès. Pourquoi donc s’obliger à le mêler activement à cette entreprise (« une des premières initiatives de René Bolloré ») et à consacrer une page entière à cette opération financière un peu particulière ? Il y a pire, par exemple ce qui est retenu par le Chanoine René Gougay dans « Le Petit Séminaire Saint-Vincent. Pont-Croix 1822-1973 », édition Association des anciens élèves de l’institution Saint-Vincent, 1986 ; page 79) : « À la Séparation, les Frères de Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle virent leurs écoles fermées et confisquées. Leur établissement du Likès à Quimper fut acheté par M. Bolloré, industriel papetier à Odet en Ergué-Gabéric. L’acquéreur était mandaté par le Comité des anciens élèves dont il était le président. Il le loua à Mgr Dubillard ». Jean Bothorel pouvait donc prendre encore plus de distance avec la réalité historique.

 

Les ouvriers au secours du patron

Enfin, cet épisode, situé sous la direction de René Bolloré I (entre 1881 et 1905). Il est ainsi rapporté par Jean Bothorel (pages 30-31) : « Plus d’une fois, l’entreprise frôle la catastrophe. A tel point qu’en 1897, elle est mise en vente sur l’initiative de certains membres de la famille. Sans doute voulaient-ils se partager l’héritage avant qu’il ne se désagrège… On raconte que les ouvriers et ouvrières se sont alors mobilisés et ont rassemblé toutes leurs économies pour les offrir à leur patron : Monsieur Bolloré, nous vous aimons, nous ne voulons pas d’autre patron que vous. Tenez, prenez notre argent, si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l’usine. On ignore s’il en eût besoin. On sait en revanche qu’il réussit à se sortir de cette mauvaise passe… ». Bothorel ne cite aucune source. Il dit : « on raconte que… », comme s’il s’agissait d’un récit largement approprié . Or cet épisode n’est connu qu’à partir de l’évocation qui en a été faite par René Bolloré II dans le discours prononcé par lui à l’occasion des fêtes du centenaire en 1922 : « Mes chers amis, je vous raconterai un fait qui résumera l’intensité de l’affection dont il (son père) était entouré. En connaissez vous de plus touchant ? Le voici tout simplement : Quand il y a 35 ans, l’usine fut mise en vente pour partage de famille, les ouvriers de l’époque rassemblèrent leurs économies et vinrent les offrir à mon père, par l’intermédiaire du vieil Auffret, de ton père, Horellou, en lui disant : Monsieur René, nous vous aimons, nous ne voulons pas d’autre patron que vous, tenez, prenez notre argent si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l’usine ». Chacun remarquera d’abord que le discours étant prononcé en 1922 et évoquant des faits vieux de 35 ans ; il faut situer ceux-ci en 1887, et non pas en 1897 comme le fait Bothorel. Effectivement, le Docteur Bolloré était mort en 1881, et ses trois fils se sont engagés dans une direction collégiale de l’entreprise. Au bout de quelques années, les deux plus jeunes ont laissé faire leur aîné (René Bolloré I), et lui ont demandé le partage du bien familial. D’où une situation de crise. C’est alors, à une date inconnue et dans des circonstances qui restent ignorées, qu’une démarche de soutien au chef d’entreprise serait venue du personnel. S’agit-il d’une démarche représentative de tout le personnel ou émanant de quelques individus de ses plus proches collaborateurs ? S’agit-il d’une vague proposition ou y a t’il eu un début de réalisation de collecte ? Nous ne disposons d’aucune autre source que ce discours du Centenaire pour connaître cet épisode. Nous devons nous poser la question du bien-fondé de ce récit présenté dans un contexte de célébration de l’entreprise et de ses héros, dans un élan de convivialité recherchée et de sentimentalité bien apparente. René Bolloré II est-il plus crédible que son ami André-Fouet attribuant ce même jour à René Bolloré I la création de l’école publique ? Un minimum de prudence s’impose à qui prétend faire un travail d’historien.

Bothorel aurait pu dire que, dans la tradition Bolloré, cet épisode est devenu une sorte d’évènement fondateur, sans doute autant construit que réel, et relevant désormais du merveilleux. Il fait partie du légendaire de l’entreprise et peut être resservi quand il y a lieu de mobiliser le personnel autour de la direction. L’histoire à faire, c’est aussi l’histoire de l’utilisation de ce récit : quelque chose s’est passé, mais qui a été valorisé peu ou prou, pour les besoins de l’édification des fidèles, comme dans les légendes locales qui ont fleuri sur fond de religiosité.

A travers ce mode de traitement des sources (que l’on prend soin bien souvent de ne pas citer), apparaît une manière habituelle de forcer l’histoire dans le sens d’une dramatisation : à plusieurs reprises, tout alla mal, mais chaque fois, tout fut sauvé, quasi miraculeusement, grâce à l’énergie et à la clairvoyance du héros éponyme, qui disparaît pour renaître, tel le phénix.  « La manière dont Jean-René Bolloré entre dans l’affaire ressemble étrangement au scénario qui se renouvellera en 1897-1898 avec René Bolloré I, en 1919-1920 avec René Bolloré II, en 1948-1950 avec Michel Bolloré et ses frères, enfin en 1981 avec Vincent Bolloré » (page 25. La même récurrence de rebonds historiques est présentée page 56). Ainsi se résumerait la saga des Bolloré, qui serait une illustration des vertus du « capitalisme familial », libre et efficace (page 191). Une histoire à thèse en quelque sorte.

 

François Ac’h - Keleier Arkae, n° 53 - Décembre 2007

 

Signalons encore des erreurs que nous pouvons considérer comme ordinaires, mais qui témoignent d’un certain parisianisme de la part de l’auteur, pourtant finistérien (né à Plouvien). Petit bêtisier. Jean Bothorel situe la commune de Scaër et le moulin de Cascadec dans les monts d’Arrée, et non dans les montagnes Noires : « il [René Bolloré II] loue en 1893, à quelques encablures d’Odet, sur la commune de Scaër, le moulin de Cascadec. Celui-ci enjambe l’Isole qui coule aux pieds des monts d’Arrée, dans l’un des plus beaux sites du Finistère » (page 30). « …en avril 1917, René Bolloré II achète l’usine de Cascadec, jusque là en location. Il y installe une seconde machine à papier, et creuse dans les monts d’Arrée un canal pour amener l’eau aux turbines… » (page 39). Et pourquoi, quand on veut mettre en scène une « brave » bretonne, faut-il en faire une Bigoudène ? Évoquant (page 192) le mariage récent du fils Bolloré, Bothorel a ce commentaire : « Ah, pour sûr, y avait du beau monde !, aurait dit la bigoudène Marianne Saliou ». Marie-Anne Niger, épouse Saliou, est née à Ti-Ru et habitait Stang-Venn.

 

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Gwenn-Aël Bolloré

Par Pierre Faucher, Bernez Rouz, Gaëlle Martin et Christophe Violette.

 

Témoignage de Pierre Faucher

Pendant une vingtaine d’années, j’ai eu l’occasion de rencontrer assez souvent Gwenn-Aël Bolloré qui se plaisait à résider dans son manoir d’Odet, cadre si luxuriant et tellement fleuri au printemps avec ses rhododendrons. Le musée océanographique complétait harmonieusement le parc longé par l’Odet.

Les visites du comité de jumelage avec la ville de Bude Stratton (Grande-Bretagne), celle du ministre de la Mer (L. Le Pensec) en 1982, les portes ouvertes presque chaque année où il recevait ses nombreux amis, étaient l’occasion d’échanger sur les activités de la papeterie, les occupations multiples de l’hôte, tant dans le domaine littéraire – en particulier avec les salons du livre (maritime à Concarneau, breton à Trévarez) – que dans la recherche océanographique, qu’il se plaisait à expliquer dans son musée.

