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Le Stangala inattendu d'André Guilcher

 

Stangala Guilcher recto 1Qualifié par Louis Le Guennec de « plus extraordinaire paysage terrien de Cornouaille », le Stangala n’a été étudié par les géographes que relativement récemment. André Guilcher (1913-1993) y a consacré quelques pages dans sa thèse sur Le Relief de la Bretagne méridionale de la baie de Douarnenez à la Vilaine (1948). Ce Sénan, agrégé de géographie, a été professeur au lycée de Brest avant la guerre. Mobilisé, blessé au front près de Sarreguemines en février 1940, il reçoit la Croix de guerre pour son courage. Revenu en Bretagne, il est nommé au lycée de Nantes où il prépare sa thèse de doctorat. C’est ce qui l’amène à visiter notre Stangala, pendant l’été 1941. Passionné par la Bretagne, il écrit son périple en breton dans le journal Arvor. Il publiera en breton un ouvrage de géographie sur les vallées marines et les gouffres de l’océan (Kaniennoù ha traoniennoù mor, 1943). C’est cet écrit rare sur le Stangala que les Brezhonegerien Leston ont traduit ici. Rappelons enfin qu'André Guilcher est l'un des grands spécialistes mondiaux de la morphologie littorale. Outre les écoles citées, il a enseigné dans les universités de Nancy, de la Sorbonne et de Brest.

Ar Stangala d'André Guilcher
Traduction Brezhonegerien Leston, atelier Kontakaoz, janvier 2014.
 
Les balades agréables ne manquent pas aux alentours de Quimper. Nulle part en Bretagne, peut-être, on ne trouve des paysages aussi verdoyants et doux qu’en Cornouaille. L’Odet jusqu’à Combrit, le Steir, le Stangala, constituent autant de vallées boisées où il fait bon se promener les jours d’été. Le trajet de Quimper à Bénodet est renommé à juste titre ; le Stangala est moins connu car moins accessible. Aucune route ne le traverse : il est vrai qu’il est plus silencieux et comme le dirait M. Le Guennec – paix à son âme – grand connaisseur et fan de la Cornouaille, les automobiles ne peuvent y accéder et empester l’air de leurs gaz d’échappement. Pour aller au Stangala, partons ensemble de Quimper de bon matin. Au lieu d’aller directement par Cuzon ou par le terrain de foot de Keruhel, il vaut mieux prendre la route de Landudal. Une balade d’environ 35 km, c’est ce qu’il y a de mieux pour s’aérer les poumons. Passée la voie de chemin de fer de Rosporden, nous montons petit à petit vers Lestonan en traversant des champs fertiles. Les tours de la cathédrale et les hauteurs du Frugy s’estompent dans les brumes matinales, déjà à moitié dispersées dans les vallées du Jet et de l’Odet. On arrive rapidement sur un plateau à environ 115 m d’altitude, qui s’élève doucement vers Coray et Briec.Nous ne sommes plus très loin de la vallée du Stangala, pourtant nous ne l’apercevons pas encore. Voilà une descente : là se trouve la vallée de l’Odet et nous y accédons par un vieux pont couvert de verdure. Terminé pour nous le chemin facile : nous allons retourner sur Quimper à travers prairies et champs. Ici la vallée de l’Odet est attachante et paisible. Sur le côté gauche de la butte il y a un « tertre », sorte de pente escarpée et boisée. Sur le côté droit, nous distinguons petit à petit des collines en direction du Nord. Un peu après nous sommes sous la voûte sombre d’un bois de sapins. Sous les arbres une charmante petite route longe le canal qui conduit l’eau de l’Odet à la grande papeterie Bolloré, où l’on fabrique le papier à cigarette bien connu de tous. L’usine est nichée au fin fond de la vallée, entourée de verdure ; et jamais la nature n’a été aussi peu polluée par le travail de l’homme. La rive gauche devient de plus en plus escarpée à Griffonès. L’Odet, qui coulait jusqu’ici vers l’ouest, se dirige brusquement vers le sud. Des hauteurs, à 80 m au-dessus de l’eau, c’est un spectacle sans égal de voir la rivière faire un méandre et sauter par-dessus les rochers. À Griffonès, nous atteignons le grand Stangala. Désormais, les deux rives ont la même hauteur. Jusqu’au moulin de Penn-C’hoad, la rivière chute de l’altitude de 41 m à pas plus de 10 m sur une distance d’environ 3 km (¾ de lieue). Cela fait quelques années, les ingénieurs avaient pensé faire un grand barrage à côté du moulin de Penn-C'hoad. Il y aurait eu un lac là où se situe aujourd’hui le Stangala, comme celui qui est à Guerlédan sur le Blavet. On aurait eu de l'électricité en abondance pour Quimper et la totalité de la Basse-Cornouaille. Pourtant cette idée-là n’a pas été menée à son terme, je ne sais pour quelle raison. Le Stangala est toujours le Stangala, une rivière rapide et bouillonnante. Tout d’abord, le Grand Stangala, plus majestueux et plus sauvage ; ensuite le Petit Stangala avec ses petits bois et ses petits sentiers, où les Quimpérois vont marcher et entendre, durant l’été, les rires des enfants jouant à cache-cache : les deux Stangala étant remplis de truites et fréquentés par les pêcheurs spécialistes du « lancer léger ». Entre les hauteurs de Beg-ar-Menez et la chapelle Saint-Guenolé, en vérité, le Stangala est un paradis inattendu. Notre randonnée se termine au moulin de Penn-C’hoad. Du côté de Quimper, la vallée est bien plus large. Sans tarder nous sommes dans la plaine de Kerhuel. Ici se trouve le confluent de l’Odet et du Jet. En fait, la plaine de Kerhuel n’est que la continuité de la vallée du Jet, si droite depuis Saint-Yvi. 
 
Stangala Guilcher verso
Si vous êtes un peu curieux, vous demanderez après cette randonnée : pourquoi cette vallée de l’Odet n’a-t-elle pas toujours la même allure de Landudal à Quimper ? Pourquoi y-a-t’il au début une différence de hauteur entre les deux rives ? Pourquoi ensuite la rivière court-elle dans le passage étroit des hautes collines du Stangala ? Pourquoi aussi l’eau va-t-elle si vite entre les rochers du Stangala ? Enfin pourquoi la vallée est-elle si large et la rivière si calme après le moulin de Penn-C’hoad ? Il y a de bonnes raisons à cela. À l’origine, l’Odet coulait sur les plateaux de Beg-ar-Menez, Saint-Guénolé, Lestonan, bien plus haut que maintenant ; peu à peu, à force de grignotage, l’érosion leur a fait perdre de l’altitude. La roche, bien sûr, n’était pas aussi dure partout. Avant Griffonès, on trouve du granit sur le côté gauche, c’est une roche dure et résistante. Sur la droite, au contraire, on trouve surtout du schiste, beaucoup plus tendre. Pour cette raison, la rive droite a été érodée plus vite que la gauche. Entre Grifonnès et le moulin de Penn-C’hoad, on trouve du granit des deux côtés, ce n’est pas étonnant de voir des reliefs élevés des deux côtés et tant de rochers qui barrent le courant. Près de Quimper, enfin, nous retrouvons l’Odet dans le schiste, comme le Jet depuis Saint-Yvi ; de la roche tendre à nouveau et à nouveau une large vallée. 
 
Les balades seraient beaucoup plus agréables si on pouvait toujours savoir pourquoi les choses sont comme elles sont. Voir de beaux paysages, c’est bien. Les comprendre c’est mieux. Si vous êtes de Quimper, allez donc jusqu’au Stangala. Regardez autour de vous et cherchez à comprendre. Vous n’aurez pas perdu votre temps.
 
Lan Devenneg (André Guilcher) 
 
 
Notes
- « StankAla » ou actuellement Stangala : non loin de l’usine Bolloré se trouve une fontaine dédiée à Saint Ala ou Alar. En fait, elle se situe un tout petit peu plus vers l’est. « Stank » ou « stankenn » est utilisé dans le sens de vallée profonde en Cornouaille.
- D’après ce que dit un conte fantastique, un griffon y vivait autrefois, une espèce d’énorme dragon terrifiant qui avalait les jeunes filles.
 
 
articlestangalavu
 
Le Stangala, un accident intéressant
Bernez Rouz
Si l'on jette un oeil attentif aux cours d’eaux gabéricois, on s’aperçoit qu’ils sont tous orientés Est-Ouest vers le creux de Quimper. C’est le cas du Jet, de son affluent le ruisseau de Keringard et de l’Odet sur la partie nord de la commune. Pourquoi donc l’Odet pique-t-il brusquement vers le sud à Beg ar Menez ? Dans sa thèse Le relief de la Bretagne méridionale de la Baie de Douarnenez à la Vilaine, André Guilcher explique ce phénomène par une rupture de pente tecnico-structurale. Ergué-Gabéric se trouve en effet dans une zone de failles importantes, dans laquelle se sont produits des soulèvement de plaques géologiques. C'est pourquoi les rivières coulant sur des parties de plateaux surélevées ont dû se frayer des chemins dans des roches dures pour rejoindre le creux de Quimper, zone de confluences des cours d’eau de la région. On voit ainsi l’Odet, comme le Jet à Elliant, mais aussi d’autres petits ruisseaux, basculer vers le sud. Jean François Douguet a repris l’essentiel des explications d’André Guilcher dans son livre Le Stangala (Cahier n°1 d'Arkae), pages 55-59.

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Jour par jour
La libération d'Ergué-Gabéric

 

Il n'y avait pas encore deux mois que le Débarquement des Alliés avait eu lieu en Normandie, le 6 juin 1944. La « percée d'Avranches » avait réussi le 31 juillet.  Le 3 août, à 12 heures, puis encore à 18 heures, la BBC de Londres répétait le message suivant : « Le chapeau de Napoléon est-il toujours à Perros-Guirec ? ». Tel était le signal convenu, adressé à la Résistance intérieure de Bretagne, FFI et FTPF1, pour déclencher l’insurrection générale et passer à un harcèlement systématique de l’occupant, alors que les troupes américaines fonçaient sur Brest et Lorient. Ces deux mois (du 6 juin au 3 août) ont été marqués par des évènements dramatiques pour les résistants de la région de Quimper. Ils avaient ordre, dans le cadre du « Plan Vert », de multiplier les actions de sabotage (contre voies ferrées et câbles téléphoniques aériens ou souterrains) et les attentats contre les ennemis, dans le but de fixer l'adversaire sur place, pour qu'il ne rejoigne pas la Normandie en renfort. Dès le 7 juin, le chef local de la Résistance, « Jeannot » (alias le capitaine d'active Jean Pézennec), a organisé la périphérie de Quimper en sept secteurs de sabotage, dirigés chacun par un chef de secteur pour une douzaine d'hommes. Ainsi, Quimper est entouré de sept « maquis » installés dans la campagne et astreints aux règles élémentaires de la clandestinité. Ces groupes vont pouvoir compter sur la complicité effective de plusieurs fermes. Malgré les difficultés rencontrées, la mission sera remplie : pendant le mois de juin, peu de trains arriveront à Quimper ou en repartiront, et le téléphone ne fonctionnera que par intermittence.

Mais, avec l'aide de « collaborateurs » français, l’occupant engage une répression impitoyable. Des résistants sont arrêtés et emprisonnés à Saint-Charles, tels que Bellan, chef du secteur 2. Fin juin, des postes de maquis sont pris d'assaut (Le Guélen en Briec et Penhoat en Kerfeunteun, le 27 juin ; Kergrenn en Ergué-Armel, le lendemain) et 17 résistants y sont tués, dont le capitaine Pézennec lui-même. Deux fermes d'Ergué-Gabéric (Kerfrès, le 17 juin, et Kerhamus, le 29 juin) sont également visées, mais le sang-froid des habitants (et un peu de chance) permet d'éviter d’autres massacres. Fin juin encore, le « Colonel Poussin » (Mathieu Donnard), chef départemental des FFI est arrêté à l'occasion d'un déplacement dans le Morbihan. Il est exécuté le 29 juillet à Pluméliau. La Résistance doit se réorganiser. C’est le « Colonel Berthaud » (Roger Bourrières) qui devient le nouveau chef des FFI du Finistère. Il a installé son Etat-Major à Quimper, dans les locaux de l’entreprise Joncour (au Moulin aux Couleurs, route de Pont-l'Abbé). Le chef militaire FFI pour l’arrondissement de Quimper est désormais le capitaine Philippot, et son adjoint est le capitaine Monteil. Cette délégation militaire va bénéficier de l’assistance d’une équipe Jedbugh2 parachutée pour aider les maquisards à s’organiser. 
 
