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Les rimes se ramassent à la pelle !

 

Les CM2 de Saint-Joseph célèbrent par la rime les jalons d’histoire et de patrimoine qu’ils ont découverts avec Arkae pendant l’année scolaire 2000-2001. Morceaux choisis, qui enrichiront notre patrimoine littéraire.

 

 

Saint-Guénolé,

 

Tu es une chapelle

Au beau milieu d’un village

Qui a failli être détruite

Pour construire Ker-Anna

Pauvre petite chapelle !

Ton clocher est tombé

Mais une fois restaurée

Tu renais !

 

Florent

 

 

 

La ville au Vert

 

La ville au vert

Avec des buissons verts

Des moineaux

Et son ruisseau

 

De grands sapins verts

Des paysages clairs même en hiver

A côté de Quimper.

 

Solenn

 

La rue des Jardins

 

On voit tout le temps en automne

Quelque chose qui nous étonne

Comme la rue des Jardins

Où poussent quelques pins

Sous un coucher de soleil c’est le jardin des merveilles.

 

Charles

 

 

 

La rosace de Saint-André

 

Toi, rosace pleine de couleurs,

Toi qui apportes le bonheur,

Tu es ronde comme le soleil

Et mystérieuse comme le ciel.

 

Tu as vu passé le temps

Peut-être l’as-tu trouvé lent,

Mais tu es restée belle

Et tu es éternelle.

 

Chloé

 

 

Keleier 13 - octobre 2001

 


Arkae > Trésors d'archives > Politique > Les femmes en politique à Ergué

Les femmes en politique à Ergué-Gabéric

Bernez Rouz
 
Femmes en politique, une affaire bien bretonne
Il est bon de rappeler que le Duché de Bretagne a été gouverné plusieurs fois par des femmes qui, contrairement à ce qui avait lieu dans le Royaume de France, pouvaient accéder au trône. Parmi elles, on peut citer Berthe de Cornouaille (1148-1156), Alix (1203-1221), Anne de Bretagne (1488-1514) et Claude de France (1514-1524). L’histoire de Bretagne a connu également trois duchesses qui ont secondé ou remplacé leurs maris avec brio : Ermengarde d’Anjou, Jeanne de Flandres et Jeanne de Penthièvre. L’exemple venait du haut et il n’est pas étonnant que dans la gestion des paroisses on trouve aussi des femmes. Ainsi à Erquy, en 1516 — on est au temps de la Bretagne indépendante — l’administration est tenue par un "général des parouessiens et des parouessiennes, tant nobles que non nobles…" Pour Ergué, les seuls compte-rendus du "corps politique" que nous possédons datent de la fin du XVIIIe siècle. Aucun nom de femme n'y apparaît. En revanche, les femmes étaient présentes dans les affaires paroissiales, puisqu’elles ont fermement manifesté en 1741-42 contre l’application d’un arrêt du parlement de Bretagne interdisant l’inhumation dans les églises.
 
La Révolution, une occasion manquée
Anne FerronnièreLa France se targue souvent d’être la patrie des droits de l’homme et du citoyen. Mais en ce qui concerne les droits de la femme, le compte n’y est pas. La Révolution a exclu que les femmes puissent avoir le droit de vote le 22 décembre 1789. Pourtant, une fervente révolutionnaire, Olympe de Gouges, publia en 1791 une "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne". Cet appel fut ignoré et son auteure guillotinée sous la Terreur !
Sous la Troisième République, les mouvements féministes réclamèrent en vain le suffrage pour tous. Plusieurs projets de loi furent votés par l’Assemblée et rejetés par le Sénat qui, majoritairement radical-socialiste, craignait que les femmes soient sous l’inflence de l’Eglise. Le Front populaire nomma trois femmes secrétaires d’Etat, mais les parlementaires refusèrent le droit de vote aux femmes. On le sait peu, mais c’est le gouvernement de Vichy qui nomma les premières femmes conseillères municipales. Les conseillers et le maire étaient nommés par le préfet, dans toutes les villes de plus de 2 000 habitants. La loi prévoyait que siège obligatoirement "une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres privées d’assistance et de bienfaisance". Le maire Pierre Tanguy, renouvelé dans ses fonctions, proposa le nom d’Anne Ferronière, femme du directeur de l’usine d’Odet, qui s’occupait alors des œuvres sociales de la papeterie. Elle siégea quatre ans, du 9 avril 1941 au 13 mai 1945. La loi prévoyait aussi que des femmes âgées d’au moins 25 ans puissent être nommées conseillères municipales. Ce ne fut pas le cas à Ergué. Il fallut attendre la Libération pour voir le droit de vote accordé aux Françaises par le Comité français de libération nationale. La décision fut confirmée le 5 octobre 1944 et la mise en pratique commença le 29 avril 1945, pour les premières élections municipales après la guerre.
 