À plusieurs reprises, je l’ai rencontré pour des discussions précises concernant la commune d’Ergué-Gabéric :
- l’acquisition des propriétés boisées de Kerho (par la commune), de Stang Luzigou (par le Conseil Général),
- l’achat de logements dans la cité de Ker Anna,
- l’aménagement du canal de l’usine, inutilisé depuis la fermeture de la papeterie d’Odet, où des avis divergeaient sur son aménagement. Gwenn-Aël Bolloré souhaitait qu’il devienne une réserve de pêche qui aurait été contrôlée par la Fédération des pêcheurs et ouverte à la carte au public. Le projet est toujours dans l’eau !

Et parfois, les discussions devenaient plus personnelles, avec des souvenirs du béret vert infirmier et son livre racontant le 6 juin 1944 Nous étions 177. Lors d’un passage au Mémorial de Caen, vers 2005, ayant décliné mon identité gabéricoise, des responsables militaires m’ont entretenu de la mémoire de Gwenn-Aël Bolloré et du commando Kieffer, dont il était le dernier survivant.

Les activités littéraires occupaient beaucoup de son temps et il aimait en converser longuement. Un jour, au manoir, je l’ai rencontré en train de vérifier son dernier livre, ce devait être Mémoires parallèles et nous sommes restés un bon moment à échanger sur ses souvenirs.

L’accueil à Odet était toujours chaleureux. Cet homme du XXe siècle que l’on rencontrait à Lestonan, aux offices religieux de l’église Saint-Guinal et à Kerdévot, aimait cultiver ses attaches locales. Et son éclectisme, son humanisme subsistent encore dans les mémoires des gabéricois.

Je suis allé voir l’exposition de la bibliothèque de Gwenn-Aël ce lundi 21 janvier 2002 vers 10 h à la bibliothèque municipale de Quimper. J’y ai rencontré Bernard Poignant, Michèle Coïc, directrice de la bibliothèque, et ai acheté le catalogue de la vente. En sortant, je me suis retrouvé face à Anne Bolloré, la fille de Gwënn. Nous avons échangé quelques mots sur le départ de son père et elle m’a fait part de sa surprise en voyant exposée la bibliothèque personnelle de son père. Les proches connaissaient le manuscrit de Céline, mais personne n’imaginait la richesse de cette bibliothèque personnelle. Il fallait traverser la chambre de son père pour y avoir accès. Un bon aparté.

 

 

Interview par Bernez Rouz et Gaëlle Martin

Arkae > Tresors archives > Personnages > Gwenn-Ael BolloréQuelques mois avant son décès le 12 juillet 2001, Gwenn-Aël Bolloré, ancien vice-président des papeteries Bolloré, écrivain, cinéaste, océanographe, avait accepté de rencontrer trois membres de l’association Arkae, dans son manoir d’Odet : Jean Guéguen, Gaëlle Martin et Bernez Rouz : l’occasion d’évoquer les grands moments de sa vie. En voici, classés par thèmes, les extraits les plus significatifs :

 

Le prénom Gwenn-Aël

En fait je m’appelais Gwinal et puis finalement ça s’est transformé en Gwenaël, et puis moi, j’ai un petit peu celtisé l’orthographe quand j’ai commencé à écrire : Gwenn-Aël, qui veut dire ou ange blanc ou vent blanc, suivant les experts. Je pense que c’était probablement pour honorer Ergué, quoiqu’il y avait la petite chapelle qui est au-dessus, là, qui était Guinal ou Guénolé. Guinal est celui qui a jeté Dahut dans les eaux... enfin il y a un tas de légendes.
Q : Il n’y avait pas de tradition dans votre famille de donner des prénoms bretons ?
Non, absolument pas, je suis le premier. Moi, j’ai un petit-fils qui s’appelle Gwenaël, mais non, il n’y avait pas de prénoms bretons.
Q : C’est une incongruité, à cette époque on ne connaît pas de gens qui s’appellent Gwenaël en fait ?
C’est très rare. Quand j’étais jeune, les gens me regardaient avec des yeux ronds. Maintenant je peux me promener, je ne parle pas de Quimper mais de Paris, où j’entends une mère de famille qui dit à son fils : « Gwenaël, arrête de faire des bêtises etc. ». Au début ça m’interpellait un petit peu puis maintenant je suis habitué.

 

La commune d'Ergué-Gabéric

Je suis né ici, (5 septembre 1925). Je suis né dans ma chambre actuelle. Les bureaux des papeteries étaient à Nantes : ma mère était d’origine nantaise, on a été habiter Nantes. Je suis resté à Nantes jusqu’à la mort de mon père et on venait passer les trois mois d’été en Bretagne, plus les vacances de Pâques. Les vacances de Noël, parfois, on allait aux sports d’hiver. A l’époque, c’était un peu un safari, car on n’allait pas souvent aux sports d’hiver. Oui, j’ai vécu quatre mois par an ici.
Q : Quand on habite Nantes, venir au fin fond de la Bretagne c’était une pénitence ?
Oh non, pas du tout, parce qu’ici on était en vacances, tandis qu’à Nantes on était en classe. En général on venait en voiture, mais c’était une aventure. Il y avait une voiture qui partait de Nantes et en général on coulait une bielle du côté d’Auray ou de Vannes. Et alors le chauffeur de l’usine qui était Louis L’Helgoualc’h, si je me souviens bien du nom, à moins que ce ne soit Gourmelen, venait nous prendre avec la voiture de l’usine. Donc on y mettait la journée. C’était une expédition. J’avais quand même deux frères, une sœur, ma mère, mon père et puis nous avions une vieille institutrice qu’on considérait comme notre tante, qui s'appelait Germaine César, que tous les gens d’Odet ont bien connue. On était au moins à deux voitures.

 

Les jeux d’enfant

Il n’y avait pas de télévision bien sûr. On avait des distractions qui étaient différentes : on allait beaucoup dans la rivière. Maintenant il y a prescription, mais on braconnait un peu : on s’amusait à pêcher les truites à la main ou les anguilles avec une fourchette en soulevant les cailloux. On avait de très bons professeurs. Il y avait deux gardes-chasse fameux, à commencer par Kergoat, puis Sizorn. On s’est bien amusé. Il y avait le Stangala, parce qu’à l'époque on marchait. Ce sont des sentiers avec des cailloux. On allait passer l’après-midi au Stangala. Il y avait la promenade du canal. Il y avait un canal d’amenée d’eau pour les turbines turbo-électriques, qui fait 1,6 km. On allait pique-niquer au bout du canal. On amenait du pain, des confitures et on passait l’après-midi comme ça.

 

La Fête-Dieu

Il y avait la Fête-Dieu qui était une fête extraordinaire : d’abord le clergé était beaucoup plus structuré qu’il n’est maintenant. Il y avait toujours une douzaine de chanoines en grand uniforme. A la Fête-Dieu, tout le monde allait ramasser des fleurs. C’était un petit peu dommage : on cassait des fleurs pour faire des paniers pleins de pétales, des roses... tout ça c’était massacré, et on mettait ça par terre. Il y avait des défilés avec tout le clergé, le haut clergé et des bannières. On trouvait ça formidable, quoi ! A l’époque il y avait la chapelle, une messe tous les matins, deux messes le dimanche ; il y avait le recteur qui habitait l’usine. Il y avait cinq ou six choristes en soutane rouge. Enfin c’était très spectaculaire.

