Trésors d'archives > Personnage > Kenavo Norbert

Kenavo Norbert
 

Norbert Bernard nous a quittés lors du week-end du patrimoine, une coïncidence qui nous a tous frappés, terriblement. Depuis presque dix ans, il était en contact étroit avec Arkae, il était devenu impossible de conjuguer l’histoire d’Ergué sans passer par lui et par sa formidable érudition.

Etudiant en histoire à l’Université de Bretagne Occidentale à Brest, c’est en 1996 que Norbert prend contact avec Arkae. Licence en poche il propose au professeur Jean Kerhervé un mémoire de maîtrise sur les chemins et la structuration de l’espace en Cornouaille du V° siècle au XVII° siècle. Norbert trouve dans les archives d’Arkae, patiemment collectées depuis vingt ans, un premier substrat pour donner corps à son étude. Sa remarquable connaissance des écritures anciennes lui facilitera l’accès aux plus vieux parchemins de l’histoire de notre commune. Bien vite, les seigneurs d’Ergué lui deviennent familiers. Et le voilà dans notre vieux cadastre napoléonien traquant les chemins aujourd’hui disparus : les carront, croas-hent, carpont, dro-hent, hent-car, hent-meur, autant de toponymes qui fleurissent dans le dédale de notre bocage. Norbert présente son mémoire en 1997 et se lance tout de suite dans un autre travail de recherche, un D.E.A. (diplôme d’étude approfondie), première étape vers un doctorat.

Cette fois il prend pour étude la seigneurie des Rives de l’Odet (1425-1575). Ce monumental travail de 320 pages dactylographiées est consacré aux manoirs du canton de Briec et de Rosporden. Il le présente en 1999. Il a amassé alors une somme considérable de connaissances sur les familles nobles de Basse-Cornouaille au Moyen-Age.

Norbert Bernard en compagnie de Linda Asher, la traductrice américaine des Mémoires d'un paysan bas-breton de Jean-Marie DéguignetMais c’est un tout autre travail -son premier travail salarié- qui lui est confié en mars 2000 : le livre de Jean-Marie Déguignet Les Mémoires d’un paysan bas-breton, vient de rentrer dans le cercle restreint des meilleures ventes de librairie en France. L’association Arkae confie à Norbert la valorisation de l’ensemble des écrits de notre compatriote. On ne redira jamais assez l’extraordinaire travail réalisé pendant les cinq années de son contrat d’emploi-jeune au Centre de Recherche et de Documentation Déguignet (13/12/1999-26/12/2005). L’ensemble des écrits de l’enfant de Quélennec est maintenant disponible. Norbert y a ajouté un appareil critique considérable, fruit d’une recherche dans laquelle il excellait. Il a signé aussi une exposition sur Déguignet, et un site Internet, l’un des cinq qu’il faisait vivre.

Car Norbert, hormis son travail de recherche, avait deux passions : l’histoire et l’informatique. Sa générosité est totale, il ne refuse jamais un coup de main à ceux qui sont perdus dans la jungle informatique ou englué dans de vieux grimoires aux graphies incertaines. Il fait vivre bénévolement le site Internet de l’ASPREV, l’association du patrimoine religieux en vie ; il crée un site sur les nobles de Cornouaille, puis un site de généalogie pour présenter son cabinet de recherche nouvellement créé, enfin il collabore à l’encyclopédie en ligne wikipédia.

Au printemps dernier l’aventure Déguignet est terminée, Norbert édite son premier livre Les Voix d’Yves Pennec, récit d’après un procès en sorcellerie contre un habitant d’Ergué. Les projets sont nombreux : guide, conférencier, généalogiste, écrivain, et toujours collaborateur d’Arkae. On lui avait confié un travail de sauvegarde du bulletin paroissial de 1925 à 1939. C’était en mai, et Norbert dut lâcher prise, miné par un mal que les médecins n’arrivaient pas à cerner. La suite, c’est une opération chirurgicale au mois d’août et l’espoir de revenir rapidement à ses passions. Il voulait signer son livre au pardon de Kerdévot, il voulait plus que tout être présent le 18 septembre au café-crèpes de Saint André ou il s’était investi dans le comité de sauvegarde de la chapelle.

Mais Norbert n’était pas là, ce week-end du patrimoine pour lequel il a tant œuvré, il luttait déjà contre les ombres, il est mort dans la nuit.

Norbert s’en est allé avec ses rêves, ses envies de recherches, ses travaux inachevés. C’est une grande perte pour tous ceux qui l’ont connu car ses qualités humaines étaient à l’image de ses qualités professionnelles. Pour l’association, la mémoire de Norbert vivra à jamais : ses travaux sont disponibles dans notre centre de documentation sur l’histoire d’Ergué, ses écrits seront valorisés et tous ceux qui se pencheront sur l’œuvre de Déguignet sauront que le travail d’édition de l’ensemble de son œuvre est signé Norbert Bernard.
Bernez Rouz - Bulletin municipal d'Ergué-Gabéric - décembre 2005.
 
 

Trésors d'archives > Patrimoine religieux > Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Un pèlerinage à Kerdévot sous Louis XIV

Couverture des Mémoires de Duguay Trouin
Un soldat de Quimper, nommé Deschamps,
En visitant Kerdevot, le dernier carême,
A dit au fabricien qu’il a été secouru
Par Marie, dans sa campagne, pendant l’hiver passé.
 
Les soldats qui avaient été avec M. Duguay
Ne pouvaient plus retrouver leur route pour revenir à la maison.
En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse.
Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse.
 
Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; 
Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet,
Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe.
Soutenez-les encore, ô Vierge, dans leurs combats.
 
 
Ce sont là les strophes 30, 31 et 32 de l’« Ancien cantique de Kerdévot », tel qu’il nous est communiqué par l’Abbé Favé, vicaire à Ergué-Gabéric de 1888 à 18971. Elles évoquent « la mise à sac de Rio de Janeiro » en 1711 par le corsaire Duguay-Trouin, et le pèlerinage qui s’en suivit, à Kerdévot, au pardon du 11 septembre 1712, de soldats rescapés de cette expédition qui fit sensation. Nous nous référons ici à la relation faite de ce coup de main plein de panache et d’aventures dans les Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin2 lui-même. Nous voulons ici comprendre la démarche de ces soldats pèlerins d’un jour, qui ont dû impressionner les habitués de Kerdévot.
 
Le long règne de Louis XIV3  fut une succession de guerres menées par lui contre les Etats européens. Sa politique de domination avait mobilisé toutes les ressources de la  Bretagne, imposé de nouveaux impôts4, rompu tout commerce de la province avec l’Angleterre et, du fait du blocus anglais, mis fin aux relations maritimes avec ses autres partenaires habituels. D’où un marasme économique persistant. L’activité des armateurs français qui était, en temps de paix, le transport maritime, devenait, en temps de guerre, la protection des navires français et l’attaque des bateaux ennemis, isolés ou en convois.  Ils armaient pour la « course ». Le « corsaire » fournissait le navire et prenait en charge les frais d’armement. Il se payait en s’appropriant marchandises et bateau. Il agissait sous couvert du roi (sur « lettre de marque »), ce qui lui donnait un statut de combattant, bénéficiant ainsi des règles du droit de la guerre et lui interdisant, par contre, de sortir du cadre défini.

 
Le projet de Duguay-Trouin
Duguay-Trouin, né d’une famille d’armateurs malouins, était un « corsaire » particulièrement audacieux ; en 1708, il comptait à son actif 16 captures de navires de guerre et plus de 300 de marchands. Il est anobli par le roi. Il forme alors un projet important : « une entreprise sur la colonie de Rio de Janeiro, l’une des plus riches et des plus puissantes du Brésil5 », qui est alors possession portugaise. Le Portugal est allié à l’Angleterre contre la France dans le cadre de la Guerre de Succession d’Espagne. Cette opération est menée avec des armateurs amis, qui la montent et la financent. Le roi donne son aval ; par convention, il fournit une douzaine de navires, avec leurs équipages (officiers, marins et soldats), contre versement d’un cinquième du revenu des prises. En somme, un accord de partenariat entre forces militaires du roi et armements privés. L’expédition se donne également pour objectif de délivrer les 600 Français retenus prisonniers à Rio  à la suite de l’échec, l’année précédente, d’une tentative semblable. 

 
La prise de Rio et les périls de la mer
 
Plan de la baie de Rio de Janeiro Mémoires de Duguay Trouin
Le départ de Brest a lieu le 2 juin 1711, après deux mois de préparatifs menés dans la plus grande discrétion. Le 12 septembre, au matin, l’escadre française composée de 18 vaisseaux et frégates, transportant 2000 marins et 4000 soldats, se présente à l’entrée de la baie de Rio de Janeiro. L’assaut final de la ville est donné le 21 septembre : c’est la débandade pour les 12 000 hommes de la garnison portugaise, dont le gouverneur accepte le versement d’une rançon très importante, en argent et marchandises, afin d'éviter la destruction de la ville elle-même après son pillage. 
Le 13 novembre, l’escadre reprend la mer avec le butin (plus d’1,3 tonne d’or, des navires marchands chargés du pillage des entrepôts). Mais le voyage de retour se révèle très périlleux : une forte tempête envoie par le fond deux navires avec leur équipage (1 200 hommes noyés) et une partie du butin accumulé à bord. Les premiers bateaux pénètrent dans la rade de Brest le 2 février 1712. Duguay-Trouin fait le bilan financier de l’expédition, côté armateurs : « les retours des deux vaisseaux que j’avais envoyés à la mer du Sud6, joints à l’or et aux autres effets apportés de Rio de Janeiro payèrent la dépense de mon armement, et donnèrent 92% de profit à ceux qui s’y étaient intéressés…7 ».

 
Le soldat Deschamps et les autres
C’est un des sept mercredis du Carême de 1712, entre le 10 février et le 23 mars, qu’un soldat de Quimper, nommé Deschamps, rentré sain et sauf de l’expédition de Rio, a annoncé au fabricien de Kerdévot la participation au prochain pardon, le 11 septembre, d’un groupe de soldats rescapés, pour exécuter le vœu qu’ils avaient fait à la Vierge au cours de la tempête essuyée au large des Açores. Certaines éditions des Mémoires de Duguay-Trouin donnent pour chaque vaisseau ou frégate de l’escadre de Rio l’état de ses effectifs au moment de l’armement, avec l’indication des commandements attribués. Ainsi la frégate L’Argonaute8, commandée par le chevalier du Bois-de-la-Motte, avait pour second enseigne un dénommé Droualin. Il s’agit de Benjamin Droualin9, un Bigouden, présenté comme faisant partie « de la Compagnie de Dernaud ». Lazare Darnaud apparaît, lui, sur les registres de St-Mathieu de Quimper : il est mort le 11 juillet 1721 à l’âge de 65 ans et est désigné à cette date comme « lieutenant de vaisseau et capitaine d’une compagnie franche de marine10 ». Quant au « soldat Deschamps », il s’agirait de François Deschamps, qui figure sur les registres de Quimper St-Mathieu pour son mariage le 15 octobre 1703 avec Anne Kerbaoul. Il y est effectivement présenté comme « soldat, dit "Belle Rose", dans la Compagnie de Monsieur Darnaud ». Le Cantique de Kerdevot n’indique pas le nombre de ces rescapés de l’escadre de Rio qui ont assisté au pardon du 11 septembre 1712. Nous pouvons cependant déduire qu’il s’agissait d’une partie des soldats de la Compagnie du Capitaine Darnaud, qui comptait des Cornouaillais dans ses rangs et naviguait sur la frégate L'Argonaute.

 
Les compagnies au XVIIIe siècle

Equipage de lArgonaute
Les compagnies franches de Marine sont les ancêtres de nos troupes de Marine actuelles. Elles avaient leurs bases dans les grands ports militaires français (Brest, Rochefort, Toulon et Port-Louis). Dans les années 1710, elles comptaient sur le sol français environ 10 000  soldats, à savoir 100 compagnies de 100 hommes chacune, et dans les colonies environ 5000 soldats. 
Ces soldats sont bien des fantassins formés au maniement du mousquet, au combat à l’épée, aux manœuvres d’attaque et de défense, aux patrouilles, aux parades, mais aussi à l’abordage et à l’attaque à la grenade, au débarquement en terrain hostile. Plusieurs avaient une formation de canonnier. En outre, ces soldats étaient accoutumés à la vie à bord, tout comme aux latitudes tropicales. Les hommes de troupe étaient recrutés en grande partie aux abords des grands ports, mais pas uniquement. L’engagement se durait de 6 à 8 ans. Beaucoup prenaient une identité d’emprunt : « La Fleur », « Boit-sans-soif », « Joli-Cœur », « Brin d’avoine »… ou encore « Belle-Rose », comme Deschamps.