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Témoins et acteurs
 
Alain Le Grand (1918-1992) a vécu la guerre comme marin, jeté  dans l’enfer de Dunkerque. Il est entré ensuite dans la police : à Quimper, de 1942 à 1944, il a été, dans ce cadre particulier, un résistant contraint à des formes de clandestinité exigeantes. Puis, tout en poursuivant sa carrière, il est devenu l’historien local essentiel de la guerre. Nous lui devons, à lui et à son collaborateur Georges-Michel Thomas, une somme de 1 000 pages en deux tomes, sous le titre Le Finistère dans la guerre, et des publications sur la même période. Il a aussi laissé aux Archives du Finistère une masse de notes, documents, brouillons, très utiles pour qui veut encore chercher derrière lui.
Albert Philippot, ancien combattant de 14-18, est capitaine de réserve. Enseignant à Quimper, il a participé en 1937 à la création du mouvement scout des « Eclaireurs de France ». Mobilisé, fait prisonnier puis libéré, il se met à la disposition de la Résistance. Il est appelé à remplacer le capitaine Pézennec en tant que commandant de l’arrondissement FFI de Quimper. Il aura un rôle important dans les combats du Menez-Hom, de la presqu’île de Crozon puis de Lorient. Il rédigera des notes sur La Résistance et la Libération dans le Sud-Finistère.
Gabriel Nicolas (décédé en 1997) est un lieutenant de réserve. Il habite à Ergué-Armel (Kergoat al Lez). Marié et père de trois enfants. Démobilisé, il travaille au Centre de libération des prisonniers de guerre à Quimper. Il est entré en résistance par le Mouvement « Vengeance », avec Henri Le Guennec, mais a échappé aux arrestations du 20 janvier 1944. Il commandera la 5e compagnie des FFI. Le 3 août, 130 résistants le rejoignent au camp de Langolen. Il est chargé de tenir la route de Coray et de couvrir un secteur qui va de l’Eau blanche à Gourvily. Il raconte son engagement et celui de sa compagnie dans un texte déposé aux archives par Alain Le Grand. Une version abrégée de ce récit est consultable en ligne.
Jean Grall (1921-1987), jeune Quimpérois, observe beaucoup ce qui se passe en ville et autour de la gare. Il prend des notes pour lui-même, simplement pour se rappeler… Il noircit 16 carnets ou agendas entre juillet 1938 et octobre 1944. Le 4 août 1944, il rejoint Langolen pour le rassemblement de la 6e compagnie FFI (Lieutenant Danion), dont il fait partie. La compagnie se positionnera entre la route de Rosporden et celle de Bénodet. Puis elle sera dirigée sur  Fouesnant et la presqu’île de Crozon. Jean observe et note. Le Centre culturel quimpérois a édité, sous le titre Carnets, 1938-1944, un extrait de ses notes sur la période du 4 août au 16 octobre 1944.
Jeanne Bohec (1919-2010) a 21 ans quand elle rejoint le Général De Gaulle en Angleterre. Elle était aide-chimiste à la Poudrerie du Moulin-Blanc à Brest. Engagée dans les Forces françaises libres, elle travaille sur la fabrication d'explosifs et suit une formation militaire (parachutisme, tir, sabotage, radio…). En février 44, elle est parachutée en tant qu’instructrice en sabotage pour la Bretagne. Elle est l’agent « Râteau », ou encore « Micheline ». Elle circule à bicyclette entre le Finistère Sud (où elle donne des cours de sabotage) et le Morbihan (maquis de Saint-Marcel). On trouvera le récit de cet engagement exceptionnel dans La plastiqueuse à bicyclette, Edition du Sextant, 2004.
Césaire Le Guyader, libraire de la rue Jean Jaurès à Quimper, est membre du Parti Communiste. Il suit de près les évènements de cette guerre sur ses différents fronts et découpe, pour les coller dans des cahiers d’écolier, les articles qui l’intéressent. Il y ajoute ses propres réflexions et fournit un récit précis de la libération de Quimper, telle qu’il l’a vécue. Ces cahiers, qui relèvent d’une collection privée, ont été mis à la disposition d’Arkae pour consultation.
L'abbé Gustave Guéguen, recteur d’Ergué-Gabéric de 1941 à 1956, tient un registre-journal où il note ce qui concerne la vie de la paroisse, et parfois les actualités marquantes. 
Bernard Le Bihan. En 1944, c’est un gamin qui vit au Bourg d’Ergué-Gabéric. Sa famille, de Lorient, se réfugie à Ergué, d'où vient le père. En été 2000, il fournit un article dans le Keleier n°6 d’Arkae, où il raconte ce qu’a été pour lui le 5 août au Bourg.
Alain Le Roux est agriculteur au Mélennec. Il porte sur un agenda de poche une petite comptabilité des ventes de la ferme en lait, beurre et œufs. Et parfois, il y mentionne aussi les évènements importants, tels que les 4 et 5 août 1944.
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Jeudi 3 août 1944
Ce jeudi 3 août, à Ergué-Gabéric, le recteur Gustave Guéguen a-t-il connaissance du déclanchement de l’offensive ? Dans son Journal, nous lisons cette simple information : « un train a déraillé sur la voie à 50 mètres en aval de la station signalétique : plusieurs wagons remplis de petits morceaux de bois bien sec pour gazogène. Dès le soir et toute la matinée du lendemain, des brouettes, des charrettes à bras, de grosses charrettes sillonnaient les prairies environnantes pour prendre leur part de butin et sous une chaleur tropicale transportent à domicile la provision hivernale ». Le ton du recteur se fait plutôt désabusé: « Pour l'honneur de l'humanité, l'on eût souhaité que les riches laissâssent aux pauvres le soin de profiter de l'aubaine. Hélas, l'humanité n'est pas belle ». Il s'agit là d'un déraillement parmi bien d'autres, organisé en ces jours de forte tension pour paralyser tout trafic ferroviaire et créer un sentiment d'insécurité chez l'occupant. Et les scènes de pillage se multiplient,   par exemple en gare de Quimper, ce même jour, comme le raconte Gabriel Nicolas : « Un train rempli de matériel pour les troupes d’occupation attendait depuis plusieurs jours, faute de pouvoir aller plus loin ou être déchargé. Dans l’après-midi du 3 août, une ruée de la population pilla tous les wagons qui contenaient des dizaines de tonnes de matériel le plus divers, en état neuf, allant du gros moteur électrique aux pneus de voitures et de camions, emportés à bras, en brouette, en voiture, voire par camion. Pas de responsable allemand ou français pour s’opposer au pillage ».
 
 
Vendredi 4 août 1944
Ce matin-là, Jean Grall, qui habite rue de La Fontaine, près de la gare de Quimper, sait ce qu’il a à faire : rejoindre le maquis de Langolen, comme tous les FFI de la 6e compagnie, convoqués ce 4 août sous le commandement du Lieutenant Danion. Car c'est à proximité de deux fermes de Langolen que l'aviation anglaise doit parachuter, la nuit suivante, l'équipement destiné aux résistants, en particulier l'armement dont ils sont démunis : « Départ à 7h30 de chez Henri Carn avec Henri Desseron. Eau blanche : deux Allemands en side-car. Filons par les jardins et des maisons inconnues. Retrouvons d’autres copains au pont de Saint-Denis. Remontons le canal de la papeterie vers la route de Langolen. Le groupe augmentant, nous avons deux gars en avant-garde et deux autres en queue de colonne. A la moindre alerte, coup de sifflet et disparition. A l’arrivée au camp, un gars mal rasé, casquette marine, revolver à la ceinture renseigne les arrivants… ». Mais ce même matin du 4 août, dans la ville de Quimper, les services administratifs allemands, dont la Gestapo, ont abandonné leurs bureaux dans une précipitation remarquée par les habitants ; ils quittent Quimper pour rejoindre Lorient ou Brest. Cependant, des troupes combattantes se sont simplement repliées à Kerfeunteun (Likès et séminaire). La population quimpéroise croit au départ des occupants et est persuadée de l’arrivée imminente des Américains…
 

Cahier Césaire Le Guyader

Césaire Le Guyader note : « A 11 heures 30, la bonne, Madame Kerinvel, rentre de la ville et m’annonce le départ des Allemands : la ville est en émoi ; on attend les Américains d’un moment à l’autre. On les croit aux environs de Rosporden, que la Résistance a libérée [...] A 13 heures Julie vient et confirme cette nouvelle extraordinaire : "Quimper est en liesse". Je pars vers 13 h 30. Des groupes partout. On pavoise. En ville, grosse animation. On attend les libérateurs… St Charles lâche des détenus. La préfecture est décorée des drapeaux français, américain. La mairie, des drapeaux français, américain, anglais et belge : on prépare un drapeau de l’URSS. L’électricité est rendue ; on écoute la radio. Pas vu de la journée d’hommes de la Résistance, mais une vingtaine de voitures automobiles, cars ou tourisme allemands, avec mitrailleuses et fusils prêts au tir. Les rues sont pavoisées, les maisons aussi, le soleil brille. On attend toujours les "Noirs" [sic] libérateurs » (voir photo ci-contre).
 
Dans le cours de l'après-midi, la population se livre en ville au pillage des bâtiments et magasins libérés par les Allemands. A Langolen, selon Jean Grall, c’est une pagaille complète. Le parachutage prévu la nuit précédente n’a pu avoir lieu. Les compagnies convoquées la veille n'ont donc pas été équipées. Il y a déjà là plus de 500 hommes, et des volontaires arrivent encore de partout. Les armes manquent, mais aussi la nourriture, le couchage...« De temps à autre des gars arrivaient de la ville colportant les histoires les plus invraisemblables, entretenant ainsi l’indescriptible pagaille qui régnait déjà. [...].
16 h 45. Des gars arrivent. L’un brandit une grenade allemande et en a une caisse. Il clame : "Plus d’Allemands à Quimper. Les drapeaux flottent. On a calotté un camion de grenades et une traction de la Gestapo".
16 h 50. Un libéré de St-Charles passe : "On libère les gars après une prétendue vérification de papiers".
17 h 05. Un cycliste rentre : "Il y a encore des fritz, mais les drapeaux à croix de Lorraine flottent sur la cathédrale et la caserne". Il me disait aussi que les Français "récupéraient" le vin de la Gestapo rue René Madec devant les Boches eux-mêmes…
 
Ce qui se passe à cette heure à Quimper ? « Berthaud » a fait une apparition à la préfecture pour prononcer la destitution du préfet de Vichy en place et prendre quelques mesures d'urgence. Episode moins spectaculaire que celui qui a lieu vers 18 heures : un homme escalade une tour de la cathédrale et plante un grand drapeau tricolore à son sommet. Sur la place Saint-Corentin, on chante la Marseillaise... Mais « Berthaud » a rejoint le camp de Langolen. Suivant Alain Le Grand3, à Langolen, « Berthaud » discute  avec ses adjoints « d’une action à mener d’urgence sur Quimper. On pense que la garnison allemande n’est pas tellement importante. D’aucuns font des réserves quant à la possibilité de représailles contre la ville. L’action est décidée, on attend les véhicules. Ils arrivent vers les 20 heures. Une colonne se forme : en tête, la voiture dans laquelle prennent place Berthaud et ses adjoints, une camionnette et un camion transportant la 5e compagnie FFI4, et un détachement de FTP… ».
Cette décision, qui a été imposée par « Berthaud », de prendre possession de la ville dès le soir du 4 août, est sévèrement critiquée sur place par Albert Philippot : « Nous ne pouvons armer au plus que 50 hommes, et je considère cette marche sur Quimper comme une folle aventure qui peut se solder par le massacre du petit détachement que nous pouvons équiper. Blathwayt5 est de mon avis et affirme que "c'est du cinéma".Jean Grall n'est pas en reste pour souligner l'incongru de la situation : « Plusieurs surexcités décidèrent de descendre sur Quimper avec la quasi-totalité des armes du camp. Une partie embarqua dans une voiture particulière et le reste dans un camion "Bourhis-grains". Ils chantaient tous. Peu après quelques-uns revinrent : une voiture était en panne. Un autre convoi fut formé de quatre ou cinq voitures de tourisme, commandé par Monteil ».
 
Arrivés à Quimper, ces maquisards se répartissent en petits groupes pour converger vers le centre-ville, où des accrochages ont lieu avec des patrouilles allemandes. Bilan : deux morts et une dizaine de blessés du côté des résistants, qui doivent décrocher. Ils s’installent pour la nuit, une partie sur le Frugy, une autre à Saint-Denis. Un détachement de la compagnie de Briec, également engagé dans cette attaque sur Quimper, y a aussi perdu deux hommes. Césaire Le Guyader ne comprend pas ce qui se passe ce soir-là à Quimper : « Nous rentrons chez nous vers 18 h 30. Nous voyons dans l’Odet flotter la guérite aux couleurs allemandes de la Kommandantur, des chenilles, des barbelés, des cadres dont celui d'Hitler. Tout est calme. A 21 heures, des coups de fusils, des rafales de mitrailleuses se font entendre ; ça cogne très fort. Des hommes passent, le fusil et le fusil mitrailleur au poing. "Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ?". Les explosions succèdent aux explosions. Des grenades à main, sans doute. Ça dure une grande partie de la nuit… Pourquoi ? ».
Jean Grall, qui est resté à Langolen avec la 6e compagnie, dans l'attente d’un nouveau parachutage, rapporte ce qu’il apprend de l’équipée lancée sur Quimper : « Fanch Carn au volant d’une voiture avait des cailloux plein les poches. Pour lui, l’aventure faillit mal se terminer. Rue du Frout, dans un couloir du pensionnat Notre-Dame-de-l’Espérance, quatre ou cinq furent blessés. M. Volant, garagiste, tué. Fanch plusieurs éclats dans le ventre. Il avait le gros intestin perforé et son cas fut longtemps considéré comme désespéré ».
 
Une autre pagaille a régné ce même jour au bourg d'Ergué-Gabéric. Le recteur Gustave Guéguen observe : « Vers 17 h, remue-ménage, cris de joie, embrassades innombrables ; le chef de groupe (Viol de Kerfeunteun) emprisonné à Saint-Charles depuis 10 jours arrive au bourg prendre la direction de sa section. Ces transports de joie sont trouvés excessifs, et l'on juge sévèrement les demoiselles trop prodigues de leurs baisers. Dans la soirée, le bourg [est] en émoi par l'arrivée de la Résistance : des moteurs ronflent. De camions et d'autos descendent de nombreux jeunes gens armés de fusils et de fusils mitrailleurs. Ils escomptent prendre Quimper la nuit ou le lendemain !!! Ces troupes pleines d'enthousiasme et délirantes ne sont ni aguerries ni disciplinées et pour ma part, j'éprouve un sentiment pénible de penser que le salut de la France est entre les mains de pareils écervelés. L'enthousiasme gagne la population et deux auberges arborent les trois couleurs : cette marque de patriotisme prématurée leur vaut de faire d'excellentes affaires. Comédie humaine ! » Il n’est pas dit que ce soient les « surexcités » de Langolen qui aient fait une halte au bourg d’Ergué. On peut plutôt comprendre que le bourg a été, pendant la journée du 4 août, le point de ralliement de la section de Le Viol et peut-être d'autres éléments qu’aucun témoignage ne nous permet d’identifier. En soirée deux autres groupes de résistants montant vers Langolen  (non identifiés par nos témoins) sont passés au bourg. Selon Gustave Guéguen, « au crépuscule arrivent de Quimper deux sections se dirigeant sur Langolen et fort disciplinées celles-ci et donnant vraiment une impression de sécurité6. L'ordre est donné de ne rien tenter sur Quimper, j'en suis fort aise ». Ainsi les contradictions apparues au camp de Langolen ont également cours à Ergué. On attaque sur Quimper ou pas ? A peine s’est-il rassuré que le recteur se trouve contredit : « …des audacieux du bourg vont en ville la nuit aider des camarades en détresse et dépourvus de munitions ; ils peuvent faire leur voyage sans blessure, mais leur auto est criblée de balles ». Ce groupe parti d’Ergué est donc revenu sain et sauf. Une tradition orale précise qu’il était dirigé par Fanch Balès, et qu’il avait plutôt pour objectif de se constituer une bonne réserve de cigarettes en attaquant l'entrepôt des tabacs de la rue de Douarnenez. Cette même source confirme les nombreux impacts de balles sur le véhicule.
 
Sur son petit agenda, à la page du vendredi 4 août, Alain Le Roux, de Mélennec, a noté : « Départ des troupes allemandes de Quimper et de la Gestapo. Nettoyage de la ville par la Résistance. Drapeau français et américain partout ».
 
 
Samedi 5 août 1944
Les maquisards n'ont pas pu se rendre maîtres de Quimper, où le réveil est plutôt brutal. Et les Allemands, repliés sur Kerfeunteun, ont repris le contrôle du centre-ville. Césaire Le Guyader note : « Ce matin, à 6 h. Réveil à coups de fusil et de mitrailleuses...  Les drapeaux quittent les fenêtres avec une vitesse intempestive… Un passant me dit : "Enlevez vos drapeaux. Les Boches les arrachent ou tirent dessus". Il est 9 h 30. La fusillade continue, très nourrie par moments. On annonce une arrivée en masse de ceux qui nous quittaient hier si rapidement. Avaient-ils cru eux aussi que les Américains étaient à Rosporden ? Sans doute, il n’y a que cela qui peut expliquer leur si rapide départ. Mais où sont mes camarades7 ? On avait désigné Faou comme commissaire de police en remplacement de l’affreux Bodiguel. Un nouveau préfet était en place depuis hier soir, Mr Berthaud ; des affiches déclaraient Quimper en état de siège. Actuellement on nous dit que les Allemands sont à nouveau maîtres de la préfecture, de la mairie, de l’hôtel des postes, de la Kommandantur… La fusillade reprend de façon spasmodique ; il est 10 h 30. J’enlève mes drapeaux ». Puis il s’explique : « Julie vient d’entendre dire à l’instant que la Radio de Paris annonce l’arrivée des Américains à Ploërmel. Il paraît qu’on attendait hier la descente en parachute de 600 Américains, d’autres disent 500. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous attendons toujours. Alors pourquoi un bobard hier ? Pourquoi cette prise de la préfecture et de la mairie s’il n’y avait rien de prêt pour tenir les Allemands en respect ? Où est Monsieur Berthaud8 ? ».
 