 

Le camélia

Mon arrière-grand-père, chirurgien de la Marine, a été en Chine sur une escadre de bateaux. Ils ont ramassé des graines de camélia et les officiers ont ramené des graines. Ce camélia a été planté à l’époque. C’est sûrement l’un des plus vieux de Bretagne. C’est un des plus vieux de France. J’ai une photo de ce camélia qui a été datée par Kodak et qui a déjà cent ans. Il est presque aussi gros. Le parc a été dessiné par un paysagiste anglais, ça n’a d’ailleurs rien à voir avec les jardins à la française.

 

L’usine

On y allait automatiquement parce que c’était à côté. C’était de belles machines à papier. ça nous paraissait énorme. On connaissait tout le monde. Nos parents ne nous l'interdisaient pas. Il y avait aussi deux ou trois enfants de contremaîtres de l’époque qui étaient là : la famille Garin, la famille Eouzan, la famille Léonus. Non, ça se passait bien. Il n’y avait pas de problème.

 

La vie de château

Il y avait pas mal de réceptions, notamment parce qu’on faisait du papier qu’on exportait pour la plus grande part. On avait énormément de clients anglais, américains, de tous les pays d’ailleurs,  des gens d’Extrême-Orient. Enfin c’était très folklorique. Il est certain que le rapport clientèle était plus intime qu’il n’est maintenant. Maintenant, les clients, on les reçoit dans un hôtel impersonnel à Paris, mais on ne les invite pas chez soi, ou alors il faut que ce soit de vieux clients qui sont devenus des amis. Il y avait tout un réseau chasse, car mon père était un grand chasseur et il adorait cela. C’était une manière de distraire les clients. Il y avait dans la ferme de Moguéric, à côté, une faisanderie, où on élevait des faisans. On devait élever environ trois cents faisans par an. Et alors quand les clients venaient - car il n’y a jamais eu beaucoup de faisans en Bretagne, il n’ont pas de quoi bien se nourrir - il y avait le garde chasse avec un sac et une douzaine de faisans dedans, qui rampait derrière les talus, et puis au moment où le client était en ligne, il jetait un faisan. Alors le client tirait, il tuait le faisan et il était tout content.

 

La guerre

En 39-40, j’étais à Orléans. Mon père était mort cinq ans avant. Ma mère vivait à Paris. Elle avait dit " Paris va être détruit, j’envoie mes enfants à Orléans ". J’ai été en demi-pension dans un collège qui s’appelle Saint-Euverte. Paris n’a pas été touché et Orléans a été réduit en cendres. On est parti devant les Allemands avec quelques jours d’avance et on est arrivé en Bretagne, à Quimper quelques jours avant les Allemands. Je les ai vus devant l’Hôtel de l’Epée : il y avait un side-car allemand où ils étaient trois et ils ont occupé la ville pendant 24 h. Il y avait huit cents hommes de troupe qui n’ont pas bougé et ça, ça m’a choqué. Nous avons été réquisitionnés très officiellement. Tout le gouvernement devait venir à Beg-Meil et on devait faire le " réduit breton ". La maison de mes parents c’était Paul Reynaud qui devait y venir. Mon grand-père avait une petite maison et on s’est replié dans la petite maison d’à-côté et on a fait le lit pour Paul Raynaud. On a mis des fleurs pour Paul Raynaud - c’était le Président du Conseil français - et il y a un général allemand qui a couché dedans à la place de Paul Reynaud ! et ça c’est assez choquant. L’usine a fermé, il n’y avait plus de charbon, il n’y avait plus de commandes, il n’y avait plus de clients. Si, on avait du chiffon, on avait deux cents tonnes de stock de chanvre indien. C’est du cannabis, mais il faut le traiter un peu. A part la matière première, il n’y avait plus de charbon, il n’y avait plus personne. Les ouvriers étaient soit sous les drapeaux, soit en prison et on ne pouvait pas continuer à tourner. A Cascadec, le gouvernement de Pétain nous a obligés à marcher avec une ou deux machines. Nous on tournait pour la Seita, la régie des tabacs.

Pendant la guerre, j’étais à Paris avec ma mère et je suis parti le 6 mars 43 en Angleterre. Avant j’avais essayé de partir mais j’avais quinze ans ou seize ans, avec des culottes de golf comme Tintin et ça ne faisait pas sérieux et alors j’ai été obligé d’attendre d’avoir des pantalons longs. J’ai mis très longtemps à trouver la filière. J’ai été souvent me balader sur la côte et puis je faisais trop jeune. J’ai eu de la chance. ça s’est bien passé lorsqu’on prenait des risques invraisemblables. A cet âge on est inconscient. Quand on signe un engagement à la France Libre, on signe pour la durée de la guerre plus trois mois. Donc pendant le reste de mon engagement, j’ai été à la DGR qui était le service des renseignements généraux. J’étais à Paris, j’avais un beau bureau, je me croyais quelqu’un d’important, ça m’a permis de me remettre un petit peu sur selle.

 

Le retour aux affaires

Et puis après ça je suis revenu ici, j’ai fait un stage à Cascadec, et je suis parti six mois en Amérique dans une usine qu’on avait construite, où j’ai fait un stage pour apprendre le métier de papetier, en Amérique. Là j’ai fait la défection, la machine, les lessiveurs. C’étaient des anciens ingénieurs de Bolloré qui avaient construit l’usine : Patin, Cartel. Donc on était un peu habitué au processus et tout, et quand je suis revenu, ils m’ont embauché. J’ai gardé un très bon souvenir de la papeterie parce que c’est quelque chose de vivant, le papier : ce n’est pas de la mécanique pure : il faut savoir le pourquoi et le comment, il faut sentir la chose ; si on ne sent pas la chose on est un mauvais papetier.

 

Le directeur technique

J’étais directeur technique, et puis j’ai été vice-président. Je m’occupais de toutes les usines du groupe. J’aimais bien ça et je n’ai pas eu de problèmes : les papeteries, techniquement, se sont aussi bien débrouillées que nos concurrents français. J’avais une très bonne équipe avec moi : Garin, Patin, Galès et alors il y avait Martin, et moi ça ne m’a jamais fait peur de prendre comme adjoint un type qui en savait trois fois plus. Martin était un polytechnicien, il fallait faire attention parce qu’il avait quelquefois des idées de polytechnicien. Mais on lui doit beaucoup, il était génial. La dernière chose que j’ai faite avant de prendre ma retraite, c’est la première machine de polypropylène d’Odet, et puis après ça a continué et maintenant ça va bien, j’ai un neveu qui se débrouille très bien. Il y a eu un moment qui a été un petit peu difficile mais qui est maintenant totalement arrangé, parce que j’ai un neveu, Vincent, qui est parfait.

 

L'écrivain

C’est arrivé peu à peu ; quand je suis parti je n’avais pratiquement pas fait d’études : j’avais très peu lu, j’ai fait la guerre dans des conditions où je n'avais pas le temps de me mettre dans un fauteuil pour étudier. Quand je suis revenu, j’ai eu une certaine frustration et alors je me suis mis à lire, je me suis intéressé à l’édition, et puis après ça je me suis occupé d’océanographie. J’avais aucun bagage et puis avec le musée j’ai pris contact avec le British Museum et avec le Musée de Genève qui est très riche et un jour le Professeur De Byiesse qui était directeur des recherches atomiques à Saclay, m’a dit « Bolloré ça va pas, vis à vis des étrangers, vous n’êtes pas docteur, ça fait pas sérieux, il faut que vous passiez votre doctorat. » A l’époque il m’a dit : « c’est une formalité. » Eh bien ce n’est pas une formalité. J’ai boulonné comme un nègre pendant trois ans et j’ai passé mon doctorat, j’avais plus de cinquante ans.