 
« Une espèce de miracle »
 
La rafale The gust 1680 W. v. VeldeLes Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin font un récit intéressant du retour à Brest. « Le 20 décembre, après avoir essuyé bien des vents contraires, nous passâmes la ligne équinoxiale, et le 29 janvier, nous nous trouvâmes à la hauteur des Açores. Jusque-là, toute l’escadre s’était conservée11 ; mais nous fûmes pris sur ces parages de trois coups de vent consécutifs, et si violents qu’ils nous séparèrent tous les uns des autres. Les gros vaisseaux furent dans un danger évident de périr ; Le Lys, que je montais, quoique l’un des meilleurs de l’escadre, ne pouvait gouverner par l’impétuosité du vent ; et je fus obligé de me tenir en personne au gouvernail pendant plus de six heures, et d’être continuellement attentif à prévenir toutes les vagues qui pourraient faire venir le vaisseau en travers. Mon attention n’empêcha pas que toutes mes voiles ne fussent emportées, que toutes mes chaînes de haubans ne fussent rompues les unes après les autres, et que mon grand mât ne rompît entre les deux ponts ; nous faisions d’ailleurs de l’eau à trois pompes, et ma situation devint si pressante au milieu de la nuit, que je me trouvais dans le cas d’avoir recours aux signaux d’incommodité, en tirant des coups de canon, et mettant des feux à mes haubans. Mais tous les vaisseaux de mon escadre, étant pour le moins aussi maltraités que le mien, ne purent me conserver, et je me trouvais avec la seule frégate "l’Argonaute", montée par le chevalier du Bois-de-la-Mothe, qui dans cette occasion voulut bien s’exposer à périr, pour se tenir à portée de me donner du secours.
Cette tempête dura pendant deux jours avec la même violence, et mon vaisseau fut sur le point d’en être abîmé12, en faisant un effort pour joindre trois de mes camarades, que je découvrais sous le vent13. En effet, ayant voulu faire vent arrière sur eux avec les fonds de ma misaine seulement14, une grosse vague vint de l’arrière qui éleva ma poupe en l’air et dans le même instant il en vint une autre encore plus grosse, de l’avant, qui passant par-dessus mon beaupré15 et ma hune de misaine16, engloutit tout le devant de mon vaisseau jusqu’à son grand mât. L’effort qu’il fit pour déplacer cette épouvantable colonne d’eau dont il était affaissé17 nous fit dresser les cheveux, et envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer. La secousse des mâts et de toutes les parties du vaisseau fut si grande que c’est une espèce de miracle que nous n’y ayons pas péri, et je ne le comprends pas encore…18 » Six vaisseaux purent se regrouper à l’issue de la tempête et rejoindre Brest. Deux autres y arrivèrent deux jours après. D’autres purent atteindre La Corogne ou Cayenne. Mais deux autres ne réapparurent jamais : Le Fidèle et, hélas ! Le Magnanime. Ce dernier était commandé par le chevalier de Couerserac, qui fut l’autre grand héros de l’expédition, « mon compagnon fidèle », écrit Duguay-Trouin, « qui dans plusieurs de mes expéditions m’avait secondé avec une valeur peu commune [...] ma confiance en lui était si grande que j’avais fait charger sur le "Magnanime", qu’il montait, plus de six cent mille livres en or et en argent. Ce vaisseau était en outre rempli d’une grande quantité de marchandises ; il est vrai que c’était le plus grand de l’escadre, et le plus capable, en apparence, de résister aux efforts de la tempête, et à ceux des ennemis. Presque toutes nos richesses étaient embarquées sur ce vaisseau, et sur celui que je montais19 ». Image ci contre : La Rafale, W. v. Velde, 1680. Navire en haute mer, pris dans une bourrasque comparable à celle que l'expédition de Duguay-Trouin a pu vivre.

 
Un « magnifique » chapelet remis en ex-voto à Kerdévot
 
"La flotte de Duguay Trouin à l'attaque de Rio" par F. Perrot, 1844
Nous savons ainsi que L’Argonaute, le vaisseau sur lequel était embarquée la Compagnie de Darnaud, a subi les mêmes tourments que ceux supportés par Duguay-Trouin sur Le Lys. Chacun des hommes qui étaient à son bord a pu « envisager, pendant quelques instants, une mort inévitable au milieu des abîmes de la mer ». D’où cet appel au secours, lancé à la Vierge : « En danger ils étaient de périr sur la mer périlleuse. Ils se sont alors voués à la Vierge glorieuse », dit le Cantique. Comme par mouvement d’instinct, ils ont décidé d’aller trouver la Vierge, en reconnaissance, dans l'un de ses sanctuaires connus. Ce serait à Kerdévot. Et c’est le « soldat Deschamps » qui effectua, peu après l’arrivée des navires à Brest, la prise de contact pour préparer la démarche. Ce choix tient certainement à la notoriété de Kerdévot dans une population qui n’est pas celle des campagnes cornouaillaises, mais celle des villes, des milieux des Armées et de la Marine royale : « Ils sont venus la remercier quand ils sont venus à Quimper ; Ils lui ont fait présent d’un magnifique chapelet, Et de plus une autre offrande, et des honoraires de messe ». L’usage est que le pèlerin laisse sur place un « ex-voto », témoin dans le temps de sa reconnaissance pour le secours apporté, terme de l’échange entre protecteur et protégé. L’ex-voto peut être un calvaire érigé après une épidémie de peste (Plougastel-Daoulas), les béquilles de l’estropié guéri, la médaille militaire du soldat rentré au foyer, le tableau représentant l’accident qui « par miracle » n’a pas fait de victime… Dans le cas présent, on ne serait pas étonné de trouver une maquette de la frégate L’Argonaute ou une peinture du bateau dans la tempête. On s’étonne plutôt de trouver un chapelet, objet qui n’est pas spécialement lié à l’image du soudard. On s’étonnera moins, cependant, si le chapelet est en or et en argent, et si on se reporte au récit de Duguay-Trouin : « En entrant dans cette ville abandonnée, je fus surpris de trouver d’abord sur ma route les prisonniers qui étaient restés de la défaite de M. Du Clerc20. Ils avaient, dans la confusion, brisé les portes de leurs prisons, et s’étaient répandus de tous côtés de la ville, pour piller les endroits les plus riches. Cet objet excita l’avidité de nos soldats, et en porta quelques-uns à se débander ; j’en fis faire, sur-le-champ même, un châtiment sévère qui les arrêta ; et j’ordonnai que tous ces prisonniers fussent conduits et consignés dans le fort des bénédictins21. » « Dès le premier jour que j’étais entré dans la ville, j’avais eu un très grand soin de faire rassembler tous les vases sacrés, l’argenterie et les ornements d’église, et je les avais fait mettre, par nos aumôniers, dans de grands coffres, après avoir fait punir de mort tous les soldats ou matelots qui avaient eu l’impiété de les profaner, et qui s’en étaient trouvés saisis. Lorsque je fus sur le point de partir, je confiai ce dépôt aux Jésuites, comme aux seuls ecclésiastiques de ce pays-là qui m’avaient paru dignes de ma confiance ; et je les chargeai de le remettre à l’évêque du lieu22. » Nous pouvons émettre l'hypothèse que les soldats de la Compagnie de Darnaud ont commis eux aussi des actes de pillage, au domicile de riches particuliers ou dans des églises, et ce malgré les mesures dont tient à faire état Duguay-Trouin. Un chapelet en or et argent est relativement facile à dissimuler. Mais quand la tempête se déchaîne sur plusieurs jours et qu’on pense que tout ce qui survient est voulu par la puissance divine, alors les éléments en furie crient au sacrilège et l’esprit est assailli par le remords devant l’impiété reconnue. Le soldat se rend alors à l’évidence : le chapelet est voué à la Vierge, la grande Protectrice ; il faut se rendre à son sanctuaire pour le lui remettre. Si nous nous en sortons, c’est qu’elle y consent. Une hypothèse qui expliquerait un « blanchiment » de chapelet par les compagnons de « Belle-Rose », qui assurément n'étaient pas des « enfants de chœur » !
 
François Ac’h
 
Notes
 
1. Texte en breton et en français (56 strophes) dans BSAF 1891, pages 170 et sv., sous le titre « L’ancien cantique de Kerdevot ».
2. Nous avons consulté le texte des Editions France-Empire, mars 1991, avec présentation par Philippe Clouet.
3. Louis XIV est mort en 1715. Il prit réellement le pouvoir à la mort de Mazarin, en 1661.
4. D’où la Révolte dite des Bonnets rouges, en 1675.
5. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p.128.
6. Ainsi était appelée, en particulier par les pirates, corsaires et armateurs, la partie de l’Océan Pacifique baignant l’Amérique du Sud. C’est dans cette partie de l’empire espagnol (mines du Pérou et de Potosi), plutôt qu’en France, que Duguay-Trouin pouvait vendre certaines marchandises saisies à Rio, par exemple le sucre (pages 155-156).
7. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 163.
8. Frégate munie de 46 canons, avec 287 hommes à bord, dont 51 officiers et mariniers, 97 matelots et 106 soldats.
9. Le grand-père de Benjamin Droualin avait été sénéchal du baron du Pont (Pont-l’Abbé) ; il avait restauré le manoir de Lestrémec, en Tréméoc, pour en faire le berceau d’une famille qui ne cessera de fournir des officiers aux armées et à la Marine. Un frère de Benjamin a été tué au siège de Lille en 1708.
10. A la suite d’un second mariage, il est le père de Jean-Charles Darnaud, « écuyer », qui se marie à Quimper en 1704.
11. Terme de marine : « naviguer sans se perdre de vue ».
12. Sens ancien : « tombé dans un abîme »
13. « dans la direction opposée à celle du vent (d’où vient le vent) »
14. « en faisant gonfler la voile basse du mât d’avant »
15. « mât couché sur l’éperon à la proue d’un vaisseau »
16. « Hune de misaine » : petite plate-forme de bois placée au sommet du mât de misaine
17. « qui l’avait fait tomber à un niveau inférieur sous son poids »
18. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 160-161.
19. Ibid., p. 162.
20. L’hiver 1711, une précédente expédition, conduite par le capitaine Duclerc, avec cinq vaisseaux et un millier de soldats, avait mis le cap sur Rio afin de se saisir à son point de départ de la flotte portugaise transportant vers Lisbonne l’or recueilli au Brésil. Ce fut un échec : 600 hommes restèrent prisonniers à Rio.
21. Mémoires de Monsieur Duguay-Trouin, p. 150.
22 Ibid., p. 156.

Dossier réalisé par François Ac'h - Keleier 81 - janvier 2014


Trésors d'archives > Géographie > Le Stangala inattendu d'André Guilcher

Le Stangala inattendu d'André Guilcher

 

Stangala Guilcher recto 1Qualifié par Louis Le Guennec de « plus extraordinaire paysage terrien de Cornouaille », le Stangala n’a été étudié par les géographes que relativement récemment. André Guilcher (1913-1993) y a consacré quelques pages dans sa thèse sur Le Relief de la Bretagne méridionale de la baie de Douarnenez à la Vilaine (1948). Ce Sénan, agrégé de géographie, a été professeur au lycée de Brest avant la guerre. Mobilisé, blessé au front près de Sarreguemines en février 1940, il reçoit la Croix de guerre pour son courage. Revenu en Bretagne, il est nommé au lycée de Nantes où il prépare sa thèse de doctorat. C’est ce qui l’amène à visiter notre Stangala, pendant l’été 1941. Passionné par la Bretagne, il écrit son périple en breton dans le journal Arvor. Il publiera en breton un ouvrage de géographie sur les vallées marines et les gouffres de l’océan (Kaniennoù ha traoniennoù mor, 1943). C’est cet écrit rare sur le Stangala que les Brezhonegerien Leston ont traduit ici. Rappelons enfin qu'André Guilcher est l'un des grands spécialistes mondiaux de la morphologie littorale. Outre les écoles citées, il a enseigné dans les universités de Nancy, de la Sorbonne et de Brest.

Ar Stangala d'André Guilcher
Traduction Brezhonegerien Leston, atelier Kontakaoz, janvier 2014.
 
Les balades agréables ne manquent pas aux alentours de Quimper. Nulle part en Bretagne, peut-être, on ne trouve des paysages aussi verdoyants et doux qu’en Cornouaille. L’Odet jusqu’à Combrit, le Steir, le Stangala, constituent autant de vallées boisées où il fait bon se promener les jours d’été. Le trajet de Quimper à Bénodet est renommé à juste titre ; le Stangala est moins connu car moins accessible. Aucune route ne le traverse : il est vrai qu’il est plus silencieux et comme le dirait M. Le Guennec – paix à son âme – grand connaisseur et fan de la Cornouaille, les automobiles ne peuvent y accéder et empester l’air de leurs gaz d’échappement. Pour aller au Stangala, partons ensemble de Quimper de bon matin. Au lieu d’aller directement par Cuzon ou par le terrain de foot de Keruhel, il vaut mieux prendre la route de Landudal. Une balade d’environ 35 km, c’est ce qu’il y a de mieux pour s’aérer les poumons. Passée la voie de chemin de fer de Rosporden, nous montons petit à petit vers Lestonan en traversant des champs fertiles. Les tours de la cathédrale et les hauteurs du Frugy s’estompent dans les brumes matinales, déjà à moitié dispersées dans les vallées du Jet et de l’Odet. On arrive rapidement sur un plateau à environ 115 m d’altitude, qui s’élève doucement vers Coray et Briec.Nous ne sommes plus très loin de la vallée du Stangala, pourtant nous ne l’apercevons pas encore. Voilà une descente : là se trouve la vallée de l’Odet et nous y accédons par un vieux pont couvert de verdure. Terminé pour nous le chemin facile : nous allons retourner sur Quimper à travers prairies et champs. Ici la vallée de l’Odet est attachante et paisible. Sur le côté gauche de la butte il y a un « tertre », sorte de pente escarpée et boisée. Sur le côté droit, nous distinguons petit à petit des collines en direction du Nord. Un peu après nous sommes sous la voûte sombre d’un bois de sapins. Sous les arbres une charmante petite route longe le canal qui conduit l’eau de l’Odet à la grande papeterie Bolloré, où l’on fabrique le papier à cigarette bien connu de tous. L’usine est nichée au fin fond de la vallée, entourée de verdure ; et jamais la nature n’a été aussi peu polluée par le travail de l’homme. La rive gauche devient de plus en plus escarpée à Griffonès. L’Odet, qui coulait jusqu’ici vers l’ouest, se dirige brusquement vers le sud. Des hauteurs, à 80 m au-dessus de l’eau, c’est un spectacle sans égal de voir la rivière faire un méandre et sauter par-dessus les rochers. À Griffonès, nous atteignons le grand Stangala. Désormais, les deux rives ont la même hauteur. Jusqu’au moulin de Penn-C’hoad, la rivière chute de l’altitude de 41 m à pas plus de 10 m sur une distance d’environ 3 km (¾ de lieue). Cela fait quelques années, les ingénieurs avaient pensé faire un grand barrage à côté du moulin de Penn-C'hoad. Il y aurait eu un lac là où se situe aujourd’hui le Stangala, comme celui qui est à Guerlédan sur le Blavet. On aurait eu de l'électricité en abondance pour Quimper et la totalité de la Basse-Cornouaille. Pourtant cette idée-là n’a pas été menée à son terme, je ne sais pour quelle raison. Le Stangala est toujours le Stangala, une rivière rapide et bouillonnante. Tout d’abord, le Grand Stangala, plus majestueux et plus sauvage ; ensuite le Petit Stangala avec ses petits bois et ses petits sentiers, où les Quimpérois vont marcher et entendre, durant l’été, les rires des enfants jouant à cache-cache : les deux Stangala étant remplis de truites et fréquentés par les pêcheurs spécialistes du « lancer léger ». Entre les hauteurs de Beg-ar-Menez et la chapelle Saint-Guenolé, en vérité, le Stangala est un paradis inattendu. Notre randonnée se termine au moulin de Penn-C’hoad. Du côté de Quimper, la vallée est bien plus large. Sans tarder nous sommes dans la plaine de Kerhuel. Ici se trouve le confluent de l’Odet et du Jet. En fait, la plaine de Kerhuel n’est que la continuité de la vallée du Jet, si droite depuis Saint-Yvi. 
 