Au matin de ce samedi, le drapeau tricolore flotte toujours au-dessus de la cathédrale, Une section de la 5e compagnie est restée installée en observation sur le Frugy. Les autres ont rejoint les sorties de la ville vers Lorient (l’Eau blanche) et vers Brest (Gourvily). La situation des résistants s'est nettement améliorée du fait des parachutages, enfin réussis, destinés à la 6e Compagnie FFI et à la compagnie de Briec. Albert Philippot évalue : « Nous pouvons aligner environ 300 hommes armés, possédant une trentaine d'armes automatiques et les trois bazookas. Nous devenions un adversaire avec qui il faudrait compter ». Il poursuit : « La seconde phase de la bataille pour Quimper allait commencer. Ne pouvant encore espérer donner l’assaut […], nous décidons d’établir autour de la ville une série de petits points d’appui dont la mission sera de harceler tous les convois ennemis qui passeront, sans nous laisser accrocher ». Jeanne Bohec confirme : « Les troupes allemandes qui défendaient la côte sud, de Penmarc’h à Concarneau, reçurent l’ordre de se replier sur Brest en passant par Quimper. Partout, ces détachements se heurtèrent aux forces de la Résistance, qui les attendaient en embuscade. Nous occupions toutes les hauteurs qui dominent la ville, toutes les routes et passages obligés. Attaqués en un point, les Allemands en retraite qui réussissaient à passer étaient de nouveau assaillis un peu plus loin ».
 
Dans ces conditions, les affrontements sont inévitables. En centre-ville d'abord. 
Vers 10 heures, des résistants postés sur le Frugy blessent par balle deux allemands qui passent sur le pont Sainte-Catherine et le Champ de Bataille. Réaction immédiate : convaincus que les tirs proviennent de la préfecture, les Allemands y pénètrent, y jettent des grenades incendiaires et prennent en otages une trentaine d’employés, qui sont enfermés à la prison de Saint-Charles. Césaire Le Guyader note : « 10 h 45 : la Préfecture flambe. 12 h 05 : Je rentre d’avoir été aider à déménager les habitants du pâté de vieilles maisons. On craignait que tout le quartier ne brûle. Il y a espoir de voir le feu épargner le voisinage. Le vent, assez fort, souffle du nord-est… et je suppose que les boiseries et les tentures de cet important immeuble étaient ignifugées. Mais où est Monsieur Berthaud ? ». Jeanne Bohec raconte la suite de l’épisode du drapeau : « Au sommet de la cathédrale le pavillon tricolore flottait toujours, semblant les narguer. Ils ouvrirent le feu sur lui, essayant de couper la corde qui le retenait, en vain. Alors ils prirent le curé de la cathédrale et plusieurs autres personnes en otages, menaçant de les fusiller si le drapeau n’était pas enlevé dans les dix minutes. Apprenant cela, l’homme courageux qui avait été le placer là-haut refit la périlleuse ascension et descendit notre emblème. Les Allemands le piétinèrent avec rage ». Cette agitation quimpéroise trouve un écho auprès du recteur Gustave Guéguen : « Le samedi matin, la fusillade est nourrie dans la vallée du Jet9. Le bruit court que la cathédrale est en feu ; en réalité, c'est la préfecture qui brûle, on ne saura probablement jamais pourquoi. Les drapeaux disparaissent des fenêtres, les panneaux sont mis aux devantures et le bourg prend son aspect morne habituel. J'admire la bravoure et la prudence de mes paroissiens ».
 
Dans le cours de la journée, le dispositif résistant d'encerclement de la ville se poursuit. « Berthaud » a sorti de Quimper le PC des FFI pour l'installer sur l'axe Langolen-Quimper, au Rouillen, en Ergué-Gabéric, chez Alfred Le Mercier10. La 5e compagnie (Nicolas) se regroupe à proximité du Rouillen et cantonne à Kerellan, en protection de l’Etat-Major. « Nous tenons solidement les routes de Brest, Concarneau, Coray, Rosporden », constate Albert Philippot. Jeanne Bohec raconte ce transfert : « Nous quittâmes Quimper dans un camion de Joncourt et le PC fut installé non loin de la ville près d'un important embranchement de routes, si je me souviens bien sur la route de Brest, près du moulin de Tréqueffélec11. Nous y retrouvions, avec une compagnie FFI, l'équipe Jedburgh. Son capitaine12 prit le commandement de fait. Les liaisons avec les autres compagnies FFI étaient assurées comme toujours par des jeunes filles ».
 
La compagnie de Briec, avec à sa tête le lieutenant Le Gars, s’est lancée dans la bataille le matin même ; dans la nuit, 27 résistants sont descendus du car Berthelot, de Landudal. Ils ont plusieurs accrochages dans la journée avec des Allemands sur la route de Brest. Dans l'après-midi, un convoi motorisé venant de Brest surprend un groupe de résistants en train de se désaltérer à proximité du café tenu par la famille Le Jeune. Un échange de tirs s'engage. Quatre résistants sont tués. Les Allemands incendient la maison et exécutent sur place quatre membres de la famille. La compagnie de Briec va cantonner à Cuzon. Grâce à Jean Grall, nous pouvons suivre la 6e Compagnie FFI (Lieutenant Danion). Cette dernière a pu s'équiper : en effet, un nouveau parachutage d'armes a réussi du côté de Langolen dans la nuit du 4 au 5 août. Le matin ils récupèrent, montent et dégraissent les armes : « A 14 heures, j’avais un fusil, un chargeur de 10 balles et deux cartouchières de toiles (100 balles) ». Il poursuit : « Des gars venus de Quimper disent que la préfecture brûle depuis ce matin puisque l’on n’a pas voulu ôter le drapeau de la cathédrale et que 400 Russes vont et viennent dans les rues en tirant sur les drapeaux ». Dans la soirée, le camion gazogène et une vieille voiture font la navette vers Quimper. Le groupe 1, celui de Jean Grall, attend son tour. « Le lieutenant Danion nous réunit – répartition des chargeurs, FM, mitraillettes. Sans brassards FFI, nous en taillons dans ces gros rouleaux de chiffons accompagnant les armes pour le dégraissage… Ils embarquent enfin : « les fermiers qui ramassent le foin, les habitants de la route nous saluent [...] Arrêt à la Croix-Saint-André. Progression en colonne de chaque côté de la route, arme au poing… un ivrogne couvert de médailles me crie : j’en ai tué à l’autre et je veux le refaire… ».
 
Qu'est-ce qu'on comprend à Mélennec de tous ces évènements ? Alain Le Roux a noté : « Fausse arrivée des Américains à Quimper. Ils sont partis en renfort à Brest. Fusillade à partir de la route de Rosporden sur nous. Donné lambic et beurre et oeufs au commandant Berthaud et officier américain13  au Rouillen. Arrivée d'Allemands (russes) de la côte (escarmouche). Feu à la préfecture. N'ai pu aller que jusqu'au Pont Firmin ». 
 
De son côté, le recteur d’Ergué-Gabéric fait état du grand remue-ménage survenu dans le bourg ce jour : « A midi, fausse alerte heureusement ; on prétend que les Allemands encerclent le bourg et l'on entend une rafale de fusil mitrailleur. En fait, c'est un exercice de tir qui glace tout le monde d'effroi ». Mais Bernard Le Bihan se montre plus précis dans l’article qu’il a présenté dans le Keleier n°6 d’octobre 2000. Ainsi ce souvenir d’enfance concernant ce moment de panique : « Dans le bourg d’Ergué-Gabéric, un groupe de maquisards bavarde devant l’école des filles. Admiratifs et curieux, quelques gamins les observent… Soudain, venant de la rue du presbytère, semblant apeuré et essoufflé, un gamin plus grand que les autres crie : "les boches, les boches… ils arrivent !". Et il indique la direction du cimetière. François Balès, pas du tout impressionné, déclare : "je rentre de patrouille de nuit et je vais me coucher. S’il y a du grabuge, venez me chercher". Un responsable donne des ordres et tout le monde s’éparpille dans toutes les directions […]. Un car manœuvre sur la route de Kerdévot. Sur le toit, un résistant est armé d’un fusil mitrailleur […]. Brutalement trois rafales d’arme automatique déchirent le silence ; elles proviennent de l’endroit où le car s’est placé pour prendre la rue en enfilade. Un silence s’installe comme si le bourg retenait sa respiration […] ». Le calme paraissant revenu, le gamin finit par rejoindre les maquisards. « Ceux-ci commentent l’évènement : "Heureusement que ce n’était qu’une fausse alerte, dit l’un d’entre eux. Qu’est-ce que j’aurais fait avec ça ?". Et il exhibe un poignard de scout. Un autre dit  : "Et moi, avec ça ? en montrant un pistolet de petit calibre, tout juste bon à effrayer les chiens." Une patrouille qui cherchait le contact avec les Allemands revient en poussant devant eux l’auteur de la fausse alerte. Immédiatement conduit devant le chef, celui-ci lui assène une gifle formidable et lui dit : "Si tu avais été un homme, nous t’aurions fusillé". »
 
 
Dimanche 6 août 1944
La journée du 6 août est généralement considérée comme ayant été calme à Quimper : « une sorte de trêve ponctuée de coups de feu isolés », dira Jeanne Bohec. Cela se traduit quand même par plusieurs morts et blessés parmi les habitants. Pour Césaire Le Guyader, le 6 août est plutôt mouvementé : 
« 10 h du matin. J’ai fait le tour de la préfecture. Il n'en reste que les murs. Tout est consumé. Me trouvant sous les arbres en face de l’Hôtel de l’Epée et contemplant le désastre, j’entends le bruit d’une foule galopante. Je me retourne et de tous sens couraient des gens : hommes et femmes. "Ils viennent ! Ils viennent !" criaient des gens. 
– Où sont-ils ?
– Ils viennent !
Je me dirige vers la Banque Loyer, où je trouve un groupe : 
– Qu’y a-t-il ? 
– Les Boches descendent de Saint-Charles ! Ils tirent. 
Les gens passent en courant. Georgina vient vers nous ; on lui demande 
– Où sont ils ? 
– Est-ce que je sais, moi ? Les aut’ cour’, moi je cour’ aussi, répond-t-elle de son ton inimitable. 
– Rentrons ensemble, lui dis-je, par derrière la préfecture.
Nous passons le pont du Café de Bretagne et longeons les grilles du palais préfectoral doucement, en disant "les salauds ! Ils nous emmerderons donc jusqu’à la fin !". Huit jeunes filles affolées sortent de la rue Sainte-Thérèse en courant vers nous. "Allons bon ! dis-je, les voici dans notre rue !" Nous abordons le coin avec beaucoup de circonspection. Rien. Tout est calme. Des groupes discutent. On entend : "Ils reviennent, ils ont des grenades. Ils tirent sur tous ceux qui sont dans la rue ! Il faut rentrer…". Personne ne sait ce qui se passe. Pendant que je trace ces lignes, j’entends des coups de feu et des pas rapides dans la rue. Alors quoi ? Où est Monsieur Berthaud ? Qui est ce type qui vient et qui fout le camp, c’est ça un préfet ? Il n’était donc au courant de rien ? Ca commence bien !! »
 
Par ailleurs, côté résistants, le dispositif s'améliore encore. Albert Philippot en témoigne : « La compagnie de Briec étant descendue au complet, elle prend à son compte le secteur de la route de Brest et celui de Saint-Denis qu'occupait depuis la nuit la compagnie Nicolas14. Celle-ci prend le secteur des routes de Rosporden et de Coray. Il ne peut toujours pas être question de résister à une attaque en force de l'ennemi sur un point donné ; nos hommes peuvent faire de la guérilla, mais pas de combat rangé. L'ordre est donc d'éviter de se faire accrocher et de harceler l'ennemi. Nous avons ainsi deux ou trois bouchons échelonnés sur chacune des routes que nous contrôlons. A mesure que des armes de récupération tombent entre nos mains, nous complétons notre dispositif. La compagnie Danion15 prend la route de Rosporden en arrière de la compagnie Nicolas, vers Kergonan, et la route de Concarneau vers Ty Boss. La compagnie Bédéric16 s'installe à cheval sur les routes de Concarneau et de Bénodet, poussant des éléments assez loin de Quimper […]. La 2e compagnie (commandée par Fer, qui est revenu prendre sa place au combat17) et la 8e compagnie, placée sous les ordres du Capitaine Espern, ne sont pas encore armées ; elles sont des réserves à Ergué-Gabéric, où elles gardent les prisonniers que l'on a faits18 ». Gabriel Nicolas peut encore renforcer sa 5e compagnie : « Ce dimanche, des dizaines de volontaires se présentent à Kerellan ; nous en prenons une vingtaine dont un sous-lieutenant d'active [...]. » Il peut tester l’efficacité de son organisation. Ainsi, « tôt le matin, un agent de liaison motocycliste vient se faire prendre au poste de garde du passage à niveau de l'Eau blanche [...]. On récupère un revolver et une moto. Notre premier prisonnier ira à Ergué-Gabéric où se crée le premier camp19 ». Cependant, à partir d’un semi échec le soir à l’Eau blanche, il lui paraît qu’il faut y établir un poste permanent : « le dimanche, en fin de journée, un convoi allemand quitte la ville par la route de Rosporden sur laquelle nous n'avons aucun poste à l'Eau blanche. En passant, il nous arrose de rafales d'armes automatiques pour aller plus loin se faire accrocher par la 6e compagnie et se faire détruire avant de gagner Lorient20 ». Le recteur d’Ergué-Gabéric, ce dimanche, écrira : « Vers 16 h arrivent les sections de Langolen et celles de Quimper vues le vendredi : elles prennent possession du bourg ; on poste des fusils mitrailleurs au bord des trous creusés par ordre des Allemands pour leur défense21. Le chanoine Grill22 qui se met bénévolement à la disposition des troupes est reçu au presbytère, où il logera toujours et où il prendra parfois ses repas.Vers 20 h. arrivent des prisonniers allemands et deux Quimpéroises trop aimables pour eux. Le bourg au complet devant l'école publique des filles où on les a rassemblés ; les femmes sont désolées parce qu’on ne fait pas faire le tour du bourg à ces honteux trophées ; le soir, on circule très tard en commentant les évènements ».
 