 

Le coelacanthe

C’est le professeur Anthony qui a été pêcher le coelacanthe aux Comores, c’est dans l’océan indien. Je l’intéressais beaucoup, d’abord parce que j’avais des notions d’océanographie et puis j’avais mon permis pour conduire les bateaux. Ca lui économisait de prendre un capitaine au long cours. Là, j’ai passé trois semaines à la pêche au coelacanthe. On a eu de la chance on en a pêché deux. Maintenant on n’a plus le droit de les pêcher, ils sont protégés. J’en ai un au musée.

 

Le Musée océanographique d’Odet

J’ai commencé à faire une collection dans ma maison et à un certain moment il y avait des crabes, des coquillages sur les armoires, sous les lits, et ma famille m’a fait comprendre que je serais bienvenu si je dégageais. Donc j’ai dessiné un petit bâtiment et puis je l’ai agrandi et je suis arrivé au musée actuel où mes collections nageaient les premières années, et qui maintenant est beaucoup trop court comme bâtiment. Je pourrais le doubler. La pièce dont je suis le plus fier c’est un petit crabe affreux que j’ai découvert et qui porte mon nom. Le Dromia bollorei. Il n’a pas un intérêt considérable mais pour moi c’est important.

 

Le cinéma

Arkae > Tresors archives > Personnages > Gwenn-Ael Bolloré - Bernez Rouz - Gaelle Martin

J’aurais pu faire du cinéma. Mais là il faut le faire vraiment, et puis c’est un monde. C’est un monde qui n’est d’ailleurs pas tellement sympathique. J’ai fait sept ou huit films, sur l’Odet, sur la pêche à pied aux Glénan, sur les grands voiliers, sur la transhumance des rennes en Laponie, sur les grottes des Pyrénées, aux Canaries. J’en ai fait un sur la pêche aux requins-pèlerins aux Glénan. Le plus gros que j’ai pêché faisait neuf mètres, il paraît que certains font quinze mètres, c’est la taille d’une baleine pratiquement. J’en ai fait en Floride, c’est des films qui font vingt minutes. Le seul grand film auquel j’ai participé c’était les Naufrageurs. C’est moi qui ai fait le scénario et qui m’occupais des bateaux. Il y avait un bateau qui était naufragé et qui devait se casser sur Saint-Guénolé-Penmarc’h et puis personne ne voulait mettre le bateau sur les cailloux. Alors on s’est retourné vers moi : « C’est toi qui a écrit le scénario, c’est à toi de le faire ! ». On avait reconstitué une petite ville, pas en staff mais en granite autour de Tronoën. Et puis les Beaux-Arts ont voulu qu’on démolisse après. C’était idiot car c’était fait vraiment comme autrefois. Ils auraient pu le garder.

 

Le projet de musée de la papeterie

Moi, je suis tout à fait pour. J’ai même dit que j’étais prêt à collaborer ; je n’ai pas de choses considérables, mais j’ai quand même des documents et tout. Mais vous savez, un musée, c’est pas commode à construire, même si on a des moyens. Le bâtiment des machines 9 et 10 serait formidable pour faire un musée. Moi, si on me le donne, je bourre ça de crabes et de coquillages, ça va pas être long !

 

L'exposition de la bibliothèque de GA Bolloré

Suite à l'exposition de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré à Quimper en 2002, Christophe Violette a rédigé pour le journal Ouest-France un article descriptif.

 

Les belles pages de Gwenn-Aël Bolloré

La bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré va être vendue aux enchères par Sotheby’s. Avant cette dispersion, les Quimperois vont avoir la chance lundi prochain d’en admirer une sélection à la bibliothèque municipale. Dont les manuscrits de Céline, Léon Bloy, André Le Breton, Max Jacob, Roger Nimier… Une collection remarquable. C’est sûr, cette vente atteindra des sommets. Les 143 lots sélectionnés ont été estimés à près de 1,6 million d’euros (plus de 10 millions de francs) C’est que, mieux que la bibliothèque d’un très honnête homme, c’est la collection d’un personnage hors du commun qui va être dispersée les 7 et 8 février, à Paris. Décédé l’été dernier dans son manoir de l’Odet, Gwenn-Aël Bolloré a été tour à tour, industriel, grand résistant, écrivain, éditeur et océanographe. A 17 ans tout juste, il rejoint l’Angleterre en mars 1943, avant de revenir libérer Ouistreham, le 6 juin 1944 au sein du bataillon des 177 Français du commando Kieffer.


La Table Ronde

Gwenn-Aël collectionnait les livres avec passion. Dans ses Mémoires parallèles, il raconte ses très nombreuses rencontres avec les grands libraires parisiens. Très actif au sein de l’avant-garde littéraire parisienne, il pousse en avant le grand poète Henri Michaux, coédite en 1953 L’Arrache-Cœur de Boris Vian. C’est un tournant, l’industriel d’Ergué-Gabéric, vice-président des Papeteries de l’Odet, se lance alors dans l’édition : il prend une large participation dans La Table Ronde (ainsi baptisée par Jean Cocteau). Au cours des années 1950, sa culture et son dynamisme parviennent à cristalliser autour de sa maison d’édition le mouvement des Hussards : Roger Nimier deviendra le plus célèbre de ces jeunes écrivains. Au cours des années 1960, Gwenn-Aël tourne une nouvelle page et se lance dans l’océanographie. Toujours aussi passionné, il créé son Musée océanographique de l’Odet, monte des expéditions sur les mers lointaines, découvre des espèces, dont celle d’un crabe inconnu à qui il donne son nom.

 

Le manuscrit de Nord
Un tel personnage, écrivain lui-même, ne pouvait avoir qu’une bibliothèque exceptionnelle. Parmi les pièces majeures de sa collection, qui sera vendue le 7 février, figure le manuscrit autographe de Nord : 1565 pages écrites de la main de Louis-Ferdinand Céline, où, comme Dante décrivait les cercles de son Enfer, le Dr Destouches dépeint l’Allemagne de la débâcle. On trouvera aussi un ensemble de 64 ouvrages d’Henri Michaux, dont quinze pages manuscrites rédigées pendant sa période d’écriture « mescalinienne ». Un carnet de poèmes autographes d’André Breton : celui qui allait devenir le pape du surréalisme n’était alors qu’un jeune poète. Les chants de Maldoror de Lautréamont, illustrés par Salvador Dali. Le manuscrit autographe des Enfants tristes de Roger Nimier. Celui du Mendiant ingrat de Léon Bloy. Ou encore, pour ne citer que ceux-là, parmi tant d’autres, deux carnets de voyage de Max Jacob… Ces deux dernières pièces ne manqueront pas de toucher beaucoup de Quimpérois. La bibliothèque municipale ou le musée des Beaux-Arts, qui détient déjà nombre de documents de Max Jacob, auront-ils les moyens de se porter acquéreurs ?
 
Article de Christophe Violette dans Ouest-France, paru le mardi 15 janvier 2002.

 

 

Bibliographie

 

Romans

Moïra La naufrageuse, édition La Table Ronde, 1958.
Contes-fiction, éd. du Scorpion, 1961.
Le Dîner bleu, édition La Table Ronde, 1979.
Les Amants de l'espace, édition Le Cherche Midi, 1985.
Histoires troubles, éditions Jean Picollec, 1993.

 

Histoire

Nous étions 177, édition France Empire, 1964. (Edition augmentée en 1983 chez le même éditeur sous le titre Commando de la France Libre, Prix Raymond Poincaré, 1983, Prix National de la Résistance 1984 au Cherche Midi, nouvelle édition sous le titre J'ai débarqué le 6 juin 1944, préface à Voyage en Chine, éd. SFHA,Quimper, 1979).

 

Essai

Propos interrompus, Gallimard 1958.