Stangala Guilcher verso
Si vous êtes un peu curieux, vous demanderez après cette randonnée : pourquoi cette vallée de l’Odet n’a-t-elle pas toujours la même allure de Landudal à Quimper ? Pourquoi y-a-t’il au début une différence de hauteur entre les deux rives ? Pourquoi ensuite la rivière court-elle dans le passage étroit des hautes collines du Stangala ? Pourquoi aussi l’eau va-t-elle si vite entre les rochers du Stangala ? Enfin pourquoi la vallée est-elle si large et la rivière si calme après le moulin de Penn-C’hoad ? Il y a de bonnes raisons à cela. À l’origine, l’Odet coulait sur les plateaux de Beg-ar-Menez, Saint-Guénolé, Lestonan, bien plus haut que maintenant ; peu à peu, à force de grignotage, l’érosion leur a fait perdre de l’altitude. La roche, bien sûr, n’était pas aussi dure partout. Avant Griffonès, on trouve du granit sur le côté gauche, c’est une roche dure et résistante. Sur la droite, au contraire, on trouve surtout du schiste, beaucoup plus tendre. Pour cette raison, la rive droite a été érodée plus vite que la gauche. Entre Grifonnès et le moulin de Penn-C’hoad, on trouve du granit des deux côtés, ce n’est pas étonnant de voir des reliefs élevés des deux côtés et tant de rochers qui barrent le courant. Près de Quimper, enfin, nous retrouvons l’Odet dans le schiste, comme le Jet depuis Saint-Yvi ; de la roche tendre à nouveau et à nouveau une large vallée. 
 
Les balades seraient beaucoup plus agréables si on pouvait toujours savoir pourquoi les choses sont comme elles sont. Voir de beaux paysages, c’est bien. Les comprendre c’est mieux. Si vous êtes de Quimper, allez donc jusqu’au Stangala. Regardez autour de vous et cherchez à comprendre. Vous n’aurez pas perdu votre temps.
 
Lan Devenneg (André Guilcher) 
 
 
Notes
- « StankAla » ou actuellement Stangala : non loin de l’usine Bolloré se trouve une fontaine dédiée à Saint Ala ou Alar. En fait, elle se situe un tout petit peu plus vers l’est. « Stank » ou « stankenn » est utilisé dans le sens de vallée profonde en Cornouaille.
- D’après ce que dit un conte fantastique, un griffon y vivait autrefois, une espèce d’énorme dragon terrifiant qui avalait les jeunes filles.
 
 
articlestangalavu
 
Le Stangala, un accident intéressant
Bernez Rouz
Si l'on jette un oeil attentif aux cours d’eaux gabéricois, on s’aperçoit qu’ils sont tous orientés Est-Ouest vers le creux de Quimper. C’est le cas du Jet, de son affluent le ruisseau de Keringard et de l’Odet sur la partie nord de la commune. Pourquoi donc l’Odet pique-t-il brusquement vers le sud à Beg ar Menez ? Dans sa thèse Le relief de la Bretagne méridionale de la Baie de Douarnenez à la Vilaine, André Guilcher explique ce phénomène par une rupture de pente tecnico-structurale. Ergué-Gabéric se trouve en effet dans une zone de failles importantes, dans laquelle se sont produits des soulèvement de plaques géologiques. C'est pourquoi les rivières coulant sur des parties de plateaux surélevées ont dû se frayer des chemins dans des roches dures pour rejoindre le creux de Quimper, zone de confluences des cours d’eau de la région. On voit ainsi l’Odet, comme le Jet à Elliant, mais aussi d’autres petits ruisseaux, basculer vers le sud. Jean François Douguet a repris l’essentiel des explications d’André Guilcher dans son livre Le Stangala (Cahier n°1 d'Arkae), pages 55-59.

Trésors d'archives > Guerres > La libération d'Ergué

Jour par jour
La libération d'Ergué-Gabéric

 

Il n'y avait pas encore deux mois que le Débarquement des Alliés avait eu lieu en Normandie, le 6 juin 1944. La « percée d'Avranches » avait réussi le 31 juillet.  Le 3 août, à 12 heures, puis encore à 18 heures, la BBC de Londres répétait le message suivant : « Le chapeau de Napoléon est-il toujours à Perros-Guirec ? ». Tel était le signal convenu, adressé à la Résistance intérieure de Bretagne, FFI et FTPF1, pour déclencher l’insurrection générale et passer à un harcèlement systématique de l’occupant, alors que les troupes américaines fonçaient sur Brest et Lorient. Ces deux mois (du 6 juin au 3 août) ont été marqués par des évènements dramatiques pour les résistants de la région de Quimper. Ils avaient ordre, dans le cadre du « Plan Vert », de multiplier les actions de sabotage (contre voies ferrées et câbles téléphoniques aériens ou souterrains) et les attentats contre les ennemis, dans le but de fixer l'adversaire sur place, pour qu'il ne rejoigne pas la Normandie en renfort. Dès le 7 juin, le chef local de la Résistance, « Jeannot » (alias le capitaine d'active Jean Pézennec), a organisé la périphérie de Quimper en sept secteurs de sabotage, dirigés chacun par un chef de secteur pour une douzaine d'hommes. Ainsi, Quimper est entouré de sept « maquis » installés dans la campagne et astreints aux règles élémentaires de la clandestinité. Ces groupes vont pouvoir compter sur la complicité effective de plusieurs fermes. Malgré les difficultés rencontrées, la mission sera remplie : pendant le mois de juin, peu de trains arriveront à Quimper ou en repartiront, et le téléphone ne fonctionnera que par intermittence.

Mais, avec l'aide de « collaborateurs » français, l’occupant engage une répression impitoyable. Des résistants sont arrêtés et emprisonnés à Saint-Charles, tels que Bellan, chef du secteur 2. Fin juin, des postes de maquis sont pris d'assaut (Le Guélen en Briec et Penhoat en Kerfeunteun, le 27 juin ; Kergrenn en Ergué-Armel, le lendemain) et 17 résistants y sont tués, dont le capitaine Pézennec lui-même. Deux fermes d'Ergué-Gabéric (Kerfrès, le 17 juin, et Kerhamus, le 29 juin) sont également visées, mais le sang-froid des habitants (et un peu de chance) permet d'éviter d’autres massacres. Fin juin encore, le « Colonel Poussin » (Mathieu Donnard), chef départemental des FFI est arrêté à l'occasion d'un déplacement dans le Morbihan. Il est exécuté le 29 juillet à Pluméliau. La Résistance doit se réorganiser. C’est le « Colonel Berthaud » (Roger Bourrières) qui devient le nouveau chef des FFI du Finistère. Il a installé son Etat-Major à Quimper, dans les locaux de l’entreprise Joncour (au Moulin aux Couleurs, route de Pont-l'Abbé). Le chef militaire FFI pour l’arrondissement de Quimper est désormais le capitaine Philippot, et son adjoint est le capitaine Monteil. Cette délégation militaire va bénéficier de l’assistance d’une équipe Jedbugh2 parachutée pour aider les maquisards à s’organiser. 
 
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Témoins et acteurs
 
Alain Le Grand (1918-1992) a vécu la guerre comme marin, jeté  dans l’enfer de Dunkerque. Il est entré ensuite dans la police : à Quimper, de 1942 à 1944, il a été, dans ce cadre particulier, un résistant contraint à des formes de clandestinité exigeantes. Puis, tout en poursuivant sa carrière, il est devenu l’historien local essentiel de la guerre. Nous lui devons, à lui et à son collaborateur Georges-Michel Thomas, une somme de 1 000 pages en deux tomes, sous le titre Le Finistère dans la guerre, et des publications sur la même période. Il a aussi laissé aux Archives du Finistère une masse de notes, documents, brouillons, très utiles pour qui veut encore chercher derrière lui.
Albert Philippot, ancien combattant de 14-18, est capitaine de réserve. Enseignant à Quimper, il a participé en 1937 à la création du mouvement scout des « Eclaireurs de France ». Mobilisé, fait prisonnier puis libéré, il se met à la disposition de la Résistance. Il est appelé à remplacer le capitaine Pézennec en tant que commandant de l’arrondissement FFI de Quimper. Il aura un rôle important dans les combats du Menez-Hom, de la presqu’île de Crozon puis de Lorient. Il rédigera des notes sur La Résistance et la Libération dans le Sud-Finistère.
Gabriel Nicolas (décédé en 1997) est un lieutenant de réserve. Il habite à Ergué-Armel (Kergoat al Lez). Marié et père de trois enfants. Démobilisé, il travaille au Centre de libération des prisonniers de guerre à Quimper. Il est entré en résistance par le Mouvement « Vengeance », avec Henri Le Guennec, mais a échappé aux arrestations du 20 janvier 1944. Il commandera la 5e compagnie des FFI. Le 3 août, 130 résistants le rejoignent au camp de Langolen. Il est chargé de tenir la route de Coray et de couvrir un secteur qui va de l’Eau blanche à Gourvily. Il raconte son engagement et celui de sa compagnie dans un texte déposé aux archives par Alain Le Grand. Une version abrégée de ce récit est consultable en ligne.
Jean Grall (1921-1987), jeune Quimpérois, observe beaucoup ce qui se passe en ville et autour de la gare. Il prend des notes pour lui-même, simplement pour se rappeler… Il noircit 16 carnets ou agendas entre juillet 1938 et octobre 1944. Le 4 août 1944, il rejoint Langolen pour le rassemblement de la 6e compagnie FFI (Lieutenant Danion), dont il fait partie. La compagnie se positionnera entre la route de Rosporden et celle de Bénodet. Puis elle sera dirigée sur  Fouesnant et la presqu’île de Crozon. Jean observe et note. Le Centre culturel quimpérois a édité, sous le titre Carnets, 1938-1944, un extrait de ses notes sur la période du 4 août au 16 octobre 1944.
Jeanne Bohec (1919-2010) a 21 ans quand elle rejoint le Général De Gaulle en Angleterre. Elle était aide-chimiste à la Poudrerie du Moulin-Blanc à Brest. Engagée dans les Forces françaises libres, elle travaille sur la fabrication d'explosifs et suit une formation militaire (parachutisme, tir, sabotage, radio…). En février 44, elle est parachutée en tant qu’instructrice en sabotage pour la Bretagne. Elle est l’agent « Râteau », ou encore « Micheline ». Elle circule à bicyclette entre le Finistère Sud (où elle donne des cours de sabotage) et le Morbihan (maquis de Saint-Marcel). On trouvera le récit de cet engagement exceptionnel dans La plastiqueuse à bicyclette, Edition du Sextant, 2004.
Césaire Le Guyader, libraire de la rue Jean Jaurès à Quimper, est membre du Parti Communiste. Il suit de près les évènements de cette guerre sur ses différents fronts et découpe, pour les coller dans des cahiers d’écolier, les articles qui l’intéressent. Il y ajoute ses propres réflexions et fournit un récit précis de la libération de Quimper, telle qu’il l’a vécue. Ces cahiers, qui relèvent d’une collection privée, ont été mis à la disposition d’Arkae pour consultation.
L'abbé Gustave Guéguen, recteur d’Ergué-Gabéric de 1941 à 1956, tient un registre-journal où il note ce qui concerne la vie de la paroisse, et parfois les actualités marquantes. 
Bernard Le Bihan. En 1944, c’est un gamin qui vit au Bourg d’Ergué-Gabéric. Sa famille, de Lorient, se réfugie à Ergué, d'où vient le père. En été 2000, il fournit un article dans le Keleier n°6 d’Arkae, où il raconte ce qu’a été pour lui le 5 août au Bourg.
Alain Le Roux est agriculteur au Mélennec. Il porte sur un agenda de poche une petite comptabilité des ventes de la ferme en lait, beurre et œufs. Et parfois, il y mentionne aussi les évènements importants, tels que les 4 et 5 août 1944.
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Jeudi 3 août 1944
Ce jeudi 3 août, à Ergué-Gabéric, le recteur Gustave Guéguen a-t-il connaissance du déclanchement de l’offensive ? Dans son Journal, nous lisons cette simple information : « un train a déraillé sur la voie à 50 mètres en aval de la station signalétique : plusieurs wagons remplis de petits morceaux de bois bien sec pour gazogène. Dès le soir et toute la matinée du lendemain, des brouettes, des charrettes à bras, de grosses charrettes sillonnaient les prairies environnantes pour prendre leur part de butin et sous une chaleur tropicale transportent à domicile la provision hivernale ». Le ton du recteur se fait plutôt désabusé: « Pour l'honneur de l'humanité, l'on eût souhaité que les riches laissâssent aux pauvres le soin de profiter de l'aubaine. Hélas, l'humanité n'est pas belle ». Il s'agit là d'un déraillement parmi bien d'autres, organisé en ces jours de forte tension pour paralyser tout trafic ferroviaire et créer un sentiment d'insécurité chez l'occupant. Et les scènes de pillage se multiplient,   par exemple en gare de Quimper, ce même jour, comme le raconte Gabriel Nicolas : « Un train rempli de matériel pour les troupes d’occupation attendait depuis plusieurs jours, faute de pouvoir aller plus loin ou être déchargé. Dans l’après-midi du 3 août, une ruée de la population pilla tous les wagons qui contenaient des dizaines de tonnes de matériel le plus divers, en état neuf, allant du gros moteur électrique aux pneus de voitures et de camions, emportés à bras, en brouette, en voiture, voire par camion. Pas de responsable allemand ou français pour s’opposer au pillage ».
 