 
Lundi 7 août 1944
La veille au soir, le convoi allemand qui voulait s'échapper vers Lorient n'avait pas été stoppé à l'Eau blanche. D'où cette décision signalée par Gabriel Nicolas : « La 5e compagnie, complétée en armes et en effectif, met une section sur la route de Rosporden, à l'Eau blanche derrière le barrage bétonné construit par les Allemands23 ». Le même Gabriel Nicolas, qui commande cette 5e compagnie, raconte : « Vers 10 heures, je me trouve devant le barrage avec le chef de section lorsque nous sommes prévenus qu'un convoi allemand se dirige vers Rosporden. La section est en alerte et nous n'attendons pas longtemps pour voir arriver les véhicules. A une centaine de mètres, nous ouvrons le feu. Sous la mitraille, les voitures s'arrêtent à une cinquantaine de mètres. Des hommes giclent des véhicules et disparaissent des deux côtés. Le feu des armes a duré à peine 5 minutes qu'il arrive sur le barrage une volée d'obus de mortiers fort bien ajustés, mais un peu tard : les jeux sont faits. Nous avons localisé ces tirs comme provenant du Grand séminaire. Avec une rapidité étonnante, les voitures de la Croix-Rouge sont sur place pour relever morts et blessés. Les rescapés regagneront le séminaire. Quatre hommes valides seront faits prisonniers. Interrogés par un interprète, nos captifs sont pâles et pitoyables. On leur a tant dit que les "terroristes" fusillaient les prisonniers. L'interrogatoire ne peut avoir lieu ; ils ne sont pas à même de répondre. Ils seront conduits au camp de prisonniers d'Ergué-Gabéric. Nous récupérons trois camions, deux mitrailleuses légères, une trentaine de fusils et des grenades24...» .
En ville de Quimper, Césaire Le Guyader constate un calme relatif : « 7 août. Journée d’attente… coups de fusils et de grenades... des morts. Beaucoup d’avions ».En réalité, depuis le samedi 6 août, des démarches sont entreprises par le commandement FFI, par les conseillers militaires anglais qui l’assistent et par la Croix-Rouge, en vue d'obtenir une reddition allemande. Les différents contacts pris n'aboutissent pas à un accord, mais les préparatifs d'un départ des troupes allemandes sont observés. 
L'Abbé Gustave Guéguen a eu connaissance des combats de l'Eau blanche : « Le lundi 7, à la fin de la matinée, fusillade nourrie semblant venir du sommet de la colline25, en fait de l'Eau blanche. On veut empêcher les Allemands (4 ou 500) de sortir de Quimper ; l'aumônier est allé sur les lieux. Dans l'après-midi, les nôtres ont tué 12 Boches : un seul a une égratignure à l'oreille. On est venu demander une chambre pour le Capitaine Espern26, capitaine de l'artillerie de l'active de Trégourez. Un matelas a été prêté pour une ambulance provisoire. Vers 19 h sont arrivés 60 prisonniers TOT27 ; de très nombreux avions ont sillonné le ciel, surtout l'après-midi, quelques-uns très bas. A 21 heures, il y a eu des bruits de bombes ».
 
 
Mardi 8 août 1944
 
Le matin
Gabriel Nicolas décrit : « Au milieu de la matinée, un convoi d'une dizaine de véhicules venant de Concarneau est attaqué vers Ty Bos par la 6e compagnie mitraillant à outrance. Le convoi passe et gagne le Grand séminaire ». Albert Philippot présente une version tout aussi brève : « Le 8, un convoi ennemi fort d'une douzaine de voitures est accroché par le poste que la compagnie Danion a installé à Ty Boss. Les deux FM s'enrayent au cours de l'engagement, le convoi passe, nous avons deux blessés...»
Alain Le Grand se montre bien plus précis : « une douzaine de camions transportant 250 soldats environ28. Au lieu dit Ty Boss, ils mettent pied à terre pour escorter les véhicules... ». Les Allemands avaient, semble-t-il, repéré le barrage la veille. « ...Les deux FM des FFI s'enrayent. La section décroche avec deux blessés [...]. Les Allemands prennent en otage un cultivateur, Jean-Louis Le Meur (37 ans), d'Ergué-Gabéric29, qu'ils obligent à marcher devant la colonne. Parvenue à l'entrée de l'agglomération, route de Concarneau, à l'intersection de l'avenue Kergoat-al-Lez, les soldats abattent l'otage, déchirent sa carte d'identité et en dispersent les morceaux. La colonne descend vers la gare, mitraillant et jetant des grenades dans les maisons... ». Une vieille femme est tuée et une quinzaine de civils sont blessés.
Alain Le Grand revient sur la matinée : le commandant de la gendarmerie « rapporte, d'une nouvelle intervention au PC (allemand) du Likès que la garnison allemande quittera la ville aux environs de midi, par la route de Plogonnec, allant vers Brest. En effet, vers 12 h 30, on entend des explosions : les Allemands font sauter leurs munitions au Likès et au Séminaire. Ils incendient aussi le relais téléphonique de Kerfeunteun30 ». Et les cellules de la prison Saint-Charles s'ouvrent.
De son côté, l'Abbé Gustave Guéguen note : « Mardi 8. Le matin, été au PC du Rouillen (Abattoir Mercier31) pour mission qui n'a pas réussi. Le commandant Berthaud n'a rien d'un militaire extérieurement. Aperçu une demoiselle32 qui a été deux ans en Angleterre, parachutée depuis six mois comme instructrice du déboulonnage des voies ferrées.Un scout a hissé le drapeau au sommet de la tour sans ma permission : j'ai fait la remarque le lendemain, et le jeune est venu offrir ses excuses33 ».
A Quimper, Césaire Le Guyader observe : « Mardi 8 août. C’est calme vers 9 heures. Je me dirige vers la mairie pour voir ce qui s’y passe au sujet du conseil municipal. Rosuel y vient vers 9 h 30 et me dit qu’il se rend au Vieux séminaire, où a lieu une réunion pour constituer une liste. Je vais avec lui… Vers midi, la liste est constituée. Je rentre à midi trente. Julie était dans l’angoisse, car les coups de feu ne cessent pas. Le soleil est radieux. Beaucoup d’avions. »
 
L’après-midi
Autre combat important, et même décisif, dans l’après-midi de ce 6 août : celui de Tréqueffélec. Voici ce que dit Gabriel Nicolas : « Vers 13 heures, un convoi quitte la ville par la route de Brest, contrôlée par Pierre Le Gars de la compagnie de Brest, qui dispose de 260 hommes. Dès le départ, le feu des armes est intense ; la Wehrmacht doit quitter ses camions pour un sévère combat d'infanterie qui durera plusieurs heures. Les tirs sont meurtriers de part et d'autre, mais la compagnie de Briec ne lâche pas sa proie. La 2e section de la 5e compagnie FFI – mon unité –  gagne les lieux de combat vers 14 heures et se met à la disposition du commandant de la compagnie de Briec. Elle permettra à ce dernier d'améliorer sa puissance de feu, ce qui obligera l'adversaire à décrocher, abandonnant ses véhicules, dont trois brûlent sur la route. Il devra à pied gagner la presqu'île de Crozon ». Et dans la soirée, sept camions allemands sont ramenés à Kerellan en guise de butin, dont l'un contient 50 paires de bottes et d'autres, une grande quantité de vivres et d'armes.
Albert Philippot indique qu'il y a eu plus de 150 tués du côté allemand, et de « nombreux » blessés : « Nous avons à déplorer sept morts et trois blessés à la compagnie de Briec. Ce combat semble décider du sort de Quimper. Le soir même l'ennemi incendie ses dépôts de munitions et remonte vers Locronan en utilisant la petite route de Croechou34, que nous ne contrôlons pas ».
L'Abbé Gustave Guéguen a eu vent de cette action : « Le soir, tard, appris que la section du bourg a bousillé cinq camions d'allemands s'enfuyant vers Brest par la route de Briec : le groupe de Briec a eu cinq morts ; ceux enfuis par la route de Locronan ont pu échapper alors qu'il eût été si facile de les attaquer des bois qui précèdent le pont du chemin de fer de Douarnenez ou au bas de la côte de la Lorette. Discussion vive au sujet du sort que l'on fait subir aux prisonniers, qu'il ne faut pas achever35 ».
Césaire le Guyader conclut : «  Ce soir, 18 heures, la Ville est libre. Les "FFI" occupent les sorties de la ville ».
 
 
Mercredi 9 août 1944
Albert Philippot annonce : « Le 9 août, nous entrons définitivement dans Quimper ». Gabriel Nicolas développe : « La délégation militaire s'installe [en] centre-ville tandis que les unités demeurent sur place pour éviter un retour de l'occupant encore présent sur la côte, à Concarneau, Bénodet, Audierne. Il y a alors 860 hommes armés autour de la ville, à savoir : 450 hommes du mouvement Vengeance, 250 hommes du mouvement Libération-nord, et 150 hommes des FTP. Quelques groupes armés font également le coup de feu, ce qui porterait le total à 900 hommes ». C'est aussi ce 9 août que le Finistère a un nouveau Préfet, Aldéric Lecomte. Gustave Guéguen poursuit sa chronique : « Mercredi 9. Mangé au mess des officiers – 2 seulement, le capitaine Espern et le lieutenant Fer. Le capitaine est arrivé à la fin du repas avec le docteur de l'asile et nous avons attendu pour le dessert.Prise d'armes à Quimper vers 16 h. près du monument aux morts. Le directeur du ravitaillement, le commissaire de police sont désignés ; le nouveau préfet est attendu ».
 
 
Jeudi 10 août 1944
Gustave Guéguen : « Jeudi 10. Les prisonniers et TOT sont partis, ceux-ci à Pluguffan, ceux-là à Guengat. Le matelas a été rendu le vendredi dans la soirée ». Les autres chroniques tiennent que les prisonniers sont rassemblés au camp de Lanniron. Le samedi 12 août, le recteur notera encore : « Samedi à 3 h. du matin, réveil par suite de canonnade intense dans les parages de Penmarc'h. Cela a duré une heure d'une façon intense. Puis le bourg est retombé dans sa torpeur habituelle ». Césaire Le Guyader fera partie du Comité local de Libération pour y représenter le Parti communiste. Le 15 août, il se joindra aux FTP et sera chargé des effectifs au bureau de leur Etat-Major à l’Hôtel Templet.Il participera au siège de Lorient.
 
Les FFI et FTP qui ont libéré Quimper enverront quatre sections combattre à Fouesnant, Bénodet et Concarneau, que les Allemands évacueront par mer, vers Lorient, le 25 août. Il ne restera à libérer que Lezongar (Cap Sizun), la presqu'île de Crozon et Lorient. Ce n'est que le 22 septembre qu'on verra les troupes américaines passer à Quimper, après la reddition des Allemands dans la presqu'île de Crozon.
 
Allocution du colonel Berthaud à Quimper Libération Archives municipales de Quimper
Allocution du colonel Berthaud en 1945 (Archives municipales de Quimper)
 