 
Jeanne Lazou1945-1971 : aucune femme n’est élue
En 1945, une seule femme se présente au suffrage des électeurs. Il s’agit de Mme Blanchard, sage-femme à Odet, sur la liste de Pierre Tanguy, le maire sortant de droite. Il affrontait une liste radicale, menée par Jean Le Menn, et une liste communiste (républicaine antifasciste). Au deuxième tour, les deux listes de gauche fusionnèrent et remportèrent les élections. Mme Blanchard, avec 523 voix, faisait le dixième score sur sa liste. Il n’y a donc eu ni ostracisme ni empathie particulière pour une femme qui, par sa profession, agissait dans le domaine social.
En 1947, trois listes étaient encore en présence. Deux femmes figuraient sur la liste communiste : Corentine Espern, papetière de Stang Venn, et Jeanne Lazou, institutrice à Lestonan. Elles ne furent pas élues.
En 1953, trois listes étaient en présence. Le parti communiste présentait deux femmes : Marie-Jeanne Poupon, ménagère au bourg, et Henriette Herry, ménagère à Stang-Venn. Elles ne furent pas élues.
En 1959 et en 1965, aucune femme ne se présenta aux suffrages des électeurs gabéricois.
En 1971, deux candidates se présentent sur la liste de gauche : Paule Le Poupon, mère de famille au Rouillen, et Maryse Le Berre, institutrice à Lestonan. Aucune ne fut élue.
 
 
Le tournant de 1977
Le maire sortant, Jean-Marie Puech (centre-droit), ne présente aucune femme sur sa liste. En revanche, une liste dissidente, menée par deux adjoints, présente quatre candidates : Maryvonne Le Corre, cuisinière au bourg, Annie Flécher, employée de bureau vivant à la Croix-Rouge, Madeleine Lasseau, agricultrice à la Salleverte, Monique Pavec, mère de famille à Lezebel.
Sur la liste d’Union de la gauche, quatre femmes également sont présentes : Marie-Françoise Hémery, assistante sociale à Croas-ar-Gac, Annie Madec, mère de famille à la Croix-Rouge, Jacqueline Le Fur, mère de famille au Rouillen, Betty Rannou, mère de famille à Penn-ar-Garn. Au premier tour au scrutin nominal,  seul Pierre Faucher, tête de liste de gauche, est élu. Au second tour, la liste de gauche est entièrement élue. Quatre femmes rentrent au Conseil municipal, et pour la première fois, l’une d’entre elles devient deuxième adjointe au maire. Il s'agit de Marie-Françoise Hémery. Il est intéressant de noter que les femmes présentes sur la liste font de beaux scores : deux d’entre elles se situent à la 4e et 5e place du scrutin. 
 
Yvette Gogail1983 : les femmes entrent en force
En 1983, c’est une petite révolution lorsque Ergué-Gabéric, commune de plus de 3 500 habitants, inaugure le scrutin de liste qui remplace le scrutin nominal précédent. Les candidates sont nombreuses : la liste de gauche menée par le PS présente sept candidates, dont trois sortantes. L’autre liste de gauche, menée par le PCF, présente huit candidates. La liste de droite, sept candidates. Au second tour, les deux listes de gauche fusionnent, mais cette liste menée par Marcel Huitric est battue par la liste de Jean Le Reste. Sept femmes sont élues, cinq sur la liste de droite et deux sur la liste de gauche. Il s’agit de Christiane Le Guellec, Suzanne Lozac’h, Maryvonne Le Corre, Renée Ernoul, Yvette Gogail (photo ci-contre avec Jean-Hascoët), Jacqueline Le Fur et Marie-Françoise Hémery. En 1989, 17 candidates se présentent sur trois listes différentes. Six d’entre elles sont élues : Jacqueline Le Fur, Marie-Françoise Hémery, Antoinette Le Bihan, Annick Kervran, Maryvonne Blondin et Suzanne Lozac’h. En 1995, 18 candidates sont sur les rangs de deux listes concurrentes. Sept sont élues : Jacqueline Le Fur, Maryvonne Blondin, Annick Tamic, Christiane Jézéquel, Alice Le Bihan, Yvette Gogail et Bernadette Jehan.
 