 
Vendredi 4 août 1944
Ce matin-là, Jean Grall, qui habite rue de La Fontaine, près de la gare de Quimper, sait ce qu’il a à faire : rejoindre le maquis de Langolen, comme tous les FFI de la 6e compagnie, convoqués ce 4 août sous le commandement du Lieutenant Danion. Car c'est à proximité de deux fermes de Langolen que l'aviation anglaise doit parachuter, la nuit suivante, l'équipement destiné aux résistants, en particulier l'armement dont ils sont démunis : « Départ à 7h30 de chez Henri Carn avec Henri Desseron. Eau blanche : deux Allemands en side-car. Filons par les jardins et des maisons inconnues. Retrouvons d’autres copains au pont de Saint-Denis. Remontons le canal de la papeterie vers la route de Langolen. Le groupe augmentant, nous avons deux gars en avant-garde et deux autres en queue de colonne. A la moindre alerte, coup de sifflet et disparition. A l’arrivée au camp, un gars mal rasé, casquette marine, revolver à la ceinture renseigne les arrivants… ». Mais ce même matin du 4 août, dans la ville de Quimper, les services administratifs allemands, dont la Gestapo, ont abandonné leurs bureaux dans une précipitation remarquée par les habitants ; ils quittent Quimper pour rejoindre Lorient ou Brest. Cependant, des troupes combattantes se sont simplement repliées à Kerfeunteun (Likès et séminaire). La population quimpéroise croit au départ des occupants et est persuadée de l’arrivée imminente des Américains…
 

Cahier Césaire Le Guyader

Césaire Le Guyader note : « A 11 heures 30, la bonne, Madame Kerinvel, rentre de la ville et m’annonce le départ des Allemands : la ville est en émoi ; on attend les Américains d’un moment à l’autre. On les croit aux environs de Rosporden, que la Résistance a libérée [...] A 13 heures Julie vient et confirme cette nouvelle extraordinaire : "Quimper est en liesse". Je pars vers 13 h 30. Des groupes partout. On pavoise. En ville, grosse animation. On attend les libérateurs… St Charles lâche des détenus. La préfecture est décorée des drapeaux français, américain. La mairie, des drapeaux français, américain, anglais et belge : on prépare un drapeau de l’URSS. L’électricité est rendue ; on écoute la radio. Pas vu de la journée d’hommes de la Résistance, mais une vingtaine de voitures automobiles, cars ou tourisme allemands, avec mitrailleuses et fusils prêts au tir. Les rues sont pavoisées, les maisons aussi, le soleil brille. On attend toujours les "Noirs" [sic] libérateurs » (voir photo ci-contre).
 
Dans le cours de l'après-midi, la population se livre en ville au pillage des bâtiments et magasins libérés par les Allemands. A Langolen, selon Jean Grall, c’est une pagaille complète. Le parachutage prévu la nuit précédente n’a pu avoir lieu. Les compagnies convoquées la veille n'ont donc pas été équipées. Il y a déjà là plus de 500 hommes, et des volontaires arrivent encore de partout. Les armes manquent, mais aussi la nourriture, le couchage...« De temps à autre des gars arrivaient de la ville colportant les histoires les plus invraisemblables, entretenant ainsi l’indescriptible pagaille qui régnait déjà. [...].
16 h 45. Des gars arrivent. L’un brandit une grenade allemande et en a une caisse. Il clame : "Plus d’Allemands à Quimper. Les drapeaux flottent. On a calotté un camion de grenades et une traction de la Gestapo".
16 h 50. Un libéré de St-Charles passe : "On libère les gars après une prétendue vérification de papiers".
17 h 05. Un cycliste rentre : "Il y a encore des fritz, mais les drapeaux à croix de Lorraine flottent sur la cathédrale et la caserne". Il me disait aussi que les Français "récupéraient" le vin de la Gestapo rue René Madec devant les Boches eux-mêmes…
 
Ce qui se passe à cette heure à Quimper ? « Berthaud » a fait une apparition à la préfecture pour prononcer la destitution du préfet de Vichy en place et prendre quelques mesures d'urgence. Episode moins spectaculaire que celui qui a lieu vers 18 heures : un homme escalade une tour de la cathédrale et plante un grand drapeau tricolore à son sommet. Sur la place Saint-Corentin, on chante la Marseillaise... Mais « Berthaud » a rejoint le camp de Langolen. Suivant Alain Le Grand3, à Langolen, « Berthaud » discute  avec ses adjoints « d’une action à mener d’urgence sur Quimper. On pense que la garnison allemande n’est pas tellement importante. D’aucuns font des réserves quant à la possibilité de représailles contre la ville. L’action est décidée, on attend les véhicules. Ils arrivent vers les 20 heures. Une colonne se forme : en tête, la voiture dans laquelle prennent place Berthaud et ses adjoints, une camionnette et un camion transportant la 5e compagnie FFI4, et un détachement de FTP… ».
Cette décision, qui a été imposée par « Berthaud », de prendre possession de la ville dès le soir du 4 août, est sévèrement critiquée sur place par Albert Philippot : « Nous ne pouvons armer au plus que 50 hommes, et je considère cette marche sur Quimper comme une folle aventure qui peut se solder par le massacre du petit détachement que nous pouvons équiper. Blathwayt5 est de mon avis et affirme que "c'est du cinéma".Jean Grall n'est pas en reste pour souligner l'incongru de la situation : « Plusieurs surexcités décidèrent de descendre sur Quimper avec la quasi-totalité des armes du camp. Une partie embarqua dans une voiture particulière et le reste dans un camion "Bourhis-grains". Ils chantaient tous. Peu après quelques-uns revinrent : une voiture était en panne. Un autre convoi fut formé de quatre ou cinq voitures de tourisme, commandé par Monteil ».
 
Arrivés à Quimper, ces maquisards se répartissent en petits groupes pour converger vers le centre-ville, où des accrochages ont lieu avec des patrouilles allemandes. Bilan : deux morts et une dizaine de blessés du côté des résistants, qui doivent décrocher. Ils s’installent pour la nuit, une partie sur le Frugy, une autre à Saint-Denis. Un détachement de la compagnie de Briec, également engagé dans cette attaque sur Quimper, y a aussi perdu deux hommes. Césaire Le Guyader ne comprend pas ce qui se passe ce soir-là à Quimper : « Nous rentrons chez nous vers 18 h 30. Nous voyons dans l’Odet flotter la guérite aux couleurs allemandes de la Kommandantur, des chenilles, des barbelés, des cadres dont celui d'Hitler. Tout est calme. A 21 heures, des coups de fusils, des rafales de mitrailleuses se font entendre ; ça cogne très fort. Des hommes passent, le fusil et le fusil mitrailleur au poing. "Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ?". Les explosions succèdent aux explosions. Des grenades à main, sans doute. Ça dure une grande partie de la nuit… Pourquoi ? ».
Jean Grall, qui est resté à Langolen avec la 6e compagnie, dans l'attente d’un nouveau parachutage, rapporte ce qu’il apprend de l’équipée lancée sur Quimper : « Fanch Carn au volant d’une voiture avait des cailloux plein les poches. Pour lui, l’aventure faillit mal se terminer. Rue du Frout, dans un couloir du pensionnat Notre-Dame-de-l’Espérance, quatre ou cinq furent blessés. M. Volant, garagiste, tué. Fanch plusieurs éclats dans le ventre. Il avait le gros intestin perforé et son cas fut longtemps considéré comme désespéré ».
 
Une autre pagaille a régné ce même jour au bourg d'Ergué-Gabéric. Le recteur Gustave Guéguen observe : « Vers 17 h, remue-ménage, cris de joie, embrassades innombrables ; le chef de groupe (Viol de Kerfeunteun) emprisonné à Saint-Charles depuis 10 jours arrive au bourg prendre la direction de sa section. Ces transports de joie sont trouvés excessifs, et l'on juge sévèrement les demoiselles trop prodigues de leurs baisers. Dans la soirée, le bourg [est] en émoi par l'arrivée de la Résistance : des moteurs ronflent. De camions et d'autos descendent de nombreux jeunes gens armés de fusils et de fusils mitrailleurs. Ils escomptent prendre Quimper la nuit ou le lendemain !!! Ces troupes pleines d'enthousiasme et délirantes ne sont ni aguerries ni disciplinées et pour ma part, j'éprouve un sentiment pénible de penser que le salut de la France est entre les mains de pareils écervelés. L'enthousiasme gagne la population et deux auberges arborent les trois couleurs : cette marque de patriotisme prématurée leur vaut de faire d'excellentes affaires. Comédie humaine ! » Il n’est pas dit que ce soient les « surexcités » de Langolen qui aient fait une halte au bourg d’Ergué. On peut plutôt comprendre que le bourg a été, pendant la journée du 4 août, le point de ralliement de la section de Le Viol et peut-être d'autres éléments qu’aucun témoignage ne nous permet d’identifier. En soirée deux autres groupes de résistants montant vers Langolen  (non identifiés par nos témoins) sont passés au bourg. Selon Gustave Guéguen, « au crépuscule arrivent de Quimper deux sections se dirigeant sur Langolen et fort disciplinées celles-ci et donnant vraiment une impression de sécurité6. L'ordre est donné de ne rien tenter sur Quimper, j'en suis fort aise ». Ainsi les contradictions apparues au camp de Langolen ont également cours à Ergué. On attaque sur Quimper ou pas ? A peine s’est-il rassuré que le recteur se trouve contredit : « …des audacieux du bourg vont en ville la nuit aider des camarades en détresse et dépourvus de munitions ; ils peuvent faire leur voyage sans blessure, mais leur auto est criblée de balles ». Ce groupe parti d’Ergué est donc revenu sain et sauf. Une tradition orale précise qu’il était dirigé par Fanch Balès, et qu’il avait plutôt pour objectif de se constituer une bonne réserve de cigarettes en attaquant l'entrepôt des tabacs de la rue de Douarnenez. Cette même source confirme les nombreux impacts de balles sur le véhicule.
 
Sur son petit agenda, à la page du vendredi 4 août, Alain Le Roux, de Mélennec, a noté : « Départ des troupes allemandes de Quimper et de la Gestapo. Nettoyage de la ville par la Résistance. Drapeau français et américain partout ».
 
 
Samedi 5 août 1944
Les maquisards n'ont pas pu se rendre maîtres de Quimper, où le réveil est plutôt brutal. Et les Allemands, repliés sur Kerfeunteun, ont repris le contrôle du centre-ville. Césaire Le Guyader note : « Ce matin, à 6 h. Réveil à coups de fusil et de mitrailleuses...  Les drapeaux quittent les fenêtres avec une vitesse intempestive… Un passant me dit : "Enlevez vos drapeaux. Les Boches les arrachent ou tirent dessus". Il est 9 h 30. La fusillade continue, très nourrie par moments. On annonce une arrivée en masse de ceux qui nous quittaient hier si rapidement. Avaient-ils cru eux aussi que les Américains étaient à Rosporden ? Sans doute, il n’y a que cela qui peut expliquer leur si rapide départ. Mais où sont mes camarades7 ? On avait désigné Faou comme commissaire de police en remplacement de l’affreux Bodiguel. Un nouveau préfet était en place depuis hier soir, Mr Berthaud ; des affiches déclaraient Quimper en état de siège. Actuellement on nous dit que les Allemands sont à nouveau maîtres de la préfecture, de la mairie, de l’hôtel des postes, de la Kommandantur… La fusillade reprend de façon spasmodique ; il est 10 h 30. J’enlève mes drapeaux ». Puis il s’explique : « Julie vient d’entendre dire à l’instant que la Radio de Paris annonce l’arrivée des Américains à Ploërmel. Il paraît qu’on attendait hier la descente en parachute de 600 Américains, d’autres disent 500. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous attendons toujours. Alors pourquoi un bobard hier ? Pourquoi cette prise de la préfecture et de la mairie s’il n’y avait rien de prêt pour tenir les Allemands en respect ? Où est Monsieur Berthaud8 ? ».
 