 

Océanographie

Guide du pêcheur à pied et sa cuisine, La Table Ronde, 1960, Gallimard 4e édition, 1986.
Destins tragiques du fond des mers, La Table Ronde, 1963. Collection " L'Ordre du Jour ".
Du mimétisme à l'utilisation de l'outil par les animaux marins, Musée Océanographique de l'Odet, Ergué-Gabéric, 1968.
Évolution et pêche au coelacanthe, édition la Palantine, 1974.
Un musée océanographique à la recherche d'une muséologie, Thèse, La Table Ronde, 1976.
Célébration de la bernique, Gallimard, 1982.
Suivez le Crabe, de l'océan à votre assiette, Gallimard, 1984.
La Saga de l'anguille : vie, pêche, cuisine, Gallimard, 1986.
Les îles suisses du Lac Léman, édition L'âge d'homme, Lausanne, 1997.

 

Poèmes

Anatomie descriptive, Seghers, 1955.
Nerfs à fleur de larmes, édition Saint-Germain-des-Prés, 1982.
L'Oiseau, édition La Groac'h du loc'h, 1994.
Morbide, édition Jean Picollec, 2001.

 

Mémoires

Mémoires parallèles, édition Jean Picollec, 1996.
Né gosse de riche, Ouest-France/Édilarge, 2000.

 

Filmographie

 

Long-métrage

Les Naufrageurs, 1959, 92 min. Tourné en 35 mm en cinémascope dans le Pays Bigouden. Il a été réalisé par Charles Brabant à partir du roman Moïra la Naufrageuse avec Danny Carrel, Charles Vanel, Henri Vidal, Carl Schell et Renée Cosima.

 

Court-métrage

Le Vire-Caillou, 1954, 12 mn ; pêche et vie aquatique durant le jusant.
Requins sur nos plages, 1955, 11 mn ; la pêche au harpon à main des requins-pélerins, le plus grand de tous les poissons dont certains spécimens peuvent atteindre 15 m de long.
La Transhumance des lapons et des rennes. Eleveurs et pêcheurs, c’est la vie des lapons.
Abîme. Une promenade dans les entrailles de la terre.
Derniers voiliers, 1958. La course Brest-Ténérife avec les derniers grands bateaux à voile.
Sur la route de Key West. La pêche au gros au large de la Floride.
La vie d'une rivière : l'Odet, 1955. De la source à la mer, une rivière et ses habitants.
Persistance du rêve, essai d'art abstrait à partir de la mer.

 

Bibliographie réalisée par Pierre Faucher pour le Keleier d'Arkae n°69, en septembre 2011.

 

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Trésors d'archives > Guerres > Les Résistants de Lestonan

Les Résistants de Lestonan

François Ac'h, avec le participation de Valia, fille de Malou Lazou 

 

Arkae > TArchives > Guerres > Resistants Lestonan > Jean, Malou et Jeanne LazouVacances de Noël 1940.

Les locaux de l’école publique de Lestonan sont silencieux. Les trois classes ont fermé.

Jeanne Lazou, la directrice, reçoit sa fille Malou, qui poursuit des études de médecine à Rennes. Elle passe quelques jours chez elle. Ce retour à la maison familiale est marqué par le souvenir du père, Jean Lazou, qui ne sera pas là. Il a été tué le 15 mai précédent sur le front des combats, dans l’Aisne.

Mais Malou est revenue à Lestonan accompagnée d’un étudiant en médecine qui deviendra son mari. C’est René Le Herpeux, qui par ailleurs est, à Rennes, un dirigeant des étudiants communistes, un proche de la direction régionale du Parti.

De gauche à droite : Jean, Malou et Jeanne Lazou

La chasse aux communistes.

Malgré les difficultés de la période, Jeanne Lazou est restée militante au Parti Communiste. A vrai dire, à cette date, le Parti est réduit à peu de chose. Il a été dissous le 26 septembre 1939 par le Gouvernement Daladier, en raison de la signature du Pacte germano-soviétique, et par ailleurs, la plupart des militants hommes ont été mobilisés.
Cependant un PCF clandestin se réorganise pendant le second trimestre de 1940, en bonne partie avec des jeunes et des femmes.
Ces communistes bretons n’ont pas attendu l’invasion de l’URSS par l’Allemagne le 22 juin 1941 pour entrer en résistance : sous la direction d’Auguste Havez, leur responsable régional, ils développent déjà dans leur propagande des positions anti-nazies très nettes.
C’est une période où les militants communistes sont soumis à une surveillance de la police : dès avant l’arrivée au pouvoir de Pétain, les communistes ont été considérés par le personnel politique au pouvoir comme des ennemis de l’intérieur : le PCF interdit, ses militants sont condamnés à la clandestinité.
Le 20 janvier 1940, les députés communistes sont déchus de leurs mandats. Les cinq maires et 60 conseillers municipaux du Finistère membres du Parti sont révoqués. Puis en avril 1940, le décret « Sérol » institue de fait la peine de mort pour les communistes qui poursuivent leurs activités, sous l’accusation de démoralisation de l’armée ou de la nation.
Quand le gouvernement de Vichy s’installe en juillet 1940 avec son programme de « Révolution Nationale » et son esprit de vengeance, il n’a qu’à poursuivre la chasse aux communistes déjà bien engagée.
En août 1940, il institue une police spécialisée : le Service de police anticommuniste (SPAC), qui condamnera à la prison les militants arrêtés pour les livrer ensuite aux forces d’occupation. Ainsi, leur peine terminée, ils seront pour la plupart déportés en Allemagne.

La ronéo dans le grenier de l’école.

Arkae > TArchives > Guerres > Resistants Lestonan > Mathias Le LouëtC’est pendant ces vacances de Noël 1940 que Jeanne Lazou fait se rencontrer René Le Herpeux et Mathias Le Louët. Mathias est un ancien élève de Jean Lazou. Il n’a pas encore atteint ses 20 ans. Il travaille à Quimper, aux Ponts et Chaussées.
Le Herpeux lui propose d’entrer dans un groupe de résistants à constituer.
Mathias écrira plus tard1 que ses « sentiments anti-allemands et anti-pétainistes » lui ont suffi pour agir avec les communistes au sein du Front National2 (il n’adhérera au Parti Communiste qu’une fois la guerre terminée). Ainsi, dès janvier 1941, Mathias commença à déposer ses premiers tracts, la nuit, aux portes des maisons de Lestonan.
Rapidement, l’action militante de Mathias va se porter sur Quimper. Le responsable local qu’il rencontre est André Quiniou, employé de perception : Mathias fera partie d’un « triangle » de militants avec Jean Bernard, employé de bureau à l’Office du blé, et René Tressard, instituteur à Pleuven. Une tâche particulière lui est confiée par André Quiniou : installer une ronéo à l’école de Lestonan, au grenier de Madame Lazou, et tirer en tracts, avec l’aide de celle-ci, des textes tapés à la machine sur stencils par Yves Dérédec, un employé du service de l’enregistrement. Cette propagande est destinée au Sud-Finistère.
Le logement de Jeanne Lazou sert aussi occasionnellement pour l’hébergement de responsables communistes de passage. Ce sont, par exemple des responsables locaux des FTP : « Commandant Pascal », « Capitaine Michel », ou des militants de base. C’est aussi, en septembre 1941, la responsable régionale « Madame Lecrux3 » .

Photo : Mathias Le Louët 1985.

Alertes et coups durs.

Mai 1942. Deux jeunes militants communistes d’Ergué-Armel, Pierre Jolivet et Emile Le Page, tous deux âgés de 19 ans, sont arrêtés pour avoir distribué des tracts appelant à manifester le 1er mai. Ils sont de plus soupçonnés d’avoir participé à des attentats. Ils sont fusillés le 5 juin suivant.