 
2001 : la parité s’installe
Par une loi promulguée le 6 juin 2000, toutes les communes de plus de 3 500 habitants sont soumises au scrutin de liste paritaire. On trouve donc 14 candidates sur la liste de gauche menée par Jean-Pierre Huitric et 14 candidates sur la liste de droite menée par Jean René Le Nir. Quatorze femmes sont élues. En 2001, Maryvonne Blondin succède à Pierre Faucher au siège de Conseiller général du canton. Elle devient ainsi la première Gabéricoise conseillère générale du Finistère. Elle est réélue en 2007. En 2007, la parité s’affirme encore plus, puisque la loi du 31 janvier impose non seulement la parité au conseil municipal, mais aussi dans l’éxécutif, c’est-à-dire pour les adjoints au maire.  De plus l’alternance homme-femme est de mise dans les listes. Trois listes se présentent, portant à 42 le nombre de femmes qui briguent un mandat de conseillère municipale.En 2008, Maryvonne Blondin est élue sénatrice. Elle devient ainsi la première parlementaire gabéricoise. En 2014, deux listes se présentent aux élections municipales, et pour la première fois, l’une d’entre elles, la liste de la gauche gabéricoise, est menée par une femme, Sylvaine Frenay. Le conseil municipal actuel comprend 14 femmes, dont quatre adjointes au maire. La parité est entrée dans les mœurs, mais il aura fallu du temps.
 
Maryvonne Blondin et Jacqueline Le Fur
Jacqueline Le Fur et Maryvonne Blondin entourant Fañch Mao, doyen de la commune (1995).


Dossier réalisé par Bernez Rouz, Keleier 84, octobre 2014.
Pour aller plus loin : voir Anne Ferronière et Maryvonne Blondin.


Arkae > Trésors d'archives > Personnages > Anne Ferronière

Anne Ferronière, 1ere conseillère municipale d’Ergué-Gabéric (1941-1945)


signature FerronièreLe 13 décembre 1940, le gouvernement de Vichy promulgue une loi de réorganisation municipale. Si les élections sont maintenues dans les communes de moins de 2 000 habitants, il n’en est pas de même pour les communes plus importantes. Ergué-Gabéric, forte de ses 2 600 habitants, est dans la catégorie des communes de 2 000 à 10 000 habitants. Le maire et le conseil municipal sont nommés par le préfet. 
 