Au matin de ce samedi, le drapeau tricolore flotte toujours au-dessus de la cathédrale, Une section de la 5e compagnie est restée installée en observation sur le Frugy. Les autres ont rejoint les sorties de la ville vers Lorient (l’Eau blanche) et vers Brest (Gourvily). La situation des résistants s'est nettement améliorée du fait des parachutages, enfin réussis, destinés à la 6e Compagnie FFI et à la compagnie de Briec. Albert Philippot évalue : « Nous pouvons aligner environ 300 hommes armés, possédant une trentaine d'armes automatiques et les trois bazookas. Nous devenions un adversaire avec qui il faudrait compter ». Il poursuit : « La seconde phase de la bataille pour Quimper allait commencer. Ne pouvant encore espérer donner l’assaut […], nous décidons d’établir autour de la ville une série de petits points d’appui dont la mission sera de harceler tous les convois ennemis qui passeront, sans nous laisser accrocher ». Jeanne Bohec confirme : « Les troupes allemandes qui défendaient la côte sud, de Penmarc’h à Concarneau, reçurent l’ordre de se replier sur Brest en passant par Quimper. Partout, ces détachements se heurtèrent aux forces de la Résistance, qui les attendaient en embuscade. Nous occupions toutes les hauteurs qui dominent la ville, toutes les routes et passages obligés. Attaqués en un point, les Allemands en retraite qui réussissaient à passer étaient de nouveau assaillis un peu plus loin ».
 
Dans ces conditions, les affrontements sont inévitables. En centre-ville d'abord. 
Vers 10 heures, des résistants postés sur le Frugy blessent par balle deux allemands qui passent sur le pont Sainte-Catherine et le Champ de Bataille. Réaction immédiate : convaincus que les tirs proviennent de la préfecture, les Allemands y pénètrent, y jettent des grenades incendiaires et prennent en otages une trentaine d’employés, qui sont enfermés à la prison de Saint-Charles. Césaire Le Guyader note : « 10 h 45 : la Préfecture flambe. 12 h 05 : Je rentre d’avoir été aider à déménager les habitants du pâté de vieilles maisons. On craignait que tout le quartier ne brûle. Il y a espoir de voir le feu épargner le voisinage. Le vent, assez fort, souffle du nord-est… et je suppose que les boiseries et les tentures de cet important immeuble étaient ignifugées. Mais où est Monsieur Berthaud ? ». Jeanne Bohec raconte la suite de l’épisode du drapeau : « Au sommet de la cathédrale le pavillon tricolore flottait toujours, semblant les narguer. Ils ouvrirent le feu sur lui, essayant de couper la corde qui le retenait, en vain. Alors ils prirent le curé de la cathédrale et plusieurs autres personnes en otages, menaçant de les fusiller si le drapeau n’était pas enlevé dans les dix minutes. Apprenant cela, l’homme courageux qui avait été le placer là-haut refit la périlleuse ascension et descendit notre emblème. Les Allemands le piétinèrent avec rage ». Cette agitation quimpéroise trouve un écho auprès du recteur Gustave Guéguen : « Le samedi matin, la fusillade est nourrie dans la vallée du Jet9. Le bruit court que la cathédrale est en feu ; en réalité, c'est la préfecture qui brûle, on ne saura probablement jamais pourquoi. Les drapeaux disparaissent des fenêtres, les panneaux sont mis aux devantures et le bourg prend son aspect morne habituel. J'admire la bravoure et la prudence de mes paroissiens ».
 
Dans le cours de la journée, le dispositif résistant d'encerclement de la ville se poursuit. « Berthaud » a sorti de Quimper le PC des FFI pour l'installer sur l'axe Langolen-Quimper, au Rouillen, en Ergué-Gabéric, chez Alfred Le Mercier10. La 5e compagnie (Nicolas) se regroupe à proximité du Rouillen et cantonne à Kerellan, en protection de l’Etat-Major. « Nous tenons solidement les routes de Brest, Concarneau, Coray, Rosporden », constate Albert Philippot. Jeanne Bohec raconte ce transfert : « Nous quittâmes Quimper dans un camion de Joncourt et le PC fut installé non loin de la ville près d'un important embranchement de routes, si je me souviens bien sur la route de Brest, près du moulin de Tréqueffélec11. Nous y retrouvions, avec une compagnie FFI, l'équipe Jedburgh. Son capitaine12 prit le commandement de fait. Les liaisons avec les autres compagnies FFI étaient assurées comme toujours par des jeunes filles ».
 
La compagnie de Briec, avec à sa tête le lieutenant Le Gars, s’est lancée dans la bataille le matin même ; dans la nuit, 27 résistants sont descendus du car Berthelot, de Landudal. Ils ont plusieurs accrochages dans la journée avec des Allemands sur la route de Brest. Dans l'après-midi, un convoi motorisé venant de Brest surprend un groupe de résistants en train de se désaltérer à proximité du café tenu par la famille Le Jeune. Un échange de tirs s'engage. Quatre résistants sont tués. Les Allemands incendient la maison et exécutent sur place quatre membres de la famille. La compagnie de Briec va cantonner à Cuzon. Grâce à Jean Grall, nous pouvons suivre la 6e Compagnie FFI (Lieutenant Danion). Cette dernière a pu s'équiper : en effet, un nouveau parachutage d'armes a réussi du côté de Langolen dans la nuit du 4 au 5 août. Le matin ils récupèrent, montent et dégraissent les armes : « A 14 heures, j’avais un fusil, un chargeur de 10 balles et deux cartouchières de toiles (100 balles) ». Il poursuit : « Des gars venus de Quimper disent que la préfecture brûle depuis ce matin puisque l’on n’a pas voulu ôter le drapeau de la cathédrale et que 400 Russes vont et viennent dans les rues en tirant sur les drapeaux ». Dans la soirée, le camion gazogène et une vieille voiture font la navette vers Quimper. Le groupe 1, celui de Jean Grall, attend son tour. « Le lieutenant Danion nous réunit – répartition des chargeurs, FM, mitraillettes. Sans brassards FFI, nous en taillons dans ces gros rouleaux de chiffons accompagnant les armes pour le dégraissage… Ils embarquent enfin : « les fermiers qui ramassent le foin, les habitants de la route nous saluent [...] Arrêt à la Croix-Saint-André. Progression en colonne de chaque côté de la route, arme au poing… un ivrogne couvert de médailles me crie : j’en ai tué à l’autre et je veux le refaire… ».
 
Qu'est-ce qu'on comprend à Mélennec de tous ces évènements ? Alain Le Roux a noté : « Fausse arrivée des Américains à Quimper. Ils sont partis en renfort à Brest. Fusillade à partir de la route de Rosporden sur nous. Donné lambic et beurre et oeufs au commandant Berthaud et officier américain13  au Rouillen. Arrivée d'Allemands (russes) de la côte (escarmouche). Feu à la préfecture. N'ai pu aller que jusqu'au Pont Firmin ». 
 
De son côté, le recteur d’Ergué-Gabéric fait état du grand remue-ménage survenu dans le bourg ce jour : « A midi, fausse alerte heureusement ; on prétend que les Allemands encerclent le bourg et l'on entend une rafale de fusil mitrailleur. En fait, c'est un exercice de tir qui glace tout le monde d'effroi ». Mais Bernard Le Bihan se montre plus précis dans l’article qu’il a présenté dans le Keleier n°6 d’octobre 2000. Ainsi ce souvenir d’enfance concernant ce moment de panique : « Dans le bourg d’Ergué-Gabéric, un groupe de maquisards bavarde devant l’école des filles. Admiratifs et curieux, quelques gamins les observent… Soudain, venant de la rue du presbytère, semblant apeuré et essoufflé, un gamin plus grand que les autres crie : "les boches, les boches… ils arrivent !". Et il indique la direction du cimetière. François Balès, pas du tout impressionné, déclare : "je rentre de patrouille de nuit et je vais me coucher. S’il y a du grabuge, venez me chercher". Un responsable donne des ordres et tout le monde s’éparpille dans toutes les directions […]. Un car manœuvre sur la route de Kerdévot. Sur le toit, un résistant est armé d’un fusil mitrailleur […]. Brutalement trois rafales d’arme automatique déchirent le silence ; elles proviennent de l’endroit où le car s’est placé pour prendre la rue en enfilade. Un silence s’installe comme si le bourg retenait sa respiration […] ». Le calme paraissant revenu, le gamin finit par rejoindre les maquisards. « Ceux-ci commentent l’évènement : "Heureusement que ce n’était qu’une fausse alerte, dit l’un d’entre eux. Qu’est-ce que j’aurais fait avec ça ?". Et il exhibe un poignard de scout. Un autre dit  : "Et moi, avec ça ? en montrant un pistolet de petit calibre, tout juste bon à effrayer les chiens." Une patrouille qui cherchait le contact avec les Allemands revient en poussant devant eux l’auteur de la fausse alerte. Immédiatement conduit devant le chef, celui-ci lui assène une gifle formidable et lui dit : "Si tu avais été un homme, nous t’aurions fusillé". »
 
 
Dimanche 6 août 1944
La journée du 6 août est généralement considérée comme ayant été calme à Quimper : « une sorte de trêve ponctuée de coups de feu isolés », dira Jeanne Bohec. Cela se traduit quand même par plusieurs morts et blessés parmi les habitants. Pour Césaire Le Guyader, le 6 août est plutôt mouvementé : 
« 10 h du matin. J’ai fait le tour de la préfecture. Il n'en reste que les murs. Tout est consumé. Me trouvant sous les arbres en face de l’Hôtel de l’Epée et contemplant le désastre, j’entends le bruit d’une foule galopante. Je me retourne et de tous sens couraient des gens : hommes et femmes. "Ils viennent ! Ils viennent !" criaient des gens. 
– Où sont-ils ?
– Ils viennent !
Je me dirige vers la Banque Loyer, où je trouve un groupe : 
– Qu’y a-t-il ? 
– Les Boches descendent de Saint-Charles ! Ils tirent. 
Les gens passent en courant. Georgina vient vers nous ; on lui demande 
– Où sont ils ? 
– Est-ce que je sais, moi ? Les aut’ cour’, moi je cour’ aussi, répond-t-elle de son ton inimitable. 
– Rentrons ensemble, lui dis-je, par derrière la préfecture.
Nous passons le pont du Café de Bretagne et longeons les grilles du palais préfectoral doucement, en disant "les salauds ! Ils nous emmerderons donc jusqu’à la fin !". Huit jeunes filles affolées sortent de la rue Sainte-Thérèse en courant vers nous. "Allons bon ! dis-je, les voici dans notre rue !" Nous abordons le coin avec beaucoup de circonspection. Rien. Tout est calme. Des groupes discutent. On entend : "Ils reviennent, ils ont des grenades. Ils tirent sur tous ceux qui sont dans la rue ! Il faut rentrer…". Personne ne sait ce qui se passe. Pendant que je trace ces lignes, j’entends des coups de feu et des pas rapides dans la rue. Alors quoi ? Où est Monsieur Berthaud ? Qui est ce type qui vient et qui fout le camp, c’est ça un préfet ? Il n’était donc au courant de rien ? Ca commence bien !! »
 
Par ailleurs, côté résistants, le dispositif s'améliore encore. Albert Philippot en témoigne : « La compagnie de Briec étant descendue au complet, elle prend à son compte le secteur de la route de Brest et celui de Saint-Denis qu'occupait depuis la nuit la compagnie Nicolas14. Celle-ci prend le secteur des routes de Rosporden et de Coray. Il ne peut toujours pas être question de résister à une attaque en force de l'ennemi sur un point donné ; nos hommes peuvent faire de la guérilla, mais pas de combat rangé. L'ordre est donc d'éviter de se faire accrocher et de harceler l'ennemi. Nous avons ainsi deux ou trois bouchons échelonnés sur chacune des routes que nous contrôlons. A mesure que des armes de récupération tombent entre nos mains, nous complétons notre dispositif. La compagnie Danion15 prend la route de Rosporden en arrière de la compagnie Nicolas, vers Kergonan, et la route de Concarneau vers Ty Boss. La compagnie Bédéric16 s'installe à cheval sur les routes de Concarneau et de Bénodet, poussant des éléments assez loin de Quimper […]. La 2e compagnie (commandée par Fer, qui est revenu prendre sa place au combat17) et la 8e compagnie, placée sous les ordres du Capitaine Espern, ne sont pas encore armées ; elles sont des réserves à Ergué-Gabéric, où elles gardent les prisonniers que l'on a faits18 ». Gabriel Nicolas peut encore renforcer sa 5e compagnie : « Ce dimanche, des dizaines de volontaires se présentent à Kerellan ; nous en prenons une vingtaine dont un sous-lieutenant d'active [...]. » Il peut tester l’efficacité de son organisation. Ainsi, « tôt le matin, un agent de liaison motocycliste vient se faire prendre au poste de garde du passage à niveau de l'Eau blanche [...]. On récupère un revolver et une moto. Notre premier prisonnier ira à Ergué-Gabéric où se crée le premier camp19 ». Cependant, à partir d’un semi échec le soir à l’Eau blanche, il lui paraît qu’il faut y établir un poste permanent : « le dimanche, en fin de journée, un convoi allemand quitte la ville par la route de Rosporden sur laquelle nous n'avons aucun poste à l'Eau blanche. En passant, il nous arrose de rafales d'armes automatiques pour aller plus loin se faire accrocher par la 6e compagnie et se faire détruire avant de gagner Lorient20 ». Le recteur d’Ergué-Gabéric, ce dimanche, écrira : « Vers 16 h arrivent les sections de Langolen et celles de Quimper vues le vendredi : elles prennent possession du bourg ; on poste des fusils mitrailleurs au bord des trous creusés par ordre des Allemands pour leur défense21. Le chanoine Grill22 qui se met bénévolement à la disposition des troupes est reçu au presbytère, où il logera toujours et où il prendra parfois ses repas.Vers 20 h. arrivent des prisonniers allemands et deux Quimpéroises trop aimables pour eux. Le bourg au complet devant l'école publique des filles où on les a rassemblés ; les femmes sont désolées parce qu’on ne fait pas faire le tour du bourg à ces honteux trophées ; le soir, on circule très tard en commentant les évènements ».
 