 
Notes
1. Les FFI étaient le produit du rapprochement de plusieurs mouvements, les principaux à Quimper étant Vengeance et Libération-Nord. Une concertation avec les FTPF était en cours depuis quelques semaines pour établir le plan d’action à suivre ensemble.
2. Voir note 6.
3. Le Finistère dans la guerre 1939-1945. Tome 2, « La Libération », page 272.
4. La 5e compagnie, celle commandée par le lieutenant Nicolas, a engagé quatre sections dans cette opération.
5. A la suite du Débarquement en Normandie, des équipes de trois conseillers militaires furent parachutées par les Alliés derrière les lignes allemandes dans le but d’activer et de diriger l’action des maquis, de les assister dans les communications avec Londres, dans les parachutages et les opérations de sabotage. L’équipe Jedburgh « Gilbert », composée du Capitaine Blathwayt (GB), du Capitaine Paul Charron de la Carrière (F) et du sergent radio Neville Wood (GB) a été parachutée dans la nuit du 9 au 10 juillet 1944 à Coadry (Scaër) et a accompagné les maquisards dans les combats autour de Quimper, Rosporden, Concarneau et la presqu’île de Crozon. Le capitaine anglais de l’équipe Jedburgh « Gilbert », parachuté comme conseiller militaire, était à Langolen le 4 août 1944.
6. Il doit s’agir des routiers « Eclaireurs de France », qui ont intégré le secteur 3 (Le Grand, page 265-256), rescapés du massacre du Guellen en Briec. Ils sont commandés par Roger Le Bras. Ils montent au camp de Langolen « en uniforme » scout, pour se faire équiper : « les bébés  éclaireurs sont arrivés dans la nuit et ce matin, ils vont être les premiers servis. Un coup du Capitaine Philippot ! » écrira le lendemain Jean Grall, un peu jaloux des protégés de Philippot.
7. A plusieurs reprises dans son texte, Césaire Le Guyader s’interroge sur l’absence apparente dans les rues de Quimper de ses « camarades » FTP En réalité, la 1ere compagnie FTP (Mével) était à Langolen dès le 4 août et a envoyé un détachement le soir même occuper Quimper (sous commandement Louis Cren).
8. Autre phrase récurrente sous la plume de Césaire Le Guyader : « Que fait donc ce Monsieur Berthaud, cet incapable, etc. » Une réelle suspicion devait exister entre FFI et FTP ! 
9. Il s’agit peut-être de coups de feu signalés par un seul autre témoin, Alain Le Roux, qui écrit : « Fusillade à partir de la route de Rosporden sur nous (à Mélennec). » Voir ci-dessous.
10. Alfred Le Mercier était un « marchand de porcs ». Né en 1892 à Rostrenen, il était en location au château de Kerivoal en Kerfeunteun. Sous le régime de Pétain, en tant que vice-président du Groupement d’achat de viande, il avait des responsabilités dans le Ravitaillement du Finistère. A la même période, il fit l’acquisition d’une ferme au Rouillen. Mais depuis le mois d'octobre 1943, Alfred Le Mercier était recherché par la police allemande pour appartenance à une organisation clandestine, le « Groupe Champagne ». C’est à son domicile de Kerivoal que s’était installé le PC des FFI sous le commandement de « Poussin », puis c’est à son nouveau domicile du Rouillen que s’était ensuite installé l’Etat-Major de « Berthaud ».
11. Jeanne Bohec a oublié le nom de la nouvelle implantation du PC (Le Rouillen), tout à fait transitoire il est vrai (du 5 au 8 août).
12. Il s'agit du Capitaine anglais Blathwayt.
13. Il ne peut que s’agir du Capitaine Blathwayt, qui est anglais et non américain.
14. Ou 5e compagnie.
15. Ou 6e compagnie.
16. Ou 7e compagnie.
17. Le lieutenant Théophile Fer (« Broustail ») est lui aussi, comme Monteil et Bellan,  professeur au lycée de La Tour d’Auvergne. Il commandait le secteur 3 du maquis qui a opéré courant juin sur le territoire d’Ergué-Gabéric. Blessé le 27 juin lors du massacre de la ferme du Guellen, dont il a pu s'échapper, il avait du se mettre totalement en retrait.
18. Nous apprenons ici que ce sont le lieutenant Fer et le capitaine Espern qui rassemblent les éléments de leurs compagnies au bourg d’Ergué-Gabéric, en attendant les livraisons d’armes promises.
19. Un centre de détention tout à fait transitoire (du 6 au 9 août) a donc existé au bourg d'Ergué-Gabéric, dans les locaux de l'école publique des filles, route de Kerdévot (actuel Centre Deguignet). Y étaient rassemblés les combattants allemands faits prisonniers et des ouvriers travaillant pour l'Organisation Todt (voir aussi note 27).
20. On peut comprendre que le convoi allemand tire sur Kerellan en quittant Quimper, puis se fait accrocher par la compagnie de Bédéric sur la route de Rosporden et est enfin détruit à Rosporden.
21. Il s’agit probablement des trous individuels creusés pour la défense des soldats allemands qui ont cantonné au bourg d’Ergué-Gabéric, du samedi 17 juillet au jeudi 5 août 1943. Des habitants furent réquisitionnés pour creuser des tranchées. Deux autres hébergements de troupes allemandes furent imposés au bourg le 24 février et le 16 juin 1944.
22. Le chanoine Corentin Grill, né à Langolen en 1889, est un fort tempérament. Prêtre-instituteur en 1913, puis inspecteur de l’enseignement catholique de 1919 à 1939, il s'engage comme aumônier militaire. Fait prisonnier, il est libéré en 1942. Il est ensuite affecté à l'école Sainte-Anne de Quimper. Après le Débarquement, il rejoint le maquis de Scaër vers le 20 juillet. Le samedi soir, 5 août, il « demande l'hospitalité au presbytère ; il vient de Scaër à pied. Il sera notre hôte jusqu'au mercredi matin », écrit Gustave Guéguen. On le trouvera ensuite dans la presqu'île de Crozon, au siège de Lorient, puis en Allemagne avec l'armée d'occupation et en Indochine, jusqu’en 1955. Il décède en 1975.
23. Alain Le Grand (tome 2, page 279) précise qu'il s'agit d' « épaulements en béton qu'ont fait construire les Allemands en prévision du débarquement allié ».
24. Marcel Philippot confirme : « Le 7, le poste que la compagnie Nicolas tient à l'Eau blanche attaque et détruit trois camions allemands qui tentaient de sortir par la route de Rosporden ».
25. Il s'agit de la colline de Boden, qui se trouve dans l'axe Bourg-Eau blanche.
26. Le capitaine Louis Espern est né à Edern et a passé son enfance à Trégourez. Il est officier de carrière : lieutenant d’artillerie en 1939, il combat sur le front des Ardennes et connaît le repli sur Dunkerque. D’Angleterre, il passe en zone non occupée, puis rejoint Vannes et Quimper, où il travaille à l’implantation d’abris sur la place Saint-Corentin. Il entre en relation avec « Berthaud » qui lui confie le commandement de la 8e compagnie FFI, jusqu’à ce qu’il se saisisse d’un canon de 115 abandonné par les Allemands et constitue à partir de là une batterie d’artillerie qui interviendra dans les combats du Menez-Hom.
27. L’Organisation TODT, fondée par l’ingénieur nazi Fritz Todt, se développa dans la construction civile et militaire, en particulier dans la construction du mur de l’Atlantique. Après la mort de Todt en 1942, l’organisation est dirigée par Albert Speer. En 1944, elle employait 1,4 million de travailleurs, dont la grande majorité était des prisonniers de guerre, travailleurs forcés venus des pays occupés.
28. Jean Grall participait à ce combat : « …près de 250 Allemands, et nous étions 17 ».
29. Jean-Louis le Meur a 37 ans. Il est né à La Forêt-Fouesnant. Il est agriculteur, installé à Kervernic en Ergué-Gabéric après son mariage avec Marie-Françoise Gourmelen. Il est père d'une petite fille. Il était allé à Ty Bos à bicyclette pour demander un coup de main à sa parenté pour les travaux de la moisson. La colonne d'Allemands venant de Concarneau, qui voulait traverser Quimper, l'a pris comme otage, le faisant avancer devant eux pour pouvoir l'abattre à la moindre manifestation d'hostilité (cf. Keleier Arkae n°38, mars 2005, p. 4).
30. Alain Le Grand, tome 2, p. 280.
31. Le recteur appelle Abattoir Mercier ce qui n'était qu'une ferme, dont les bâtiments servaient à regrouper les porcs achetés par Alfred Le Mercier avant leur expédition sur pied en région parisienne. Ces locaux sont aujourd'hui occupés par l'entreprise "Kenta Electronic".
32.Il s'agit de Jeanne Bohec.  Si le recteur d'Ergué-Gabéric se félicite de l'avoir « aperçue », elle ne signale pas avoir vu le recteur au Rouillen.
33. Il s'agit ici sans doute d'un jeune maquisard du groupe des « Eclaireurs  de France », groupe formé autour d'Albert Philippot (voir note 6). Ce fait est confirmé par les Annales de l’école privée de filles N.D. de Kerdévot, où nous lisons : « Nos classes sont réquisitionnées pour un groupe de FFI. C’est avec plaisir que nous les cédons, car l’heure de la libération approche. Le lundi 7 août, un drapeau tricolore flotte au haut du clocher. Nos cœurs respirent. Nous sommes en France libre ! Pendant cinq jours, les Patriotes occuperont notre petit bourg en attendant d’avancer sur Quimper. A leur départ, beaucoup de Quimpérois, voyant la préfecture en flammes, prirent la fuite et se réfugièrent dans les familles amies. L’école N.D. de Kerdévot ouvrit encore ses portes et hébergea une dizaine de personnes sans abri ».
34. Le Croëzou.
35. Ce n’est pas du tout une discussion de salon : il y a là, au bourg, une cinquantaine de prisonniers allemands. Fallait-il les tuer ou les faire prisonniers ?  Argument sans doute avancé : on peut leur faire subir le sort qu’eux-mêmes réservent habituellement aux « terroristes » tombés entre leurs mains.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 83 - juillet-août 2014

 

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Trésors d'archives > Guerres > La mort dun jeune réfugié lorientais fin juin 1944

Un dommage de guerre
La mort d'un jeune réfugié lorientais fin juin 1944


Le dimanche 25 juin 1944, c’était le pardon des chevaux à Kerdévot. Le recteur porte cette information dans son registre-journal : « Ce même jour, un jeune réfugié de Lorient, Jacques Le Mouël a été affreusement blessé par une grenade au Rouillen à quelques mètres plus bas que la maison André sur la route de Squividan. Diverses versions : il s'amusait avec cette grenade avec d'autres compagnons comme avec une balle ; il a voulu éviter que de jeunes enfants la touchent ? En fait, il a eu la main emportée, les poumons perforés ; transporté à l'hôpital, on lui a amputé la main sans l'endormir ; il est  mort le lundi à 13 heures et a été enterré le surlendemain ». Aucun journal ne fait état de cet accident. Seul, le Progrès du Finistère du samedi 1er juillet 1944 annonce, dans sa chronique quimpéroise de l’état-civil, le décès de « Jacques Le Mouel, célibataire, 19 ans, comptable, 3 rue de l’Hospice ». Sans plus. Et cependant, en 1954, une décision ministérielle vaudra à Jacques Le Mouël d’être reconnu « Mort pour la France » et son nom figurera sur le Monument aux morts de la commune.
 
 
◙ Ce que donne le procès-verbal de la gendarmerie.
 
Les trois gendarmes Kernoa, Guillaume et Brenner sont chargés de l’enquête. Ils se rendent sur les lieux le dimanche même, « informés qu’un accident venait de se produire vieille route de Lestonan en Ergué-Gabéric, et que plusieurs personnes avaient été blessées par l’éclatement d’un enfin explosif » (ADF. 200W77). Quand ils arrivent, la Feld-gendarmerie de Quimper est déjà sur place, qui « nous dit qu’un engin explosif, vraisemblablement une grenade, qui était placée dans un des trous creusés sur la route, et destinés à la pose des mines, avait explosé, et que plusieurs personnes étaient blessées ». Puis « le docteur Quéméré de Quimper, présent, nous déclare que deux jeunes gens, dont l’état de l’un était très grave venaient d’être transportés à l’hôpital de Quimper, et que deux enfants avaient été conduits à la clinique du Docteur Pilven à Quimper ». 
 
Les gendarmes se rendent alors à l’hôpital, où ils peuvent entendre à 21 heures l'un des deux jeunes gens blessés, Gilbert Guinet. Ils reprennent leur enquête le surlendemain, 27 juin, pour interroger les 5 autres témoins qui faisaient partie du groupe, et également deux promeneurs qui se trouvaient sur les lieux au moment de l’accident. Sept jeunes s’en allaient à la « piscine » à St-Denis, en cette fin d’après-midi de dimanche… 
▪ Gilbert GUINET, né à Ergué-Gabéric le 5 mai 1926, habite Cité Lebon à Ergué-Armel.
▪ Jacques LE MOUËL, né le 24 juillet 1924 à Lorient, comptable à la Compagnie Lebon, demeurant au Bourg d’Ergué-Gabéric. Il est donc à un mois de ses 20 ans.
▪ Félix HEIMOT, né le 11 janvier 1925 à Ergué-Armel, mécanographe à la Compagnie Lebon et demeurant Cité Lebon à Ergué-Armel.
▪ Henri THEPOT, né le 27 décembre 1926 à Quimper, menuisier, demeurant 26 route de Coray à Ergué-Armel.
▪ Pierre KERMAIDIC, né le 29 juin 1926 à St-Renan (Finistère), mécanicien, demeurant 72 route de Rosporden en Ergué-Armel.
▪ Michel MORVAN,  né le 23 juillet 1925, à Ergué-Armel, plombier, demeurant 52 route de Rosporden à Ergué-Armel.
▪ et Jean LAVANANT, né le 3 octobre 1926 à Ergué-Armel, apprenti ajusteur demeurant Cité du Gaz à Quimper.
 
Chacun des six jeunes interrogés déclare avoir eu le même emploi du temps ce dimanche :  
« Aujourd’hui, 25 courant, j’ai assuré la garde du câble souterrain Quimper-Nantes, de 12 h à 18 h. J’ai quitté mon poste à la fin de mon service et me dirigeais vers Saint-Denis, avec l’intention de m’y baigner. » « J’ai assuré le service de garde aux fils téléphoniques à Ergué-Armel, de 12 h à 18 h. Mon service terminé, je me suis dirigé, en compagnie de plusieurs camarades, dont Le Mouël Jacques et Guinet Gilbert, dans la direction de St-Denis. Nous avions l’intention de nous rendre à la piscine »
Après avoir franchi le passage à niveau de l’Eau Blanche, ils ont traversé la route de Coray et se sont engagés sur la « vieille route de Lestonan » en deux groupes distants d’une dizaine de mètres. Morvan raconte : « A environ 100 mètres de la route de Coray, à l’endroit où la route est minée, j’ai vu un emplacement de mine, dont le couvercle était enlevé et déposé à proximité. Par curiosité, j’ai regardé dans cet endroit, et j’ai vu un engin de couleur marron et de forme ovale. Je l’ai pris, et après l’avoir examiné, je l’ai passé à d’autres camarades. Ceux-ci, après l’avoir regardé, me l’ont remis. Mon camarade Le Mouël Jacques, qui se trouvait à 5 ou 6 mètres de moi, m’a dit de lui passer cet engin pour le remettre à l’endroit où je l’avais pris. J’ai roulé cet engin sur la route, et Le Mouël s’en est saisi ». 
Les témoignages concordent ; la plupart disent avoir vu une des caissettes ouverte, couvercle posé à son côté : « à l’endroit où des trous ont été creusés par les troupes d’occupation pour la pose de mines, nous avons aperçu dans l’un de ces trous, dont le couvercle en bois était enlevé, un engin explosif, paraissant être une grenade ou un détonateur. Mon camarade Morvan s’en est saisi, à l’effet de l’examiner, par curiosité ». Et la grenade a passé entre plusieurs mains, pour revenir dans celles de Morvan qui « l’a jetée sur la route ». « C’est à ce moment que Le Mouël Jacques s’en est saisi, avec l’intention de la jeter dans le bois à proximité. Il l’avait depuis quelques secondes dans la main, lorsqu’elle fit explosion », déclare Guinet. Celui-ci poursuit : « Mon camarade a été blessé grièvement. Sa main a été arrachée ; il a en outre des éclats dans tout le corps et a été transporté à l’hôpital aussitôt. J’ai reçu des éclats dans la jambe gauche. Néanmoins, j’ai réussi à regagner mon domicile. »
Helmot : « Après l’explosion, il s’est dégagé une fumée opaque, et cette fumée dissipée, j’ai aperçu mon camarade Le Mouël couché dans le fossé droit, en direction de la papeterie. Je me suis empressé d’accourir, pour voir ce qu’il avait, et j’ai constaté que son poignet droit était arraché, et qu’il avait été atteint par plusieurs éclats sur tout le corps. Mon camarade Guinet a également été blessé à la jambe ». « Affolés par ce bruit », Kermaïdic, Thépot et Morvan, se sont « sauvés en courant vers l’Eau blanche ». Lavanant et Helmot sont restés sur place. Lavanant : « Quand j’ai entendu la détonation, je me suis retourné et j’ai vu Le Mouël couché dans le fossé. Il avait le poignet droit arraché et un morceau de l’oreille droite enlevé. Tous les autres camarades, sauf Félix Helmot et moi, se sont sauvés en entendant l’explosion. J’ai ensuite été aidé par un jeune homme qui travaillait dans un champ à proximité, à transporter le blessé jusqu’au débit André, route de Coray, où l’ambulance est venue le prendre quelque temps après ». Au moment où les cinq derniers témoins sont interrogés, ils disent avoir connaissance de la mort de leur camarade Jacques Le Mouël, survenue le lendemain de l’accident à 13 h 30. Les six jeunes gens n’ignorent pas non plus « que deux enfants avaient été également atteints. Ces enfants étaient accompagnés de leurs parents, et nous venions de les croiser un petit moment avant l’explosion » (Lavanant). 
 
Les gendarmes interrogent les parents. D’abord René COURTé, né le 5 septembre 1912 à Douarnenez, chauffeur à la SNCF et demeurant 14 rue de Chateaubriand à Ergué-Armel : « …vers 18 h 45, je me promenais en compagnie de ma femme, ma fille Marie-Renée, âgée de 4 ans ½, et de la famille Mésange, demeurant 9 rue de Chateaubriand à Ergué-Armel. Nous revenions de la piscine de Saint-Denis et rejoignions la route de Coray en passant par le moulin de St-Denis en Kerfeunteun. Arrivés à l’intersection de la vieille route de Lestonan, en Ergué-Gabéric, le chemin que nous empruntions, nous avons croisé un groupe de jeunes gens de cinq ou six, qui descendaient la côte. L’un d’eux tenait un engin à la main, paraissant être une grenade, et a dit qu’il allait la jeter à l’eau. Je leur ai dit qu’il valait mieux laisser cet engin tranquille et qu’il était peut-être dangereux de jouer avec. Nous avons continué notre route, et après avoir parcouru quelques mètres, j’ai entendu derrière nous une forte explosion. Je me suis retourné et j’ai entendu ma petite fille, qui était par la main avec le petit Mésange Gérard, appeler sa mère. Je me suis précipité vers elle, et j’ai constaté qu’elle avait une blessure au-dessus de l’oreille gauche, et que le petit Mésange portait des blessures à la main gauche et aux deux jambes. J’ai aperçu également un jeune homme tomber, mais je ne me suis pas soucié de lui. J’ai pris ma fille dans mes bras et l’ai transportée au Café André, où l’ambulance de Quimper est venue la prendre pour la transporter à la clinique du docteur Pilven. Elle a subi sur le champ l’opération du trépan. Actuellement elle se trouve en traitement dans cet établissement, où le médecin traitant vient de me déclarer qu’il ne peut encore se prononcer sur son état. » La déposition de Madame Robert Mésange, née Paule BABIN, tante du petit garçon blessé, est quasi identique.
 