Ainsi, le 29 mars 1941, Pierre Tanguy, agriculteur de Kerellou, maire sortant, est maintenu dans ses fonctions. Il présente au préfet une liste de candidats, double des sièges à pourvoir. Le premier critère est d’avoir 25 ans. Les hommes et les femmes peuvent être nommés. La loi oblige le préfet à nommer un père de famille nombreuse, un représentant des groupements professionnels des travailleurs, une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres privées d’assistance et de bienfaisance.
Le 9 avril 1941, le corps municipal est nommé. A Ergué, c’est le service minimum pour les femmes, mais comme le prévoit la loi, Madame Ferronière, née Grignon du Moulin, présidente de l’ « Ouvroir de l’Odet », c’est-à-dire du bureau des œuvres sociales des papeteries Bolloré, est nommée conseillère municipale.
Anne, née le 23 février 1905 à Nantes, épouse le 26 avril 1926 Frédéric Ferronière, né le 2 mars 1902. Le mariage entre deux grandes familles bourgeoises nantaises fait grand bruit à l’époque. Ingénieur chimiste après des études à Strasbourg, Frédéric Ferronière et sa femme s’installent dès leur mariage à Quimper, puis à Ergué. Ils auront deux filles : Anne, née à Quimper en 1927, et Jacqueline, née à Quimper en 1930. Les deux filles se marient à Ergué-Gabéric,  respectivement en  1949 et en 1954.  Frédéric Ferronière devient directeur du site d’Odet après la guerre. Anne Ferronnière participe aux fêtes de la bonne société quimpéroise. La presse relate sa présence en 1939 au gala de la Légion d’honneur, où elle joue une scénette de théâtre avec sa fille aînée. 
Dans les registres des délibérations du corps municipal pendant la guerre, Mme Ferronière apparaît comme très présente. Elle n’est absente que six fois entre avril 1941 et le 15 mars 1945, dernière séance où elle assure le secrétariat. A plusieurs reprises Mme Ferronière sera élue secrétaire de séance. Elle fait partie de la commission du cimetière et, sans surprise, de la commission du bureau de bienfaisance. Le 1er mars 1942, elle représente la municipalité au conseil d’administration de la Caisse des écoles privées mais aussi à la Caisse des écoles publiques. Ces caisses étaient chargées de récompenser les élèves assidus et de secourir les indigents.
Frédéric Ferronière devient directeur de l’usine à son redémarrage en 1945. Le couple et ses deux enfant vivent dans une maison à Stang Venn, en face de la nouvelle usine d’Odet. M. Ferronière reste à la tête de l’usine jusqu’à la fin des années 60. On le retrouve comme visiteur au Scientific Control Laboratories de Liverpool, un laboratoire du British American Tobacco, qui teste les tabacs, mais aussi les papiers à cigarette du monde entier. Il terminera sa carrière au siège du groupe, à Paris, avant de se retirer au Cabellou à Concarneau.
Frédéric Ferronière décède le 13 novembre 1986 à Concarneau où il repose avec sa femme, décédée deux ans après.
 
Voir aussi : Politique > Les femmes en politique à Ergué
 

Dossier réalisé par Bernez Rouz - Keleier 84 - octobre 2014

 

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La saga Bolloré, entre histoire et légende

La saga Bolloré, entre histoire et légende

 

Voici quelques remarques rédigées à la suite de la lecture de la 1ère partie du livre de Jean Bothorel, paru cet été 2007 : Vincent Bolloré, une histoire de famille. Ces 60 premières pages portent sur la période 1822-1981 (soit 160 années) et ont pour sous-titre « Les racines et la dynastie » : elles traitent donc de la période historique qui intéresse Arkae. Une 2e partie prend 110 pages pour couvrir les 25 années de l’histoire du groupe sous la direction de Vincent Bolloré, et une 3e (5 pages) annonce le second centenaire, qui sera fêté dans 15 ans. La première partie, celle dont il est ici question, me semble se situer à mi-chemin entre ce qui se prétend un travail d’histoire et ce qui serait en fait une hagiographie à la façon de Joinville travaillant pour son roi Saint Louis. Je veux dire que ce n’est pas un travail d’histoire tel que nous l’entendons à Arkae.

 

Le piano mécanique

Le travers qui apparaît rapidement, c’est celui d’attribuer nécessairement à la famille Bolloré tout ce qui se faisait à Lestonan, et d’ignorer que la population de Lestonan, ou celle d’Ergué-Gabéric a habituellement su se ménager un certain espace hors de l’emprise Bolloré. Exemple plutôt comique : le bilan de Bolloré II, mort en 1935 (pages 47-48) : « Il avait pris le temps avant de disparaître de bâtir de nouvelles écoles privées, d’aider au lancement d’une deuxième cité ouvrière, Le Champ, qui fut construite à grande vitesse et baptisée la Cité Champignon. Il encouragea la construction d’un patronage, les Paotred Dispount, littéralement « les gars sans peur », qui formèrent une troupe de théâtre et une clique avec ses fifres, clairons et tambours. Enfin un piano mécanique fut installé chez Chan Deo, où les jeunes se réunissaient les dimanches après-midi… » Est-il raisonnable de penser que ce serait Bolloré qui aurait contribué à équiper le café de Chan Deo d’un piano mécanique et ainsi à sponsoriser ce qui était dénoncé par le clergé comme un lieu de perdition et de débauche en plein cœur de Lestonan ?