 
Lundi 7 août 1944
La veille au soir, le convoi allemand qui voulait s'échapper vers Lorient n'avait pas été stoppé à l'Eau blanche. D'où cette décision signalée par Gabriel Nicolas : « La 5e compagnie, complétée en armes et en effectif, met une section sur la route de Rosporden, à l'Eau blanche derrière le barrage bétonné construit par les Allemands23 ». Le même Gabriel Nicolas, qui commande cette 5e compagnie, raconte : « Vers 10 heures, je me trouve devant le barrage avec le chef de section lorsque nous sommes prévenus qu'un convoi allemand se dirige vers Rosporden. La section est en alerte et nous n'attendons pas longtemps pour voir arriver les véhicules. A une centaine de mètres, nous ouvrons le feu. Sous la mitraille, les voitures s'arrêtent à une cinquantaine de mètres. Des hommes giclent des véhicules et disparaissent des deux côtés. Le feu des armes a duré à peine 5 minutes qu'il arrive sur le barrage une volée d'obus de mortiers fort bien ajustés, mais un peu tard : les jeux sont faits. Nous avons localisé ces tirs comme provenant du Grand séminaire. Avec une rapidité étonnante, les voitures de la Croix-Rouge sont sur place pour relever morts et blessés. Les rescapés regagneront le séminaire. Quatre hommes valides seront faits prisonniers. Interrogés par un interprète, nos captifs sont pâles et pitoyables. On leur a tant dit que les "terroristes" fusillaient les prisonniers. L'interrogatoire ne peut avoir lieu ; ils ne sont pas à même de répondre. Ils seront conduits au camp de prisonniers d'Ergué-Gabéric. Nous récupérons trois camions, deux mitrailleuses légères, une trentaine de fusils et des grenades24...» .
En ville de Quimper, Césaire Le Guyader constate un calme relatif : « 7 août. Journée d’attente… coups de fusils et de grenades... des morts. Beaucoup d’avions ».En réalité, depuis le samedi 6 août, des démarches sont entreprises par le commandement FFI, par les conseillers militaires anglais qui l’assistent et par la Croix-Rouge, en vue d'obtenir une reddition allemande. Les différents contacts pris n'aboutissent pas à un accord, mais les préparatifs d'un départ des troupes allemandes sont observés. 
L'Abbé Gustave Guéguen a eu connaissance des combats de l'Eau blanche : « Le lundi 7, à la fin de la matinée, fusillade nourrie semblant venir du sommet de la colline25, en fait de l'Eau blanche. On veut empêcher les Allemands (4 ou 500) de sortir de Quimper ; l'aumônier est allé sur les lieux. Dans l'après-midi, les nôtres ont tué 12 Boches : un seul a une égratignure à l'oreille. On est venu demander une chambre pour le Capitaine Espern26, capitaine de l'artillerie de l'active de Trégourez. Un matelas a été prêté pour une ambulance provisoire. Vers 19 h sont arrivés 60 prisonniers TOT27 ; de très nombreux avions ont sillonné le ciel, surtout l'après-midi, quelques-uns très bas. A 21 heures, il y a eu des bruits de bombes ».
 
 
Mardi 8 août 1944
 
Le matin
Gabriel Nicolas décrit : « Au milieu de la matinée, un convoi d'une dizaine de véhicules venant de Concarneau est attaqué vers Ty Bos par la 6e compagnie mitraillant à outrance. Le convoi passe et gagne le Grand séminaire ». Albert Philippot présente une version tout aussi brève : « Le 8, un convoi ennemi fort d'une douzaine de voitures est accroché par le poste que la compagnie Danion a installé à Ty Boss. Les deux FM s'enrayent au cours de l'engagement, le convoi passe, nous avons deux blessés...»
Alain Le Grand se montre bien plus précis : « une douzaine de camions transportant 250 soldats environ28. Au lieu dit Ty Boss, ils mettent pied à terre pour escorter les véhicules... ». Les Allemands avaient, semble-t-il, repéré le barrage la veille. « ...Les deux FM des FFI s'enrayent. La section décroche avec deux blessés [...]. Les Allemands prennent en otage un cultivateur, Jean-Louis Le Meur (37 ans), d'Ergué-Gabéric29, qu'ils obligent à marcher devant la colonne. Parvenue à l'entrée de l'agglomération, route de Concarneau, à l'intersection de l'avenue Kergoat-al-Lez, les soldats abattent l'otage, déchirent sa carte d'identité et en dispersent les morceaux. La colonne descend vers la gare, mitraillant et jetant des grenades dans les maisons... ». Une vieille femme est tuée et une quinzaine de civils sont blessés.
Alain Le Grand revient sur la matinée : le commandant de la gendarmerie « rapporte, d'une nouvelle intervention au PC (allemand) du Likès que la garnison allemande quittera la ville aux environs de midi, par la route de Plogonnec, allant vers Brest. En effet, vers 12 h 30, on entend des explosions : les Allemands font sauter leurs munitions au Likès et au Séminaire. Ils incendient aussi le relais téléphonique de Kerfeunteun30 ». Et les cellules de la prison Saint-Charles s'ouvrent.
De son côté, l'Abbé Gustave Guéguen note : « Mardi 8. Le matin, été au PC du Rouillen (Abattoir Mercier31) pour mission qui n'a pas réussi. Le commandant Berthaud n'a rien d'un militaire extérieurement. Aperçu une demoiselle32 qui a été deux ans en Angleterre, parachutée depuis six mois comme instructrice du déboulonnage des voies ferrées.Un scout a hissé le drapeau au sommet de la tour sans ma permission : j'ai fait la remarque le lendemain, et le jeune est venu offrir ses excuses33 ».
A Quimper, Césaire Le Guyader observe : « Mardi 8 août. C’est calme vers 9 heures. Je me dirige vers la mairie pour voir ce qui s’y passe au sujet du conseil municipal. Rosuel y vient vers 9 h 30 et me dit qu’il se rend au Vieux séminaire, où a lieu une réunion pour constituer une liste. Je vais avec lui… Vers midi, la liste est constituée. Je rentre à midi trente. Julie était dans l’angoisse, car les coups de feu ne cessent pas. Le soleil est radieux. Beaucoup d’avions. »
 
L’après-midi
Autre combat important, et même décisif, dans l’après-midi de ce 6 août : celui de Tréqueffélec. Voici ce que dit Gabriel Nicolas : « Vers 13 heures, un convoi quitte la ville par la route de Brest, contrôlée par Pierre Le Gars de la compagnie de Brest, qui dispose de 260 hommes. Dès le départ, le feu des armes est intense ; la Wehrmacht doit quitter ses camions pour un sévère combat d'infanterie qui durera plusieurs heures. Les tirs sont meurtriers de part et d'autre, mais la compagnie de Briec ne lâche pas sa proie. La 2e section de la 5e compagnie FFI – mon unité –  gagne les lieux de combat vers 14 heures et se met à la disposition du commandant de la compagnie de Briec. Elle permettra à ce dernier d'améliorer sa puissance de feu, ce qui obligera l'adversaire à décrocher, abandonnant ses véhicules, dont trois brûlent sur la route. Il devra à pied gagner la presqu'île de Crozon ». Et dans la soirée, sept camions allemands sont ramenés à Kerellan en guise de butin, dont l'un contient 50 paires de bottes et d'autres, une grande quantité de vivres et d'armes.
Albert Philippot indique qu'il y a eu plus de 150 tués du côté allemand, et de « nombreux » blessés : « Nous avons à déplorer sept morts et trois blessés à la compagnie de Briec. Ce combat semble décider du sort de Quimper. Le soir même l'ennemi incendie ses dépôts de munitions et remonte vers Locronan en utilisant la petite route de Croechou34, que nous ne contrôlons pas ».
L'Abbé Gustave Guéguen a eu vent de cette action : « Le soir, tard, appris que la section du bourg a bousillé cinq camions d'allemands s'enfuyant vers Brest par la route de Briec : le groupe de Briec a eu cinq morts ; ceux enfuis par la route de Locronan ont pu échapper alors qu'il eût été si facile de les attaquer des bois qui précèdent le pont du chemin de fer de Douarnenez ou au bas de la côte de la Lorette. Discussion vive au sujet du sort que l'on fait subir aux prisonniers, qu'il ne faut pas achever35 ».
Césaire le Guyader conclut : «  Ce soir, 18 heures, la Ville est libre. Les "FFI" occupent les sorties de la ville ».
 
 
Mercredi 9 août 1944
Albert Philippot annonce : « Le 9 août, nous entrons définitivement dans Quimper ». Gabriel Nicolas développe : « La délégation militaire s'installe [en] centre-ville tandis que les unités demeurent sur place pour éviter un retour de l'occupant encore présent sur la côte, à Concarneau, Bénodet, Audierne. Il y a alors 860 hommes armés autour de la ville, à savoir : 450 hommes du mouvement Vengeance, 250 hommes du mouvement Libération-nord, et 150 hommes des FTP. Quelques groupes armés font également le coup de feu, ce qui porterait le total à 900 hommes ». C'est aussi ce 9 août que le Finistère a un nouveau Préfet, Aldéric Lecomte. Gustave Guéguen poursuit sa chronique : « Mercredi 9. Mangé au mess des officiers – 2 seulement, le capitaine Espern et le lieutenant Fer. Le capitaine est arrivé à la fin du repas avec le docteur de l'asile et nous avons attendu pour le dessert.Prise d'armes à Quimper vers 16 h. près du monument aux morts. Le directeur du ravitaillement, le commissaire de police sont désignés ; le nouveau préfet est attendu ».
 
 
Jeudi 10 août 1944
Gustave Guéguen : « Jeudi 10. Les prisonniers et TOT sont partis, ceux-ci à Pluguffan, ceux-là à Guengat. Le matelas a été rendu le vendredi dans la soirée ». Les autres chroniques tiennent que les prisonniers sont rassemblés au camp de Lanniron. Le samedi 12 août, le recteur notera encore : « Samedi à 3 h. du matin, réveil par suite de canonnade intense dans les parages de Penmarc'h. Cela a duré une heure d'une façon intense. Puis le bourg est retombé dans sa torpeur habituelle ». Césaire Le Guyader fera partie du Comité local de Libération pour y représenter le Parti communiste. Le 15 août, il se joindra aux FTP et sera chargé des effectifs au bureau de leur Etat-Major à l’Hôtel Templet.Il participera au siège de Lorient.
 
Les FFI et FTP qui ont libéré Quimper enverront quatre sections combattre à Fouesnant, Bénodet et Concarneau, que les Allemands évacueront par mer, vers Lorient, le 25 août. Il ne restera à libérer que Lezongar (Cap Sizun), la presqu'île de Crozon et Lorient. Ce n'est que le 22 septembre qu'on verra les troupes américaines passer à Quimper, après la reddition des Allemands dans la presqu'île de Crozon.
 
Allocution du colonel Berthaud à Quimper Libération Archives municipales de Quimper
Allocution du colonel Berthaud en 1945 (Archives municipales de Quimper)
 