L’enquête est ainsi conclue : « L’accident, dû à l’explosion d’un engin, soit une grenade ou un détonateur, s’est produit sur la vieille route de Lestonan, à environ 100 mètres de la route de Coray. A cet endroit, il existe sept trous, d’une profondeur de 15 centimètres. L’un des couvercles en bois a été enlevé et posé à proximité. D’après plusieurs personnes, le couvercle a été enlevé depuis plusieurs jours, mais nous n’avons pu savoir par qui ».
 
 
◙ Un dispositif anti-chars autour de Quimper
 
En cette fin juin 1944, les Allemands en occupation à Quimper se préparent à l’arrivée aux portes de la ville des chars alliés, pour l’instant retenus en Normandie. Ils ont déjà pris des mesures de défense telles que, à L’Eau Blanche, le barrage de la route de Rosporden, constitué par des épaulements en béton de chaque côté de la route formant une chicane ; la route était ainsi ramenée à la largeur d’une seule voie, et celle-ci était fermée par des chevaux de frise. Ce dispositif anti-blindés était complété par des mines anti-chars. Cette description nous est fournie par le Lieutenant Nicolas, chef FFI du secteur Est, dans son récit de la libération de Quimper (ADF 208 J 155).
Sur la « vieille route de Lestonan », c’est un dispositif plus simple qui a été installé. Le Lieutenant Nicolas raconte : « Dans toutes les routes autour de Quimper, on a creusé des trous faisant environ 40 cm au carré et autant de profondeur. Ces trous sont garnis d’un coffrage en bois avec tampon en bois pour la fermeture. Ils sont destinés, le moment venu, à recevoir des mines anti-chars ». Il précise que ces trous ont été creusés par des Français réquisitionnés par l’intermédiaire de la mairie et encadrés par l’Organisation Todt ou par des soldats allemands. 
Il raconte ensuite : « Vers le 19 ou le 20 juin […] on m’avait demandé de faire enlever les coffrages que les Allemands avaient fait mettre en place aux entrées Est de la ville au travers des routes […] Ces coffres ou boîtes étaient fermés par de solides tampons de bois situés au niveau de la route et ne gênant pas la circulation. Il suffisait d’enlever les boîtes, et les trous finiraient par se remplir de par la circulation des véhicules ».
Deux volontaires se proposent pour la mission. « Ils partent en début d’après-midi, connaissant bien les coffrages des diverses entrées Est de la ville de Quimper. Marchant en poussant leur vélo, ils allaient atteindre le moulin Saint-Denis sur la route de Coray pour enlever les premiers coffres lorsqu’un ''halt !'' retentissant et très germanique leur fit lever la tête pour voir deux superbes feldgendarmes dissimulés en haut du talus bordant la route. C’est la surprise. Pas question de fuir : les mitraillettes sont braquées sur eux ». Cela s’est probablement  passé à l’endroit même où a eu lieu l’accident qui, quelques jours après, a fait un mort et trois blessés. Les chars alliés n’auront pas à entrer dans Quimper.
 
 
◙ Qui a deposé cette grenade ? 
 
Est-ce par souci réel de la sécurité de la population quimpéroise, en particulier celle des enfants, que, le 17 juin, le Feldkommandant Von Coler avait demandé au préfet d’interdire de toucher aux caisses à mines fixées dans la chaussée des routes (voir ci-dessous la lettre au préfet datée du 17 juin) ? Ces caisses sont pour l’instant vides de tout explosif. Si on les déterre, le risque serait celui lié aux « nids de poule » dans la route. Si on enlève uniquement le couvercle, la caisse, se remplissant peu à peu de détritus et d’eau, deviendra inutilisable dans sa destination. Le Feldkommandant sait très bien que les « terroristes » ont entrepris de visiter ces dispositifs anti-chars pour les neutraliser. C’est pourquoi, dans le même temps, il les fait surveiller par ses gendarmes placés en embuscade.
Qui a bien pu déposer une grenade dans l'une de ces caisses au départ de la « vieille route de Lestonan » ? L’enquête ne le dit pas. Ce peut être quelqu’un, résistant ou pas, qui avait besoin de se débarrasser d’un objet compromettant : il aurait facilement trouvé un endroit plus discret pour le déposer. Soit, mais le fait de placer cette grenade dans cette caisse, un jour où cette route est fréquentée par tous ces promeneurs à pied, peut aussi être une manœuvre délibérée servant à illustrer la mise en garde du Felkommandant aux saboteurs : « Ne touchez pas aux caisses à mines ! ». 
 
Visuel ci-dessous : acte de décès de Jacques Le Mouël

Acte de décès Le Mouel Jacques DSC 1604

 
Notes
1. Nom de l’actuelle « Route du Stangala »
2. En fait, les mines ne sont pas encore déposées dans les caissons qui doivent les recevoir.
3. Ils seront conduits par les deux Allemands, à pied, le vélo à la main, jusqu’à la gendarmerie allemande située face à la gare. Interrogés pendant 2 heures, ils sont soupçonnés d’être des « terroristes ». A force d’astuces, ils arriveront à se faire libérer…
 
 
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Une famille lorientaise réfugiée au Bourg
 
Réfugiés lorientais 1943
Le 16 janvier 1943, le préfet du Finistère est informé qu’un train de réfugiés venant de Lorient arrive en gare de Quimper dans le quart d’heure qui suit. Ils fuient les frappes aériennes qui ont lieu sur cette ville (voir photo ci-contre: Lorientais fuyant les bombardements de 1943, © Ouest France, 07/11/2009.). Le Felkommandant Fischer réagit : tout hébergement de réfugiés doit avoir obtenu son accord préalable. Réponse du préfet le lendemain : « les rares réfugiés qui, à leur arrivée, ne savaient où se rendre, ont été dirigés par mes soins en dehors de la zone côtière, sur les localités de Briec (39 réfugiés) et d’Edern (16 réfugiés) » (ADF 200W16). Les quelques personnes qui arrivent à Ergué-Gabéric ont donc peut-être choisi cette commune. Parmi eux, la famille Le Mouël. 
Le père, Jean-Louis Le Mouël, né en 1881 (61 ans), est un ancien ouvrier de l’arsenal de Lorient. Il habitait au 13, rue de l’assemblée nationale avec son épouse Jeanne Brivoal, 57 ans. Leur logement a été détruit. Ils habitent désormais au Bourg d’Ergué-Gabéric, où les ont accompagnés :
▪ leur fille Jeanne, 32 ans, et le fils de celle-ci, Jean Le Tallec, 8 ans ; elle habitait 12 rue de Liège à Lorient (logement détruit), et était couturière en journée. 
▪ leur deuxième fille, Suzanne, 20 ans, et le mari de celle-ci, Henri Gourlet, né le 24 juillet 1919 (23 ans), ont également abandonné leur maison partiellement endommagée. Ils ont un bébé de quelques semaines. Henri Gourlet travaillait aussi à l’arsenal de Lorient comme mécanicien. 
▪ enfin leur fils Jacques, qui a 19 ans. (ADF 178W4).
Au 23 janvier, la préfecture a recensé dans 146 communes sur les 301 que compte le Finistère, soit un total de 1 973 réfugiés lorientais. La Feldkommandantur insiste pour que ces réfugiés quittent le département pour pouvoir assurer aux troupes d’occupation les cantonnements dont elles ont besoin. Le séjour des Lorientais ne sera autorisé que pour certaines situations précises : « séjour chez des ascendants ou descendants, maladies graves, femmes en couches, vieillards intransportables (des certificats médicaux doivent être joints), travail pour les autorités allemandes (avec certificat de l’unité ou de la firme qui emploie le réfugié) ». (Lettre du préfet aux maires, le 16 mars 1943. ADF 200W17). Effectivement, Henri Gourlet souscrit un engagement au titre du Service du Travail Obligatoire et part en Allemagne le 29 mars 1943. Il travaillera à Stettin (en Pologne actuelle), dans une entreprise allemande de transport (Lehmann-Bauër) comme mécanicien-chauffeur (ADF 178W4). Il sera rapatrié le 18 juin 1945. C’est peut-être ce départ au STO qui aura permis à l’ensemble de la famille Le Mouël de rester à Ergué-Gabéric. En ce qui concerne le jeune Jacques Le Mouël, arrivé à Ergué-Gabéric le 16 janvier 1943, l’allocation due aux réfugiés civils indigents lui est versée à partir de ce jour jusqu’ au 30 avril 1943 (ADF 1W19), ce qui signifierait qu’il a disposé de ressources suffisantes à partir du 1er mai. Ce serait peut-être donc à partir du 1er mai 1943 qu’il aurait bénéficié d’un emploi de comptable à la Compagnie Lebon (ADF 200W77). Il décède le 26 juin 1944 et son corps est inhumé à Ergué-Gabéric.
Jean-Louis Le Mouël et sa femme quitteront Ergué-Gabéric à la fin du mois de juillet 1946, tandis que leur fille Jeanne et le jeune fils de celle-ci y resteront encore jusqu’à la fin mai 1947. Tous les quatre avaient été enregistrés comme domiciliés au Bourg lors du recensement de 1946.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 85 - décembre 2014

 

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Trésors d'archives > Guerres > Yves Le Gars

Itinéraire d'un Gabéricois dans la Grande Guerre
Yves Le Gars

 
Né à L’Ile-Tudy le 8 septembre 1895, de Yves, marin-pêcheur, et de Henriette Cluyou. Son père disparaît en mer le 19 février 1900 à la suite du naufrage de son bateau, Le Petit Mousse (voir encart couleur).
 
Le Gars Yves Grande Guerre Ergué GabéricMalgré la mort de son père dans un naufrage, Yves Le Gars embarque à son tour comme mousse, le 5 juillet 1909, sur le Saint-Antoine. Mais la pêche est un métier bien trop dangereux et difficile pour le jeune garçon de 14 ans, qui débarque dès le 8 septembre suivant. Sans doute sollicité par les autorités, à une époque où les aides institutionnalisées n’existent pas, René Bolloré propose alors au jeune mousse un embarquement plus confortable sur le yacht La Linotte, goélette à vapeur de sa belle famille, les Thubé (voir encadrés p. 9), à Nantes. Il navigue ainsi durant toute la saison estivale 1910, de mai à septembre. Selon la tradition familiale, c’est en 1912 que Yves Le Gars est embauché à la papeterie Bolloré, à Odet. Pourtant, on le retrouve sur deux bateaux de pêche inscrits à Pont-l’Abbé, L’Elise et Le Petit René, de janvier 1913 à février 1914. Et il est inscrit maritime définitif le 20 janvier 1914. Le 4 mars 1915, Yves Le Gars est mobilisé au 2e dépôt de la marine à Brest comme matelot de 3e classe. Mais ce même jour, la commission de réforme du 2e arrondissement le reconnaît impropre au service à la mer et exclusivement utilisable dans un service de la marine à terre. A la suite d’une hospitalisation, du 16 mai au 7 juin 1915, il bénéficie d’un mois de convalescence qu’il passe à l’Ile-Tudy. Le 15 avril 1916, il est affecté à l’artillerie du front de mer à Brest. Le 1er janvier 1917, il est promu matelot de 2e classe et le 16 avril il est nommé télégraphiste. Le 16 mai 1917, il est affecté à Rochefort, aux patrouilles du golfe de Gascogne, mais son embarquement est annulé. Il est alors affecté au 4e dépôt de la flotte des équipages à La Rochelle. Le 1er janvier 1918, il est affecté au centre administratif de Rochefort, détaché au Bataillon de recrutement de La Rochelle. Le 28 septembre 1918, il obtient officiellement son titre de matelot-télégraphiste des arsenaux (mais il en touchait la solde depuis septembre 1917). Le 15 octobre 1919, il est placé en congé illimité et se retire à Odet, en Ergué-Gabéric, avant d’être définitivement démobilisé le 4 mars 1920. Entre-temps, en 1918, son jeune frère Joseph, était mort de la grippe espagnole, quelques jours après sa mobilisation dans la marine, à Brest. Dès le 17 juin 1919, Yves Le Gars avait épousé, à Ergué-Gabéric, Jeanne Niger, couturière, dont le père (conducteur de machine à papier) et les sœurs travaillaient à la papeterie. Il effectuera lui-même toute sa carrière aux Papeteries de l’Odet, aux machines à papier tout d’abord, puis comme conducteur de la centrale thermique, avant de terminer garçon de laboratoire. Il décède à Quimper le 18 février 1979.
 
 
Le naufrage du Petit Mousse
En février 1900, un enchaînement de tempêtes, comme rarement vues, est la cause de plusieurs naufrages. Voici en quels termes le journal Le Finistère relate celui du Petit Mousse, bateau de pêche de l’Ile-Tudy : 
▪ « Le 21 février – On peut dire que depuis le 10 février 1900, la tempête a été permanente. Les accalmies ont été courtes dans l’intérieur et sur la côte, le vent ne cesse de souffler avec plus ou moins de violence suivant les heures. Dans la nuit de dimanche à lundi dernier, une nouvelle bourrasque s’est abattue sur Quimper sans occasionner de dégâts nouveaux. Hier, à 3 heures précises, un grain violent, vent, pluie et grêle, survenait brusquement, après quelques heures de soleil. Jamais pareilles perturbations atmosphériques n’ont été constatées. Les marins-pêcheurs ne sortent pas, ou s’ils prennent la mer, ils se tiennent aussi rapprochés des côtes que possible de peur de ne pouvoir fuir à temps les bourrasques qui éclatent tout à coup. La mer est d’ailleurs très dure ».
▪ « Concarneau, le 20 février – Au risque d’être engloutis, quelques audacieux marins n’en ont pas moins tenté des sorties au large. On a trouvé ce matin, dans la baie de La Forêt, le rôle d’équipage du bateau de pêche Petit Mousse, n° 1 735, du port de l’Ile-Tudy, monté par neuf hommes. On craint que ce bateau ne se soit perdu corps et biens, hier dans la matinée, en voulant se réfugier à Concarneau ».
▪ « Le 24 février – Tous les jours la mer rejette à la grève de lugubres épaves, corps humains, ballots de marchandises, débris de mâture ou de bateaux, attestant le nombre et l’importance des sinistres occasionnés par le furieux ouragan du 13 au 14 et par les tempêtes qui ont suivi ».
▪ « L’Ile-Tudy – Le cadavre de Le Gall (Alain-Joseph), âgé de 31 ans, un des matelots du canot de pêche Petit Mousse, n°1 735, du port de l’Ile Tudy, dont nous avions annoncé la disparition, a été trouvé engagé dans un paquet de filets, mardi, vers 1 heure de l’après-midi, sur la grève de Kerlin, en Trégunc, par le brigadier des douanes Le Touze, du poste de Trévignon. Après les formalités d’usage, le corps a été transporté par mer à l’Ile-Tudy, où il a été inhumé. Le Petit Mousse a dû sombrer en baie de Concarneau, dans la nuit du 19 au 20 février. Il est actuellement engagé sur les récifs de la pointe de la Jument. Les avaries à ce canot sont de peu d’importance, ce qui laisse supposer que les hommes auraient été enlevés par une lame sourde. Un béret de marin, un sabot, six écuelles en terre et 46 maquereaux ont été trouvés sur le pont ».
▪ « Après le naufrage du Neptune quelques jours plus tôt, l’émotion est immense dans la région. Le préfet Collignon se déplace à l’Ile-Tudy "visiter les veuves et les orphelins", leur apportant avec des paroles de consolation un premier secours qu’il leur a distribué, en leur donnant l’assurance d’une sympathie qui saura se souvenir. »
Le bureau de bienfaisance de l’Ile-Tudy « a fait distribuer à nos malheureux pêcheurs 160 pains de 5 kilos Cette distribution était nécessaire, car la misère est grande parmi eux. Depuis longtemps on n’avait pas vu un hiver aussi long et une série de tempêtes aussi continue et aussi fertiles en sinistres. Le mauvais temps empêche les pêcheurs de sortir du port et de rien gagner pour leurs besoins et ceux des leurs »
Le maire de la commune, M. Séchez lance un appel à l’aide, via la presse : « Quatorze marins ont trouvé la mort, laissant derrière eux 11 veuves et 25 orphelins. Les secours que l’administration de la marine ne manquera pas de leur accorder ne sauraient empêcher la charité privée de s’exercer. Je viens faire appel, au nom de la malheureuse population que je représente, bien persuadé que le concours de votre publicité sera acquis à cette cause, comme celui de tous les journaux auxquels je m’adresse en même temps qu’à vous ». Deux mois plus tard, l’on retrouve encore de « lugubres cadavres ». Le 12 avril, l’on découvre « au sud de l’île Verte, le cadavre décomposé d’un homme qu’on suppose appartenir à l’équipage du Petit Mousse, naufragé dans la tempête de février dernier ». Le surlendemain c’est, « dans les mêmes parages, la découverte d’un cadavre en décomposition qui paraît provenir aussi du naufrage du Petit Mousse ». Enfin, le 20 avril, c’est devant Le Guilvinec qu’un marin-pêcheur aperçoit un cadavre flottant qui « été reconnu pour être celui du sieur Le Gars, Yves, âgé de 33 ans, marin-pêcheur à l’Ile-Tudy. Cet homme faisait partie de l’équipage du Petit Mousse, qui s’est perdu corps et biens le 19 février dernier. Le Gars était marié et père de trois enfants ».
 