Juillet 1942. Mathias a réussi à livrer à André Quiniou une valise de tracts tirés en prévision du 14 juillet. Le lendemain, Quiniou et Dérédec sont arrêtés par la police de Vichy dans le Morbihan avec une partie des tracts. Quiniou décède à Lorient des suites de coups reçus lors de son interrogatoire, et Dérédec sera déporté dans un camp en Allemagne. Mathias se cache à Trégourez. Il revient à Lestonan quand il estime qu’il n’est pas recherché et il continue à diffuser la presse clandestine.

Octobre 1942. A l’occasion d’un large coup de filet dans les rangs des FTP4 du Sud-Finistère, Jean Bernard5 et René Tressard6 sont arrêtés. Mathias n’est pas inquiété, mais se cache pendant une semaine à Elliant après avoir confié la ronéo à René Guillamet, adjoint technique au Génie Rural et mari d’une des institutrices de Lestonan. Il est désormais coupé de l’organisation. Il lui faudra attendre Noël 1942 pour convenir avec René Le Herpeux des modalités pour rétablir la liaison avec un responsable régional.

Arrestations.

Le 1er mars 1943, Mathias, informé via Jeanne Lazou, a un rendez-vous avec le nouveau contact dans le hall de la gare de Quimper. Il y a des signes de reconnaissance à respecter : « à l’heure dite, j’étais au rendez-vous, la cigarette aux lèvres, le ticket de chemin de fer à la main et lisant la revue. Un gars d‘une trentaine d’années, vêtu d’un blouson et d’un pantalon de golf, coiffé d’un béret et chaussé de gros brodequins s’approcha. Il me demanda du feu et après qu’il eut allumé sa cigarette, me dit : « Je viens de la part de Fernand ». C’était le mot de passe convenu. Nous nous dirigeâmes vers la sortie. Dans la cour de la gare, il me présenta un autre gars correctement vêtu de bleu marine, et me dit que ce serait désormais mon nouveau responsable régional… »7.
Ils rejoignent ensemble le centre-ville et prennent un café Place Toul-al-laër tout en interrogeant Mathias sur la situation locale de l’organisation, les possibilités de la faire redémarrer et de la développer. Arrivés près du Commissariat, soudain les deux hommes se jettent sur Mathias : ce sont des policiers, de la Police Spéciale de Rennes, qui le font enfermer au commissariat. Son interrogatoire va durer deux jours.

Le lendemain matin de son arrestation, il est rejoint au poste de police par Jeanne Lazou et par René Guillamet, également arrêtés. Tous trois sont dirigés dans la soirée vers le Palais de justice, puis conduits à la prison française de Mesgloaguen. Ils y restent pendant un mois puis sont conduits, Jeanne Lazou à la prison de Rennes, et les deux jeunes gens à celle de Vitré.
Ils sont jugés tous trois à Rennes le 15 avril 1943, sous l’inculpation d’avoir « détenu de mauvaise foi des tracts à tendance communiste et du matériel de diffusion tendant à propager les mots d’ordre de la IIIème Internationale ou des organismes qui s’y rattachent ». Jeanne Lazou est condamnée à un an de prison, Mathias à deux ans, et René Guillamet se voit relaxé, Mathias ayant prétendu l’avoir trompé sur le contenu de la caisse contenant la ronéo.

Des prisons françaises au maquis.

Mathias revient pour deux mois encore à la prison de Vitré, puis est dirigé le 17 juin sur celle de Poissy, le 20 septembre sur celle de Melun, enfin le 15 décembre 1943 à la Maison d’Arrêt de Châlon-sur-Marne. Dans toutes ces prisons se trouvent de nombreux communistes. A Châlon, Mathias retrouve Jean Bernard et René Tressard, et plusieurs autres sud-finistériens8.

Fin mars 1944, Mathias est atteint de typhoïde, ce qui lui vaut d’être hospitalisé. C’est à l’hôpital qu’il apprend le Débarquement en Normandie. La nuit précédant son retour en prison, celle du 14 juin, Mathias s’évade par les toits avec deux camarades. Avec l’aide de la population locale, ils regagnent le maquis d’Argonne (un maquis « gaulliste ») où Mathias participe à des actes de sabotage, des parachutages d’armes, et enfin à la libération de Sainte-Menehould le 30 août, avec l’aide des troupes américaines. Fin septembre, il est de retour à Lestonan.

Sauvée in extremis

Jeanne Lazou est restée à Rennes pour effectuer son année de prison « française ». Mais comme l’indique Mathias dans son livre : « il valait mieux être condamné à une peine de prison de cinq années plutôt qu’à une petite peine de un ou deux ans. En effet, dès la peine terminée dans une prison française, on était transféré dans une prison allemande pour être déporté, quelques jours ou quelques semaines plus tard, dans les camps allemands »9. Malou Lazou aussi le savait. Elle était devenue Madame Le Herpeux. Le jeune couple s’était installé à Paris, où l’action clandestine était davantage possible. Mais que faire ?

Elle se rendit de Paris à Rennes. Elle raconte : « un de mes condisciples de l’Ecole de médecine10 était devenu interprète à la Kommandantur. Il est intervenu auprès d’un officier allemand, que je suis allée voir. Celui-ci m’a conseillé d’aller chercher ma mère à la Centrale. Lorsque j’y arrivai, elle n’y était plus (Je l’ai retrouvée chez des amis). Elle était dans la file des femmes partant pour la déportation. On l’a alors mise en dehors (de la file) avec son baluchon. Il avait suffi (heureusement) d’un coup de téléphone de l’officier allemand aux fonctionnaires français (de la prison) pour faire libérer ma mère»11. Jeanne Lazou était libre, le 9 mars 1944. Interdite de séjour dans le Finistère, elle est venue habiter à Paris, chez une de ses sœurs. Elle y restera jusqu’à la Libération de Paris.

Autre arrestation ce même 9 mars.

Et « Fernand » ? Celui dont il était question dans le mot de passe utilisé par Mathias était René Le Herpeux. Pendant les deux jours d’interrogatoires subis par Mathias après son arrestation à Quimper, le commissaire Mitaine s’était montré très intéressé de savoir qui était « Fernand ». Mathias réussit à ne laisser échapper aucun indice. René Le Herpeux put donc poursuivre ses activités de résistant, mais désormais sur Paris où il s’était installé comme médecin praticien dans un quartier ouvrier. Il fut arrêté un an après, pour une autre affaire. C’était le jour même de la libération de Jeanne Lazou.

En rentrant de Rennes à son domicile à Paris, Malou Lazou fut surprise d’y trouver les policiers français qui, deux jours auparavant, venaient d’arrêter son mari René Le Herpeux ainsi qu’une bonne partie du réseau FTP constitué à l’Assistance Publique. Malou était élève d’externat d’un grand pédiatre qui deviendra le fondateur de la néonatologie en France, le Professeur Alexandre Minkowski. René et Malou avaient fait entrer celui-ci dans le groupe. Lui aussi avait été victime de la rafle. A l’occasion d’une brève rencontre qui leur fut autorisée, René put glisser à Malou cette phrase en l’embrassant : « Minko est notre conférencier ». Lors des interrogatoires qu’elle eut à subir, Malou répéta donc ces mots, ce qui valut à Minkowski d’être mis hors de cause et libéré au bout de deux jours.
Malou eut à subir deux mois d’emprisonnement à la Conciergerie avant d’être, elle aussi libérée12.

Déportation et mort de René Le Herpeux13.