 
Notes
1. Les FFI étaient le produit du rapprochement de plusieurs mouvements, les principaux à Quimper étant Vengeance et Libération-Nord. Une concertation avec les FTPF était en cours depuis quelques semaines pour établir le plan d’action à suivre ensemble.
2. Voir note 6.
3. Le Finistère dans la guerre 1939-1945. Tome 2, « La Libération », page 272.
4. La 5e compagnie, celle commandée par le lieutenant Nicolas, a engagé quatre sections dans cette opération.
5. A la suite du Débarquement en Normandie, des équipes de trois conseillers militaires furent parachutées par les Alliés derrière les lignes allemandes dans le but d’activer et de diriger l’action des maquis, de les assister dans les communications avec Londres, dans les parachutages et les opérations de sabotage. L’équipe Jedburgh « Gilbert », composée du Capitaine Blathwayt (GB), du Capitaine Paul Charron de la Carrière (F) et du sergent radio Neville Wood (GB) a été parachutée dans la nuit du 9 au 10 juillet 1944 à Coadry (Scaër) et a accompagné les maquisards dans les combats autour de Quimper, Rosporden, Concarneau et la presqu’île de Crozon. Le capitaine anglais de l’équipe Jedburgh « Gilbert », parachuté comme conseiller militaire, était à Langolen le 4 août 1944.
6. Il doit s’agir des routiers « Eclaireurs de France », qui ont intégré le secteur 3 (Le Grand, page 265-256), rescapés du massacre du Guellen en Briec. Ils sont commandés par Roger Le Bras. Ils montent au camp de Langolen « en uniforme » scout, pour se faire équiper : « les bébés  éclaireurs sont arrivés dans la nuit et ce matin, ils vont être les premiers servis. Un coup du Capitaine Philippot ! » écrira le lendemain Jean Grall, un peu jaloux des protégés de Philippot.
7. A plusieurs reprises dans son texte, Césaire Le Guyader s’interroge sur l’absence apparente dans les rues de Quimper de ses « camarades » FTP En réalité, la 1ere compagnie FTP (Mével) était à Langolen dès le 4 août et a envoyé un détachement le soir même occuper Quimper (sous commandement Louis Cren).
8. Autre phrase récurrente sous la plume de Césaire Le Guyader : « Que fait donc ce Monsieur Berthaud, cet incapable, etc. » Une réelle suspicion devait exister entre FFI et FTP ! 
9. Il s’agit peut-être de coups de feu signalés par un seul autre témoin, Alain Le Roux, qui écrit : « Fusillade à partir de la route de Rosporden sur nous (à Mélennec). » Voir ci-dessous.
10. Alfred Le Mercier était un « marchand de porcs ». Né en 1892 à Rostrenen, il était en location au château de Kerivoal en Kerfeunteun. Sous le régime de Pétain, en tant que vice-président du Groupement d’achat de viande, il avait des responsabilités dans le Ravitaillement du Finistère. A la même période, il fit l’acquisition d’une ferme au Rouillen. Mais depuis le mois d'octobre 1943, Alfred Le Mercier était recherché par la police allemande pour appartenance à une organisation clandestine, le « Groupe Champagne ». C’est à son domicile de Kerivoal que s’était installé le PC des FFI sous le commandement de « Poussin », puis c’est à son nouveau domicile du Rouillen que s’était ensuite installé l’Etat-Major de « Berthaud ».
11. Jeanne Bohec a oublié le nom de la nouvelle implantation du PC (Le Rouillen), tout à fait transitoire il est vrai (du 5 au 8 août).
12. Il s'agit du Capitaine anglais Blathwayt.
13. Il ne peut que s’agir du Capitaine Blathwayt, qui est anglais et non américain.
14. Ou 5e compagnie.
15. Ou 6e compagnie.
16. Ou 7e compagnie.
17. Le lieutenant Théophile Fer (« Broustail ») est lui aussi, comme Monteil et Bellan,  professeur au lycée de La Tour d’Auvergne. Il commandait le secteur 3 du maquis qui a opéré courant juin sur le territoire d’Ergué-Gabéric. Blessé le 27 juin lors du massacre de la ferme du Guellen, dont il a pu s'échapper, il avait du se mettre totalement en retrait.
18. Nous apprenons ici que ce sont le lieutenant Fer et le capitaine Espern qui rassemblent les éléments de leurs compagnies au bourg d’Ergué-Gabéric, en attendant les livraisons d’armes promises.
19. Un centre de détention tout à fait transitoire (du 6 au 9 août) a donc existé au bourg d'Ergué-Gabéric, dans les locaux de l'école publique des filles, route de Kerdévot (actuel Centre Deguignet). Y étaient rassemblés les combattants allemands faits prisonniers et des ouvriers travaillant pour l'Organisation Todt (voir aussi note 27).
20. On peut comprendre que le convoi allemand tire sur Kerellan en quittant Quimper, puis se fait accrocher par la compagnie de Bédéric sur la route de Rosporden et est enfin détruit à Rosporden.
21. Il s’agit probablement des trous individuels creusés pour la défense des soldats allemands qui ont cantonné au bourg d’Ergué-Gabéric, du samedi 17 juillet au jeudi 5 août 1943. Des habitants furent réquisitionnés pour creuser des tranchées. Deux autres hébergements de troupes allemandes furent imposés au bourg le 24 février et le 16 juin 1944.
22. Le chanoine Corentin Grill, né à Langolen en 1889, est un fort tempérament. Prêtre-instituteur en 1913, puis inspecteur de l’enseignement catholique de 1919 à 1939, il s'engage comme aumônier militaire. Fait prisonnier, il est libéré en 1942. Il est ensuite affecté à l'école Sainte-Anne de Quimper. Après le Débarquement, il rejoint le maquis de Scaër vers le 20 juillet. Le samedi soir, 5 août, il « demande l'hospitalité au presbytère ; il vient de Scaër à pied. Il sera notre hôte jusqu'au mercredi matin », écrit Gustave Guéguen. On le trouvera ensuite dans la presqu'île de Crozon, au siège de Lorient, puis en Allemagne avec l'armée d'occupation et en Indochine, jusqu’en 1955. Il décède en 1975.
23. Alain Le Grand (tome 2, page 279) précise qu'il s'agit d' « épaulements en béton qu'ont fait construire les Allemands en prévision du débarquement allié ».
24. Marcel Philippot confirme : « Le 7, le poste que la compagnie Nicolas tient à l'Eau blanche attaque et détruit trois camions allemands qui tentaient de sortir par la route de Rosporden ».
25. Il s'agit de la colline de Boden, qui se trouve dans l'axe Bourg-Eau blanche.
26. Le capitaine Louis Espern est né à Edern et a passé son enfance à Trégourez. Il est officier de carrière : lieutenant d’artillerie en 1939, il combat sur le front des Ardennes et connaît le repli sur Dunkerque. D’Angleterre, il passe en zone non occupée, puis rejoint Vannes et Quimper, où il travaille à l’implantation d’abris sur la place Saint-Corentin. Il entre en relation avec « Berthaud » qui lui confie le commandement de la 8e compagnie FFI, jusqu’à ce qu’il se saisisse d’un canon de 115 abandonné par les Allemands et constitue à partir de là une batterie d’artillerie qui interviendra dans les combats du Menez-Hom.
27. L’Organisation TODT, fondée par l’ingénieur nazi Fritz Todt, se développa dans la construction civile et militaire, en particulier dans la construction du mur de l’Atlantique. Après la mort de Todt en 1942, l’organisation est dirigée par Albert Speer. En 1944, elle employait 1,4 million de travailleurs, dont la grande majorité était des prisonniers de guerre, travailleurs forcés venus des pays occupés.
28. Jean Grall participait à ce combat : « …près de 250 Allemands, et nous étions 17 ».
29. Jean-Louis le Meur a 37 ans. Il est né à La Forêt-Fouesnant. Il est agriculteur, installé à Kervernic en Ergué-Gabéric après son mariage avec Marie-Françoise Gourmelen. Il est père d'une petite fille. Il était allé à Ty Bos à bicyclette pour demander un coup de main à sa parenté pour les travaux de la moisson. La colonne d'Allemands venant de Concarneau, qui voulait traverser Quimper, l'a pris comme otage, le faisant avancer devant eux pour pouvoir l'abattre à la moindre manifestation d'hostilité (cf. Keleier Arkae n°38, mars 2005, p. 4).
30. Alain Le Grand, tome 2, p. 280.
31. Le recteur appelle Abattoir Mercier ce qui n'était qu'une ferme, dont les bâtiments servaient à regrouper les porcs achetés par Alfred Le Mercier avant leur expédition sur pied en région parisienne. Ces locaux sont aujourd'hui occupés par l'entreprise "Kenta Electronic".
32.Il s'agit de Jeanne Bohec.  Si le recteur d'Ergué-Gabéric se félicite de l'avoir « aperçue », elle ne signale pas avoir vu le recteur au Rouillen.
33. Il s'agit ici sans doute d'un jeune maquisard du groupe des « Eclaireurs  de France », groupe formé autour d'Albert Philippot (voir note 6). Ce fait est confirmé par les Annales de l’école privée de filles N.D. de Kerdévot, où nous lisons : « Nos classes sont réquisitionnées pour un groupe de FFI. C’est avec plaisir que nous les cédons, car l’heure de la libération approche. Le lundi 7 août, un drapeau tricolore flotte au haut du clocher. Nos cœurs respirent. Nous sommes en France libre ! Pendant cinq jours, les Patriotes occuperont notre petit bourg en attendant d’avancer sur Quimper. A leur départ, beaucoup de Quimpérois, voyant la préfecture en flammes, prirent la fuite et se réfugièrent dans les familles amies. L’école N.D. de Kerdévot ouvrit encore ses portes et hébergea une dizaine de personnes sans abri ».
34. Le Croëzou.
35. Ce n’est pas du tout une discussion de salon : il y a là, au bourg, une cinquantaine de prisonniers allemands. Fallait-il les tuer ou les faire prisonniers ?  Argument sans doute avancé : on peut leur faire subir le sort qu’eux-mêmes réservent habituellement aux « terroristes » tombés entre leurs mains.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 83 - juillet-août 2014

 

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Un dommage de guerre
La mort d'un jeune réfugié lorientais fin juin 1944


Le dimanche 25 juin 1944, c’était le pardon des chevaux à Kerdévot. Le recteur porte cette information dans son registre-journal : « Ce même jour, un jeune réfugié de Lorient, Jacques Le Mouël a été affreusement blessé par une grenade au Rouillen à quelques mètres plus bas que la maison André sur la route de Squividan. Diverses versions : il s'amusait avec cette grenade avec d'autres compagnons comme avec une balle ; il a voulu éviter que de jeunes enfants la touchent ? En fait, il a eu la main emportée, les poumons perforés ; transporté à l'hôpital, on lui a amputé la main sans l'endormir ; il est  mort le lundi à 13 heures et a été enterré le surlendemain ». Aucun journal ne fait état de cet accident. Seul, le Progrès du Finistère du samedi 1er juillet 1944 annonce, dans sa chronique quimpéroise de l’état-civil, le décès de « Jacques Le Mouel, célibataire, 19 ans, comptable, 3 rue de l’Hospice ». Sans plus. Et cependant, en 1954, une décision ministérielle vaudra à Jacques Le Mouël d’être reconnu « Mort pour la France » et son nom figurera sur le Monument aux morts de la commune.
 
 
◙ Ce que donne le procès-verbal de la gendarmerie.
 
Les trois gendarmes Kernoa, Guillaume et Brenner sont chargés de l’enquête. Ils se rendent sur les lieux le dimanche même, « informés qu’un accident venait de se produire vieille route de Lestonan en Ergué-Gabéric, et que plusieurs personnes avaient été blessées par l’éclatement d’un enfin explosif » (ADF. 200W77). Quand ils arrivent, la Feld-gendarmerie de Quimper est déjà sur place, qui « nous dit qu’un engin explosif, vraisemblablement une grenade, qui était placée dans un des trous creusés sur la route, et destinés à la pose des mines, avait explosé, et que plusieurs personnes étaient blessées ». Puis « le docteur Quéméré de Quimper, présent, nous déclare que deux jeunes gens, dont l’état de l’un était très grave venaient d’être transportés à l’hôpital de Quimper, et que deux enfants avaient été conduits à la clinique du Docteur Pilven à Quimper ». 
 
Les gendarmes se rendent alors à l’hôpital, où ils peuvent entendre à 21 heures l'un des deux jeunes gens blessés, Gilbert Guinet. Ils reprennent leur enquête le surlendemain, 27 juin, pour interroger les 5 autres témoins qui faisaient partie du groupe, et également deux promeneurs qui se trouvaient sur les lieux au moment de l’accident. Sept jeunes s’en allaient à la « piscine » à St-Denis, en cette fin d’après-midi de dimanche… 
▪ Gilbert GUINET, né à Ergué-Gabéric le 5 mai 1926, habite Cité Lebon à Ergué-Armel.
▪ Jacques LE MOUËL, né le 24 juillet 1924 à Lorient, comptable à la Compagnie Lebon, demeurant au Bourg d’Ergué-Gabéric. Il est donc à un mois de ses 20 ans.
▪ Félix HEIMOT, né le 11 janvier 1925 à Ergué-Armel, mécanographe à la Compagnie Lebon et demeurant Cité Lebon à Ergué-Armel.
▪ Henri THEPOT, né le 27 décembre 1926 à Quimper, menuisier, demeurant 26 route de Coray à Ergué-Armel.
▪ Pierre KERMAIDIC, né le 29 juin 1926 à St-Renan (Finistère), mécanicien, demeurant 72 route de Rosporden en Ergué-Armel.
▪ Michel MORVAN,  né le 23 juillet 1925, à Ergué-Armel, plombier, demeurant 52 route de Rosporden à Ergué-Armel.
▪ et Jean LAVANANT, né le 3 octobre 1926 à Ergué-Armel, apprenti ajusteur demeurant Cité du Gaz à Quimper.
 