 
Le yacht La Linotte
Le yacht La Linotte BolloréIngénieur civil Eugène Pérignon est un pionnier de la plaisance à vapeur. En 1868, il fait construire La Fauvette, un yacht de 214 tonneaux pour 38, 3 mètres de longueur. En 1888, il fait construire en Angleterre La Linotte, goélette à vapeur de 90 tonneaux, 30 m. de longueur, d’une puissance de 200 chevaux, « type charmant de petit bateau à vapeur rapide, apte à la fois à la navigation de mer et à celle de rivière ». Malgré ses faibles dimensions, La Linotte a de larges emménagements et peut offrir une très noble hospitalité et peut offrir une très noble hospitalité à plusieurs passagers. Sa marche dépasse 12 nœuds, ce qui représente une remarquable « utilisation de la puissance de la machine ». Par la suite Eugène Pérignon fait construire une deuxième Fauvette, avant de décéder à Paris en 1900. C’est sur ce dernier bateau, achetée la même année par sa mère, que Virginie Herriot débuta, comme mousse, une prestigieuse carrière de navigatrice. Quant à La Linotte, c’est en mars 1909 que Gaston Thubé, riche armateur nantais, après avoir fait carrière dans la magistrature, l’achète au Havre, à un dénommé Champrobert. Le yacht rejoint Nantes, son nouveau port d’attache le 10 mars. En mai, Yves Le Gars embarque comme mousse pour participer à la croisière inaugurale de son nouveau propriétaire, un tour de Bretagne. La Linotte est aux Sables-d’Olonne le 9 juillet, au Pouliguen le 12, avant d’arriver finalement à Saint-Malo le 20. Réquisitionnée par la marine nationale à Dieppe le 28 juillet 1916, La Linotte est transformée en patrouilleur auxiliaire. Libérée le 7 février 1919, on la trouve sans doute ensuite comme bateau promenade au Tréport. En souvenir de ce bateau de famille, Marie Amélie Thubé, fille de Gaston Thubé et épouse de l’industriel René Bolloré, donne le nom de Linotte II à une barge hollandaise qu’elle a fait construire, et sur laquelle son fils Gwen-Aël fait ses premières armes de marin, comme mousse. Devenu marin confirmé à son tour, celui-ci achète en 1948 un grand voilier construit lui aussi en Hollande, en 1933, par Camper-Nicholson, sur un plan de l’anglais Halden, et qu’il baptise Linotte III. Ce bateau sera vendu en 1972. Mais le nom de ce charmant petit passereau, quelque peu écervelé à ce qu’il paraît, ne fut pas l’apanage des familles Thubé-Bolloré. Il a donné son nom à bien d’autres bateaux.
 
 
De fameux navigateurs
La famille Thubé s’est particulièrement distinguée dans le monde de la voile. Gaston Thubé fils, beau-frère de René Bolloré, est le premier champion olympique français en voile. Avec ses frères, Jacques et Amédée, il remporte la médaille d’or aux jeux olympiques de Stockholm en 1912, sur le Mac Miche, un 6 mètres JI, devant l’équipage suédois. Il meurt en son château, à Saint-Marc-sur-Mer, en 1974, âgé de 98 ans.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par Jean-François Douguet - Keleier 85 - décembre 2014

 


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Coup du STO : le rapport du lendemain par le commissaire Bodiguel

François Ac'h

 

Croquis des lieuxPour les Gabéricois, la date du 14 janvier 1944 est une grande référence historique. C’est ce vendredi soir, en fin d’après-midi, que quatre jeunes d’Ergué-Gabéric, Fanch Balès, Pierre Le Moigne, Jean Le Corre et Hervé Bénéat, participèrent à l’enlèvement, dans les bureaux du Service du travail obligatoire à Quimper, de l’ensemble des dossiers des jeunes Finistériens désignés ou à désigner pour aller travailler en Allemagne. Pendant une bonne partie de la nuit, ils brûlèrent cette masse de papier dans le four de la boulangerie Balès, au Bourg. 
 
Nous reproduisons ici le rapport établi dès le 15 janvier par le Commissaire Bodiguel et le plan des lieux qui l'illustrait.
 
Quimper, le 15 janvier 1944.
 
Le Commissaire de police à Monsieur le Préfet du Finsitère
 
OBJET : Cambriolage du STO, boulevard de Kerguélen à QUIMPER.
 
J'ai l'honneur de vous rendre compte de ce que le 15 janvier 1944 à 9 h 30 j'ai été avisé que le Service Départemental du Commissariat Intermi-nistériel à la Main d'Œuvre, dont les locaux sont situés boulevard de Kerguélen à QUIMPER, avait été cambriolé pendant la nuit précédente et que l'on s'en était aperçu seulement à la prise du travail. Immédiatement je me suis rendu sur les lieux accompagné du Secrétaire LE JACQ et de l'Inspecteur de Sûreté BLEUZEN, de mon service. Avec M. LANTHEAUME Louis, né le 9 avril 1894 à MENGLON (Drôme), Directeur du service, j'ai constaté que dans le bureau A (voir croquis schématique annexé), tous les dossiers contenus dans les casiers muraux avaient disparu. Il s'agit des fiches de recensement des classes 1939 (4e trimestre) 1940-41-42, de la liste des hommes appartenant aux classes 1932 à 1939 (1er, 2e et 3e trimestres) et de la liste des hommes âgés de 18 à 50 ans, documents concernant les 301 communes du département du Finistère.Dans le bureau B les câbles du standard téléphonique et de l'appareil « de table » ont été sectionnés, et des circulaires administratives ainsi que le courrier qui se trouvaient placés sur des tables ont disparu. Dans le bureau directorial C, contigu au précédent, l'installation téléphonique a été rendue inutilisable et environ 500 imprimés de carte de travail ont été dérobés. 
Dans le bureau D, seuls deux timbres en caoutchouc paraissent avoir été emportés. 
 
Les portes d'accès à ces divers bureaux, qui avaient été fermées à clé hier soir à 18 h 35 en présence du Directeur, ne portent aucune trace d'effraction et ce matin, toutes à l'exception de celle du bureau D, étaient encore fermées à clé. Aucune fenêtre n'a été « forcée ». Il semble donc que les cambrioleurs se sont servis de clés. D'ailleurs les serrures de ces portes sont des plus ordinaires, étant donné que les bureaux dont elles commandent l'accès ne sont que les anciennes salles de classe de l'Ecole privée de l'Espérance.
 
Continuant mes investigations, j'ai découvert dans la cour intérieure et près de l'allée de sortie deux documents émanant du STO et perdus vraisemblablement par les cambrioleurs, qui semblent donc avoir emprunté ce chemin. Deux blouses appartenant à des membres du personnel du STO ont été découvertes sur les marches du perron de l'Office du Travail. Elles ont servi, sans doute, à transporter des dossiers.
 
Confirmant cette hypothèse, Melle KERAVEC Marie-Jeanne, 23 ans, demeurant à Tréguennec et GOULARD Yves, 18 ans, demeurant à Lothey, employés à l'Office départemental du travail, dont le local est contigu au bureau D, ont déclaré qu'hier soir vers 18 h 45, ils avaient remarqué trois à quatre hommes, dont l'un vêtu d'un pardessus et portant chacun un sac sur l'épaule, traverser la cour, se dirigeant vers la sortie du boulevard de Kerguélen où stationnait une voiture automobile, conduite intérieure d'un modèle non aérodynamique, donc assez ancien. Ils avaient pensé qu'il s'agissait de marchandises provenant du service allemand. Or ce dernier n'a transporté ou fait transporter dans cette cour que du charbon vers 17 h. D'autre part, contrairement à l'habitude, le portail de l'entrée du boulevard de Kerguélen, qui était fermé par des militaires allemands tous les soirs à 18 h 35, à l'aide d'une chaîne enserrant les montants internes des deux battants, ne l'a été hier soir qu'après 19 h. Ce matin à l'heure de l'ouverture, c'est-à-dire 8 h, cette chaîne était intacte. En outre, les deux autres issues permettant d'accéder à la cour intérieure sont contrôlées effectivement, l'une par les militaires allemands et l'autre par le personnel de l'Ecole de l'Espérance, occupant diverses parties de l'établissement. Aucun individu n'a pénétré ou n'est sorti par ces issues. M. le Chef du service local de la Sûreté allemande et MM. HIMPELEY et SCHMITT-KOPPEN, de la Feldkommandantur, se sont rendus sur les lieux. 
 
M. KERNEIS Louis, né le 15 novembre 1921 à CHATEAULIN, demeurant 17 rue Pen ar Steir à QUIMPER, a été conduit à la Sûreté allemande pour y subir un interrogatoire, vraisemblablement parce qu'il est l'employé qui a fermé les bureaux B et C et qui a reçu des mains de M. HAMON Yves, né le 8 mai 1895 à GOUEZEC, demeurant 9 rue de Locronan à QUIMPER, la clé du bureau A. 
 
Ce cambriolage a été signalé à l'Intendance de police (trois services régionaux) et diffusé à la Cie de gendarmerie du Finstère, à tous les  commissariats du département et à la Sûreté allemande à QUIMPER. L'enquête est effectuée en envisageant notamment une corrélation possible entre ce cambriolage et l'agression à main armée commise le même jour vers 19 h 15, 22 rue de Pont-l'Abbé à QUIMPER.
 
LE COMMISSAIRE DE POLICE,
Gabriel Bodiguel 
 
 
Avis de menaces sur le commissaire Bodiguel ADF200W73 DSC 4660Le rapport des pages précédentes est établi à partir d'une enquête effectuée par le commissaire Bodiguel et l'inspecteur Bleuzen. Gabriel Bodiguel ne manifeste pas de tolérance particulière pour les « terroristes », en particulier les communistes. D’abord instituteur public, il a passé le concours de Commissaire de police et pris son premier poste en 1938 à la tête de la police municipale de Concarneau. Il rejoindra Quimper le 5 août 1941. Il se mettra prudemment en maladie le 21 janvier 1944, après avoir pris connaissance d’une affiche de menaces de mort le concernant, collée rue du Steïr. Elle est rédigée par le 3e détachement des FTPF.
A ses côtés, l’inspecteur de Sûreté René Bleuzen. Né en décembre 1914 à Tourc’h. D’abord gardien de la paix à la police municipale à Brest, il rejoint Quimper en mars 1943. A l’occasion de son passage de la police municipale à la police d’Etat, il est devenu inspecteur, chargé de l’organisation du service (inspecteur de la Sûreté). En septembre 1943, il entre à « Libé-Nord », alors que la chasse aux « réfractaires » au STO bat son plein. Dans les journées de la Libération de Quimper, il se montrera très actif et très efficace. Il est décédé à Bénodet fin mars 2012, à 97 ans.
 
 
 
 
 
Le coup du STO Jean Le Corre Fanch Balès Hervé Bénéat et Pierre Le MoigneLe « coup du STO », vu 70 ans après 
 
Haut fait de la Résistance à Quimper, le « coup du STO » n’est pas à considérer isolé de tout son contexte : il faut le situer dans une succession d’évènements, que nous évoquons ici.
 
Janvier 1943. l’Allemagne réclame de plus en plus de travailleurs français dans ses usines, et Vichy instaure le 16 février un Service de travail obligatoire qui se substitue à des formules comme « la Relève » qui invoquaient le volontariat. Désormais, le Reich, qui retient déjà plus d'un million de prisonniers de guerre français dans ses frontières, réquisitionne aussi la jeunesse de France, comme elle réquisitionnait déjà le beurre, l’avoine, les chevaux, les logements, les voitures… 
 
1er mars 1943. Rapport du Préfet au Feldkommandant : « le recensement des jeunes gens nés en 1920-1921-1922 est en cours et sera terminé le 4 mars. Les désignations s’effectueront d’après le résultat du recensement actuellement en cours ».
 
24 mars 1943. Lettre véhémente du Feldkommandant au préfet : les ouvriers défaillants conduits au camp d’hébergement surveillé, installés à l'hôpital Gourmelen, sont examinés quatre jours consécutifs par quatre médecins français différents, avec des appréciations sensiblement différentes. Décision : désormais les nouveaux arrivants au camp seront examinés par un seul médecin français, et tous les ouvriers estimés inaptes par ce médecin seront conduits le jour même, sous garde de police, en contre-visite par le médecin-chef de la Kommandantur.
 
12 avril 1943. Le Préfet visite le camp de Lanniron qui pourrait servir de « centre d’hébergement surveillé pour les défaillants ». Il précise au Feldkommandant : « pour éviter toute évasion, il y aura lieu de mettre quatre rangées supplémentaires de fils barbelés ». Le centre restera à l'hôpital Gourmelen.
 
10 mai 1943. L’Office départemental du travail est transféré de Brest à Quimper : la Felkommandantur a réquisitionné pour les Services du travail obligatoire le rez-de-chaussée de l’école de l’Espérance, 9 rue du Frout (trois pièces, ainsi que deux pièces à aménager, véranda) (lettre du Felkommandant Braun au préfet, le 3 mai 1943).
 