 

L’école publique

Non seulement les Bolloré auraient financé le piano mécanique, mais ils auraient aussi « créé » l’école qui a été ouverte à Lestonan en 1885. C’est bien une école publique que le Conseil Municipal, à la demande insistante de l’inspecteur d’académie, a décidé en 1882 de construire. Or elle est  présentée par Jean Bothorel, page 32, comme école privée : « adjoint au maire d’Ergué-Gabéric, il (le René Bolloré, qui fut à la tête des Papeteries de 1881 à 1905) ouvrit dans le hameau de Lestonan une école privée pour éviter aux enfants le long trajet jusqu’au bourg ». Cette phrase est directement transcrite (mais l’auteur ne l’indique pas) du discours prononcé à la Fête du Centenaire en 1922 par l’Abbé André-Fouet dans l’éloge qu’il fait de Bolloré I : « il crée l’école de Lestonan pour éviter aux enfants le long trajet jusqu’au bourg ». Où donc Jean Bothorel va chercher que René Bolloré était adjoint au maire ? Jean Mahé avait été élu maire en 1881, avec comme adjoint Hervé Le Roux. A la mort de Jean Mahé en 1882, Hervé Le Roux devient maire, avec René Riou comme adjoint. René Bolloré, pendant ce temps, était l’un des 14 conseillers municipaux. Et pourquoi ajouter qu’il s’agit d’une école privée là où André Fouët indiquait simplement une école, et alors qu’en réalité il s’agissait d’une école publique ?

 

Le rachat du Likès

Un autre épisode longuement raconté par Jean Bothorel, pages 33-34, concerne le Likès à Quimper. L’auteur trouve le moyen de placer dès 1907 « une des premières initiatives » de René Bolloré II, qui venait de prendre la direction des Papeteries en 1905, à 20 ans (à noter que Bothorel préfère dire « à 18 ans » ; or, ce René Bolloré est né le 28 janvier 1885, et son père est mort le 15 février 1905 : le fils venait d’avoir eu 20 ans à la mort du père). Voici le texte de Bothorel. « Le collège Le Likès, célèbre institution de Quimper tenue par la Congrégation des Frères des écoles chrétiennes, tombait sous le coup de la loi anti-congréganiste de juillet 1904. Le 18 mai 1907 se déroula au Palais de Justice de Paris la "vente aux enchères publiques, en un seul lot, d’une grande propriété sise à Quimper (Finistère) rue de Kerfeunteun". Il s’agissait du Likès. La mise à prix était de 60 000 francs, une braderie, puisque la seule chapelle construite huit ans plus tôt avait coûté 15 000 francs. Le jour de la vente, Eugène Bolloré, soutenu par son cousin René Bolloré II, se porta acquéreur. Eugène, grand, de belle allure, la moustache en pointe, était président de l’Amicale des anciens élèves du Likès. Les enchères ne montèrent pas très haut, 63 000 francs. Comme la loi interdisait de réaffecter les locaux à l’enseignement scolaire, Eugène Bolloré trouva un artifice : il loua le Likès à l’évêché de  Quimper qui y installa son Petit séminaire sous le nom de collège Saint-Vincent… ».