René Le Herpeux fit partie d’un convoi de déportés qui quitta la France le 30 juillet 1944 à destination du camp de Neuengamme14. Courant septembre, avec d’autres français il rejoint une usine d’armement à Blumenthal ; en tant que médecin, il est affecté à l’infirmerie du Kommando, ce qui lui permet par sa compétence de sauver de la mort plusieurs de ses compagnons. Fin février et début de mars, il participe à un projet d’évasion collective qui n’a pas abouti. Le 21 avril, à l’approche des alliés, les prisonniers en état de marcher sont jetés sur les routes dans la direction du Nord. René Le Herpeux s’affaire à l’arrière de la colonne, auprès de ceux qui n’en peuvent plus.
Le convoi finit par rejoindre Neuengamme ; le camp est évacué quinze jours plus tard : les survivants sont acheminés par train jusqu’au port de Lübeck, sur la Baltique ; ils sont parqués (à environ 6.000 déportés) sur un cargo, le Cap Arcona. On y trouve une vague infirmerie : c’est là où se tient le « toubib », René Le Herpeux.
Le matin du 3 mai, les alliés sont aux portes de Lübeck ; des avions anglais survolent le port. Ils bombardent les trois bateaux chargés de déportés. Sur le Cap Arcona, seuls 150 à 200 seront sauvés15.
« Je ne reverrai plus jamais mon vieux copain René Le Herpeux. Un survivant du « Cap Arcona » m’apprit qu’il avait été abattu à coups de revolver par un SS alors qu’il distribuait des ceintures de sauvetage à ses malades, sur ce bateau en feu. J’aimais beaucoup René. C’était un homme simple, juste et bon, courageux. Je lui dois la vie car il m’a soigné le mieux qu’il a pu » (André Duroméa p.174).

Photos : Concours agricole années 30.

François Ac'h & Valia, fille de Malou Lazou.

 

  1. Mathias Le Louët Je viens de la part de Fernand. Récit de la Résistance et de prison. 1941-1944. A compte d’auteur. Presses Impressions du Sagittaire. Février  2004).
  2. C’est le mouvement de résistance créé par le PCF à partir de mai 1941.
  3. De son vrai nom Simone Bastien. Ouvrière du textile de Dijon, elle vient de purger 8 mois de prison pour « propagande communiste et tentative de reconstitution de groupement dissous » quand elle arrive en Bretagne ; elle sera de nouveau arrêtée à Rennes pour réorganisation de groupes FTP et déportée à Ravensbrück puis Auschwitz.
  4. FTP(F) ou Francs Tireurs et Partisans français : branche armée du Front National, créée par le PCF en 1942, pour remplacer l’O.S. ou « Organisation Spéciale », groupe armé initialement chargé depuis 1940 de couvrir les distributions de tracts et inscriptions murales.
  5. Pont-l’Abbiste, né en 1923. Fera les prisons françaises puis sera déporté en Allemagne. Il survivra au camp de Buchenwald.
  6. Il va mourir en déportation.
  7. Dans Mathias Le Louët : « Je viens de la part de Fernand… », page 36.
  8. Une soixantaine d’arrestations de membres de l’O.S. ou du Front National ont eu lieu pendant l’été 1942  dans le Sud-Finistère : tous furent condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement ; beaucoup furent ensuite déportés ; certains revinrent ; d’autres non (Voir G.M. Thomas et Alain Le Grand « Le Finistère dans la guerre 1939-1945 », Tome 1 : L’Occupation, page 317 – Editions de la Cité).
  9. Dans Mathias Le Louët : « Je viens de la part de Fernand… », pages 56-57.
  10. De Rennes.
  11. Texte rédigé par Malou Lazou. Collection privée.
  12. Elle a sauvé une deuxième fois A. Minkowski, cette fois de la vengeance des « camarades ». Il raconte dans « Le mandarin aux pieds nus. Entretiens avec Jean Lacouture » (Seuil, 1975, p. 78-79) : « J’étais considéré par eux comme un individu suspect : je m’étais engagé pour la Finlande, j’avais distribué des tracts trotskystes. Je n’étais donc pas parfaitement fiable. Puis quand mes camarades ont été arrêtés et déportés –aucun n’est revenu- et moi libéré, un élément de suspicion, assez naturel après tout, s’est ajouté à mon dossier. J’ai été filé, bien entendu, et sommairement jugé. J’avais été convoqué dans un terrain vague de Rueil. Je suis venu au rendez-vous et je n’ai rencontré personne. Ce rendez-vous était, paraît-il, destiné à mon exécution. Je l’ai su par la suite (…) C’est une amie, ancienne élève d’externat, celle-là même par qui j’avais été introduit dans le réseau qui m’a dit qu’elle était arrivée à temps pour expliquer aux « camarades » que j’étais incapable d’avoir vendu quiconque… ». Malou avait réussi à convaincre les responsables du réseau en expliquant l’alibi utilisé pour couvrir « Minko » selon lequel leurs relations étaient strictement professionnelles.
  13. D’après le récit d’André DUROMEA, futur maire communiste du Havre, qui a suivi avec René Le Herpeux le même parcours de Compiègne à Lübeck (« André Duroméa raconte : La Résistance, la Déportation… Le Havre », p. 117 à 178. Edit. Messidor/Editions Sociales 1987.
  14. C’est également dans ce camp que se trouvaient les résistants quimpérois et gabéricois arrêtés après « le coup du S.T.O. : Jean et Antoine Le Bris, Laurent Jacq, René Fauvel, Loulou Kerneis, Hervé Bénéat et Jean Le Corre.
  15. C’est également sur le Cap Arcona qu’a péri Laurent Jacq, l’instigateur du « coup du S.T.O. » à Quimper.

 

Mathias Le Louët

Né en 1921 au Guélen en Briec dans le penti des ses parents journaliers agricoles, Mathias vint habiter à Lestonan avec la famille quand il a trois ans, son père ayant été embauché comme manœuvre à la Papeterie de l’Odet.
Elève à l’école publique de Lestonan, il fit partie de ces enfants que leurs parents, ouvriers chez Bolloré, durent inscrire à l’école privée à son ouverture en 1929. Ce qui n’empêcha pas que le père de Mathias fut licencié deux ans après, suite à la mise en service de nouvelles machines.
Et Mathias termina sa scolarité à l’école publique dans la classe de Mr Lazou.
A 19 ans, vers Noël 1940, Madame Lazou lui propose d’entrer dans un réseau de résistance du P.C.F. pour une activité de propagande (imprimer, transporter, distribuer des tracts). Cela dure de janvier 1941 jusqu’à juillet 1942, quand des membres de son réseau sont arrêtés. Le 1er mars 1943, il est lui-même piégé par la police anti-communiste, ainsi que Mme Lazou et René Guillamet.
Le 15 avril 1943, il est condamné à Rennes à deux ans de prison. Il est transféré successivement de la prison de Vitré à celles de Poissy, Melun, Châlon-sur-Marne. Il parvient à s’évader de l’hôpital de cette dernière ville le 14 juin 1944 et à rejoindre le maquis FFI de la Forêt d’Argonne où il combat jusqu’au 13 septembre 1944. Fin septembre 1944, il est de retour à Lestonan.
Mathias reprend son travail aux Ponts et Chaussées. Il sera cadre dans des sociétés de distribution d’eau du Sud-Finistère. Son épouse Jacqueline sera comme lui une militante du PCF et de la CGT. Mathias sera connu également comme Président du Conseil des Prud’hommes de Quimper. Il est décédé en 1987, à l’âge de 66 ans.
Mathias a laissé un récit sous le titre « Je viens de la part de Fernand. Récit de la Résistance et de prison. 1941-1944 » publié en 2004 par son épouse.
 

 

Famille Lazou

Arkae > TArchives > Guerres > Resistants Lestonan > Jean et Francine LazouJean François Lazou est né à Plougasnou le 29 juillet 1895. Il vient juste d’avoir 19 ans quand la Première Guerre Mondiale embrase l’Europe : il est appelé sous les drapeaux avec sa classe d’âge à partir de décembre 1914. Il a déjà terminé sa formation d’instituteur et va servir dans cette guerre comme officier.