1er juin 1943. Le Feldkommandant Braun demande au Préfet de procéder également au recensement des jeunes nés au dernier trimestre 1919.
 
Mars à juillet 1943.  C’est la période où l’appareil de réquisition pour le STO bat son plein : convocations en vue du recensement des jeunes gens par commune, remise d’un « certificat de recensement », visites médicales, établissement de listes d’astreints au STO et d’exemptés, établissement d’un certificat de travail individuel (remplaçant le « certificat de recensement ») à présenter avec la carte d’identité pour tout acte administratif, opération postale, retrait de ticket d’alimentation, contrôle de police… Le défaut de carte de travail vaut désignation automatique pour le STO.
 
Les « défaillants » ou « réfractaires » sont très nombreux. Les autorités allemandes et la police française les recherchent, et pour cela répètent des convocations en mairie. Les réfractaires évitent de se présenter. Les tentatives pour les piéger ne manquent pas, par exemple la distribution des titres d’alimentation organisée à leur intention à une date séparée. (A Quimper, le 1er juillet, un seul sur les 80 jeunes qui se présentent a une carte non valable).
 
Le commissaire aux Renseignements généraux Soutif note dans son bulletin hebdomadaire du 20 au 26 juin 1943 : « L’état d’esprit de la population reste toujours très hostile au travail obligatoire et cette hostilité tend à gagner tous les milieux. Des gens qui semblaient ne pas avoir pris parti jusqu’alors à ce sujet ou qui avaient réservé leur opinion annoncent avec une pointe de satisfaction qu’ils ont appris qu’avec la Savoie et quelques départements du Centre, le Finistère est une des régions où le recrutement est le moins satisfaisant » (BHR 1943, n°22). Il compte pour quatre jours (les 19, 22, 23 et 24 juin) et sur l’ensemble du département 1620 convocations, auxquelles n’ont ré-pondu que 25 jeunes.
 
Semaine suivante, 27 juin au 3 juillet, le même Soutif écrit : « L’hostilité de la population à l’égard du STO va croissant. En ville, de petits rassemblements se forment au passage des jeunes gens conduits au centre d’hébergement par les gendarmes, et les gens ne craignent pas de manifester à haute voix leur indignation. Dans les campagnes, un vaste élan de solidarité prend corps de plus en plus pour faire échapper les jeunes gens au départ pour l’Allemagne. Les gendarmes rencontrent de plus en plus de difficultés lors des arrestations des défaillants. Certains d’entre eux prétendent que dans les fermes les paysans ont créé un véritable dispositif de sécurité pour permettre aux jeunes de prendre la fuite à travers champ dès qu’apparaissent les uniformes noirs et bleus. Généralement, c’est un gamin qui, posté à l’entrée du chemin de terre qui conduit à la ferme, donne l’alerte, et lorsque les gendarmes arrivent à la maison, ils la trouvent vide de tous ses occupants, astreints ou non au STO » (BHR – 1943, n°23). Cette semaine, pour 1 145 convocations, il y avait 30 présents. Le nombre de convocations diminue de semaine en semaine : 745, 131, 69 (pour 34, 8 et 0 présents) et descend à 4 (pour aucun présent) dans la dernière semaine de juillet. 
 
Le 31 juillet 1943, le commissaire Soutif constate : « En dépit des efforts multipliés par la Gendarmerie et la police, les arrestations de défaillants et d’insoumis deviennent de moins en moins nombreuses. Après avoir dépassé largement les 200, le nombre d’arrestations est tombé à moins de 100 par semaine ; il était la semaine dernière de 45 et il est cette semaine de 66. Le personnel chargé des recherches constate qu’ils ne trouvent plus que des jeunes gens en règle. L’Autorité allemande s’est émue de cette situation, et un fonctionnaire allemand venu d’Angers a entrepris, dans le département, en liaison avec des représentants de la police française, des sondages qui, selon les premiers renseignements qui me parviennent, ont été fort décevants. A Quimper, ce fonctionnaire, qui désignait lui-même dans la rue les jeunes gens à contrôler, n’a pu enregistrer aucune arrestation, et, comme il se déplaçait en civil, il a pu entendre les réflexions faites par les jeunes gens contrôlés, ce qui ne lui laissera aucune illusion sur la popularité du STO. » (BHR – 1943, n°27). 
 
Pour la semaine du 1er au 7 août, nous lisons encore : « le rythme des convocations se ralentit considérablement, ce qui fait croire à beaucoup que les pouvoirs publics renoncent, dans une certaine mesure, aux "déportations" sous la pression des évènements extérieurs. Toutefois, le rythme des arrestations se maintient à un niveau élevé, puisque cette semaine encore 96 jeunes gens ont été dirigés sur le Centre d’hébergement du département ». (BHR – 1943, n°28)
 
Juillet 1943 encore. Des communiqués de presse rappellent les sanctions prévues par la loi : une amende administrative de 10 000 à 100 000 F, y compris pour les membres de la famille de l’intéressé, qui auraient sciemment hébergé, aidé ou assisté un « réfractaire ».
 
Septembre-novembre 1943. Le recensement des jeunes gens nés en 1923 est lancé en septembre, et les visites médicales auront lieu à Quimper et dans les cantons voisins  du 25 octobre au 10 novembre.
 
Le 15 octobre 1943, à 22 h 40, un soldat allemand logeant dans l’immeuble de l’école de l’Espérance aperçoit les lueurs d’un feu dans les locaux du STO. Il se saisit d’un extincteur et éteint l’incendie. Suivant l’enquête du commissaire Bodiguel, l’origine volontaire est manifeste : bout de mèche d’amadou, odeurs d’essence, fuite précipitée d’un inconnu…
 
Une trentaine de dossiers contenant les recensements des communes ont brûlé dans la salle des convocations, et autant sont partiellement endommagés. Les dégâts sont considérés comme peu importants, et toutes les données détruites seraient récupérables. Tout laisse penser que les auteurs de cet incendie appartiennent à une organisation « terroriste ».
 
11 novembre : dans la soirée, des « inconnus » tirent quelques coups de revolver sur le directeur du STO, M. Trarieux.
 
30 décembre 1943, à 21 h 15. « Six individus armés d’un pistolet à chaque main et masqués » font irruption au poste de police. L’effet de surprise est total. Les assaillants se saisissent des registres des cartes d’identité, du fichier s’y rapportant et de quelques armes. Ils quittent les lieux en souhaitant une « bonne année » aux six policiers présents. Le lendemain, l’inspecteur Bleuzen, chef de poste, fait son rapport (in Alain Le Grand, Finistère 39-49, Quimper, éd. Daoulan, 1994),
 
14 janvier 1944, soit 15 jours après. Cette fois, cela se passe immédiatement après la fermeture des bureaux du STO à l’école N.D. de l’Espérance. Les « cambrioleurs » sont au nombre de onze, et le coup de main est rapide… Une première enquête est effectuée le lendemain matin par le Commissaire Bodiguel, assisté de l’Inspecteur de Sûreté Bleuzen. C’est ce rapport qui  est présenté dans ce numéro des Keleier d'Arkae, pages 2 et 3.
 
 
Comment les choses évoluent après le 14 janvier 1944 ?
 
Janvier-février 1944. Il y a très peu de départs vers l’Allemagne. Par contre, les jeunes réquisitionnés sont dirigés vers les chantiers Todt : « environ 6 000 hommes dans les communes voisines de la région côtière du département, pour les employer à des travaux stratégiques manifestement destinés à la mise en état de résistance du territoire au débarquement anglo-américain ». (BHR n°1, 1er janvier 1944). Ces réquisitions se font de plus en plus difficiles : « Ceux qui s’étaient rendus sur les lieux de travail les premiers jours n’y retournent pas. Dernièrement, un chantier qui comptait sur 1500 travailleurs n’en vit se présenter qu’un seul… » (BHR n°4, 22 janvier 1944).
 
Mars-avril 1944. Alors que le recensement de la classe 1944 est en cours, suivi des visites médicales, on voit les Allemands s’intéresser aux ouvriers employés dans les usines de conserves de Douarnenez et d’Audierne. Quelques-uns sont désignés pour l'Allemagne. « Il semble bien que les ouvriers, dans leur ensemble, soient décidés à se soustraire par tous les moyens à cette mesure et à ne quitter la France à aucun prix », note le commissaire Soutif (BHR n°10, 4 mars 1944).
 
On sait que le Reich réclame 300 000 ouvriers français. On sait aussi que « malgré les promesses faites, une grande quantité de jeunes gens  des classes 41, 42, 43 ont été saisis sur les chantiers et dirigés vers l’Allemagne. Afin d’éviter de tomber dans le même piège, le nombre d’ouvriers quittant leurs chantiers s’accroît sans cesse, notamment dans la région de Quimperlé » (BHR n°17, 22 avril).
 
Mai-juin 1944. Et voici la saison des rafles. Des hommes de tout âge et de toutes professions sont acheminés vers le Centre d’hébergement de Quimper. Le 9 mai, 56 sont dirigés vers l’Allemagne, 47 la semaine suivante. « Le 20 mai, dans l’après-midi, à partir de 16 heures, des rafles ont été effectuées à Quimper et Kerfeunteun par les autorités allemandes. Des quartiers ont été cernés et de nombreuses arrestations opérées. Les personnes arrêtées ont été conduites vraisemblablement dans un lieu ignoré où doivent avoir lieu les vérifications de situation ». Citons aussi l’arrestation « pour circulation tardive » à Moncouar en Briec le 18 mai de Louis Cogent, Jean Herry, Jean Tanneau et Fanch André. Ils sont partis pour l’Allemagne le 20 mai.  Dans la dernière semaine de mai, 94 hommes de 18 à 35 ans, de toutes professions, quittent Quimper pour l’Allemagne…
 
 
En conclusion
 
1. La politique allemande en matière de recrutement d’ouvriers français aura beaucoup varié. En janvier 1943, quand Hitler prélève 300 000 ouvriers des usines allemandes pour en faire des soldats sur le front russe, Sauckel, chef de la main d'oeuvre du Reich, doit les remplacer d’abord par un recrutement forcé de 250 000 jeunes Français, puis, dans la même année, par d’autres vagues de « requis ». C’est de cette situation que naît le Service du travail obligatoire. Quand ensuite, en fin 1943-début 1944, c’est à l’Ouest que s’annonce un débarquement anglo-américain et que le Mur de l’Atlantique est à construire, c’est dans la zone côtière qu’il faut faire travailler une main-d’œuvre si possible recrutée sur place. 
 
Aussi en janvier 1944 n’y a-t-il pratiquement plus de nouveaux départs pour l’Allemagne, et cependant le recrutement de la classe 1943 est engagé. Le personnel du STO de Quimper comporte une équipe de jeunes étudiants, anciens copains au lycée de La Tour-d’Auvergne à Quimper. Ils ont bénéficié d’un sursis jusqu’au 1er juillet et ont trouvé à s’embaucher en septembre, ce qui a l’avantage de les exempter personnellement d’un départ pour l’Allemagne. Ils ne sont pas là pour se « planquer ». Ils sont entrés dans la Résistance, dans les organisations « Libération-Nord » ou « l’Armée secrète ». Antoine Le Bris et Louis Kerneis sont au STO pour saboter le travail de ce service, comme Laurent Jacq est au Génie rural et René Fauvel à la préfecture. Ils s’assurent la complicité des médecins qui doivent intervenir dans les visites médicales. Ceux-ci établissent des certificats de maladie à ceux qui sont assujettis. S’ils sont en trop bonne santé, ils sont simplement déclarés « à revoir » ; ceux qui sont employés à l’Organisation Todt s’en sortent avec une déclaration d’aptitude… à rester là où ils sont. Ceux enfin qui sont exemptés parce qu'ils travaillent pour l’agriculture ou dans des entreprises d’intérêt majeur pour les occupants sont tous en bonne santé.
 
Jean Le Bris nous raconte la suite dans un texte rédigé par lui en 2010 : « Vers la fin de l’année 1943, le recensement se termine. La préfecture se désespère des résultats obtenus. Les statistiques sont extraordinairement mauvaises. Le directeur du STO, Lantheaume, est interrogé et reconnaît qu’il ne comprend pas. Il tente de convaincre ses rédacteurs à plus d’efficacité. En fait, plus personne ne comprend plus rien […]. Le nombre de fausses cartes délivrées s’élève à près de 3 000. Les Allemands demandent par la suite d’établir des convocations massives par commune. Pour gagner du temps, les rédacteurs se procurent les noms des décédés, des malades, et les convoquent par priorité. Pour permettre aux maquisards de circuler, des attestations provisoires leur sont délivrées. Le sabotage des dossiers de la classe 1943 est réussi ».
 
Il faut faire disparaître tous les dossiers, car les Allemands ne manqueront pas de s’intéresser aux curieux résultats obtenus. Il est nécessaire maintenant pour les résistants du STO de se protéger. Faire intervenir un commando armé en pleine ouverture des bureaux, comme au poste de police le 30 décembre ? Le quartier grouille d’Allemands. Mettre le feu ? La tentative du 15 octobre avait montré que l’idée d’un incendie détruisant rapidement cette masse de papier était à écarter. Reste la solution d’un enlèvement éclair, à un moment opportun, le vendredi soir, nuit tombée, immédiatement après la fermeture des bureaux. Fanch Balès et son équipe d’Ergué-Gabéric sont tout à fait aptes à intervenir pour faire disparaître la cargaison de dossiers. Laurent Jacq obtient l’accord de « Libération-Nord ». Et le « coup du STO » a fonctionné comme une belle mécanique.
 
2. Il est à remarquer que ce qui s’est passé dans les murs de l’école de l’Espérance le 14 janvier 1944, à 18 h 30, fait suite à plusieurs mois d’un refus nettement exprimé, non seulement par les jeunes gens concernés par l’obligation du travail en Allemagne, mais aussi par toute la population, villes et campagnes réunies. Les divergences d’intérêt entre paysans et citadins n’ont pas tenu devant une solidarité qui a joué à plein. Cela, bien que les jeunes agriculteurs fussent exemptés de la réquisition au STO. 
 
Dès le mois de mai 1943, cette attitude est largement partagée, au moment où le Service du travail obligatoire s’installe à l’école ND de l’Espérance. Le STO n’est pas apprécié et le sera de moins en moins : « On n’entend même pas défendre le STO dans les milieux les plus favorables à la Collaboration » (Rapport du commissaire des RG du 3 juillet 1943). Ce même état d’esprit perdure en fin d’année : l’attaque contre le poste de police de Quimper a « mis la population bourgeoise de la ville dans un visible état d’euphorie » (Rapport des RG du 1er janvier 1944).
 
Ainsi, le « coup du STO », loin d’être une intervention d’isolés, est bien la traduction en acte d’une opposition générale à une déportation des travailleurs français en Allemagne.
 
Plaque à la mémoire des résistants du Coup du STO Collège Brizeux QuimperPour aller plus loin, nous vous conseillons de lire ou relire l'ouvrage de Jean Le Corre, Récit d'un résistant déporté, Ergué-Gabéric, Cahier d'Arkae n°2, 2004. Toujours d'actualité.

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 82 - mars 2014