Qu’en a-t-il été réellement ? La source (probable) à laquelle Bothorel puise son information (ce serait encore une fois sans le dire) est un ouvrage écrit par le frère Hervé Daniélou en 2001, intitulé Un siècle de vie likésienne (1838-1945). On y fait état (page 51) de la création en 1889 d’une Amicale des anciens élèves, dont le président fut, de 1889 à 1924, M. Eugène Bolloré, mercier au 13 rue de Kéréon à Quimper, et qui était effectivement le cousin de René Bolloré II. Page 56 de ce livre se trouve relatée la vente du Likès : « C’est le 18 mai 1907 que se déroula, devant le Tribunal civil de la Seine, au Palais de Justice de Paris, la "vente aux enchères Publiques, en un seul lot, d’une Grande Propriété, sise à Quimper (Finistère), rue de Kerfeunteun" […]. L’affiche annonçant cette vente publique, comporte […] la mise à prix : 60.000 francs. C’est évidemment une véritable braderie, si on pense que la chapelle seule, terminée huit ans plus tôt, avait coûté 150.000 francs [NB : Bothorel retient un chiffre de 15.000 francs au lieu des 150.000 francs ici indiqués]… Le jour de la vente, parmi les acheteurs éventuels, se présente un homme de haute taille, au regard droit et à la moustache en pointes : il s’agit de M. Eugène Bolloré, président de l’Amicale des anciens élèves, qui, en accord avec les Frères, se porta acquéreur de la propriété mise aux enchères. Celles-ci ne montent pas bien haut et, pour 63.000 francs, Monsieur Bolloré devient propriétaire de l’ensemble des terrains et bâtiments affectés au Likès et au District. On peut évidemment se poser la question de savoir si, en l’occurrence, M. Bolloré utilisa sa fortune personnelle ou si l’argent de l’achat fut avancé par les Frères. Ce qui se passa plus tard, lors de la constitution de la "Société Anonyme Le Likès", qui devint propriétaire légale de l’ensemble de la propriété et des bâtiments, permet de donner la préférence à la seconde hypothèse […]. » Ainsi l’hypothèse plausible, selon la source, est que M. Eugène Bolloré n’aurait été qu’un prête-nom, pour le compte des Frères, et il n’est pas question dans ce récit d’un rôle quelconque en « soutien » de René Bolloré II, le cousin, qui rappelons-le, avait 22 ans à l’époque, et était un ancien élève des Jésuites de Vannes et non du Likès. Pourquoi donc s’obliger à le mêler activement à cette entreprise (« une des premières initiatives de René Bolloré ») et à consacrer une page entière à cette opération financière un peu particulière ? Il y a pire, par exemple ce qui est retenu par le Chanoine René Gougay dans « Le Petit Séminaire Saint-Vincent. Pont-Croix 1822-1973 », édition Association des anciens élèves de l’institution Saint-Vincent, 1986 ; page 79) : « À la Séparation, les Frères de Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle virent leurs écoles fermées et confisquées. Leur établissement du Likès à Quimper fut acheté par M. Bolloré, industriel papetier à Odet en Ergué-Gabéric. L’acquéreur était mandaté par le Comité des anciens élèves dont il était le président. Il le loua à Mgr Dubillard ». Jean Bothorel pouvait donc prendre encore plus de distance avec la réalité historique.

 

Les ouvriers au secours du patron

Enfin, cet épisode, situé sous la direction de René Bolloré I (entre 1881 et 1905). Il est ainsi rapporté par Jean Bothorel (pages 30-31) : « Plus d’une fois, l’entreprise frôle la catastrophe. A tel point qu’en 1897, elle est mise en vente sur l’initiative de certains membres de la famille. Sans doute voulaient-ils se partager l’héritage avant qu’il ne se désagrège… On raconte que les ouvriers et ouvrières se sont alors mobilisés et ont rassemblé toutes leurs économies pour les offrir à leur patron : Monsieur Bolloré, nous vous aimons, nous ne voulons pas d’autre patron que vous. Tenez, prenez notre argent, si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l’usine. On ignore s’il en eût besoin. On sait en revanche qu’il réussit à se sortir de cette mauvaise passe… ». Bothorel ne cite aucune source. Il dit : « on raconte que… », comme s’il s’agissait d’un récit largement approprié . Or cet épisode n’est connu qu’à partir de l’évocation qui en a été faite par René Bolloré II dans le discours prononcé par lui à l’occasion des fêtes du centenaire en 1922 : « Mes chers amis, je vous raconterai un fait qui résumera l’intensité de l’affection dont il (son père) était entouré. En connaissez vous de plus touchant ? Le voici tout simplement : Quand il y a 35 ans, l’usine fut mise en vente pour partage de famille, les ouvriers de l’époque rassemblèrent leurs économies et vinrent les offrir à mon père, par l’intermédiaire du vieil Auffret, de ton père, Horellou, en lui disant : Monsieur René, nous vous aimons, nous ne voulons pas d’autre patron que vous, tenez, prenez notre argent si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l’usine ». Chacun remarquera d’abord que le discours étant prononcé en 1922 et évoquant des faits vieux de 35 ans ; il faut situer ceux-ci en 1887, et non pas en 1897 comme le fait Bothorel. Effectivement, le Docteur Bolloré était mort en 1881, et ses trois fils se sont engagés dans une direction collégiale de l’entreprise. Au bout de quelques années, les deux plus jeunes ont laissé faire leur aîné (René Bolloré I), et lui ont demandé le partage du bien familial. D’où une situation de crise. C’est alors, à une date inconnue et dans des circonstances qui restent ignorées, qu’une démarche de soutien au chef d’entreprise serait venue du personnel. S’agit-il d’une démarche représentative de tout le personnel ou émanant de quelques individus de ses plus proches collaborateurs ? S’agit-il d’une vague proposition ou y a t’il eu un début de réalisation de collecte ? Nous ne disposons d’aucune autre source que ce discours du Centenaire pour connaître cet épisode. Nous devons nous poser la question du bien-fondé de ce récit présenté dans un contexte de célébration de l’entreprise et de ses héros, dans un élan de convivialité recherchée et de sentimentalité bien apparente. René Bolloré II est-il plus crédible que son ami André-Fouet attribuant ce même jour à René Bolloré I la création de l’école publique ? Un minimum de prudence s’impose à qui prétend faire un travail d’historien.