A la fin de la guerre, Jean Lazou a choisi de rester mobilisé pour aller réintroduire le français dans l’enseignement primaire en Moselle : il opte pour un poste d’instituteur à Grosbliederstroff, où il est rejoint par Francine Combot, son épouse, également institutrice, née à Morlaix le 5 décembre 1895. C’est là que naît leur fille Marie-Louise (Malou) en 1919. De retour dans le Finistère, Jean et Francine Lazou enseignent à Roscoff en 1924. Puis au 1er octobre 1926, ils sont tous deux affectés aux écoles de Lestonan, lui comme instituteur adjoint et elle comme directrice.

Photos : Francine et Jean Lazou.

 

Ils ont, avec les autres instituteurs, à faire face à la création à Lestonan, de deux écoles privées, l’une pour les filles (octobre 1928) et l’autre pour les garçons (octobre 1929). L’effectif de chacune des écoles publiques se trouve ramené de 130 élèves chacune à une trentaine seulement. Jean Lazou devient directeur de l’école publique des garçons à partir du 1er janvier 1931 et les deux écoles publiques sont « géminées » à la rentrée de 1933, ce qui constitue une étape vers la mixité, encore limitée au strict temps de classe.


Arkae > TArchives > Guerres > Resistants Lestonan > Jean Lazou avec ses pigeonsJean Lazou se révèle par ailleurs animateur dynamique de la vie locale : il est connu pour être un actif organisateur de la « Fête de Lestonan » et de son concours agricole. Il assure des cours post-scolaires bien fréquentés et il tient un élevage important de pigeons voyageurs. Ce sont surtout ses qualités de maître d’école qui ont nourri l’excellent souvenir qu’ont gardé de lui ses anciens élèves.

Il est mobilisé pour participer à la seconde Guerre mondiale, au 337ème Régiment d’Infanterie, un régiment de réservistes. Il combat sous le grade de capitaine. Sa citation à l’ordre de la Division est ainsi rédigée : « Officier de haute valeur morale, donnant l’exemple de la discipline. Très à la hauteur de sa tâche et inspirant confiance à ses hommes en les entraînant au devoir. A trouvé une mort glorieuse le 15 mai 1940 à Montcornet (Aisne) lors d’une violente attaque ennemie ». Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre avec étoile d’argent. La Légion d’Honneur lui sera attribuée en 1950 (J.O. du 3.1.1950).

 

Arkae > TArchives > Guerres > Resistants Lestonan > Francine LazouDe son côté, Francine Lazou est engagée (sous le prénom de Jeanne, qui restera son prénom usuel) dans un réseau de résistance créé par le Parti Communiste. Elle est arrêtée en mars 1943, condamnée à un an de prison par la justice de Pétain, et échappe à la déportation grâce à la démarche de sa fille Malou, qui  milite également à l’Assistance Publique de Paris. Jeanne Lazou retrouve sa classe le 9 octobre 1944. Elle restera enseigner à Lestonan jusqu’à son départ en retraite au tournant des années 50. Elle est décédée le 25 octobre 1983.

Alors que Malou Lazou est retenue pendant deux mois en prison française, son mari, René Le Herpeux, médecin comme elle, est déporté au camp de Neuengamme le 31 juillet 1944. Il sera abattu au pistolet le 3 mai 1945 par un gardien SS lors de l’attaque des Alliés sur Lübeck.

Malou Lazou obtiendra son doctorat en médecine en juin 1946. Elle y ajoutera des  qualifications en médecine du travail et en gynécologie. Elle a exercé en Eure-et-Loire, puis a été Médecin-conseil auprès de la C.P.A.M. de Digne.  Elle est décédée en 1995.

Malou Lazou et Marie Goyat

François Ac'h.

 

Dossier réalisé par François Ac'h - Keleier 71 - janvier 2012

 

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Inondations de 2001

Inondations de 2001

 
La vague d’inondations qu’a connue le Sud-Finistère n’est certes pas une première dans l’histoire des hivers bas-bretons. Même si pour celles qui nous ont touchés à répétition, la mémoire cherche encore des comparaisons.

On peut en citer de mémorables en 1865 dues à un vent violent, combiné comme les précipitations de décembre dernier, à des marées de grande amplitude.
Quimper s’était alors retrouvée sous 1,60 m d’eau (quartier de Locmaria et rue de Pont L’Abbé).
Ergué-Gabéric fut aussi affectée par cette tempête survenue dans la nuit du 3 au 4 décembre et le Conseil municipal votait  le 26 du mois courant une somme de 100 fr pour venir en aide aux victimes des inondations.

Kerdévot eut sans doute à souffrir des effets des bourrasques de l’hiver 1865-66 car en février 1866, le Conseil municipal envisage des dépenses pour « des réparations importantes à la chapelle de Kerdévot », réparations dont la nature n’est pas précisée. Ergué-Gabéric n’était pas nécessairement menacée lorsque l’eau débordait à Quimper car alors l’Odet  possédait des zones naturelles de rétention d’eau qui pouvaient canaliser un trop plein.

Pont de RubuenL'histoire du pont de Rubuen
Les nombreux dégâts causés à Ergué-Gabéric, nous ont amenés à nous intéresser au pont de Rubuen qui s’est récemment effondré. Ce n’est pas l’édifice en lui-même qui a attiré notre attention : la Cellule départementale des Ouvrages d’Art ne signale rien de particulier sur ce simple édifice fait « d’une dalle de béton sur piédroits en maçonnerie », pas même de datation.
Nous avons cherché à remonter l’histoire de ce pont en raison de sa position stratégique entre Ergué et Elliant :  il permet au chemin vicinal n°9 d’enjamber en direction d’Elliant un cours d’eau qui marque sur une partie de son cours la limite entre les deux communes et se trouve sur un itinéraire tout indiqué entre le bourg d’Elliant et la chapelle de Kerdévot.
Cet article sera l’occasion pour nous de revenir sur  deux anciens itinéraires du pardon de Kerdévot et d’expliquer l’origine de la confusion qui se fait parfois entre Pont Rubuen et Pont Roudoubloud (de roudou : gué et bloud, mou, boueux).

Le ruisseau que surplombait Pont Rubuen se nomme à cet endroit Steir Venn et … un peu plus bas Roudoubloud ! Il est en effet typique de la part des cours d’eau de changer de nom en fonction du nom des fermes ou lieux-dits qu’ils traversent. Image de l’instabilité de leurs ondes ! Ceci explique la confusion avec le gué à la sinistre réputation, célèbre pour avoir été le théâtre de l’affrontement entre la Vierge et la Peste d’Elliant. L’itinéraire Bourg d’Elliant-Quistinigou-Pont Roudoubloud - Kerdévot semble le plus anciennement pratiqué. Dans ses « billets » sur le passé d’Elliant, Yann Daoudal mentionne un autre cheminement passant par Beg Avel - Cosquer Ven - Quénéhaye - Meil Quénéhaye - Kerdévot.
A Meil Quénéhaye, on empruntait un « ponceau étroit fait avec de longues pierres plates » que « les attelages devaient traverser à gué ». Vraisemblablement ce second itinéraire était arpenté par les pèlerins à pieds tandis que le premier servait déjà au temps où l’évoque Yann Daoudal aux chars à bancs, vélos et voitures.

L’actuelle route sur laquelle se trouvait Pont Rubuen présente donc un léger infléchissement vers le nord du parcours traditionnel entre Elliant et Ergué en passant par Kerdévot. Mais on peut comprendre ainsi que la fréquentation du pardon par un grand nombre d’Elliantais a contribué à modeler le réseau des voies de communication entre nos deux communes.

Gaëlle Martin - Keleier Arkae n° 9 février - 2001