Chacun des six jeunes interrogés déclare avoir eu le même emploi du temps ce dimanche :  
« Aujourd’hui, 25 courant, j’ai assuré la garde du câble souterrain Quimper-Nantes, de 12 h à 18 h. J’ai quitté mon poste à la fin de mon service et me dirigeais vers Saint-Denis, avec l’intention de m’y baigner. » « J’ai assuré le service de garde aux fils téléphoniques à Ergué-Armel, de 12 h à 18 h. Mon service terminé, je me suis dirigé, en compagnie de plusieurs camarades, dont Le Mouël Jacques et Guinet Gilbert, dans la direction de St-Denis. Nous avions l’intention de nous rendre à la piscine »
Après avoir franchi le passage à niveau de l’Eau Blanche, ils ont traversé la route de Coray et se sont engagés sur la « vieille route de Lestonan » en deux groupes distants d’une dizaine de mètres. Morvan raconte : « A environ 100 mètres de la route de Coray, à l’endroit où la route est minée, j’ai vu un emplacement de mine, dont le couvercle était enlevé et déposé à proximité. Par curiosité, j’ai regardé dans cet endroit, et j’ai vu un engin de couleur marron et de forme ovale. Je l’ai pris, et après l’avoir examiné, je l’ai passé à d’autres camarades. Ceux-ci, après l’avoir regardé, me l’ont remis. Mon camarade Le Mouël Jacques, qui se trouvait à 5 ou 6 mètres de moi, m’a dit de lui passer cet engin pour le remettre à l’endroit où je l’avais pris. J’ai roulé cet engin sur la route, et Le Mouël s’en est saisi ». 
Les témoignages concordent ; la plupart disent avoir vu une des caissettes ouverte, couvercle posé à son côté : « à l’endroit où des trous ont été creusés par les troupes d’occupation pour la pose de mines, nous avons aperçu dans l’un de ces trous, dont le couvercle en bois était enlevé, un engin explosif, paraissant être une grenade ou un détonateur. Mon camarade Morvan s’en est saisi, à l’effet de l’examiner, par curiosité ». Et la grenade a passé entre plusieurs mains, pour revenir dans celles de Morvan qui « l’a jetée sur la route ». « C’est à ce moment que Le Mouël Jacques s’en est saisi, avec l’intention de la jeter dans le bois à proximité. Il l’avait depuis quelques secondes dans la main, lorsqu’elle fit explosion », déclare Guinet. Celui-ci poursuit : « Mon camarade a été blessé grièvement. Sa main a été arrachée ; il a en outre des éclats dans tout le corps et a été transporté à l’hôpital aussitôt. J’ai reçu des éclats dans la jambe gauche. Néanmoins, j’ai réussi à regagner mon domicile. »
Helmot : « Après l’explosion, il s’est dégagé une fumée opaque, et cette fumée dissipée, j’ai aperçu mon camarade Le Mouël couché dans le fossé droit, en direction de la papeterie. Je me suis empressé d’accourir, pour voir ce qu’il avait, et j’ai constaté que son poignet droit était arraché, et qu’il avait été atteint par plusieurs éclats sur tout le corps. Mon camarade Guinet a également été blessé à la jambe ». « Affolés par ce bruit », Kermaïdic, Thépot et Morvan, se sont « sauvés en courant vers l’Eau blanche ». Lavanant et Helmot sont restés sur place. Lavanant : « Quand j’ai entendu la détonation, je me suis retourné et j’ai vu Le Mouël couché dans le fossé. Il avait le poignet droit arraché et un morceau de l’oreille droite enlevé. Tous les autres camarades, sauf Félix Helmot et moi, se sont sauvés en entendant l’explosion. J’ai ensuite été aidé par un jeune homme qui travaillait dans un champ à proximité, à transporter le blessé jusqu’au débit André, route de Coray, où l’ambulance est venue le prendre quelque temps après ». Au moment où les cinq derniers témoins sont interrogés, ils disent avoir connaissance de la mort de leur camarade Jacques Le Mouël, survenue le lendemain de l’accident à 13 h 30. Les six jeunes gens n’ignorent pas non plus « que deux enfants avaient été également atteints. Ces enfants étaient accompagnés de leurs parents, et nous venions de les croiser un petit moment avant l’explosion » (Lavanant). 
 
Les gendarmes interrogent les parents. D’abord René COURTé, né le 5 septembre 1912 à Douarnenez, chauffeur à la SNCF et demeurant 14 rue de Chateaubriand à Ergué-Armel : « …vers 18 h 45, je me promenais en compagnie de ma femme, ma fille Marie-Renée, âgée de 4 ans ½, et de la famille Mésange, demeurant 9 rue de Chateaubriand à Ergué-Armel. Nous revenions de la piscine de Saint-Denis et rejoignions la route de Coray en passant par le moulin de St-Denis en Kerfeunteun. Arrivés à l’intersection de la vieille route de Lestonan, en Ergué-Gabéric, le chemin que nous empruntions, nous avons croisé un groupe de jeunes gens de cinq ou six, qui descendaient la côte. L’un d’eux tenait un engin à la main, paraissant être une grenade, et a dit qu’il allait la jeter à l’eau. Je leur ai dit qu’il valait mieux laisser cet engin tranquille et qu’il était peut-être dangereux de jouer avec. Nous avons continué notre route, et après avoir parcouru quelques mètres, j’ai entendu derrière nous une forte explosion. Je me suis retourné et j’ai entendu ma petite fille, qui était par la main avec le petit Mésange Gérard, appeler sa mère. Je me suis précipité vers elle, et j’ai constaté qu’elle avait une blessure au-dessus de l’oreille gauche, et que le petit Mésange portait des blessures à la main gauche et aux deux jambes. J’ai aperçu également un jeune homme tomber, mais je ne me suis pas soucié de lui. J’ai pris ma fille dans mes bras et l’ai transportée au Café André, où l’ambulance de Quimper est venue la prendre pour la transporter à la clinique du docteur Pilven. Elle a subi sur le champ l’opération du trépan. Actuellement elle se trouve en traitement dans cet établissement, où le médecin traitant vient de me déclarer qu’il ne peut encore se prononcer sur son état. » La déposition de Madame Robert Mésange, née Paule BABIN, tante du petit garçon blessé, est quasi identique.
 
L’enquête est ainsi conclue : « L’accident, dû à l’explosion d’un engin, soit une grenade ou un détonateur, s’est produit sur la vieille route de Lestonan, à environ 100 mètres de la route de Coray. A cet endroit, il existe sept trous, d’une profondeur de 15 centimètres. L’un des couvercles en bois a été enlevé et posé à proximité. D’après plusieurs personnes, le couvercle a été enlevé depuis plusieurs jours, mais nous n’avons pu savoir par qui ».
 
 
◙ Un dispositif anti-chars autour de Quimper
 
En cette fin juin 1944, les Allemands en occupation à Quimper se préparent à l’arrivée aux portes de la ville des chars alliés, pour l’instant retenus en Normandie. Ils ont déjà pris des mesures de défense telles que, à L’Eau Blanche, le barrage de la route de Rosporden, constitué par des épaulements en béton de chaque côté de la route formant une chicane ; la route était ainsi ramenée à la largeur d’une seule voie, et celle-ci était fermée par des chevaux de frise. Ce dispositif anti-blindés était complété par des mines anti-chars. Cette description nous est fournie par le Lieutenant Nicolas, chef FFI du secteur Est, dans son récit de la libération de Quimper (ADF 208 J 155).
Sur la « vieille route de Lestonan », c’est un dispositif plus simple qui a été installé. Le Lieutenant Nicolas raconte : « Dans toutes les routes autour de Quimper, on a creusé des trous faisant environ 40 cm au carré et autant de profondeur. Ces trous sont garnis d’un coffrage en bois avec tampon en bois pour la fermeture. Ils sont destinés, le moment venu, à recevoir des mines anti-chars ». Il précise que ces trous ont été creusés par des Français réquisitionnés par l’intermédiaire de la mairie et encadrés par l’Organisation Todt ou par des soldats allemands. 
Il raconte ensuite : « Vers le 19 ou le 20 juin […] on m’avait demandé de faire enlever les coffrages que les Allemands avaient fait mettre en place aux entrées Est de la ville au travers des routes […] Ces coffres ou boîtes étaient fermés par de solides tampons de bois situés au niveau de la route et ne gênant pas la circulation. Il suffisait d’enlever les boîtes, et les trous finiraient par se remplir de par la circulation des véhicules ».
Deux volontaires se proposent pour la mission. « Ils partent en début d’après-midi, connaissant bien les coffrages des diverses entrées Est de la ville de Quimper. Marchant en poussant leur vélo, ils allaient atteindre le moulin Saint-Denis sur la route de Coray pour enlever les premiers coffres lorsqu’un ''halt !'' retentissant et très germanique leur fit lever la tête pour voir deux superbes feldgendarmes dissimulés en haut du talus bordant la route. C’est la surprise. Pas question de fuir : les mitraillettes sont braquées sur eux ». Cela s’est probablement  passé à l’endroit même où a eu lieu l’accident qui, quelques jours après, a fait un mort et trois blessés. Les chars alliés n’auront pas à entrer dans Quimper.
 
 
◙ Qui a deposé cette grenade ? 
 
Est-ce par souci réel de la sécurité de la population quimpéroise, en particulier celle des enfants, que, le 17 juin, le Feldkommandant Von Coler avait demandé au préfet d’interdire de toucher aux caisses à mines fixées dans la chaussée des routes (voir ci-dessous la lettre au préfet datée du 17 juin) ? Ces caisses sont pour l’instant vides de tout explosif. Si on les déterre, le risque serait celui lié aux « nids de poule » dans la route. Si on enlève uniquement le couvercle, la caisse, se remplissant peu à peu de détritus et d’eau, deviendra inutilisable dans sa destination. Le Feldkommandant sait très bien que les « terroristes » ont entrepris de visiter ces dispositifs anti-chars pour les neutraliser. C’est pourquoi, dans le même temps, il les fait surveiller par ses gendarmes placés en embuscade.
Qui a bien pu déposer une grenade dans l'une de ces caisses au départ de la « vieille route de Lestonan » ? L’enquête ne le dit pas. Ce peut être quelqu’un, résistant ou pas, qui avait besoin de se débarrasser d’un objet compromettant : il aurait facilement trouvé un endroit plus discret pour le déposer. Soit, mais le fait de placer cette grenade dans cette caisse, un jour où cette route est fréquentée par tous ces promeneurs à pied, peut aussi être une manœuvre délibérée servant à illustrer la mise en garde du Felkommandant aux saboteurs : « Ne touchez pas aux caisses à mines ! ». 
 
Visuel ci-dessous : acte de décès de Jacques Le Mouël

Acte de décès Le Mouel Jacques DSC 1604

 
Notes
1. Nom de l’actuelle « Route du Stangala »
2. En fait, les mines ne sont pas encore déposées dans les caissons qui doivent les recevoir.
3. Ils seront conduits par les deux Allemands, à pied, le vélo à la main, jusqu’à la gendarmerie allemande située face à la gare. Interrogés pendant 2 heures, ils sont soupçonnés d’être des « terroristes ». A force d’astuces, ils arriveront à se faire libérer…
 
 
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Une famille lorientaise réfugiée au Bourg
 
Réfugiés lorientais 1943
Le 16 janvier 1943, le préfet du Finistère est informé qu’un train de réfugiés venant de Lorient arrive en gare de Quimper dans le quart d’heure qui suit. Ils fuient les frappes aériennes qui ont lieu sur cette ville (voir photo ci-contre: Lorientais fuyant les bombardements de 1943, © Ouest France, 07/11/2009.). Le Felkommandant Fischer réagit : tout hébergement de réfugiés doit avoir obtenu son accord préalable. Réponse du préfet le lendemain : « les rares réfugiés qui, à leur arrivée, ne savaient où se rendre, ont été dirigés par mes soins en dehors de la zone côtière, sur les localités de Briec (39 réfugiés) et d’Edern (16 réfugiés) » (ADF 200W16). Les quelques personnes qui arrivent à Ergué-Gabéric ont donc peut-être choisi cette commune. Parmi eux, la famille Le Mouël. 
Le père, Jean-Louis Le Mouël, né en 1881 (61 ans), est un ancien ouvrier de l’arsenal de Lorient. Il habitait au 13, rue de l’assemblée nationale avec son épouse Jeanne Brivoal, 57 ans. Leur logement a été détruit. Ils habitent désormais au Bourg d’Ergué-Gabéric, où les ont accompagnés :
▪ leur fille Jeanne, 32 ans, et le fils de celle-ci, Jean Le Tallec, 8 ans ; elle habitait 12 rue de Liège à Lorient (logement détruit), et était couturière en journée. 
▪ leur deuxième fille, Suzanne, 20 ans, et le mari de celle-ci, Henri Gourlet, né le 24 juillet 1919 (23 ans), ont également abandonné leur maison partiellement endommagée. Ils ont un bébé de quelques semaines. Henri Gourlet travaillait aussi à l’arsenal de Lorient comme mécanicien. 
▪ enfin leur fils Jacques, qui a 19 ans. (ADF 178W4).
Au 23 janvier, la préfecture a recensé dans 146 communes sur les 301 que compte le Finistère, soit un total de 1 973 réfugiés lorientais. La Feldkommandantur insiste pour que ces réfugiés quittent le département pour pouvoir assurer aux troupes d’occupation les cantonnements dont elles ont besoin. Le séjour des Lorientais ne sera autorisé que pour certaines situations précises : « séjour chez des ascendants ou descendants, maladies graves, femmes en couches, vieillards intransportables (des certificats médicaux doivent être joints), travail pour les autorités allemandes (avec certificat de l’unité ou de la firme qui emploie le réfugié) ». (Lettre du préfet aux maires, le 16 mars 1943. ADF 200W17). Effectivement, Henri Gourlet souscrit un engagement au titre du Service du Travail Obligatoire et part en Allemagne le 29 mars 1943. Il travaillera à Stettin (en Pologne actuelle), dans une entreprise allemande de transport (Lehmann-Bauër) comme mécanicien-chauffeur (ADF 178W4). Il sera rapatrié le 18 juin 1945. C’est peut-être ce départ au STO qui aura permis à l’ensemble de la famille Le Mouël de rester à Ergué-Gabéric. En ce qui concerne le jeune Jacques Le Mouël, arrivé à Ergué-Gabéric le 16 janvier 1943, l’allocation due aux réfugiés civils indigents lui est versée à partir de ce jour jusqu’ au 30 avril 1943 (ADF 1W19), ce qui signifierait qu’il a disposé de ressources suffisantes à partir du 1er mai. Ce serait peut-être donc à partir du 1er mai 1943 qu’il aurait bénéficié d’un emploi de comptable à la Compagnie Lebon (ADF 200W77). Il décède le 26 juin 1944 et son corps est inhumé à Ergué-Gabéric.
Jean-Louis Le Mouël et sa femme quitteront Ergué-Gabéric à la fin du mois de juillet 1946, tandis que leur fille Jeanne et le jeune fils de celle-ci y resteront encore jusqu’à la fin mai 1947. Tous les quatre avaient été enregistrés comme domiciliés au Bourg lors du recensement de 1946.
 

Dossier (textes et photos) réalisé par François Ac'h - Keleier 85 - décembre 2014

 

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