Bothorel aurait pu dire que, dans la tradition Bolloré, cet épisode est devenu une sorte d’évènement fondateur, sans doute autant construit que réel, et relevant désormais du merveilleux. Il fait partie du légendaire de l’entreprise et peut être resservi quand il y a lieu de mobiliser le personnel autour de la direction. L’histoire à faire, c’est aussi l’histoire de l’utilisation de ce récit : quelque chose s’est passé, mais qui a été valorisé peu ou prou, pour les besoins de l’édification des fidèles, comme dans les légendes locales qui ont fleuri sur fond de religiosité.

A travers ce mode de traitement des sources (que l’on prend soin bien souvent de ne pas citer), apparaît une manière habituelle de forcer l’histoire dans le sens d’une dramatisation : à plusieurs reprises, tout alla mal, mais chaque fois, tout fut sauvé, quasi miraculeusement, grâce à l’énergie et à la clairvoyance du héros éponyme, qui disparaît pour renaître, tel le phénix.  « La manière dont Jean-René Bolloré entre dans l’affaire ressemble étrangement au scénario qui se renouvellera en 1897-1898 avec René Bolloré I, en 1919-1920 avec René Bolloré II, en 1948-1950 avec Michel Bolloré et ses frères, enfin en 1981 avec Vincent Bolloré » (page 25. La même récurrence de rebonds historiques est présentée page 56). Ainsi se résumerait la saga des Bolloré, qui serait une illustration des vertus du « capitalisme familial », libre et efficace (page 191). Une histoire à thèse en quelque sorte.

 

François Ac’h - Keleier Arkae, n° 53 - Décembre 2007

 

Signalons encore des erreurs que nous pouvons considérer comme ordinaires, mais qui témoignent d’un certain parisianisme de la part de l’auteur, pourtant finistérien (né à Plouvien). Petit bêtisier. Jean Bothorel situe la commune de Scaër et le moulin de Cascadec dans les monts d’Arrée, et non dans les montagnes Noires : « il [René Bolloré II] loue en 1893, à quelques encablures d’Odet, sur la commune de Scaër, le moulin de Cascadec. Celui-ci enjambe l’Isole qui coule aux pieds des monts d’Arrée, dans l’un des plus beaux sites du Finistère » (page 30). « …en avril 1917, René Bolloré II achète l’usine de Cascadec, jusque là en location. Il y installe une seconde machine à papier, et creuse dans les monts d’Arrée un canal pour amener l’eau aux turbines… » (page 39). Et pourquoi, quand on veut mettre en scène une « brave » bretonne, faut-il en faire une Bigoudène ? Évoquant (page 192) le mariage récent du fils Bolloré, Bothorel a ce commentaire : « Ah, pour sûr, y avait du beau monde !, aurait dit la bigoudène Marianne Saliou ». Marie-Anne Niger, épouse Saliou, est née à Ti-Ru et habitait Stang-Venn.

 

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